Archives mensuelles : novembre 2011

Policy & Politics : la politisation de la communication européenne en question

Pour la professeure Vivien Schmidt dans « Democracy in Europe – The EU and national Polities » publié aux presses d’Oxford, le dilemme de la construction européenne réside dans le fait que l’UE mène des politiques publiques non politisées (« policy without politics ») tandis qu’à l’inverse les États membres sont réduits à faire de la politique sans maîtriser les principaux enjeux de leurs politiques publiques (« politics without policy »). La solution consisterait-elle alors à politiser la communication européenne ?

Dépolitisation traditionnelle de l’UE + communication « administrative » européenne = sentiment de frustration chez les citoyens

Traditionnellement, le fonctionnement de l’UE – hérité d’une forte culture diplomatique – privilégie la recherche permanente du consensus en minimisant les points de vue contradictoires et en recherchant l’unanimité sur des positions diluées dans des précautions langagières.

Par conséquent, la communication européenne ne dérogeant pas à cette tendance profonde de la construction européenne, le discours de l’UE tend ainsi à dépolitiser les décisions en les présentant comme le résultat consensuel d’une confrontation d’expertises.

Une telle communication « administrative » soulève un sentiment de frustration chez les citoyens qui ont l’impression de ne pas pouvoir agir sur les politiques menées par des institutions sans visage.

Par ailleurs, non seulement cette forme de communication privilégie un sentiment d’incompétence politique des citoyens, qui se transforme irrémédiablement en abstention électorale lors des scrutins européens mais de plus, laisse le champ à l’expression d’intérêts organisés s’inscrivant dans cette rhétorique faussement consensuelle.

Conversion récente d’une communication « citoyenne » de l’UE au référentiel participatif et à l’impératif délibératif

Consciente de la distance sans cesse plus importante qui existe entre l’Europe et les citoyens, l’UE adopte une nouvelle démarche consistant à générer du consentement à l’Europe en encourageant des échanges contradictoires en vue de re-politiser le message européen.

Pour Philippe Aldrin et Dorota Dakowska dans « un regard sur les petits entrepreneurs de la cause européenne » publié dans la revue Politique européenne n° 34, « la conversion récente de l’UE au référentiel participatif et à l’impératif délibératif va à l’encontre d’un modèle politique largement fondé sur la négociation entre élites et la culture du compromis ».

Cette nouvelle stratégie de communication s’appuie :

  • d’une part, sur la volonté de renouveler les techniques communicationnelles en s’appuyant sur des intermédiaires décentralisés appelés « petits entrepreneurs d’Europe » et,
  • d’autre part, sur la valorisation de la dimension politique de la parole sur l’Europe.

Mais, cette approche n’est pas sans suscitée l’opposition farouche des autres partenaires de l’UE, selon Philippe Aldrin et Jean-Michel Utard dans « La résistible politisation de la communication européenne » voire selon eux « un mythe communicationnel contemporain où la politique n’est plus un processus rationnel d’accord entre experts mais une égalitarisation des prises de parole sur les problèmes publics ».

Autrement dit, l’appel à une forme politique des décisions européennes prises sur la base de divergences assumées, en vue de porter une ligne politique se traduit pour la communication institutionnelle de l’UE à promouvoir une approche fictionnelle d’une figure de « citoyen européen » abstrait et théorique. Cette approche se voit d’ailleurs portée par un ensemble d’acteurs relativement militants et tendanciellement minoritaires dans les sociétés.

Impasse d’un discours de communication de l’UE

Pour revenir à Vivien Schmidt, la communication de l’UE doit tirer les conséquences du dilemme « policy & politics » liée à la construction européenne.

Selon la fiche de lecture rédigée par Gaëtane Ricard-Nihoul, « la nature composite de l’UE fait que, quels que soient les efforts déployés pour améliorer son discours « de communication », l’UE restera dominée par un discours « de coordination », qui implique principalement les acteurs d’une politique sectorielle (policy actors) » : experts, fonctionnaires, intérêts organisés, figures officielles… Toute communication de l’UE directement destinée aux citoyens sans laisser le champ à la communication des États-membres demeure impossible.

Ainsi, quoique la politisation de la communication européenne puisse apparaître comme la solution pour renouer avec les citoyens européens, tout « discours de communication de l’UE » semble impossible.

Quelles sont les priorités de communication de l’UE pour 2012 ?

