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La communication des institutions européennes sur Internet : l’expérimentation comme stratégie

Face à l’enjeu de la résorption du déficit démocratique de l’UE, l’évolution des stratégies de communication numérique des institutions européennes repose sur l’expérimentation, selon Romain Babouard et Michaël Malherbe dans le dossier « « l’Europe sur les réseaux sociaux » publié dans la revue « communication & langages » n°183 en mars 2015.

L’expérimentation opère à la fois comme exploration dans une situation d’incertitudes, mais aussi comme processus de « mise en laboratoire » de pratiques citoyens et surtout comme démonstration publique afin de valider et légitimer la démarche.

L’expérimentation fonctionne comme une « courroie de transmission entre des discours de rupture » promouvant de nouveaux principes de communication « et des impératifs stratégiques » visant à les intégrer dans l’élaboration des politiques publiques européennes.

L’expérimentation représente « un facteur d’instabilité » puisqu’elle dépend autant des évolutions technologiques que de logiques d’appropriation technologique ; et « engendre une pluralité des locuteurs » en ouvrant la porte à de nouveaux acteurs qui s’expriment en ligne.

L’expérimentation révèle enfin que « les enjeux de communication institutionnelle sont pris en étau entre des impératifs de modernité et des réalités administratives ».

Au total, les stratégies de communication en ligne de l’UE ont évolué au gré des évolutions politiques, des innovations technologiques et de la volonté de professionnaliser les dispositifs.

La communication de l’UE en ligne a visé à répondre à un impératif de modernité, entrant bien souvent en contradiction avec les contraintes matérielles, administratives et humaines des institutions. Ce qui a constitué un obstacle à réplication et à la pérennisation des expérimentations, conduisant paradoxalement à des formes de communication institutionnelle plus verrouillée et hiérarchisée.

L’Europe sur les réseaux sociaux : une communication renouvelée ?

Dans le dossier « L’Europe sur les réseaux sociaux » publié dans la revue « communication & langages » n°183 en mars 2015, Sandrine Roginsky et Valérie Jeanne-Perrier introduisent le parti pris des contributeurs qui consiste à « s’intéresse(r) au quotidien de l’Union européenne sur les dispositifs de communication sur Internet ».

Les logiques de flux de l’information et de quasi-immédiateté des processus de création, de publication et de diffusion dans les réseaux sociaux invitent à proposer « une nouvelle approche de l’utilisation des dispositifs de communication sur Internet (sites web et réseaux sociaux) pour promouvoir ou non l’Union européenne.

Cette approche par les dispositifs, les usages et les discours dans la production, la mise en scène et la circulation de la parole européenne n’occulte pas la complexité des phénomènes mais montre comment ils s’inscrivent dans les espaces en place et renouvellent les pratiques sans les révolutionner.

Cette parole européenne est portée dans les discours des experts sur les blogs, les discours des politiques sur leurs profils dans les réseaux sociaux et les médias plus traditionnels, les discours des militants dans les commentaires, etc.

Au total, c’est une analyse en demi teinte qui se dessine tout au long du dossier.

Certes, les dispositifs de communication sur Internet renouvellent les codes de communication des acteurs et des institutions européens.

Mais, de manière plus contrastée, les médias sociaux illustrent des fonctionnements qui sont en grande partie le fait de pratiques et d’organisations qui les dépassent et les digèrent en les ancrant et institutionnalisant dans le paysage.

Instagram : benchmark de la communication des institutions européennes

Parmi les réseaux sociaux, Instragram, lancé en 2010, représente une belle occasion pour les institutions européennes de se connecter, sans filtre, avec leurs publics et notamment les jeunes. Quelles visions se dégagent de l’utilisation d’Instragram par les principales institutions européennes ?

Commission européenne : une communication politique à visage humain

Avec près de 20 000 abonnées, le compte géré par l’équipe de la DG COMM dédiée aux médias sociaux humanise la communication de l’institution en mettant largement en avant les Commissaires sur Instagram.

Instagram_CommissionAvec des mises en scène soignées, autour des livres lus par les Commissaires ou des visites de terrain, l’image qui se dégage de la Commission européenne sur Instagram est beaucoup plus humaine et chaleureuse qu’ailleurs.

Parlement européen : une communication thématisée et plus marketée

Avec près de 35 000 abonnés, le compte du Parlement européen semble moins focalisé principalement sur les acteurs de l’institution, mais mixe davantage des photos de plénières avec des clichés très travaillés autour de thème, comme la journée de la femme aujourd’hui.

