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Billets sur l’opinion publique européenne

Au-delà du fact-checking : repenser la communication de l’UE face à la désinformation avec l’éducation aux médias vers une résilience informationnelle proactive

La désinformation n’est pas un phénomène nouveau, mais son ampleur, sa rapidité de propagation et sa sophistication, exacerbées par l’environnement numérique, représentent aujourd’hui l’une des menaces les plus sérieuses pour les sociétés démocratiques, la confiance dans les institutions et, par extension, pour le projet européen lui-même. Face à ce défi, l’Union européenne a pris des mesures, dont témoignent des initiatives récentes comme le financement de 5 millions d’euros alloué au renforcement de l’éducation aux médias, du réseau européen de vérification des faits et à l’amélioration de la visibilité des contenus vérifiés. Ces efforts nécessaires, comparés aux meilleures pratiques mondiales, suggèrent qu’ils ne constituent qu’une partie de la réponse globale requise.

Le fact-checking : un outil nécessaire mais insuffisant contre les manipulations de l’information

L’investissement dans la vérification des faits et la visibilité des contenus fiables est une étape essentielle. Il s’agit d’outils cruciaux pour corriger les récits faux ou trompeurs et pour armer les citoyens avec des informations exactes. Le soutien aux réseaux de fact-checkers renforce l’écosystème de l’information indépendante, un pilier de la démocratie. Cependant, cette approche, bien que fondamentale, reste largement réactive. Elle s’attaque aux symptômes de la désinformation une fois qu’elle est déjà en circulation, plutôt qu’à ses causes profondes. Le défi n’est pas seulement de corriger les faits, mais de comprendre pourquoi et comment la désinformation prend racine et se propage si efficacement, et de développer des stratégies qui anticipent et neutralisent ces mécanismes.

La comparaison internationale : au-delà de la réaction en tant que pompier, développer en architecte l’esprit critique

À l’échelle mondiale, les stratégies les plus efficaces face à la désinformation vont au-delà de la simple correction. Elles intègrent une approche multidimensionnelle qui combine la lutte contre la désinformation avec une communication proactive, transparente et axée sur la confiance. Des pays comme le Canada ou les nations scandinaves ont mis l’accent sur l’éducation aux médias dès le plus jeune âge, l’intégrant aux programmes scolaires pour développer l’esprit critique des futurs citoyens. D’autres juridictions ont exploré des modèles de collaboration plus poussée avec les plateformes numériques, non seulement pour la modération de contenu, mais aussi pour la transparence des algorithmes et la lutte contre les opérations d’influence étrangère. Les meilleures pratiques soulignent également l’importance de construire des récits positifs et engageants autour des valeurs et des actions démocratiques, plutôt que de se contenter de démentir les narratifs hostiles. Ces approches posent une question fondamentale : comment l’UE peut-elle passer d’une logique de « pompier » de l’information à celle d’architecte d’un espace informationnel résilient et basé sur la confiance ?

L’approche actuelle de l’UE : une portée limitée face à l’ampleur du défi

En comparaison, l’approche actuelle de l’UE, telle qu’illustrée par les financements mentionnés, semble encore trop centrée sur les aspects techniques et correctifs de la lutte contre la désinformation. Le montant de 5 millions d’euros, bien que significatif en soi, paraît modeste face à l’ampleur du défi et aux sommes colossales investies dans la propagation de la désinformation par des acteurs étatiques comme la Russie ou la Chine ou non étatiques malveillants. De plus, l’accent mis sur la visibilité des contenus vérifiés, bien qu’important, dépend fortement de la coopération des plateformes, un domaine où l’UE a certes fait des progrès réglementaires (avec le Digital Services Act, par exemple), mais où la mise en œuvre et l’efficacité restent des défis constants. La question se pose : ces mesures, bien intentionnées, sont-elles à la hauteur de la menace systémique que représente la désinformation pour la cohésion et la légitimité de l’UE ?