Conformément à la déclaration politique « Communiquer l’Europe en partenariat » signée par le Parlement européen, le Conseil de l’UE et la Commission le 22 Octobre 2008, les institutions de l’UE doivent identifier des priorités communes en matière de communication européenne

Orientations communes pour la communication de l’UE présentées par les États-membres

Première étape, le Groupe interinstitutionnel de l’information (GII), qui rassemble les communicants européens, s’est réuni à Strasbourg le 7 juin 2011 pour partager les orientations communes présentées par les États-membres. 22 États-membres – l’Allemagne et la France ne semblant curieusement pas avoir participé – ont soumis leurs idées, ainsi résumées :

  • les défis du développement du marché intérieur et de la compétitivité : promotion d’une croissance intelligente, durable et inclusive et coopération en matière de gouvernance économique
  • l’environnement durable (sécurité énergétique, climat, protection de l’eau) : prévention des risques, sécurité énergétique et sûreté nucléaire, enjeu climatique, protection et gestion de l’eau
  • l’immigration et les défis démographiques : convergence contrôle des frontières +  développement socio-économique des pays tiers

Priorités interinstitutionnelles de communication de l’UE pour 2012

Seconde étape, le Groupe de travail sur l’information au sein du Conseil de l’UE s’est réuni le 15 juillet, le 16 septembre et enfin le 27 octobre 2011 afin de prendre en compte notamment les propositions de la Commission précisées par le discours sur l’État de l’Union du Président Barroso et de finaliser la liste des priorités communes de communication, qui sont donc :

1. La reprise économique, notamment :

  • (i). La gouvernance économique
  • (ii). Europe 2020 – Croissance et durabilité environnementale
  • (iii). Compétitivité – Développer le marché intérieur et le marché unique du numérique

2. Bâtir une Europe des citoyens, notamment :

  • (i). Éliminer les obstacles aux droits des citoyens
  • (ii). La libre circulation des personnes
  • (iii). Responsabiliser les citoyens: les droits des consommateurs et l’initiative citoyenne
  • (iv). Défis de l’immigration et de la démographie

3. Tirer le meilleur parti des politiques de l’UE, notamment :

  • (i). Maximiser la valeur ajoutée des politiques de l’UE
  • (ii). Le coût de la non-Europe
  • (iii). La dimension extérieure de l’UE en tant qu’acteur mondial

Continuités et nouveauté des priorités de communication de l’UE

Après l’année 2009 marquée par 4 priorités de communication, dont les élections européennes, l’approche pluriannuelle adoptée pour les années 2010-2011 semble également s’appliquer pour ces nouvelles priorités qui couvriront la période 2012-2013.

Sans surprise, les questions économiques et financières sont constamment au cœur des priorités de communication :

  • la réponse de l’Europe à la crise financière et le ralentissement économique en 2009 ;
  • diriger la relance économique et mobiliser de nouvelles sources de croissance en 2010-2011 ;
  • la reprise économique avec notamment la gouvernance économique, la durabilité environnementale et la compétitivité pour 2012-2013.

De même, l’accent sur « l’Europe des citoyens » demeure à chaque exercice au cœur des priorités : de la célébration des 20 ans de la chute du rideau de fer en 2009 à la promotion des « droits des citoyens » (libre circulation et initiative citoyenne) en 2012-2013.

Principale nouveauté des priorités de communication de l’UE pour 2012-2013, impulsée par les institutions de l’UE et non par les États-membres : une stratégie de communication plus pro-active sur l’UE en tant que telle et non plus seulement sur ses actions : la valeur ajoutée des politiques de l’UE et le coût de la non-Europe.

Ainsi, tant dans la démarche – avec une consultation préalable des États-membres – que dans les thèmes – avec des messages sur l’UE en tant que telle – les priorités de communication de l’UE atteignent une relative maturité.

Pourquoi l’exposition médiatique de l’UE n’est pas favorable à son image ?

Sans exposition, il n’y a pas d’attention. L’inexistence médiatique de l’UE est souvent considérée comme la première cause d’indifférence, de désintérêt citoyen pour l’UE voire de désaffection civique lors des scrutins européens. A contrario, une forte exposition médiatique – telle que l’Europe vient de connaître avec la crise de l’euro et en Grèce – serait-elle l’assurance d’éveiller l’intérêt ?

Pour ancrer une image dans l’opinion publique, la seule maîtrise de l’exposition médiatique ne suffit pas

Exposition médiatique ≠ attention régulière

Avec un flux quotidien d’informations ayant considérablement augmenté (multiplication des canaux, des supports…), les citoyens sont littéralement assiégés par des informations en nombre et en acuité croissants.

Rechercher une exposition médiatique – au-delà des périodes de crise qui braque les projecteurs – pour s’inscrire durablement dans le champ de l’attention quotidienne devient de plus en plus illusoire.

Autrement dit, il ne suffit pas pour l’UE d’être visible pour intéresser l’opinion publique. A fortiori encore moins pour influencer les jugements portés par les citoyens.

