Archives mensuelles : février 2011

La révolution démocratique de l’UE se fera-t-elle par les médias sociaux ?

À l’occasion de la « Social Media Week » à Paris, une conférence est organisée jeudi 10 février à l’institut Goethe pour disputer, selon le programme : « si les médias sociaux jouent-ils un rôle dans le rapprochement de l’Europe et des Européens et permettent-ils de combler la « fracture démocratique » ? »…

« Les médias sociaux aggravent autant qu’ils comblent la crise de la démocratie représentative. »

Dommage, la conférence n’a pas permis de trancher entre les 2 visions du rôle des médias sociaux dans la crise démocratique :

Ni vision angélique de médias sociaux qui sauveraient la représentation politique par la participation citoyenne, même si ceux-ci incontestablement bousculent les attentes et les pratiques des élus et des citoyens ;

Ni vision diabolique de médias sociaux qui détruiraient le pouvoir des élus par la mobilisation civique, même si ceux-ci indubitablement renversent les habitudes des élus et des citoyens (quoique cette vision soit effectivement angélique lorsqu’il s’agit de renverser le pouvoir de régimes anti-démocratiques…) ;

Mais un constat : la révolution numérique transforme le système démocratique.

En quoi, le fait que « la société civile a pris le pouvoir sur Internet » constitue-t-elle éventuellement une opportunité pour réaliser la « révolution démocratique » de l’UE ?

D’abord, les médias sociaux modifient l’espace du débat public. L’ère du débat public vécu par procuration avec la TV n’existe plus à l’heure de Facebook, Twitter et Youtube.

Cette nouvelle configuration du débat public peut représenter une opportunité pour l’UE à condition de savoir organiser les espaces européens de dialogue/échange/partage.

Ensuite, les médias sociaux accélèrent la synchronisation des opinions/émotions en créant une “coordination des humeurs” selon l’expression de Clay Shirky, analysée par Nicolas Vanbremeersch.

Cette nouvelle respiration des opinions publiques peut représenter une opportunité pour l’UE à condition de proposer des idées européennes mobilisatrices/fédératrices.

Enfin, les médias sociaux renforcent l’exigence de transparence des administrations publiques.

Cette nouvelle aspiration à l’ouverture des acteurs publics peut représenter une opportunité pour l’UE à condition de créer un mouvement d’open data permettant la mise à disposition des données publiques européennes.

Ainsi, si l’UE réussit à s’engager vraiment dans les médias sociaux, alors il n’est pas exclu qu’elle y réussisse sa « révolution démocratique ».

Médias sociaux et Union européenne : la réunion du Club de Venise, symbole du choc des cultures

Mercredi 10 février, le Club de Venise – un groupe informel qui rassemble 2 fois par an les services d’information gouvernementaux dans l’UE et les directions de la communication des institutions européennes – s’est réuni au Comité économique et social européen (CESE) à Bruxelles, autour de la question « pourquoi les médias sociaux ? ». Une bonne occasion pour mesurer le choc des cultures entre le web social et la communication publique européenne…

Le choc des cultures entre la pratique de la confidentialité et l’ouverture à la transparence

Alors que les réunions du Club de Venise sont traditionnellement confidentielles – pour la première fois semble-t-il – la note d’intention et le programme ont été mis en ligne sur le site du CESE.

Par ailleurs, les débats sont traditionnellement menés selon la « règle de Chatham House » : « un principe qui régit la confidentialité de la source des informations reçues lors d’une réunion. (…) La règle permet aux gens de s’exprimer en tant qu’individus et d’exprimer des opinions qui ne sont pas ceux de leur organisation, et, par conséquent, encourage la libre discussion. »

Pour la première fois là encore, non seulement des participants ont twittés lors de la réunion (sans toutefois cités les auteurs des propos tenus) mais un hashtag #socialmediaseminar et un TweetWall avaient été prévus.

Ainsi, cet échange particulièrement instructif sur l’ouverture des institutions européennes aux médias sociaux :

  • Tweet de Touteleurope : « Les réseaux sociaux sont bloqués à l’intérieur des institutions européennes #socialmediaseminar »
  • Tweet de Stephen Clark (responsable web au Parlement européen) : « Did I hear right? Access to social media sites blocked in EC, even for those who need them for work? Can’t be right #socialmediaseminar »
  • Tweet de Anne Christensen (chargé des médias sociaux à la Commission européenne) : « not in DG COMM! But it’s true we have some technical obstacles here and there. »

Le choc des cultures entre la tradition d’observation et la nouveauté de l’interaction

Suivant la grande tradition d’observation de l’opinion publique des services gouvernementaux de communication, le Club de Venise créera un outil de veille en ligne gratuit appelé « Living Europe » (livingeurope.eu) qui surveillera toutes les dix minutes plus de 4 000 médias en ligne dans 28 pays européens, avec une traduction simultanée en 20 langues différentes.

