Communication européenne : comment passer d’une Europe des spécialistes à une Europe des citoyens ?

Aujourd’hui, la construction européenne est perçue et/ou vécue comme de facto élitaire, au sens qu’elle se limite à une minorité. Et le vrai scandale, c’est de se résigner à ce que cet état de fait ne fasse plus débat. Comment faire pour bousculer d’une Europe des spécialistes à une Europe des citoyens ?

« It’s the citizen, stupid »

Première priorité : faire passer le message que la priorité de tous les communicants européens, ce sont les citoyens européens.

A l’exemple de l’expression affichée dans les locaux de campagne : « the economy, stupid » de James Carville, stratège de la campagne présidentielle victorieuse de Bill Clinton en 1992 (contre George Bush et sa guerre en Irak) ; « it’s the citizen, stupid » devrait être affiché comme fond d’écran et sur les murs de tous les bureaux des communicants européens.

De l’intérêt de l’Union pour tous

Face aux discours évanescents sur les valeurs européennes, qui plutôt que d’être déclamé devraient ses prouver dans les actes, l’Europe doit convaincre qu’elle agit dans l’intérêt de tous.

En temps de crise et d’anxiété, les personnes ont tendance à se recentrer sur elles-mêmes et leurs besoins personnels ou sur des solidarités sûres et rassurantes. Tant que l’UE ne parviendra pas à montrer que ce qu’elle fait est entrepris dans l’intérêt général et au bénéfice de tous, l’UE n’existera pas auprès du grand public.

La plupart des citoyens ne perçoit pas les effets positifs concrets de l’UE. Bien au contraire, les actualités complexes et menaçantes les en éloignent un peu plus chaque jour. C’est là qu’il faut passer d’une propagande trop macro à une pédagogie intéressant les citoyens dans leur vie de tous les jours, avec un vocabulaire adapté.

Des priorités à tous les étages

Pour parvenir à changer, il faut définir des priorités : pas les priorités politiques au sens des objectifs Europe 2020, mais des priorités en termes de messages, adaptés au grand public et dotés de moyens visant à vraiment « imprimer » les opinions publiques.

Le grand public doit faire l’objet d’une segmentation pour viser quelques cœurs de cible, qu’il est possible de toucher en activant des multiplicateurs d’opinion, comme les journalistes, à condition qu’il ne s’agisse pas uniquement des spécialistes de l’Europe.

Du pouvoir aux citoyens

Il n’est pas question d’adopter des mesures démagogique ou homéopathique, les deux sans effet, pour redonner des pouvoirs aux citoyens. C’est d’abord un sentiment à insuffler pour lutter contre la méconnaissance et l’apathie.

Aujourd’hui, l’Europe s’est tellement éloignée de la réalité des citoyens, qu’ils sont forcément passifs, paralysés, quoi qu’ils fassent n’ayant finalement aucun impact, comme s’ils n’étaient plus maîtres de leurs vies, tant ils ne comprennent pas l’impact des décisions européennes dans leurs vies de tous les jours…

Attention à ne pas sombrer dans une démarche où prôner la figure d’un « citoyen acteur » trop modèle finisse par culpabiliser le public et le replonger dans un état passif tant on ne verrait pas le lien de cause à effet. La vulgarisation heureuse, nouvel avenir de la communication européenne.

Communiquer, c’est aussi faire passer des émotions et de l’imagination

Trop souvent, l’UE se montre trop rationnelle, trop père fouettard ou mère la rigueur. La communication européenne doit se permettre de faire passer des émotions pour toucher les gens, les faire bouger, les impliquer plutôt que de leur dire ce qui est bon pour eux, plutôt que de les informer sur des sujets qui ne les touchent pas

Et pourquoi pas faire place à l’imagination – ré-imaginer l’Europe – ne plus la voir comme un pensum, un frein à l’épanouissement personnel, mais comme une opportunité de créativité en passant par la co-construction, l’acceptation du différent et de l’inconnu.

