Vers une « Commission 2.0 » : accessibilité, interactivité et participation comme piliers de la communication en ligne de l’UE

Première partie de la contribution de Romain Babouard et Michaël Malherbe dans le dossier « « l’Europe sur les réseaux sociaux » publié dans la revue « communication & langages » n°183 en mars 2015.

L’âge de l’accès et de l’interactivité

Le premier site Europa est mis en ligne en 1995 (avant la Maison Blanche) repose sur les principes de l’accès : fournir aux internautes des informations sur l’UE et d’interactivité : proposer des échanges en ligne, comme l’expérimentation d’un chat entre le Commissaire Marcelino Oreja et les internautes en décembre 1996. En 1997, une version multilingue propose une « Foire aux Questions » et une « boîte aux lettres ». En avril 2001, une nouvelle version renforce ces principes.

En 2009, une refonte positionne Europa comme un portail composé de plus de 150 sites des différents organes et agences de la Commission européenne. Ce portai répond à un double impératif d’accessibilité en fournissant des informations utiles et « vulgarisées » et d’interactivité en expérimentant de nouveaux formations de communication.

Le portail de la Commission en ligne a « valeur de démonstration », de « vitrine », de « mettre en scène une institution moderne, ouverte sur la société civile et à l’écoute des citoyens ». Par exemple, la refonte du site « Votre point de vue sur l’Europe » en 2011 tente d’ouvrir les consultations de la Commission aux citoyens ordinaires même si elles restent essentiellement un espace de participation investi par des lobbies.

En parallèle de la mutualisation des ressources et du renforcement de la coordination des services via la DG COMM, de nouveaux services interactifs sont exploités : la chaîne Youtube « EUtube » et les blogs personnels des Commissaires.

L’impératif participatif

Avec le plan D, Margot Wallström vise à prouver le potentiel de son discours de rupture : l’expérimentation de la participation des citoyens à l’échelle européenne doit assurer une fonction légitimatrice. La démocratie participative se présente comme la solution au déficit démocratique. Dorénavant, la participation devient « la pierre angulaire des stratégies de communication de l’UE ».

Ce nouvelle impératif participatif se traduit notamment par diverses consultations délibératives qui transgressent à la fois les oppositions entre sachants/profanes et opinion éclairée/opinion publique. Le rôle de ces expérimentations en ligne est de prouver que la démocratie participative à l’échelle européenne fonctionne.

Des critiques y voient un « marketing participatif » qui assure la promotion d’une démocratie technologique/horizontale s’opposant frontalement aux valeurs d’une démocratie représentative/verticale… sans oublier des « procédures verrouillées », des « actions de façade » à l’impact très limité qui constituent un « confortable paravent ».

Mais, deux éléments demeurent : d’une part, la dimension pragmatique et expérimentale liée aux opportunités circonstancielles et/ou aux volontés individuelles de « tenter le coup » et d’autre part, des citoyens et des organisations s’en emparent et se les approprient.

La « culture web » pour pérenniser la participation

En décembre 2007, la stratégie « Communiquer l’Europe par Internet : Faire participer les citoyens » consacre un nouvel impératif : « intégrer la culture Internet pour exploiter les possibilités de la communication en ligne ». Il ne s’agit plus de partir des technologies mais des usages des internautes afin de permettre une véritable interactivité entre citoyens et décideurs. Pour autant, les ambitions seront revues à la baisse : l’utilisation de wikis sera abandonnée et la participation se limitera à noter les sites.

En 2008, la communication « Debate Europe : Exploiter les réalisations du plan D » vise à pérenniser le principe de participation en liant la participation citoyenne et le processus décisionnel afin que les citoyens puissent constater les effets de leur participation sur les politiques publiques de l’UE.

Le forum de discussion « Debate Europe » jusqu’à 2010 va se concentré sur 3 thématiques : l’avenir de l’Europe, l’énergie/le changement climatique et le dialogue interculturel. Au total, 1,3 millions d’avis en tous genres seront recueillis.

De même, la consultation européenne des citoyens en 2009 « a valeur de preuve, de démonstration qui confirme la théorie et en valide le sens ».

Au total, les discours de rupture portés par Margot Wallström vont s’appuyer sur les démonstrations permises en ligne pour légitimer de nouveaux principes qui vont devenir de nouvelles normes de communication. A partir de 2009, toutes les stratégies de communication des institutions européennes comprendront une dimension participative qui vise à impliquer les citoyens dans la prise des décisions. Le principe ne sera plus remis en cause. Il est devenu la norme.