Prochainement, un nouvel outil sera mis en ligne afin de suivre en permanence de nombreux sites et blogs de responsables politiques européens et nationaux dans les 27 États membres de l’UE, toujours avec une traduction automatique dans toutes les langues.

Néanmoins, au-delà de cette veille, les médias sociaux nécessitent tôt ou tard de s’engager.

Dans la note d’intention, plusieurs conseils sur pourquoi/comment s’engager dans les médias sociaux :

  1. Impliquer les citoyens : « N’ayez pas peur de perdre un certain contrôle. Montrer aux gens que vous êtes vraiment intéressé par leur point de vue et leurs actions. Soyez vous-même actif. En tout temps. » ;
  2. Mobiliser les citoyens : « dans un but précis (…) sur une zone locale » ;
  3. Inspirer les citoyens ;
  4. Obtenir des conseils : « il y a tant d’expertise et d’engagement chez certains citoyens. » ;
  5. Donner des informations : « bien que cela soit une façon web 1.0, ça peut toujours être utilisé. » ;
  6. Toujours utiliser une combinaison intelligente des médias sociaux : « Exemple concret: Assurer une breaking news sur YouTube. Informez tous vos contacts et amis sur Facebook, Twitter, etc 5 minutes avant qu’ils devraient regarder YouTube, s’ils « veulent être le premier à savoir ». Et les gens aiment savoir d’abord. De cette façon, vous avez également contourné le filtre des médias. Au lieu de courir après les médias, les médias courent après vous. Si votre breaking news méritent d’être couru après. » ;
  7. Assurez-vous que tous vos médias sociaux sont également disponibles sur les appareils mobiles (tels que les smartphones, téléphones mobiles, PDA, etc) : « le nombre d’appareils mobiles dans de nombreux pays ont dépassé le nombre d’ordinateurs – une tendance qui continuera très certainement. » ;
  8. Être actif sur les blogs et les médias sociaux des autres aussi : « sélectionnez les plus visités (des médias, des politiciens, des organisations) et prenez une part active dans les discussions et le réseautage. » ;
  9. Donner la priorité à la formation efficace de l’utilisation des médias sociaux pour la communication publique ;
  10. Être en mesure de connaître en temps réel ce que les autres (médias, blogs, etc) disent et écrivent.

Par ailleurs, d’autres conseils ont également été formulés lors des échanges et publiés sur Twitter : « Pratiquer les réseaux sociaux en interne dans les organisations avant de les utiliser avec le grand public #socialmediaseminar ».

Le choc des cultures : la conversion aux valeurs du web social

Le billet de Anna Maria Darmanin, la Vice-Présidente du CESE en charge de la communication et l’hôte de la réunion du Club de Venise résume la conversion nécessaire pour les communicants européens :

Les institutions européennes ont besoin de prouver et d’accroître la confiance que nous voulons que les gens aient en nous sur une base quotidienne. Comment pourrions-nous jamais le faire sans dialoguer ?
Les médias sociaux nous permettraient non seulement de créer une relation, mais aussi de rester en contact ; de nous donner cet énorme potentiel, non seulement d’atteindre, mais également de dialoguer, non seulement d’informer, mais d’interagir, non seulement de communiquer, mais de partager.

Lecture critique des propositions de Laurent Wauquiez pour la communication sur l’Europe en France

Au détour d’une tribune du Secrétaire d’État aux Affaires européennes parue dans le Figaro le 7 février dernier : « Assumons l’Europe des clochers ! » ; Laurent Wauquiez à travers la question : « par quels outils revivifier le projet collectif à l’origine de la construction européenne ? » dessine des propositions en matière de communication sur l’Europe en France…

Réactiver la mémoire européenne : représenter sur les billets en euros des personnalités européennes marquantes

Première proposition afin de « ranimer la mémoire des peuples » : faire la promotion de symboles européens – des personnalités européennes marquantes – sur les billets en euros.

Dans ce registre symbolique – quoique l’idée de changer les ouvrages d’art fictifs actuellement visibles sur les billets soit plutôt séduisante – n’aurait-il pas plutôt fallu proposer de faire figurer le drapeau européen sur les cartes électorales que tous les électeurs français recevront prochainement pour les échéances de 2012 ?

Mobiliser l’histoire : réaliser un manuel d’histoire européenne

Deuxième proposition au-delà de l’urgence « de former les enseignants, les journalistes, les élus locaux à redonner du sens à l’actualité européenne en montrant comment elle participe d’une histoire en marche et de valeurs à défendre » : créer un manuel d’histoire européenne sur le modèle du manuel d’histoire franco-allemand.