Repenser la communication pour l’agenda institutionnel futur

Pour l’agenda institutionnel futur de l’UE, il est impératif de repenser la communication stratégique dans une perspective plus large et plus proactive. Pour les spécialistes et experts, cela signifie reconnaître que la lutte contre la désinformation est indissociable d’une stratégie de communication globale qui renforce le lien entre les institutions européennes et les citoyens. Cela implique d’investir massivement dans l’éducation aux médias, non pas comme un projet ponctuel, mais comme une composante structurelle des systèmes éducatifs nationaux, avec le soutien et la coordination de l’UE. Cela nécessite également de développer une capacité de communication proactive capable de raconter l’histoire de l’Europe, d’expliquer ses politiques et ses valeurs de manière claire, accessible et engageante pour le grand public. Comment l’UE peut-elle devenir une source d’information et de récits de confiance, capable de rivaliser dans un environnement informationnel saturé et souvent hostile ?

La perception du public : au-delà des faits, la confiance dans les récits

La perception du grand public est façonnée non seulement par les faits, mais aussi par les émotions, les récits et la confiance. Une communication stratégique efficace doit donc parler à ces différents niveaux. Elle doit être transparente sur les défis, mais aussi inspirante sur les réussites et le potentiel de l’UE. Elle doit utiliser une diversité de canaux et de formats, adaptés aux différentes audiences, y compris ceux qui sont les plus susceptibles d’être exposés à la désinformation. Le véritable défi réside dans la capacité de l’UE à construire une relation de confiance durable avec ses citoyens, en étant perçue non pas comme une entité distante et bureaucratique, mais comme un acteur pertinent et bénéfique dans leur vie quotidienne.

Vers une véritable stratégie de résilience informationnelle proactive ?

Les récentes initiatives de financement de l’UE sont un pas dans la bonne direction, reconnaissant la menace que représente la désinformation. Cependant, pour construire une résilience durable et renforcer la confiance dans le projet européen, l’UE doit adopter une stratégie de communication plus ambitieuse, proactive et intégrée. Cela implique un investissement accru, une collaboration renforcée avec tous les acteurs concernés (éducation, société civile, plateformes) et, surtout, une volonté politique forte de faire de la communication stratégique une priorité transversale, comprise et soutenue par les experts comme par le grand public. C’est à ce prix que l’Europe pourra non seulement contrer la désinformation, mais aussi affirmer son récit dans un monde de plus en plus complexe et contesté, en construisant une véritable souveraineté informationnelle basée sur la confiance et l’engagement citoyen.

Manipulation et polarisation de l’opinion : de la vulnérabilité numérique en Europe à la souveraineté narrative de l’Union européenne

L’Union européenne se trouve à la confluence de défis informationnels sans précédent. Le rapport 2025 de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sonne l’alarme sur les tensions croissantes exercées sur nos valeurs démocratiques, notamment par la désinformation et la manipulation en ligne lors des processus électoraux récents.

Parallèlement, l’analyse percutante de l’Observatoire du Long Terme sur la « Manipulation et polarisation de l’opinion » dissèque avec une précision chirurgicale les mécanismes par lesquels le numérique est instrumentalisé contre nos démocraties, proposant aussi des pistes pour « sortir du chaos ».

Face à cette « infodémie » persistante, qui exacerbe les tensions et mine la confiance citoyenne, l’UE ne peut se contenter d’une posture réactive. Il est impératif d’inaugurer une nouvelle ère de communication proactive, résiliente, ancrée dans nos valeurs fondamentales, et capable de projeter une souveraineté narrative européenne.

