Pour la professeure Vivien Schmidt dans « Democracy in Europe – The EU and national Polities » publié aux presses d’Oxford, le dilemme de la construction européenne réside dans le fait que l’UE mène des politiques publiques non politisées (« policy without politics ») tandis qu’à l’inverse les États membres sont réduits à faire de la politique sans maîtriser les principaux enjeux de leurs politiques publiques (« politics without policy »). La solution consisterait-elle alors à politiser la communication européenne ?
Dépolitisation traditionnelle de l’UE + communication « administrative » européenne = sentiment de frustration chez les citoyens
Traditionnellement, le fonctionnement de l’UE – hérité d’une forte culture diplomatique – privilégie la recherche permanente du consensus en minimisant les points de vue contradictoires et en recherchant l’unanimité sur des positions diluées dans des précautions langagières.
Par conséquent, la communication européenne ne dérogeant pas à cette tendance profonde de la construction européenne, le discours de l’UE tend ainsi à dépolitiser les décisions en les présentant comme le résultat consensuel d’une confrontation d’expertises.
Une telle communication « administrative » soulève un sentiment de frustration chez les citoyens qui ont l’impression de ne pas pouvoir agir sur les politiques menées par des institutions sans visage.
Par ailleurs, non seulement cette forme de communication privilégie un sentiment d’incompétence politique des citoyens, qui se transforme irrémédiablement en abstention électorale lors des scrutins européens mais de plus, laisse le champ à l’expression d’intérêts organisés s’inscrivant dans cette rhétorique faussement consensuelle.
Conversion récente d’une communication « citoyenne » de l’UE au référentiel participatif et à l’impératif délibératif
Consciente de la distance sans cesse plus importante qui existe entre l’Europe et les citoyens, l’UE adopte une nouvelle démarche consistant à générer du consentement à l’Europe en encourageant des échanges contradictoires en vue de re-politiser le message européen.
Pour Philippe Aldrin et Dorota Dakowska dans « un regard sur les petits entrepreneurs de la cause européenne » publié dans la revue Politique européenne n° 34, « la conversion récente de l’UE au référentiel participatif et à l’impératif délibératif va à l’encontre d’un modèle politique largement fondé sur la négociation entre élites et la culture du compromis ».
Cette nouvelle stratégie de communication s’appuie :
- d’une part, sur la volonté de renouveler les techniques communicationnelles en s’appuyant sur des intermédiaires décentralisés appelés « petits entrepreneurs d’Europe » et,
- d’autre part, sur la valorisation de la dimension politique de la parole sur l’Europe.
Mais, cette approche n’est pas sans suscitée l’opposition farouche des autres partenaires de l’UE, selon Philippe Aldrin et Jean-Michel Utard dans « La résistible politisation de la communication européenne » voire selon eux « un mythe communicationnel contemporain où la politique n’est plus un processus rationnel d’accord entre experts mais une égalitarisation des prises de parole sur les problèmes publics ».
Autrement dit, l’appel à une forme politique des décisions européennes prises sur la base de divergences assumées, en vue de porter une ligne politique se traduit pour la communication institutionnelle de l’UE à promouvoir une approche fictionnelle d’une figure de « citoyen européen » abstrait et théorique. Cette approche se voit d’ailleurs portée par un ensemble d’acteurs relativement militants et tendanciellement minoritaires dans les sociétés.
Impasse d’un discours de communication de l’UE
Pour revenir à Vivien Schmidt, la communication de l’UE doit tirer les conséquences du dilemme « policy & politics » liée à la construction européenne.
Selon la fiche de lecture rédigée par Gaëtane Ricard-Nihoul, « la nature composite de l’UE fait que, quels que soient les efforts déployés pour améliorer son discours « de communication », l’UE restera dominée par un discours « de coordination », qui implique principalement les acteurs d’une politique sectorielle (policy actors) » : experts, fonctionnaires, intérêts organisés, figures officielles… Toute communication de l’UE directement destinée aux citoyens sans laisser le champ à la communication des États-membres demeure impossible.
Ainsi, quoique la politisation de la communication européenne puisse apparaître comme la solution pour renouer avec les citoyens européens, tout « discours de communication de l’UE » semble impossible.