La communication des institutions européennes sur Internet : l’expérimentation comme stratégie

Face à l’enjeu de la résorption du déficit démocratique de l’UE, l’évolution des stratégies de communication numérique des institutions européennes repose sur l’expérimentation, selon Romain Babouard et Michaël Malherbe dans le dossier « « l’Europe sur les réseaux sociaux » publié dans la revue « communication & langages » n°183 en mars 2015.

L’expérimentation opère à la fois comme exploration dans une situation d’incertitudes, mais aussi comme processus de « mise en laboratoire » de pratiques citoyens et surtout comme démonstration publique afin de valider et légitimer la démarche.

L’expérimentation fonctionne comme une « courroie de transmission entre des discours de rupture » promouvant de nouveaux principes de communication « et des impératifs stratégiques » visant à les intégrer dans l’élaboration des politiques publiques européennes.

L’expérimentation représente « un facteur d’instabilité » puisqu’elle dépend autant des évolutions technologiques que de logiques d’appropriation technologique ; et « engendre une pluralité des locuteurs » en ouvrant la porte à de nouveaux acteurs qui s’expriment en ligne.

L’expérimentation révèle enfin que « les enjeux de communication institutionnelle sont pris en étau entre des impératifs de modernité et des réalités administratives ».

Au total, les stratégies de communication en ligne de l’UE ont évolué au gré des évolutions politiques, des innovations technologiques et de la volonté de professionnaliser les dispositifs.

La communication de l’UE en ligne a visé à répondre à un impératif de modernité, entrant bien souvent en contradiction avec les contraintes matérielles, administratives et humaines des institutions. Ce qui a constitué un obstacle à réplication et à la pérennisation des expérimentations, conduisant paradoxalement à des formes de communication institutionnelle plus verrouillée et hiérarchisée.

L’Europe sur les réseaux sociaux : une communication renouvelée ?

Dans le dossier « L’Europe sur les réseaux sociaux » publié dans la revue « communication & langages » n°183 en mars 2015, Sandrine Roginsky et Valérie Jeanne-Perrier introduisent le parti pris des contributeurs qui consiste à « s’intéresse(r) au quotidien de l’Union européenne sur les dispositifs de communication sur Internet ».

Les logiques de flux de l’information et de quasi-immédiateté des processus de création, de publication et de diffusion dans les réseaux sociaux invitent à proposer « une nouvelle approche de l’utilisation des dispositifs de communication sur Internet (sites web et réseaux sociaux) pour promouvoir ou non l’Union européenne.

Cette approche par les dispositifs, les usages et les discours dans la production, la mise en scène et la circulation de la parole européenne n’occulte pas la complexité des phénomènes mais montre comment ils s’inscrivent dans les espaces en place et renouvellent les pratiques sans les révolutionner.

Cette parole européenne est portée dans les discours des experts sur les blogs, les discours des politiques sur leurs profils dans les réseaux sociaux et les médias plus traditionnels, les discours des militants dans les commentaires, etc.

Au total, c’est une analyse en demi teinte qui se dessine tout au long du dossier.

Certes, les dispositifs de communication sur Internet renouvellent les codes de communication des acteurs et des institutions européens.

Mais, de manière plus contrastée, les médias sociaux illustrent des fonctionnements qui sont en grande partie le fait de pratiques et d’organisations qui les dépassent et les digèrent en les ancrant et institutionnalisant dans le paysage.

Pourquoi la communication de l’UE doit passer par les médias de masse ?

Raisonnablement, force est de reconnaître que le seuil de motivation que les citoyens européens doivent surmonter afin de s’engager sur les questions politiques de l’UE est tout simplement trop élevé pour la plupart des citoyens, la plupart du temps. Comment y remédier, selon Bernd Spanier, auteur d’une thèse « The EU’s “Communication Deficit” Revisited » ?

Le défi de la communication de l’UE : savoir parler à ses publics « captifs » tout autant qu’au grand public désintéressés

Le public des experts joue un rôle dans le maintien de la qualité des politique de l’UE et contribue ainsi en partie à la légitimité du système. Tout comme le grand public fournit également une légitimité sous la forme d’un soutien

Le défi décisif pour la politique de communication de l’UE est d’améliorer la communication avec le grand public sans pour autant négliger les demandes d’information de la sphère des experts.

En dépit de toutes les différences culturelles et linguistiques nationales, les activités de communication de l’UE ont su réalisé une communication substantielle au deux sens du terme auprès de médias spécialisés européens mais aussi des sections spécifiques des principaux médias européens qui jouent un rôle important comme sources d’information, premiers points de référence et catalyseurs pour les parties prenantes dans le processus politique dans toute l’Europe.

