Initiative citoyenne européenne : une révolution citoyenne de la communication européenne ?

Depuis le 1er avril, l’initiative citoyenne européenne (ICE), une innovation du traité de Lisbonne – qui « permet à un million de citoyens de l’UE de participer directement à l’élaboration des politiques européennes, en invitant la Commission européenne à présenter une proposition législative » selon le site officiel – est entrée en vigueur. Cette innovation introduite par le traité de Lisbonne peut-elle assurer une révolution citoyenne de la communication de l’Union européenne ?

L’initiative citoyenne européenne : une nouvelle légitimité pour les « petits entrepreneurs de la cause européenne » ?

L’ICE introduit une procédurialisation de la démocratie participative destinée à favoriser l’implication de simples citoyens dans les processus décisionnels de l’UE.

Sous cet angle, l’ICE s’inscrit pleinement dans la stratégie de communication de l’UE consistant à promouvoir la citoyenneté européenne active en sortant d’une conception unilatérale d’un public-récepteur au profit d’un échange avec des citoyens actifs devenus partie prenante de la communication européenne.

L’ICE conforte également la délégation d’une partie de l’activité de promotion de l’UE à des « petits entrepreneurs, militant de la cause européenne », comme l’analyse Philippe Aldrin et Dorota Dakowska dans la revue Politique européenne n° 34 titrée « Promouvoir l’Europe en actes » :

À y regarder de plus près, le regain de considération pour la parole, les opinions ou les initiatives des euro-citoyens « ordinaires » a paradoxalement d’abord bénéficié aux promoteurs non institutionnels mais traditionnels de l’idée européenne.

Ainsi, l’ICE conçue comme une opportunité d’illustrer l’attachement de la communication de l’UE aux pratiques démocratiques se trouverait être en fait un moyen de conforter l’activité de promotion extra-institutionnelle de l’UE réalisée par des « petits entrepreneurs militants périphériques et non institutionnels de la cause européenne ».

L’initiative citoyenne européenne : une exploitation problématique d’un « capital social européen » ?

Le Monde confirme que la procédure étant longue et complexe : « Cela montre la nécessite pour les citoyens d’être aidés et de s’appuyer sur des organismes bien informés sur l’UE. ».

Autrement dit, les citoyens ne pourront se saisir pleinement de l’ICE sans l’aide de ces « petits entrepreneurs de l’Europe » pour diverses missions :

  • mise à disposition des ressources intellectuelles dans la formulation des initiatives et l’évaluation de l’objet de l’initiative pour voir s’il appartient ou non au champ de compétences de la Commission européenne ;
  • mise en relation des citoyens européens intéressés pour constituer un comité de citoyens d’au moins sept organisateurs provenant d’au moins sept États membres de l’Union ;
  • mise en connexion des réseaux européens et des citoyens pour obtenir le nombre de signature nécessaire.

Pour décrypter l’ICE, maîtriser la procédure et éviter les embûches, seuls – selon l’expression de Philippe Aldrin et Dorota Dakowska – « ces « auxiliaires » de l’intégration européenne qui mettent leur expertise professionnelle au service de la cause européenne » disposent du « capital social européen » pour y parvenir.

L’exploitation de cette sorte de « capital social européen » dont seuls disposent les « petits entrepreneurs de la cause européenne » n’est pas sans soulever des problèmes :

Problème explicite : puisque les petits entrepreneurs de la cause européenne ne peuvent se passer de la tutelle financière et symbolique des institutions de l’UE, les ICE risquent de sombrer dans une relative homogénéisation et conformation exercés subrepticement par la Commission européenne.

Problème implicite : « parce que souvent prises dans les plis de l’évidence et de l’impensé d’un entre-soi – conduisant à la compatibilité des messages européens produits au centre et aux périphéries » selon l’analyse de Philippe Aldrin et Dorota Dakowska, les ICE pilotées par les « petits entrepreneurs de la cause européenne » risquent de se traduire par une harmonisation des objets, pauvres en pluralité et en inventivité.

En somme, la logique de disciplinarisation et de conformation aux règles et procédures de l’UE – que seuls maîtrisent les « petits entrepreneurs de la cause européenne » – risque de transformer ce qui pouvait être considéré comme un véritable droit de pétition pour les citoyens européen en un simple canal d’expression technocratique et cannibalisé par les « insiders » du système européen.

Ainsi, l’invocation d’une société civile européenne et d’un espace public européen que portait en germe la participation civique avec l’initiative citoyenne européenne risque de porter des fruits décevants.

La communication en ligne de la Commission européenne doit-elle copier les médias d’information en ligne ?

La crainte d’une confusion entre activité de relation presse avec des informations destinées aux journalistes et activité de communication avec des contenus destinés aux autres cibles est soulevée avec la refonte mise récemment en ligne de l’espace presse et actualité de l’UE (voir : « Évolution de la « press room » de l’UE vers une « news room » : quel impact ? »)

Cette crainte ne peut que se renforcer à la lecture d’un cas pratique proposé cette année à des agences qui répondaient à l’appel d’offre « Soutenir la communication digitale de la Commission européenne » (supendu avant la fin de la procédure).