Le succès du manuel franco-allemand – que ce manuel d’histoire européenne devrait respecter au risque d’échouer – repose selon Étienne François dans « Comment enseigner l’Europe ? L’expérience du Manuel d’histoire franco-allemand » sur les avantages suivants :

  1. avoir été réalisé avec le soutien des institutions éducatives des pays partenaires ;
  2. être conforme aux programmes en vigueur ;
  3. pouvoir être immédiatement utilisé comme un manuel classique.

En matière éducative n’aurait-il pas plutôt fallu reprendre le projet défendu même par son prédécesseur Pierre Lellouche visant à créer des cours d’éducation civique européenne en France ?

D’ailleurs, cette idée que Laurent Wauquiez aurait pu faire sienne faisait également partie de l’avis du CESE commandé en 2008 lors de la Présidence française du Conseil de l’UE par son autre prédécesseur Jean-Pierre Jouyet « Comment concilier dimension nationale et dimension européenne dans la communication sur l’Europe ».

Incarner l’Europe : apposer systématiquement une plaque visible sur les bâtiments et les projets financés par les fonds européens

Troisième proposition au-delà du renforcement « des jumelages entre les villes, des échanges scolaires et universitaires et de la mobilité professionnelle » : « apposer systématiquement une plaque visible sur les bâtiments et les projets financés par les fonds européens ».

Parmi les exigences minimales des bénéficiaires de fonds européens figurent, selon le règlement de la Commission n°1828/2006 sur les mesures d’information et de communication, l’obligation de « panneaux d’affichage ou de construction remplacé par une plaque explicative permanente au plus tard 6 mois après la fin des travaux ».

Autrement dit, la proposition de Laurent Wauquiez fait déjà – depuis plusieurs années – l’objet d’une obligation légale. N’aurait-il pas fallu plutôt se concentrer sur l’analyse des résultats décevants des dernières campagnes de communication sur les fonds européens ?

Ainsi, les propositions du Secrétaire d’État aux Affaires européennes pour la communication sur l’Europe en France se montrent pour le moins réduites. Souhaitons que la « série de forums pour débattre des valeurs qui fondent l’identité européenne » – ultime proposition dont l’intention politique semble trop évidente – lui permette de trouver une ambition plus forte.

Quelle est l’efficacité des campagnes de communication sur les fonds européens en France ?

En 2 ans, 2 campagnes de communication – essentiellement à la TV – ont été réalisées en France sur les fonds européens : « J’avance avec l’Europe » en 2008 et « L’Europe s’engage » en 2010. Quel bilan – à la lecture des post-tests – peut-on en tirer ?

État de l’opinion sur l’appartenance à l’UE en général : une perception des bénéfices au plus bas

Mesurée depuis 1973 par les Eurobaromètres, l’opinion française sur l’appartenance à l’UE se situe en 2010 à son niveau historique le plus bas avec 44% (-5 points par rapport à 2009) considérant qu’il s’agit d’une « bonne chose ».

Un niveau plancher particulièrement inquiétant puisque les publics réputés les plus favorables à l’UE (les jeunes, les seniors et les plus diplômés) marquent un décrochage :

  • – 10 points chez les 25-39 ans (42%) ;
  • – 7 points chez les plus diplômés (55%) ;
  • – 7 points chez les 55 ans et + (41%).

État de l’opinion sur les fonds européens en particulier : un sentiment d’être mal informé, une intervention de l’UE en région peu lisible et une notoriété des fonds relativement faible

Qu’il s’agisse du niveau d’information, de la lisibilité de l’action de l’UE dans les régions ou de la notoriété des fonds européens, les résultats sont particulièrement édifiants :

  • 73% se sentent assez mal informés ou très mal informés sur ce que l’UE réalise ou contribue à réaliser dans les régions ;
  • une majorité pense que l’UE n’intervient pas sur les questions d’emploi et d’insertion professionnelle ;
  • 53% n’a entendu parler d’aucun fond européen.

État de l’opinion sur les campagnes de communication sur les fonds européens : la campagne 2010 enregistre des scores en deçà des niveaux observés lors de la campagne 2008

Voici les principaux résultats techniques comparés entre les campagnes 2010 vs 2008 :

  • Souvenir spontané : 7% (-2) soit environ 3,2 millions de personnes – Standard « campagnes institutionnelles » : 29 % ;
  • Reconnaissance de la campagne TV: 37% (-6) – Standard « campagnes institutionnelles » : 41 % ;
  • Agrément de la campagne TV 73% (-1) – Standard « campagnes institutionnelles » : 69 %.

