Pour notre série d’été, notre choix s’est porté sur le sujet passionnant de la communication européenne de la Présidence tournante du Conseil de l’UE. Ce ballet semestriel où chaque État-membre prend les rênes… ou du moins, une partie des rênes vaut le détour. On pourrait croire à un simple passage de témoin, une routine bien huilée dans la grande machine bruxelloise. Grave erreur !
Loin d’être un simple exercice de logistique ou une formalité protocolaire, la Présidence tournante est avant tout une formidable – et redoutable – entreprise de communication stratégique. Oubliez l’image du simple gestionnaire d’agenda ou du président de séance poli. Nous parlons ici du cœur battant du réacteur législatif et politique qu’est le Conseil de l’UE, l’institution la moins connue face au Parlement européen et à la commission européenne.
La communication : pas la cerise, mais la pâte du gâteau européen
La communication n’est pas une activité ancillaire, un « nice-to-have » que l’on saupoudre à la fin. Non, c’est un impératif stratégique, l’huile essentielle qui permet aux rouages complexes du Conseil de tourner (ou de grincer un peu moins fort).
Pensez-y, la présidence semestrielle, c’est :
- Mettre à l’ordre du jour et présider : Ce n’est pas juste lire une liste à l’agenda. C’est signaler des priorités, orienter les débats, créer un cadre pour la décision. La manière dont on communique l’agenda est déjà un acte politique puissant.
- Arracher des compromis : Le fameux rôle d’« honest broker » doux euphémisme pour désigner l’art délicat de naviguer entre 27 égos nationaux, intérêts divergents et lignes rouges parfois mouvantes. Cela demande une écoute active, une capacité à reformuler, à persuader, souvent dans la discrétion des couloirs feutrés. Pure exercice de communication.
- Représenter le Conseil : Face à la Commission, au Parlement, il faut parler d’une seule voix. Une voix forgée dans la diversité, qu’il faut articuler avec clarté, précision et force de conviction.
Sans communication efficace à chaque étape, la Présidence n’est qu’une coquille vide, un navire sans gouvernail dans les eaux parfois tumultueuses de la politique européenne.
Un labyrinthe institutionnel accru : merci Lisbonne, bienvenue au trio
Et comme si ce n’était pas assez complexe, le Traité de Lisbonne est passé par là. Tel un architecte un peu trop zélé, il a redessiné les couloirs du pouvoir, en créant d’un côté de nouvelles fonctions permanentes avec le Président du Conseil Européen (et le Haut-Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune) et en formalisant d’un autre côté le système des « Trios » pour les présidences semestrielles du Conseil de l’UE. D’un côté, ce sont les chefs d’État et de gouvernement qui sont concernés, d’un autre, les ministres des gouvernements européens.
Qu’est-ce que cela implique pour notre Présidence tournante et sa communication ?
- Un leadership partagé (et parfois contesté) : Il faut désormais composer, coordonner, s’aligner y compris avec le Conseil européen et le Haut-Représentant. Fini le temps où la Présidence régnait seule sur son pré carré (si tant est que ce temps ait jamais existé). La communication doit être pensée en polyphonie, au risque de créer une cacophonie où personne ne comprend qui fait quoi. Un défi permanent pour éviter les messages fragmentés et assurer la cohérence de la voix de l’UE.
- Le pas de trois avec le Trio : Cette idée, louable sur le papier, d’assurer une continuité sur 18 mois en groupant trois Présidences successives, ajoute une couche de complexité communicationnelle. Il faut définir des objectifs communs, un programme partagé, tout en permettant à chaque pays de garder sa « couleur » nationale et son style propre. C’est un peu comme demander à trois solistes de jouer la même partition, mais chacun avec son instrument et son interprétation. La coordination devient l’alpha et l’oméga.
Le grand écart permanent : neutre et engagé ?
Et n’oublions jamais cette tension fondamentale, ce grand écart quasi schizophrénique : la Présidence doit être l’arbitre impartial, le facilitateur neutre au service de l’intérêt collectif européen… tout en étant le gouvernement d’un pays avec ses propres priorités, ses intérêts nationaux, et cette envie (bien légitime !) de profiter de ces six mois sous les projecteurs pour « marquer des points » ou rehausser son image. Gérer cette dualité, communiquer cette « neutralité engagée » sans perdre sa crédibilité, relève de la haute voltige diplomatique et communicationnelle.
En conclusion (provisoire)…
Vous l’aurez compris, la communication de la Présidence tournante du Conseil de l’UE est bien plus qu’une simple fonction de support. C’est l’essence même de son mandat, un art subtil et exigeant, pratiqué dans un environnement institutionnel mouvant et sous haute tension politique. C’est une danse complexe, un exercice d’équilibriste permanent.
Dans notre prochaine chronique, nous plongerons dans la « boîte à outils » de ces communicateurs semestriels – des sites web aux réseaux sociaux, en passant par les incontournables logos et mottos – et nous verrons comment ils tentent (avec plus ou moins de succès) de naviguer ces eaux complexes.
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