Diagnostic partagé : une démocratie européenne sous pression informationnelle

Les constats des rapports de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE et de l’Observatoire du Long Terme convergent :

  1. L’intégrité électorale est menacée : Le rapport de l’Agence souligne l’impact délétère de la désinformation, des discours de haine et des ingérences étrangères sur les élections européennes et nationales de 2024. La régulation de la sphère en ligne, bien qu’initiée avec le Digital Services Act (DSA), peine encore à endiguer ces flux toxiques, comme l’illustrent les exemples de manipulations algorithmiques et d’astroturfing détaillés par l’Observatoire (cf. l’exemple de la présidentielle roumaine).
  2. Les droits fondamentaux sont érodés : Au-delà des élections, c’est l’ensemble des droits fondamentaux qui est mis à l’épreuve. La montée du racisme, de la xénophobie, des violences faites aux femmes, et les risques liés à l’intelligence artificielle non maîtrisée, sont autant de symptômes d’un espace public numérique où la manipulation émotionnelle prime souvent sur le débat rationnel.
  3. La confiance citoyenne est en berne : L’Observatoire met en lumière comment la « sous-information » et la « production excessive de fausses informations » créent un « vide » que la rumeur numérique exploite, sapant la confiance dans les institutions, les médias traditionnels (MJD – Médias de Journalisme à code de Déontologie) et même la science. Cette défiance est un terreau fertile pour la polarisation et l’action des « ingénieurs du chaos ».
  4. Les vulnérabilités aux ingérences étrangères : Les deux rapports, implicitement ou explicitement, pointent la sophistication croissante des opérations d’influence étrangères, qui exploitent nos libertés pour instiller le doute, diviser et affaiblir le projet européen. L’affaire des « étoiles de David » ou les campagnes autour des punaises de lit, analysées par l’Observatoire, en sont des illustrations préoccupantes.

Recommandations pour une souveraineté narrative européenne

Les rapports de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) et de l’Observatoire du Long Terme (OLT) ne se contentent pas d’un diagnostic ; ils esquissent, chacun avec ses spécificités, des voies d’action concrètes. Leur mise en œuvre conjointe et coordonnée est la clé pour passer d’une Europe informationnellement vulnérable à une Europe narrativement souveraine.

A. Régulation renforcée et application rigoureuse des cadres existants

  • Passage à l’échelle de la supervision : L’application effective du DSA et de l’AI Act implique un changement d’échelle majeur pour les régulateurs nationaux et européens. Cela nécessite des investissements conséquents en expertise technique (IA, algorithmique), juridique et en ressources humaines pour des entités comme l’ARCOM, Viginum, et potentiellement de nouveaux acteurs, comme un « Défenseur des droits d’expression et de la société numérique ».
  • Bras de fer potentiel avec les plateformes et diplomatie numérique : L’accès aux données et la transparence algorithmique restent des points de friction majeurs. L’UE doit se préparer à des contestations juridiques et à des stratégies de contournement, nécessitant une volonté politique sans faille et une coordination avec les États-Unis.
  • Définition de la « responsabilité » : Ces régulations déplacent le curseur du simple hébergement vers une responsabilité éditoriale accrue des plateformes pour les risques systémiques, ce qui a des implications financières et opérationnelles.

B. Fortification de l’écosystème informationnel européen

  • Lutte contre le « vide informationnel » en investissant dans la qualité : Reconnaître que l’information de qualité est un bien public essentiel à la démocratie. Cela implique des politiques publiques volontaristes pour assurer la viabilité économique du journalisme indépendant et diversifié par des mécanismes de financement indirects (taxation des plateformes, partage de revenus publicitaires) et par une labellisation claire pour les distinguer des « quasi-médias ».
  • Éducation aux médias et à l’information comme priorité sociétale : Un pilier de l’éducation citoyenne, de l’école à la formation continue, pour développer l’esprit critique face à la surabondance d’informations et aux manipulations.
  • Rôle des institutions publiques : Les institutions (universités, académies, services publics) doivent assumer un rôle proactif d’information du public sur leurs domaines de compétence, en particulier sur les sujets complexes ou controversés.