Dans ce cas pratique fictif, l’hypothèse de la création d’une « newsroom dédiée à la Commission européenne » était soumise aux agences. La lecture de la mise en situation est édifiante :

The site should look like a real news site, comparable with the sites of quality newspapers or major broadcast companies, but should also fit into the look and feel of the Commission’s homepage. It should address at the same time press, interested professionals and interested citizens.

Traduction : Le site devrait ressembler à un vrai site d’infos, comparables aux sites des journaux de qualité ou des grandes entreprises de radiodiffusion. Le site devrait également s’inscrire dans la charte de la page d’accueil de la Commission. Le site devrait s’adresser en même temps à la presse, aux professionnels et citoyens intéressés.

Ainsi, au travers d’un cas pratique fictif visant à créer une newsroom dédiée pour la Commission européenne qui ressemble à un vrai site d’informations en ligne, la tentation de confondre communication en ligne de la Commission européenne et médias d’information en ligne déjà présente dans le nouvel espace presse et actualité de l’UE se révèle particulièrement inquiétante.

Évolution de la « press room » de l’UE vers une « news room » : quel impact ?

Après une refonte, qui remonte à 2008 et qui de l’aveu même de sa conceptrice Monica Solombrino, « forgot to include the users » (oublie d’inclure l’internaute), la « press room » de l’UE vient d’être totalement revue avec un « user-centred design »…

Présentation des contenus : l’évolution améliore le service pour les internautes

Monica Solombrino, fonctionnaire dans la « webteam Europa » responsable de la refonte, expose sur le blog de la Commission européenne « Waltzing Matilda » les principes pour « présenter (les contenus) dans un ordre logique, simple et facile à interpréter pour les internautes ».

Modalités de l’évolution :  répondre aux attentes des internautes et aux pratiques usuelles

Un ensemble de démarches ont été entreprises pour concevoir le nouvel espace presse et actualités de l’UE :

Fonctionnalités de l’évolution : offrir une expérience utilisateur clarifiée

Un ensemble de nouveautés ont été introduites pour renforcer la lisibilité et l’accessibilité du nouvel espace presse et actualités de l’UE :

  • Simplification, clarification et rationalisation : pour plus de cohérence et moins de duplication, fusion de 4 sites existants entre « EU press room » (l’espace presse), « EU news » (l’espace actualité), « EU calendar » (l’espace agenda) et « the Media centre » (l’espace audiovisuel)
  • Navigation plus complète : « À la une », « Communiqués de presse », « Calendrier », « Audiovisuel » (photos, vidéos, audio), « Contacts presse » (service porte-parole) et « Services presse » (accréditation, listes de diffusion, RSS…).

Au total, l’enjeu d’une meilleure présentation des contenus presse et actualités semble satisfaisant.

Éditorialisation des contenus : l’évolution confond informations aux journalistes et contenus destinés aux internautes

Avec cette refonte fusionnant les espaces presse et actualités de l’UE, le nouvel espace hybride soulève des confusions entre des contenus destinés aux journalistes et des contenus destinés aux internautes.

La physionomie générale répond aux besoins professionnels des journalistes avec des contenus explicitement destinés aux journalistes. L’accès sur un seul portail à l’ensemble des communiqués des institutions de l’UE ainsi qu’aux services à la presse de ces institutions est une avancée pour faciliter le travail des journalistes.

Mais, le nouvel espace hybride propose également des contenus qui manifestement ambitionnent de se substituer au travail journaliste en « éditorialisant » des « dossiers spéciaux » et autres « articles à la une ». Ces contenus sont-ils également destinés aux journalistes pour orienter leur sélection des informations pertinentes aux yeux de l’UE ? S’agit-il de contenus visant à terme à se substituer aux productions destinées aux journalistes ?

Ainsi, la refonte de l’espace presse et actualité de l’UE simplifie la présentation des contenus mais introduit de la confusion entre informations aux journalistes et produits de communication.

Progression de l’information européenne dans les JT français ?

Régulièrement, l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) publie INA Stat, une lettre trimestrielle offrant un « baromètre thématique des journaux télévisés (JT) français ». Quoique l’information européenne ne soit pas singularisée de l’information internationale – sauf à l’occasion d’un numéro spécial en 2008 sur l’Europe dans les journaux télévisés de six chaînes (TF1, France 2, France 3, Canal+, Arte et M6) – il semble que l’actualité européenne soit récemment plus présente…

En 2008, l’information européenne représentait 2,2% des sujets des JT français

Selon l’étude de l’INA, en 2008, 31 629 sujets ont été abordés dans les JT (TF1, France 2, France 3, Arte et M6) dont 716 consacrés à l’Europe :

  • Arte consacre en 2008 6% de ses sujets à l’Europe ;
  • France 3 diffuse 119 sujets, soit 2,3% ;
  • TF1 propose à ses téléspectateurs 1,9 % soit 172 sujets ;
  • France 2 traite l’Europe à hauteur de 1,6% de ses sujets ;
  • M6 se contente de 27 sujets européens dans l’année.