Au total, il n’est jamais trop tard pour changer et passer d’une Europe des spécialistes à une Europe des citoyens. Mais, il est surement plus tard que l’on ne pense.

Pourquoi la disparition des partenariats de gestion est une mauvaise nouvelle pour la communication européenne ?

Lors de la dernière réunion, le 13 septembre dernier, du groupe de travail sur l’information réunissant les communicants des institutions européennes, la Commission européenne a définitivement confirmé la disparition des partenariats de gestion, qui permettent à ce jour à 18 Etats-membres de communiquer sur l’Europe, conjointement avec les institutions européennes. Pourquoi s’agit-il d’une mauvaise nouvelle ?

Les partenariats, le chaînon manquant de la communication européenne

Jusqu’à la déclaration politique « «Communiquer sur l’Europe en partenariat » signée par les institutions européennes le 22 octobre 2008, les institutions européennes n’étaient jamais parvenues à trouver une forme à la fois souple et contraignante pour impliquer efficacement les Etats-membres dans la communication européenne. Quelques collaborations ad hoc, notamment avec l’Allemagne, sans planification stratégique des messages et des moyens avaient permis au moins de mener ponctuellement des actions de communication.

Il semble que la solution, qui avait fait ses preuves tant auprès des Etats-membres (18 partenariats de gestion signés à ce jour) qu’en termes de résultats (des évaluations indépendantes ont toutes confirmées l’intérêt du dispositif) ait vécu. En dépit de ses engagements, la Commission européenne prévoit – de manière unilatérale, sans consultation préalable et sans solution alternative – de cesser dès 2014 les partenariats de gestion.

Les partenariats de gestion, la clé de voute de la stratégie de communication européenne

Entre la communication de l’UE, le plus souvent limitée à la sphère bruxelloise et donc sans impact sur les citoyens européens et la communication sur l’Europe des acteurs publics et privés dans les Etats-membres, souvent très limitée faute de moyens, les partenariats de gestion représentent une synthèse réussie :

  • Clé de voute de toute l’architecture de la stratégie de communication, les partenariats de gestion symbolisent le travail conjoint entre l’UE et les Etats-membres. Leur disparition signe comme un aveu d’échec ou d’incapacité pour la Commission européenne à travailler avec des partenaires ;
  • Charnière ouvrière entre Bruxelles et les citoyens, les partenariats de gestion incarnent concrètement la mise en œuvre des priorités interinstitutionnelles en matière de communication européenne et la programmation pluriannuelle.
  • Bras armé et sans doute le seul efficace avec le principe du double financement européen et national, les partenariats de gestion parviennent à toucher largement les Européens, notamment les jeunes, un public souvent prioritaire.

Vers un nouveau déficit de communication européenne, dès les élections européennes

Non seulement, les partenariats de gestion ne sont pas aisément remplaçables. Les autres formes de partenariats sont inadaptées : les partenariats stratégiques avec exécution séparée des budgets fonctionnent mal (seuls 5 Etats-membres, dont 2 qui envisageaient de passer aux partenariats de gestion) et les partenariats ponctuels n’ont jamais été engagés.

Mais surtout, les partenariats de gestion en disparaissant vont immanquablement se traduire par un déficit de communication européenne dans de nombreux pays, d’autant que les ressources budgétaires nationales (y compris les fonds de la communication) sont rationalisées en raison de la crise.

Au total, le choix de la Commission européenne est vraiment inadapté puisque les partenariats ont permis de communiquer avec succès à une époque de baisse du soutien à l’UE et d’absence de connaissances sur la valeur ajoutée de l’UE. De surcroit, les partenariats devaient jouer un rôle important dans la stratégie de communication pour susciter l’intérêt et la sensibilisation des citoyens dans la perspective des élections européennes de 2014.

La disparition des partenariats de gestion rebat considérablement les cartes de la communication européenne. Cette mauvaise nouvelle devrait malheureusement peser sur les élections européennes.