Exposition médiatique ≠ maîtrise de l’agenda médiatique

L’époque n’est plus aux années Reagan pendant lesquelles le « spin-doctor » Mike Deaver met en œuvre la mécanique « hyper-visibilité = bonne image » avec la formule : «il faut faire la météo», c’est-à-dire façonner l’image par une mise en scène des événements visant à frapper les esprits et distribuer des « éléments de langage » aux médias.

Il n’est plus exact qu’en accélérant le rythme d’exposition d’un sujet dans les médias, le détenteur légitime de ce sujet oblige la presse à « venir sur son terrain » et donc à mettre un terme à un agenda fixé de fait par la presse « qui mène la danse » en imposant son propre scénario.

Même avec une forte exposition médiatique, comme lors de crise, il n’est pas vraiment possible de maîtriser l’agenda médiatique ; du moins insuffisamment longtemps pour ancrer la moindre image.

Pour influencer l’image dans l’opinion, il faut capter l’attention et disposer d’un pouvoir d’évocation

Considérons justement comme lors de la semaine dernière que l’attention médiatique soit visiblement portée sur l’UE, il s’agit pour tenter d’influencer l’image de l’UE dans l’opinion publique de disposer d’un « pouvoir évocateur ».

Défini comme la capacité de suggérer une position cohérente dans les « associations-valeurs » et en adéquation avec les aspirations latentes de l’opinion, le pouvoir évocateur cohérent est un moyen de créer un « short cut », un raccourci qui associe une idée-force à des valeurs et façonne l’image.

Ainsi défini, le pouvoir évocateur de l’UE devient particulièrement problématique en période de crise car le « short cut » sur l’Europe soulève une ligne de fracture autour de la dimension démocratique de la construction européenne :

  • pour les uns, le short-cut sur l’Europe : la construction européenne est l’avenir des États-nations européens ;
  • pour les autres, le short-cut sur l’Europe, c’est le déficit démocratique, peuples contre élites.

Ainsi, en période de forte exposition médiatique – condition nécessaire pour capter l’attention et influer sur l’image – l’Europe plutôt que de capitaliser sur un éventuel capital d’évocation cohérent ne voit que se renforcer des opinions divergentes, renforcant une image fracturée.

Légitimer l’Europe sans Bruxelles : quelle stratégie « relations publiques » pour la communication européenne ?

Dans la revue Politique européenne n° 34 titrée « Promouvoir l’Europe en actes », Philippe Aldrin et Dorota Dakowska publie une analyse qui renverse la perspective que l’on porte habituellement sur la « communication européenne ».

Plutôt que de se concentrer sur le point de vue institutionnel autour des efforts d’information déployés par « Bruxelles », le regard se décentre sur les promoteurs de l’Europe hors ou loin de « Bruxelles », qu’une stratégie de « relations publiques » tente d’animer…

Logiques lointaines de la promotion non institutionnelle de l’Europe : les « relations publiques » de l’UE

Dès les premières années de la construction européenne, une démarche de co-production de la « construction européenne » est poursuivie via des « relations publiques » ayant pour vocation explicite de développer la « surface sociale » de l’UE.

Des publics tels que syndicalistes, entrepreneurs économiques, enseignants et universitaires, organisations politiques et associations sont très tôt incités et financés à participer et à promouvoir le processus d’intégration.

Dans un document budgétaire interne à la Commission pour l’année 1965, les « relations publiques » sont ainsi définies comme « permettant de faire participer à nos actions, conférences, stages, visites, expositions, colloques de tous ordres, les personnalités de haut niveau, qui ne sont pas les correspondants ordinaires de notre travail de presse et d’information mais dont l’appui nous est cependant indispensable ».

Reconfigurations récentes de la collaboration centre-périphéries via des « relations publiques 2.0 »

La stratégie initiée par Margot Wallström en 2005 dans le « Plan D comme démocratie, dialogue et débat » – après les rejets populaires des referendums français et néerlandais de 2005 (sur le TCE) et du referendum irlandais de 2008 (sur le traité de Lisbonne) – repose sur une volonté nouvelle de se rapprocher des citoyens et de leur donner les moyens de dialoguer avec l’UE.

Cette nouvelle volonté affichée d’établir un « dialogue renforcé » avec les populations conduit à redéfinir la notion de « public(s) » qui prévaut au sein des milieux institutionnels de l’UE afin de sortir d’une conception unilatérale d’un public récepteur au profit d’un échange avec des citoyens actifs devenus partie prenante de la communication européenne.

Avec la stratégie de communication centrée autour de la « démocratie participative / délibérative », le rôle des médiateurs « naturels » pour une institution publique comme le sont les journalistes est désormais à relativiser au profit de nouveaux médiateurs du dialogue UE-citoyens.

Avec l’orientation participative / délibérative, ce sont finalement des collaborateurs et des médiateurs pour ainsi dire « naturels » de la cause européenne qui trouvent traditionnellement auprès de Bruxelles les ressources à la fois matérielles et symboliques qui ont été récemment réintroduits dans la stratégie de communication de l’UE.