En 2011, l’information européenne représenterait 5,9% des sujets des JT français

Aujourd’hui, l’éditorialiste du Point Emmanuel Berretta publie un article sur « le poids de l’info internationale dans les JT » en 2011. Selon ses informations, « le poids de l’étranger a été de 45,5 % dans les journaux télévisés, dont 13 % sur la zone Europe », soit un poids relatif de 5,9% pour les sujets sur l’Europe dans les JT :

  • Arte demeure la chaîne la plus ouverte avec 24,6% de sujets sur l’Europe ;
  • France 2 octroie 3,6% de sujets sur l’Europe – ce qui doublerait le volume des sujets européens depuis 2008 – l’information internationale représentant 29,6% ;
  • TF1 propose seulement 2,9% de sujets sur l’Europe – un point de mieux par rapport à 2008 – l’information internationale montant à 33,3%.

Dans le détail, selon Emmanuel Berretta, notre partenaire allemand a été abordé dans 732 sujets, tous JT confondus. La Grèce, pourtant à l’origine d’une crise financière majeure, n’apparaît qu’assez loin avec 360 sujets. Enfin, dans l’Europe des 27, la Lettonie est le seul pays à n’avoir suscité aucun reportage en 2011.

Avec de tels résultats, la part de l’Europe serait ainsi aussi importante qu’en 2005, année du référendum sur la Constitution européenne, où la part des sujets européens correspondait à 5% dans les JT français.

Communication européenne : la pédagogie peut-elle être démagogique ?

Dans une note « Refonder le projet européen », publiée en mars 2012, l’Institut Montaigne – parmi un ensemble de propositions – formule l’idée de rendre l’Europe plus directement perceptible dans les médias en fournissant « un éclairage européen à un certain nombre de rubriques d’actualité, qu’il s’agisse de la météo, des résultats sportifs ou de l’actualité culturelle ».

Plus largement, l’intention de faire de la pédagogie sur l’Europe en dépassant les rubriques traditionnelles du traitement de l’actualité de l’UE dans les médias peut-elle se transformer en démagogie au sens où l’Europe sortirait du champ rationnel pour assurer une présence flatteuse là où la population porterait ses faveurs médiatiques : le sport, la météo, la culture voire le divertissement ou la fiction ?

La pédagogie sur l’Europe dans les médias d’information et les émissions d’information dans l’audiovisuel : une voie bloquée, selon les Européens eux-mêmes

Idéalement, assurer une meilleure information sur l’Europe serait envisageable dans les médias d’information (PQN…) et les émissions d’information (JT…) dans l’audiovisuel. Cela serait même souhaitable puisqu’une majorité des Européens s’estime mal informée sur l’Europe, selon l’Eurobaromètre 74 sur « l’information sur les questions politiques européennes ».

Pourtant, quoique conscients de leur faible niveau d’information sur l’UE, les Européens ne ressentent pas le besoin de combler leur déficit d’information sur l’UE. Toujours selon cette enquête Eurobaromètre, une majorité des Européens estime que la télévision et la radio parlent assez des affaires européennes.

La voie de la pédagogie « informative » sur l’Europe dans le cadre des médias et des émissions d’information n’est donc pas praticable pour mieux faire connaître l’actualité de l’Europe.

La pédagogie empathique sur l’Europe dans des médias d’affinité ou des actualités de divertissement dans l’audiovisuel : une opportunité ouverte sous conditions

Finalement, la pédagogie sur l’Europe ne peut se faire que dans le cadre de la consommation extra-informative des médias chez les Européens. C’est en inscrivant l’Europe dans le cadre des souhaits et des attentes du public et donc des supports ou lieux fort en audience ou audimat – sans rechercher d’emblée un discours sur l’intérêt général et la construction européenne – que des opportunités semblent ouvertes.

Néanmoins, cette recherche d’opportunités de faire de la pédagogie sur l’Europe ne doit pas sombrer dans la facilité voir la paresse intellectuelle en véhiculant des clichés, des préjugés ou en jouant avec les frustrations éventuelles dans la population. Par ailleurs, la pédagogie – même limitée – sur l’Europe doit se faire dans la transparence et avec une relative acceptabilité des publics.

Une fois ces règles de déontologie respectées, l’hypothèse d’assurer « un éclairage européen à un certain nombre de rubriques d’actualité, qu’il s’agisse de la météo, des résultats sportifs ou de l’actualité culturelle » semble une façon insatisfaisante mais relativement efficace d’assurer une présence plus sensible, plus empathique de l’Europe dans le quotidien des Européens.

Ainsi, inscrire une dose de pédagogie sur l’Europe dans le cadre des médias d’affinité et des actualités de divertissement peut renforcer l’attachement des Européens à la construction européenne.