L’importance de la visibilité de l’UE dans les médias audiovisuels

L’UE devrait aujourd’hui assumer la tâche de compléter les relations avec les médias vers le secteur audiovisuel. La télévision offre « le hasard des rencontres » avec des sujets européens à des gens qui ne devraient normalement pas avoir la motivation intrinsèque à lire sur les questions liées à l’UE dans la presse. L’effet cumulatif de ces rencontres pourrait contribuer à des niveaux plus élevés d’intérêt et de compréhension.

Les relations avec les médias audiovisuels poursuivrait un objectif de renforcement de la sensibilisation plutôt qu’un objectif de formation d’opinion comme, effectué avec la presse « d’élite ». L’objectif à long terme serait d’élever le niveau d’attention pour les sujets de l’UE qui, dans une deuxième étape, pourrait modifier les modes de perception et de traitement de l’information dans la mesure où les possibilités d’un débat constructif pourraient émerger.

Le manque de visibilité dans les médias audiovisuels est d’une part un problème structurel de communication de l’UE, à savoir le résultat d’un manque de drame, d’un processus de prise de décision complexe et d’acteurs ayant peu d’incitation à rendre public leur travail.

Pourtant, la couverture télévisuelle pourrait être considérablement améliorée en supposant que les médias reçoivent des informations adaptées à leurs contraintes, comme par exemple des Commissaires formés aux médias avec une capacité de parler en « soundbites » et d’expliquer la politique européenne compliquée en termes simples.

Et surtout si la perception de l’UE entre la nature intellectuelle plus « savante » de la presse écrite d’opinion par rapport aux médias audiovisuels plus « bas de gamme » cesse de se traduire par des contenus produits par l’UE largement ciblé auprès d’un public d’experts, caractérisés par un style plutôt technique et dans un jargon spécialisé, difficiles à digérer pour le lecteur non initié.

La communication des décisions européennes auprès du grand public jusqu’à présent trop négligée exige un style différent, «simple» et plus «terre à terre». En dépit des améliorations dans le passé, cette tradition de la communication de l’UE continue sans un «contrôle de réalité».

La faiblesse de la visibilité des leaders européens à la télévision

Politico Europe a réalisé avec Media Tenor International une analyse de la présence des leaders européens sur les principales chaînes de télévision européennes.

Les résultats sont préoccupants. Les leaders européens n’impriment pas. Malgré son importance, Bruxelles rompt rarement l’actualité des nouvelles à l’agenda des grands médias. Et quand il le fait, c’est généralement rapporté négativement.

Même lorsqu’ils sont combinés, le temps d’écran consacré aux figures les plus importantes de l’UE, Tusk, Juncker, Mogherini… est inférieur à celui des dirigeants politiques nationaux – ou de Donald Trump.

Plus d’un quart de tous les sujets dans les programmes d’information de télévision jusqu’à présent cette année ont cadré l’UE comme un échec, contre environ 5% qui dépeint l’UE de manière positive.

La priorité de la communication de l’UE doit se porter sur une meilleure action auprès des médias audiovisuels maintream afin d’assurer une présence plus importante, et plus positive auprès du grand public.

Déficit démocratique de l’UE : est-ce la faute de la communication européenne ?

A suivre Eric Dacheux, auteur de « Sans les citoyens, l’Europe n’est rien » dans le Huffington Post « Non seulement la communication ne peut pas combler le déficit démocratique de l’Union, mais pour l’instant, elle le creuse ! Pourquoi ? »…

La thèse d’Eric Dacheux : Sans les citoyens, l’Europe n’est rien

Pour Eric Dacheux, « la politique de communication mise en œuvre est un marketing politique, une politique de persuasion. Or, si la persuasion est un objectif électoral légitime pour un candidat, ce n’est pas un objectif légitime pour une Union de pays démocratiques. L’objectif légitime pour une Union de pays démocratiques est l’approfondissent de la démocratie. Or, la démocratie est une culture commune qui se perpétue et se transforme en générant du dissensus. La politique de communication de l’UE doit donc renoncer à l’auto justification. Elle doit, au contraire, chercher à intensifier les débats contradictoires autour de l’intérêt général.

D’autant plus, que le marketing politique est, par essence, inadapté à l’objectif fixé : il ne peut pas rassembler des citoyens différents autour d’un projet commun, car son ADN est de séparer une masse commune pour créer des cibles distinctes. Dès lors, il convient, si les institutions européennes veulent réellement sortir de l’impasse démocratique, de s’attaquer aux racines politiques, économiques et symboliques du mal dont souffre l’Union.

Pour ce faire, elle doit changer de méthodes : non plus la méthode Monnet des petits pas technocratiques censés entraîner une Union de fait, mais une méthode démocratique : associer les citoyens à la construction des solutions envisagées. Dans cette perspective participative, la communication publique joue un rôle, modeste mais indispensable : favoriser un conflit intégrateur aux dimensions de l’Union. »

Le déficit de communication de l’UE revisité

Dans une thèse récente « The EU’s “Communication Deficit” Revisited« , la question est donc « revisitée ».