Ainsi, la campagne 2010 est moins mémorisée, moins reconnue et moins appréciée que celle de 2008. Les

Explications ?

  • des investissements moins importants (2,6 millions € en 2008 et 2 millions en 2010)
  • des sujets moins « grand public » en 2010 qu’en 2008 (le spot sur Erasmus qui « incarne » l’idée européenne était présent en 2008 et absent en 2010).

Qu’en est-il de l’opinion des Français après les campagnes ?

  • m’a appris quelque chose sur l’action de l’Europe dans ma région : oui à 67% en 2010 vs 77% en 2008 ;
  • rend l’action de l’Europe plus concrète à mes yeux : oui à 60% en 2010 vs 69% en 2008 ;
  • me donne une meilleure opinion de l’action de l’Europe dans les régions françaises : oui à 35% en 2010 vs 38% en 2008 ;
  • me donne la même opinion qu’avant : oui à 65% en 2010 vs 60% en 2008.

Ainsi, les campagnes de communication interpellent peu le grand public mais contribuent néanmoins à donner modestement une meilleure opinion de l’action de l’Europe dans les régions.

Quels sont les coûts pour la communication européenne de ne pas investir les médias sociaux ?

Plutôt que de s’interroger de nouveau sur les avantages que pourrait procurer une communication de l’UE dans les médias sociaux – nous l’avions réalisé dès 2009 avec « Comment la communication européenne peut-elle répondre à la révolution du web social ? » – quels seraient bien davantage les coûts de ne pas investir les médias sociaux ?

Quel est le « RONI » : risk of non investment pour reprendre l’expression de François Guillot au vue des principales innovations liées à l’utilisation du web social par les institutions publiques résumées par Gea Ducci ?

Ne pas investir les médias sociaux, c’est détériorer la relation entre l’UE et les citoyens européens

Sous l’angle des services et subventions de l’UE, les médias sociaux permettraient à l’UE de :

  • développer l’écoute des suggestions et propositions ;
  • parler directement des mesures concrètes d’amélioration.

S’abstenir d’investir les médias sociaux pour l’UE, c’est en particulier continuer à dépenser des coûts largement inutiles de gestion de la relation avec les citoyens via le centre d’appel « Europe Direct ».

Ne serait-il pas en effet plus conforme aux usages quotidiens d’assurer une présence en ligne sur le carrefour d’audiences que constitue Facebook pour répondre aux interrogations des Européens plutôt qu’au travers d’une plateforme téléphonique inconnue par une très large majorité ?

Ne pas investir les médias sociaux, c’est renforcer la vulnérabilité de l’UE face aux risques d’opinion

Sous l’angle de l’expression des opinions, l’UE pourrait profiter de la « désindétermédiation » – c’est-à-dire du mouvement qui veut que les Européens sont de plus en plus informés par leur propre réseau plutôt que par les intermédiaires classiques de l’information.

S’abstenir d’investir les médias sociaux pour l’UE, c’est ainsi :

  • méconnaître les opinions partagées sur l’Europe ;
  • ne pas maîtriser les discours qui peuvent être tenus (en positif ou en négatif) sur l’Europe.

C’est surtout se montrer vulnérable face aux risques d’opinion ; sans moyen de contre-attaquer de manière pertinente et ciblée.

Ne pas investir les médias sociaux, c’est rater l’occasion pour l’UE de saisir des feedbacks

Sous l’angle du partage d’expertises, les médias sociaux représenteraient pour l’UE une opportunité pour s’enrichir en matière de communication des échanges sur les meilleures campagnes envisagées en termes d’attentes, de messages ou de modalités.

S’abstenir d’investir les médias sociaux pour l’UE, c’est passer à côté d’un vaste « panel » multi-national/culturel qui offrirait ses conseils pour améliorer la communication de l’UE et renforcer l’impact des campagnes de communication réalisées.

Ne pas investir les médias sociaux, c’est scléroser les processus décisionnels de l’UE

Sous l’angle de la participation au processus décisionnel, les médias sociaux permettraient à l’UE de disposer d’un lieu fréquenté et d’un instrument éprouvé pour favoriser l’implication des citoyens.

S’abstenir d’investir les médias sociaux sociaux pour l’UE, c’est se positionner comme le moins disant démocratique face aux innovations délibératives et participatives :

  • un risque que les accusations de « déficit démocratique de l’UE » – récurrentes – ne feraient que renforcer ;
  • un dommage pour les quelques réseaux d’alliés qui perdraient un argument pour défendre la construction européenne.

Ainsi, le calcul coût/bénéfice d’un investissement dans les médias sociaux pour l’UE semble assez évident : le plus grand danger serait de ne prendre aucun risque.