C. Communication proactive et capacités de contre-désinformation de l’UE

  • Souveraineté narrative active : L’UE doit développer ses propres narratifs, basés sur ses valeurs et ses réalisations, et les diffuser activement sur la scène mondiale, plutôt que de se contenter de réagir aux narratifs hostiles.
  • Capacités de renseignement informationnel : Nécessité de renforcer les capacités de veille et d’analyse des menaces informationnelles (type Viginum, mais à l’échelle européenne et avec des moyens accrus), en y intégrant l’analyse prédictive basée sur l’IA et des capacités robustes pour anticiper, détecter, analyser et contrer ces menaces.
  • Doctrine de réponse graduée : Élaborer des protocoles clairs pour répondre aux campagnes de désinformation, allant de la simple correction factuelle à des mesures de rétorsion (sanctions, contre-discours ciblés), tout en respectant la liberté d’expression.

D. Autonomisation des citoyens et protection renforcée de leurs droits numériques

  • Citoyenneté numérique active : Passer d’une vision du citoyen comme simple consommateur d’information à celle d’un acteur responsable et critique de l’espace numérique disposant de plus de contrôle sur leur environnement numérique (filtrage de la négativité, « notes de communauté », transparence des algorithmes et du ciblage).
  • Défis techniques et éthiques pour les plateformes : L’implémentation de contrôles utilisateurs granulaires et d’une modération plus engageante représente un défi technique et un changement de philosophie pour les plateformes.
  • Équilibre délicat : La question du pseudonymat régulé soulève des questions complexes d’équilibre entre protection de l’anonymat légitime et lutte contre les abus.
  • Justice et réparation : Des mécanismes de plainte efficaces et accessibles, tant au niveau des plateformes qu’au niveau institutionnel, sont cruciaux pour que les citoyens dont les droits sont bafoués puissent obtenir réparation.

E. Adaptation technologique et encadrement éthique de l’intelligence artificielle

  • Course technologique : La lutte contre la désinformation générée par IA nécessitera des contre-mesures basées sur l’IA (détection, authentification de contenus) et des outils positifs (ContextBot, pop-ups de « Nétiquette 2.0 »).
  • Gouvernance mondiale de l’IA : L’UE doit continuer à promouvoir son modèle de régulation éthique de l’IA au niveau mondial pour éviter une course vers le bas.
  • Prévention de la « pollution informationnelle » : Le risque de saturation de l’espace public par des contenus IA de faible qualité ou malveillants est réel et nécessite des stratégies de curation et de valorisation de l’information humaine de qualité.

L’heure n’est plus aux constats alarmistes mais à l’action résolue. Il ne s’agit pas seulement de protéger nos démocraties, mais de projeter un modèle qui allie liberté, responsabilité et respect des droits fondamentaux afin de « sortir du chaos informationnel » actuel et de bâtir une souveraineté narrative européenne, indispensable à notre autonomie stratégique et à l’avenir de notre projet commun.

Comment inspirer une vision proactive où l’UE renforce sa cohésion interne et son rayonnement global, en transformant les défis en opportunités de leadership ?

Dans un monde marqué par des transitions géopolitiques rapides, des crises économiques persistantes et des défis technologiques émergents, l’UE doit cultiver un narratif inspirant, ancrée dans des faits vérifiés et une approche critique. Malgré les difficultés, quels développements positifs actuels, en s’appuyant sur des données récentes comme les enquêtes Eurobaromètre, peuvent inspirer une vision proactive où l’UE renforce sa cohésion interne et son rayonnement global, en transformant les défis en opportunités de leadership ?

Une confiance accrue dans les institutions européennes : un fondement solide pour l’avenir

Les dernières enquêtes Eurobaromètre du printemps 2025 révèlent une dynamique positive dans la perception des citoyens envers l’UE, marquant la poursuite d’un tournant encourageant qui traduit un fossé croissant entre les élites de plus en plus critiques et des peuples plus favorables à l’intégration européenne, quoique les Français soient toujours parmi les moins convaincus. Au printemps 2025, 52 % des Européens expriment une confiance envers l’Union européenne, le niveau le plus élevé depuis 2007. De même, la confiance envers la Commission européenne atteint 52 %, un record en 18 ans.