Paradoxalement, le regain de considération récent de l’UE pour la parole, les opinions ou les initiatives des « euro-citoyens ordinaires » bénéficie d’abord aux promoteurs non institutionnels mais traditionnels de l’idée européenne.

Le référendum sur l’Europe, un dérapage en communication européenne de crise ?

En l’espace d’une semaine – entre l’accord du Conseil européen sur la gestion de la crise de la dette dans la zone euro et les péripéties du référendum en Grèce – les affaires européennes ont fait l’actualité comme rarement avec un enchaînement des figures de style en communication européenne de crise…

Accord du Conseil européen : la communication européenne de crise classique pour sortir de la crise

S’appuyant une stratégie de pleine reconnaissance de faits et d’exercice entier des responsabilités, la dramaturgie des Conseils européens consiste à rédiger les scénarios de sortie de crise autour des éléments suivants :

  • concentration des sujets afin de canaliser l’énergie des parties prenantes ;
  • dramatisation des enjeux afin notamment de capter l’attention des médias ;
  • accentuation des accords collectifs dans un communiqué final négocié.

Le sommet des chefs d’Etats et de gouvernements qui se réunit à échéance plus ou moins régulière permet par cette technique de communication de sortir des crises liées aux tensions portées sur un ou des Etats-membres et/ou sur une ou des politiques publiques européenne au point qu’il fait dorénavant partie de la vulgate que « l’Europe progresse dans les crises ».

Annonce d’un référendum sur l’Europe : le dérapage d’une communication européenne de crise en situation d’échec

À rebours, partant d’une posture de refus de reconnaissance des faits et de défausse de l’exercice des responsabilités incombant au pouvoir exécutif, l’annonce d’une référendum sur l’Europe – comme l’a proposé le Premier ministre grec – ouvre une période de dérapage dans la communication européenne de crise.

La stratégie du référendum dans le cadre d’une communication de crise à l’échelle européenne est un acte d’instrumentalisation de la crise plutôt que de bonne gestion, notamment en raison de :

  • approche « samouraï » du « ça passe ou ça casse » qui ne correspond pas à la complexité multi-acteur et multi-niveau ;
  • démarche de démocratie directe qui renvoie le peuple à une fausse alternative « la peste ou le choléra » proprement démagogique ;
  • tactique « arche de Noë » de « tout mettre dans la balance » qui ne permet pas de sérier les problèmes et les solutions à trouver ;
  • stratégie machiavélique de prise d’otage à la fois des autres peuples européens et sur la scène nationale puisque l’idée est de faire porter la décision sur le dos de l’opposition parlementaire.

L’annonce d’un référendum sur l’Europe en période de crise s’analyse comme le scénario du pire, un symptôme de la communication de l’une des parties prenantes, incapable de prendre une décision :

  • frénésie du référendum : il s’agit d’une décision précipitée, qui déstabilisent le système et se trouve plutôt inadaptée pour résorber durablement la crise ;
  • tétanie du référendum : il s’agit d’une décision qui consiste justement à ne pas prendre de décision alors que l’impérieuse nécessité des faits impose une décision ferme et rapide ;
  • catatonie du référendum : inertie et négation du monde extérieur contraire au principe de réalité…

La stratégie du « projet latéral » ou comment réussir un projet de changement quand les forces politiques et sociales doutent ou s’y opposent ?

Cette solution répondant à cette interrogation sont justement développées par Olivier d’Herbemont & Bruno César dans « La stratégie du projet latéral » :

Pour réussir un projet difficile, il faut que les alliés soient plus organisés que leurs opposants. La clé principale réside dans la stratégie du projet latéral qui évite de heurter de front les oppositions en proposant une action décalée dans pour autant changer d’axe stratégique.

Comment un tel projet latéral pourrait être envisagé dans une stratégie de communication de sortie de crise pour la Grèce aujourd’hui ?

Parmi les nombreuses propositions – résumées dans une fiche de lecture du CNAM – plusieurs actions sont particulièrement éclairantes, au-delà de l’intervention d’un tiers pour identifier les synergies et les oppositions, de la dynamisation avec de nouvelles méthodes de travail ou de la redéfinition du périmètre de la négociation :

  • oser la rupture : annoncer les choses qu’il faut changer: qui pourrait porter ce discours de vérité ?
  • passer de la sanction au bénéfice mérité : mettre en valeur les bénéfices attendus plutôt que les sanctions en cas de refus ou d’échec.

Ainsi, l’épisode de l’annonce d’un référendum sur l’Europe dans le cadre d’une communication européenne de crise semble correspondre à un dérapage qu’une stratégie de « projet latéral » qui reste à définir pourrait remplacer.