Instagram_Parliament

La promotion de la construction européenne s’inscrit plus visiblement dans un équilibre entre les messages traditionnels sur les avantages de l’UE (mobilité, tourisme, diversité) et les dossiers actuels de l’UE.

Conseil de l’UE : une communication dominée par l’agenda institutionnel

Avec mois de 10 000 abonnés, le compte du Conseil de l’UE propose une animation plus traditionnelle, c’est-à-dire plus conforme à l’agenda institutionnel : réunions du Conseil, photos des leaders nationaux et européens et surtout des vidéos courtes et informatives.

Instagram_EUCouncil

La dualité de la couverture entre les réunions du Conseil des ministres et du Conseil européen avec son président Donald Tusk ne contribue sans doute pas à simplifier la compréhension du fonctionnement des institutions européennes.

Au total, contrairement au flot de contenus publiés sur les dizaines de comptes Twitter ou de pages Facebook des institutions européennes, l’unicité de leur présence sur Instagram pousse les institutions européennes à se concentrer sur ce qu’elles estiment être le meilleur, dans leurs actualités, à proposer à leurs communautés. Une vision rafraichissante qui sort des sentiers battus.

Quelle devrait être la future stratégie de communication de l’UE dans les médias sociaux ?

Les recommandations de l’évaluation officielle du projet pilote « Share Europe Online » offrent des perspectives sur la future approche de la communication des institutions européennes dans les médias sociaux…

Des résultats multiples et encourageants

Avec un doublement des communautés des Représentations de la Commission européenne et des bureaux d’information du Parlement européen dans les médias sociaux grâce aux nouveaux community managers, le projet pilote « Share Europe Online » est un succès en termes de visibilité de l’UE en ligne et de gestion du changement de la communication.

Les participants aux focus group organisés pour l’évaluation confirment qu’ils apprécient la possibilité de se connecter localement avec les institutions et de connaître l’impact des actions de l’UE sur leur vie quotidienne.

Les community managers ont influencé la mentalité du personnel des institutions européennes sur ce qui pouvait être réalisé avec les médias sociaux et les avantages d’une activité régulière de communication ; et ont offert une formation technique associée à un apprentissage par la pratique, ce qui a donné lieu à une mise à niveau incontestable de compétences, ainsi qu’une intégration des médias sociaux dans les autres activités de communication.

Le soutien demeure limité à l’intelligence politique fournie régulièrement aux décideurs bruxellois, même si une expérience dans la détection et réfutation de rumeurs / désinformation a été acquise en utilisant leurs comptes dans les médias sociaux.

Une approche plus stratégique est nécessaire, avec des publics cibles mieux définis, ainsi que des décisions sur les messages prioritaires

Néanmoins, il apparaît nécessaire d’adopter une approche plus stratégique d’autant plus que la dynamique créée, qui n’est pas durable en raison d’un manque de ressources ne pourra se poursuivre qu’en améliorant la façon dont les institutions communiquent en utilisant les médias sociaux :

  • Les objectifs opérationnels doivent être moins généraux ;
  • Une attention doit être portée à l’impact au-delà du volume de la portée et de l’engagement ;
  • Le recours à la promotion payante ne doit pas être considéré comme une alternative durable à une approche réactive et proactive.

Pour l’évaluation, il est clair que la prochaine étape consiste à établir les publics cibles et les messages appropriés :

Plutôt qu’une démarche identique pour tous les publics, une meilleure connaissance des communautés en ligne permettrait à la fois de diffuser des informations à des « influenceurs » et de conquérir de nouveaux publics ;

Plutôt qu’une approche purement de type émetteur qui relaie les messages centraux, une identification des intérêts, c’est-à-dire des groupe cibles partageant des préoccupations sur des thèmes spécifiques aurait plus de résultats.

Plutôt qu’une démarche « grand public », une approche basée sur une compréhension des requêtes sur des sujets d’actualité clés serait également susceptible d’être plus efficace.

Besoin d’une définition claire de ce que la Commission et le Parlement européen veulent réaliser de leur communication dans les médias sociaux

Déterminer une vision globale pour faire entendre la voix de l’UE sur les questions ayant un intérêt national et européen commun contribueraient à étayer les décisions sur la façon d’utiliser les médias sociaux.

Se concentrer sur un petit nombre de thèmes clés et identifier les leaders d’opinion clés permettrait de faire en sorte que l’UE soit présente sur la scène nationale.

Utiliser les médias sociaux à la fois pour améliorer la visibilité de leurs activités de communication habituelles et renforcer la visibilité et l’impact des institutions européennes au niveau national sur les questions où l’UE a un rôle.