Ces chiffres ne sont pas anodins : ils reflètent une résilience institutionnelle face aux turbulences récentes, comme les tensions géopolitiques et les pressions économiques. Par ailleurs, 75 % des citoyens se sentent « citoyens de l’UE », un record sur plus de 20 ans, et 62 % sont optimistes quant à l’avenir de l’Union. Ces indicateurs soulignent une légitimité renforcée, essentielle pour des réformes institutionnelles ambitieuses, telles que celles envisagées dans le programme de travail de la Commission pour 2025, qui inclut une stratégie pour la société civile européenne.

Critiquement, ces progrès ne masquent pas les défis : l’économie et la sécurité dominent les préoccupations, reléguant le climat plus bas dans les priorités, selon l’enquête réalisée lors du dernier scrutin européen en 2024. Pourtant, 73 % des Européens estiment que leur pays a bénéficié de l’adhésion à l’UE, citant la paix, la coopération entre États membres et la croissance économique comme principaux atouts. Cette perception positive, vérifiée par des données, contraste avec des narratifs populistes et invite à une communication stratégique plus affirmée pour consolider ces gains.

Comparativement, aux meilleures pratiques mondiales, l’UE peut s’inspirer des approches innovantes comme celles de la Suisse, dont la stratégie de communication à l’étranger 2025-2028 met l’accent sur une promotion cohérente de l’image nationale via des partenariats multilatéraux. Aux États-Unis, les campagnes fédérales intègrent l’IA pour personnaliser les messages, une tendance que l’UE pourrait adopter pour amplifier sa voix, comme le suggèrent les tendances globales de 2025 en communication : data storytelling et humanisation des marques. L’UE excelle déjà dans ses task forces de communication stratégique au sein de l’EEAS, mais un alignement plus étroit avec ces pratiques pourrait élever son influence, en évitant les pièges observés dans ses échanges avec la Chine, où une communication réactive cède trop de terrain narratif.

Soutien à l’élargissement et à la défense commune : des piliers de stabilité géopolitique

L’actualité récente met en lumière des avancées politiques prometteuses, notamment en matière d’élargissement et de sécurité. Selon l’Eurobaromètre spécial consacré aux élargissements de septembre 2025, 56 % des citoyens soutiennent un élargissement futur de l’UE, avec un appui particulièrement fort chez les jeunes (deux tiers des 15-39 ans). Les bénéfices perçus – influence globale accrue, marché élargi pour les entreprises, emplois et sécurité renforcée – renforcent l’idée d’une UE dynamique et inclusive. Dans les pays candidats, le soutien reste élevé, comme en Albanie (91 %) ou en Ukraine (68 %), témoignant d’une attractivité persistante de l’UE malgré les défis.

Sur le plan institutionnel, 81 % des Européens plaident pour une politique de défense et de sécurité commune, et 68 % souhaitent un rôle accru de l’UE face aux crises internationales. Ces chiffres illustrent une convergence, comme le suggère le think tank Bruegel vers « Thinking European first and its implications » favorisant une unification politique plus profonde. De plus, 85 % des citoyens lient les fonds UE au respect de l’État de droit, renforçant la crédibilité institutionnelle.

L’approche de l’UE en matière d’élargissement et de défense pourrait davantage s’aligner sur les meilleures pratiques des alliances comme l’OTAN, qui intègrent une communication stratégique pour bâtir la confiance. Critiquement, bien que des divisions persistent, comme le souligne le rapport Munich Security 2025, pour lequel l’UE se trouve dans « A Perfect Polar Storm », l’UE démontre une capacité à contrer les vents contraires par une intégration flexible.