Oui, la communication de l’UE contribue au déficit démocratique de l’UE parce que les initiatives de communication de l’UE tels que le « Livre blanc sur la politique de communication » ou la stratégie « Communiquer l’Europe en partenariat » n’ont apparemment pas réussi à atteindre l’objectif de rapprocher l’UE avec ses citoyens.

La stratégie de communication – par le biais de nouveaux moyens technologiques tels que les consultations en ligne, mais aussi via l’organisation de « débats citoyens » promus et lancés avec des attentes irréalistes – s’est en réalité limitée à quelques personnes intéressées déjà à des niveaux extraordinairement élevés de motivation et de connaissances sur les questions européennes.

Mais, l’auteur continue sur la communication de l’UE et le déficit démocratique de l’UE parce que cette critique repose sur une tendance implicite à faire valoir un point de vue de l’État-nation. La performance de l’UE – sous l’angle national – conclut inévitablement que la communication politique de l’UE est déficiente et inefficace parce qu’elle ne parvient pas à faire une impression durable sur la perception des citoyens. La charge contre la communication politique de l’UE déficiente omet également de prendre en compte que l’UE supranationale rend beaucoup plus difficile de communiquer les affaires européennes auprès du grand public.

La logique de la communication supranationale, le succès de la communication de l’UE

L’UE a besoin d’une communication très efficace qui permet aux parties prenantes dans et en dehors de Bruxelles d’être efficacement informés pour apporter leur contribution au processus législatif. Cette clientèle d’experts transnationaux forme naturellement le centre d’attention pour les acteurs de l’UE.

En d’autres termes, les informations fournies par les institutions européennes doivent avant tout répondre à la demande d’information des parties prenantes à Bruxelles et dans les Etats membres qui sont directement ou indirectement impliqués dans les routines de prise de décision de l’UE.

La communication a donc tendance à être intrinsèquement orientée vers l’information en profondeur des experts qui remplissent un rôle plus immédiat dans la politique au jour le jour de l’UE. Dans ce contexte, fournir des informations précieuses pour un public d’experts présente non seulement une tâche primordiale et légitime de toute activité de communication, mais pourrait même l’emporter sur des objectifs d’information générale dans la réalité au jour le jour.

La logique de la communication nationale, l’insuccès de la communication de l’UE

Le projet européen dépend du soutien (au moins diffus) du public européen. Il est l’essence même du « consensus permissif » qui a été construit sur la bonne volonté générale des citoyens envers l’UE. Le consensus permissif présente un décalage dans le temps : il faut une confiance de base dans les décisions prises au niveau européen dans l’attente des résultats politiques souhaitables. La confiance est « créditée » aux acteurs de la politique européenne aussi longtemps que leurs actions produisent des avantages dans le futur qui viennent «rembourser» la confiance investie en eux.

Dans ce contexte, la communication des résultats de la politique de l’UE devient clé. L’approbation du public doit être gagnée, a priori, par le biais d’un débat avec des arguments convaincants, plus facilement atteint grâce à l’amélioration de l’impact des relations avec les médias à l’égard de la promotion des sujets européens dans la couverture systématique des médias de masse de grande consommation, notamment les médias de télévision plutôt que par le biais de campagnes de publicité.

Néanmoins, il demeure difficile de traduire la communication d’experts de la sphère de la « bulle de Bruxelles » à une forme de communication « comestible » et significative pour un public local ; surtout sans visage familier représentant l’UE dans les Etats membres.

La complexité de l’UE, comme frein à l’intérêt des Européens

La complexité de l’UE est un élément clé en ce qui concerne, d’une part, la façon dont les médias sélectionnent et cadrent les sujets européens et, d’autre part, la façon dont les audiences perçoivent ces questions dans les médias.

Des niveaux de complexité élevés conduisent à une situation où les sujets de l’UE se prêtent plus à un support de presses spécialisées et moins aux médias audiovisuels avec une cible d’audience plus large.

Même dans les cas où les sujets européens apparaissent dans les médias grand public, ils sont moins susceptibles d’être perçus par un public général, en raison de la motivation insuffisante pour lire un article sur un sujet complexe de l’UE ou suivre consciemment un sujet européen à la télévision.

Le manque d’intérêt du public dans l’UE existe donc non seulement en raison des possibilités limitées de participation, mais aussi d’un manque de repères familiers au niveau supranational qui permettrait aux citoyens de faire des « raccourcis » pour assurer leur traitement de l’information.