Alors que tout le monde s’attendait à ce que le cru 2014 des élections européennes soit millésimé « médias sociaux », c’est plutôt la grande désillusion qui s’installe alors que la campagne commence à peine. Pourquoi ?
La prime aux extrêmes
Après les campagnes victorieuses d’Obama en 2008 (Change) et 2012 (Foward), qui semblaient consacrer l’importance du digital et des médias sociaux dans la mobilisation des électeurs en ligne et leur participation dans les urnes, la campagne européenne de 2014 n’avait qu’à s’en inspirer pour vaincre l’abstention avec un story-telling autour de l’idée quelque peu démagogique du Parlement européenne que « cette fois, c’est différent ».
Le rêve est en train de se transformer en cauchemar. C’est de la bouche même des conseillers du candidat Barack Obama en 2008, venus à Bruxelles, que la douche froide est annoncée, selon Euractiv dans « Les populistes passent maître dans l’art des médias sociaux » :
« L’inconvénient, surtout en Europe, c’est que les médias sociaux tendent à sanctionner le compromis et la modération (…) Ils récompensent les extrémismes »
Alec Ross, chargé de la campagne en ligne du candidat Barack Obama en 2008
Déjà très remontés dans les sondages après plusieurs années de crise, les populistes tireraient donc leur épingle du jeu dans les médias sociaux.
La prudence académique
Dans une étude maison du Parlement européen, « Social media in election campaigning », Ron Davies se montre prudent sur l’impact attendu pour les élections européennes de 2014 :
Alors que les médias sociaux sont de plus en plus utilisés dans les campagnes à travers l’Europe, l’effet ultime de leur utilisation reste incertaine. Certains attribuent l’augmentation des niveaux d’activité politique sur Internet aux citoyens qui sont déjà engagés politiquement. Il se peut que les médias sociaux ont un effet très limité sur l’activation de citoyens par ailleurs démotivés à participer – même juste pour aller voter. Il faudra du temps, et plus que les prochaines élections du Parlement européen, pour évaluer le véritable rôle que les médias sociaux viendront à jouer.
Une prudence confirmée par Kosmopolito dans « The inconvenient truth about social media and #ep2014 » qui, quoique parfois sans nuance, liste les principales raisons de l’impact vraisemblablement réduit des médias sociaux sur la participation civique aux élections.
Y a-t-il alors quelque chose de nouveau ?
A vrai dire, le fantasme consistant à se bercer de l’illusion que les médias sociaux permettraient comme par enchantement d’intéresser des citoyens désabusés par la politique et de les mobiliser au point de les faire se déplacer le jour du scrutin est démiurgique.
Encore une fois, revenons aux enseignements des campagnes d’Obama qui semblent – et c’est bien là la nouveauté en Europe – porter leurs fruits cette année :
- Obama 2008 : Internet révolutionne la mobilisation et l’organisation « on » et « off line » de la campagne en donnant de nouveaux pouvoirs aux militants ;
- Obama 2012 : Internet révolutionne l’intelligence politique de la campagne en combinant le recueil et l’analyse de données en temps réel et l’activité militante.
Autrement dit, il ne faut pas porter le regard sur les citoyens, mais sur les militants et sur les machines électorales. Ainsi, pour les partis politiques européens, Internet et les médias sociaux sont utilisés – à une échelle encore réduite – pour réorganiser l’activité politique :
- scénariser pour les médias traditionnels la campagne (bus pour le PPE ou yourte itinérante pour les Verts européens…) ;
- micro-cibler des publics tels que les journalistes ou les « influenceurs » en ligne ;
- personnaliser et humaniser les contacts avec les leaders ;
- diffuser auprès des premiers cercles les messages clés…
Au total, l’impact des médias sociaux sur les élections européennes est le plus important pour les professionnels de la politique qui doivent s’adapter ou disparaître tandis que pour les citoyens, le statut est « complicated ».