Attentes économiques élevées : un appel à un budget commun pour transformer les défis en opportunités

Les données mettent en lumière des attentes économiques grandissantes qui ouvrent la voie à une intégration plus profonde et proactive : l’inflation, la hausse des prix et le coût de la vie dominent les priorités internes, surpassant même la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Dans un contexte de crises mondiales, l’économie est là encore davantage perçue comme le talon d’Achille  de l’UE, alors que les élites le présentent comme son point fort – les citoyens sont encore frustrés par les résultats et ils attendent un leadership économique renforcé.

Pour la première fois interrogés sur le budget pluriannuel de l’UE (MMF), les citoyens expriment une vision claire et ambitieuse que de plus en plus de projets doivent être financés collectivement par l’UE plutôt que par les États membres individuellement, de manière consensuelle qui transcende les clivages. Là encore, une maturité citoyenne, où les Européens, bien que mal informés sur les détails du MMF, perçoivent intuitivement le besoin d’une solidarité financière accrue pour atténuer l’inflation et le coût de la vie. 

En reliant ces attentes à la cohésion interne, l’UE peut forger un narratif où un budget commun n’est plus perçu comme une contrainte, mais vraiment comme un outil de leadership, protégeant les citoyens tout en boostant le rayonnement global.

Inspirer l’action pour une UE leader mondial

Les données actuelles peignent un tableau optimiste : une confiance record, un soutien à l’élargissement et à la défense positionnent l’UE comme un modèle de résilience. En adoptant des meilleures pratiques tout en restant vigilant face aux divisions, l’UE peut transformer ces avancées en un leadership inspirant. Imaginons une Europe où chaque citoyen, armé de faits, contribue à un narratif collectif de progrès. C’est le moment d’agir : renforçons nos communications stratégiques pour un avenir où l’UE non seulement survit, mais rayonne, c’est possible.

La « défense psychologique », nouvelle arme technologique de lutte contre les manipulations de l’information

La possibilité imminente d’une seconde présidence quasi-impériale de Trump combiné au techno-populisme d’Elon Musk, sans oublier l’escalade des tactiques de guerre de l’information employées par des pays comme la Chine, l’Iran et la Russie, nécessite une stratégie holistique de « défense technologique » pour l’Union européenne. S’appuyant sur l’analyse de David Colon, enseignant et chercheur en histoire à Sciences Po, dans « La « défense psychologique » face aux manipulations de l’information », publiée dans la Revue Défense Nationale, à quoi cela pourrait-il correspondre ?

Le modèle suédois de la défense proactive et psychologique

La création d’une Agence suédoise de défense psychologique sert de modèle. Elle est chargée de protéger « la société ouverte et démocratique, et la libre formation d’opinions en identifiant, analysant et répondant aux influences inappropriées et autres informations trompeuses dirigées contre la Suède ou les intérêts suédois ».

Son objectif est « d’identifier, d’analyser et de répondre aux influences inappropriées et autres informations trompeuses » et souligne la nécessité d’une approche préventive, mettant l’accent sur la pensée critique et l’éducation aux médias.

Ses tâches comprennent la sensibilisation à la menace informationnelle, le développement de méthodes et de technologies permettant d’identifier et de contrer les ingérences informationnelles, la formation des journalistes et des institutions, ainsi que le financement de recherches liées à la défense psychologique.

Cette position proactive est essentielle pour construire une « immunité » sociétale aux campagnes de désinformation. La conception suédoise de la défense psychologique repose sur la résilience, l’analyse de la menace, la dissuasion et la communication stratégique.

Les nouvelles armes psychologiques de lutte contre les manipulations de l’information

Dans son papier, David Colon mentionne les travaux de Jon Roozenbeek et Sander van der Linden qui proposent un état des lieux des interventions visant à lutter à l’échelle individuelle et sociétale contre la désinformation.