Au total, la future stratégie de communication de l’UE dans les médias sociaux devrait être beaucoup plus stratégique afin de diffuser des « histoires » sur l’UE, qui se nourrissent des tendances de l’actualité et s’adressent aux bons relais pertinents et influents.

Des mobilisations de clavier et de l’importance du lien hypertexte

Dans le cadre de la Consultation européenne des Citoyens en 2009, visant à mobiliser des internautes via des forums et des outils de vote, afin de formuler des recommandations politiques à destination des décideurs européens ; Romain Badouard décrypte les usages stratégiques des liens hypertextes au sein des pratiques de mobilisation

La Consultation européenne des citoyens : une incarnation immatérielle d’une « expérimentation démocratique » détournée par la co-construction d’actions militantes

Par la mise en ligne de dispositifs participatifs au sein d’une plateforme en ligne déclinée en 28 sites nationaux, la Commission entend sensibiliser les internautes aux enjeux européens, favoriser un sentiment d’appartenance à l’UE et donner corps à une opinion publique européenne.

La procédure consultative en ligne visant à produire des recommandations plébiscitées par un nombre important d’internautes promeut une approche délibérative de la participation à l’échelle des Etats membres, et agrégative à l’échelle européenne.

En fait, la mobilisation de groupes militants pour faire voter des propositions spécifiques a véritablement détourné le projet destiné aux citoyens « ordinaires ». Au total, la stratégie de mobilisation de citoyens « ordinaires » portée par les responsables du projet a été débordée par celle des publics thématiques, plus militants.

L’impact de la mobilisation de publics thématiques sur le déroulement de la consultation est important car :

  1. la plupart des visites ont pour origine d’autres sites (et non pas des moteurs de recherche) ;
  2. ces sites invitent les internautes à réaliser différents types d’actions ;
  3. l’activité proposée par les sites thématiques (le vote), a été largement plébiscitée sur le site de la consultation, en comparaison des activités de débat valorisées par les autres sites européistes, citoyennistes ou généralistes ;
  4. les propositions bénéficiant de relais sur des sites thématiques ont accaparé la grande majorité des votes, les qualifiant de fait pour la seconde phase de la consultation.

L’européanisation des actions collectives : une déconnexion entre activisme et zones géographiques

L’action collective à l’échelle européenne présente des spécificités et une grande diversité de dynamiques :

  • une coordination européenne d’acteurs qui protestent dans un cadre national ;
  • une coalition transnationale qui prend directement pour cible l’Union ;
  • des protestations intérieures contre des mesures communautaires.

Autrement dit, le caractère européen de l’action réside soit dans l’échelle de la mobilisation, soit dans la nature de l’institution dont on attend quelque chose ou contre laquelle on proteste.

L’originalité des dynamiques en ligne réside dans la déconnection entre les publics, les actions et les cadres géographiques :

  • des mobilisations de publics nationaux pour mener des actions transnationales ;
  • des mobilisations de publics internationaux pour mener des actions nationales ;
  • la coordination d’acteurs nationaux pour mener une action transnationale.

L’articulation entre l’activité individuelle et le projet collectif rend possible une « coordination non coordonnée » d’individus quelque soit leur emplacement, qui de ce fait favorise l’européanisation des actions collectives.

Comment qualifier une « mobilisation de clavier » ?

C’est une agrégation d’actions individuelles dans le cadre d’une activité où l’hypertexte agit comme :

  • « grappin » permettant de « drainer » des internautes vers une scène publique lors de la mobilisation d’un collectif ;
  • « agrégateur » qui intègre des activités individuelles à un projet collectif lors de la conduite de l’action : cliquer le lien implique une interprétation par l’internaute et traduit ainsi une forme d’engagement ;
  • « canal de communication » entre différents territoires thématiques lors de la constitution d’un espace public autour d’une scène.

Le lien hypertexte va de ce fait structurer un espace public de la consultation, en articulant à la plateforme participative différents territoires thématiques et dessiner ainsi un espace public opportuniste (il se construit à partir de l’opportunité offerte par la scène publique), temporaire (il ne dure que le temps de la consultation), hétérogène (il est constitué d’une multitude de territoires thématiques), et dont la forme est réticulaire (il est composé de réseaux de sites), indéterminable (il se constitue par abordages successifs et ne peut donc pas être planifié) et évolutive (il se transforme à chaque nouvel abordage).

En conclusion, l’usage stratégique du lien hypertexte constitue une ressource structurante à la fois lors de la mobilisation d’un collectif, la conduite de l’action et la structuration d’un espace public autour d’une scène.