Engagement des fans : benchmark des meilleures pages Facebook sur l’Europe

Au-delà du stock de fans – un repère souvent pris en compte pour comparer des pages Facebook – le flux des conversations – un critère plus fluctuant – permet à un moment donné de calculer le taux d’engagement, en rapportant les conversations au nombre de fans. Alors qu’en est-il du taux d’engagement des pages Facebook sur l’Europe ?

Match entre les institutions européennes remporté par la Commission européenne

Tandis que la page Facebook du Parlement européen s’apprête à franchir le million de fans avant les élections européennes (938K aujourd’hui), c’est la page de la Commission européenne qui recueille en ce moment le taux d’engagement le plus élevé à plus de 7% – un score plus élevé que l’engagement de la page des Nations Unies (4%) par exemple.

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Actuellement, le niveau d’engagement de la page du Parlement européen (1,5%) est comparable à l’engagement de la page Facebook du Conseil de l’UE – l’institution la moins visible auprès du grand public.

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Jeu inégal des campagnes de communication de l’UE sur Facebook

Entre les différentes campagnes de communication de l’UE, l’engagement sur Facebook est très inégal entre l’engagement le plus considérable de la page « Unstoppable » (30%) incitant les Européens à arrêter de fumer et l’engagement le plus réduit de la page « Generation Awake » (0,2%) au sujet de la « consommation intelligente ».

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generation_awakeLes Représentations de la Commission plus engageantes que les Directions Générales

Disposant de communautés plus réduites, car pour la plupart les pages sont plus récentes ; les Représentations de la Commission européenne dans les Etats-membres semblent pourtant générer un taux d’engagement plus important que les pages plus anciennes et disposant d’une communauté plus vaste des principales directions générales de l’institution.

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A titre d’exemple, sur la base d’une mesure forcément très circonstancielle, l’engagement des pages de la Commission en France et en Espagne est proportionnellement plus élevé que sur les pages « historiques » (Social Europe, DG ECHO, European External Action Service).

Au total, la règle paradoxale qui frappe l’engagement sur Facebook des pages sur l’Europe tend à une baisse des conversations à mesure que la communauté des fans s’élargit.

L’auberge européenne : le web-documentaire pour communiquer l’Europe auprès des jeunes

Dès qu’il s’agit d’Europe auprès des jeunes, deux idées reviennent immanquablement : l’auberge espagnole, le film culte de Cédric Klapisch et Erasmus, le programme de mobilité. Alors, pourquoi ne pas fusionner les deux ? C’est le défi de « l’auberge européenne », le web-documentaire européen de la rentrée 2013…

Concept de l’auberge européenne : 10 étudiants, 10 villes européennes, 10 visions de la vie Erasmus

Au travers d’un web-documentaire composé de portraits de 10 étudiants français expérimentant la vie Erasmus en Europe, « l’auberge européenne » offre une plongée au cœur d’une génération d’Européens de terrain.

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Les portraits de chaque étudiant (Cléo, Léon) se décomposent d’une vidéo, d’une question posée à Cédric Klapisch qui y répond, d’une présentation d’un groupe de musique, de bonnes adresses dans la ville et d’un lien vers un réseau social pour entrer en contact avec l’étudiant.

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L’auberge européenne : les bons registres de communication pour toucher les jeunes

Avec le dispositif mis en place, les bons registres de communication sont activés pour toucher les jeunes :

  • L’auberge européenne se fonde sur ce qui préoccupe vraiment les publics jeunes, leur avenir personnel ;
  • L’auberge européenne crée de la proximité avec les jeunes, sans tomber dans la démagogie du langage « jeune » en incluant des témoignages « terrain » ;
  • L’auberge européenne joue sur le sentiment d’appartenance des jeunes en intégrant une dimension musicale et sociale.

En bref, les contenus sont au rendez-vous pour séduire les jeunes et faire passer des messages sur l’Europe.

L’auberge européenne : la faible activation participative pour engager les jeunes

L’auberge européenne ne prévoit pas suffisamment de mécanique d’engagement en ligne – ce qui risque de limiter la viralité et la visibilité du web-documentaire.

L’auberge européenne ne répond pas au désir d’engagement des jeunes, à leur souhait d’être impliqués et de contribuer. Les jeunes ne peuvent pas s’approprier le web-documentaire dans lequel ils pourraient se reconnaître. Aucun mécanisme ne permet aux jeunes de partager le web-documentaire sur les réseaux sociaux. De même, ils ne peuvent pas interagir avec les jeunes témoins et ne peuvent pas eux-mêmes témoignés.

Autrement dit, la forme du web-documentaire n’est pas suffisamment optimisée pour favoriser une pleine appropriation par les jeunes en reprenant les codes et les mécaniques qu’ils pratiquent en ligne.

Au total, l’auberge européenne est une action de communication sur l’Europe auprès des jeunes particulièrement séduisante quoiqu’incomplète.

Journalisme et apprentissage innovants : vers une alliance open data et UE ?

Internet et en particulier les données redéfinissent les relations entre publics et contenus, tant en matière d’informations avec une nouvelle forme de journalisme des données qu’en matière d’éducation avec les MOOC (massive open online course). L’UE devrait avoir un rôle à jouer auprès des nouveaux intermédiaires pour littéralement reconnecter les Européens avec la construction européenne. Quelle pourrait être l’alliance entre open data et UE pour un journalisme et un apprentissage innovants européens ?

Apprentissage innovant : lancement de la plateforme « Open Education Europa »

Avec un portail conçu comme « la porte d’entrée à l’apprentissage innovant européen », l’Union européenne se donne les moyens de collaborer avec les nouveaux intermédiaires en ligne entre les contenus pédagogiques/éducatifs et le grand public et se positionne aux yeux du grand public comme un facilitateur – une position qui peut se révéler être au bénéfice à terme de la construction européenne.

L’apprentissage des affaires européennes auprès du grand public se trouve aujourd’hui bloqué car les enseignants ne sont pas eux-mêmes formés et « connectés » avec l’UE – une fracture que les systèmes éducatifs nationaux ne parviennent pas à combler.

Une intervention de l’UE visant principalement à faciliter le développement de l’apprentissage en ligne devrait permettre incidemment d’assurer une place sans doute plus importante aux enjeux européens dans ces nouveaux contenus et à tout le moins, devrait permettre à l’UE d’être dans le sens de l’histoire et des évolutions technologiques.

Journalisme innovant : à quand une plateforme openjournalismeuropa.eu ?

D’ores et déjà l’UE est engagée dans le mouvement d’ouverture des données avec le portail « Open data Europa » qui facilite l’accès aux données publiques de l’UE.

Mais, la transparence n’est qu’une partie du mouvement (6098 jeux de données sont disponibles en ligne) s’il n’y a pas d’interfaces de consultation, il n’y a ni empowerment du côté du public européen, ni accountability du côté des responsables administratifs et politiques européens (seules 7 applications, toutes issues d’un site institutionnel européen, sont actuellement disponibles).

Tout comme la fracture pédagogique sur l’Europe peut être en partie comblée avec une contribution européenne à l’apprentissage innovant, il est tout à fait possible d’envisager qu’une plateforme de journalisme innovant européen valorisant les initiatives de journaliste/développeur contribuerait à améliorer indirectement l’information européenne.

Au total, l’UE dans sa volonté de « reconnecter » les Européens au projet européen aurait tout intérêt à contribuer au développement de l’open data en matière de journalisme ou d’apprentissage.

En ligne, les enseignants/développeurs ou journalistes/développeurs sont de nouveaux intermédiaires entre les contenus et les publics que l’UE devrait traiter comme un nouveau public cible prioritaire.