D’abord des mesures destinées à renforcer les capacités des citoyens à résister à la désinformation :

  • Boosting, l’éducation aux médias et à l’information, le renforcement de l’esprit critique
  • Prebunking, la réfutation par anticipation une technique préventive de lutte contre la manipulation de l’information consistant à créer des « anticorps mentaux » en aidant le public à identifier et à réfuter par anticipation des récits faux et trompeurs de façon à l’immuniser contre les effets de campagnes de désinformation

Ensuite les nudges, ces incitations indirectes intégrées au design des pages Web et destinées à inciter les gens à se détourner de la désinformation en apportant des changements à l’architecture de leurs choix sur les médias sociaux et de dispositifs d’étiquetage des contenus (content labelling).

Enfin Debunking et Fact-Checking, dont l’efficacité est bien établie empiriquement.

Les nouvelles perspectives avec l’IA générative pour mettre en place rapidement et à grande échelle des mesures de « défense psychologique »

David Colon souligne le potentiel de l’IA pour étendre ces efforts. Il cite des exemples de chercheurs ayant testé avec succès à l’été 2024 le Prebunking assisté par IA générative de pré-démystification assistée par l’IA qui ont réussi à réduire la croyance en la désinformation liée aux élections et à accroître la confiance des électeurs. Les dialogues alimentés par l’IA se sont également avérés efficaces pour réduire les croyances en matière de complot. L’IA générative a été mise à profit pour identifier dans de vastes données comportementales d’utilisateurs de X-Twitter les facteurs psychologiques associés aux croyances dans les théories du complot.

En substance, se préparer au second mandat de Trump et à la guerre de l’information en cours nécessite que l’UE adopte une stratégie globale de « défense technologique » impliquant non seulement de renforcer les capacités de réflexion critique des citoyens, mais aussi de tirer parti des technologies de pointe comme l’IA pour contrer de manière préventive la désinformation, identifier les vulnérabilités et renforcer la résilience de la société, avec l’engagement des pouvoirs publics, des élus, de la communauté scientifique, des médias et de tous ceux qui veulent défendre la liberté cognitive, qui nous permettra de nous immuniser.

Exode informationnel et apathie européenne des Français : comment rallumer une flamme européenne vacillante ?

En cette période de nouvelle année, plutôt que de formuler des vœux, visons plus des résolutions : être résolu à regarder la réalité, même si cela peut être de plus en plus difficile à décrypter et être résolu à chercher des solutions réelles, c’est d’ailleurs la promesse de Lacomeuropéenne depuis son lancement et l’engagement que nous renouvelons pour 2025.

L’exceptionnalisme eurosceptique français : un État-membre qui se désolidarise

Une récente étude menée par Cluster17 pour Le Grand Continent : « Que pensent les Européens ? » dans cinq pays étudiés (France, Allemagne, Italie, Espagne et Belgique) révèle une tendance préoccupante : une fracture croissante au sein de l’Europe sur des questions clés, la France se distinguant souvent par des positions plus eurocritiques. « Deux tiers des répondants se disent favorables à l’Union tout en souhaitant « de grands changements » dans sa manière de fonctionner. » Ce désir de changement est particulièrement prononcé en France, où l’euroscepticisme est plus marqué que dans les autres pays étudiés. « La France est, sur cette question comme sur presque toutes les autres, le pays le plus sceptique à l’égard des bénéfices de l’Union. »

L’étude souligne également un point crucial : « La question européenne divise même au sein des électorats radicaux. » Si le sentiment anti-UE alimente le soutien aux partis radicaux, ces mêmes électorats sont divisés sur la question de l’intégration européenne. Ce conflit interne entrave la capacité de ces partis à capitaliser sur l’euroscepticisme et offre une opportunité – jusqu’à combien de temps ? – aux forces pro-européennes de consolider un soutien en déclin.

L’exode informationnel : une nation qui se déconnecte

À la difficulté posée par une Europe fracturée s’ajoute un désengagement croissant vis-à-vis de l’information elle-même en France. L’étude « L’exode informationnel » publiée par la Fondation Jean Jaurès révèle une nation aux prises avec le déluge informationnel, ce qui entraîne une fatigue et une méfiance généralisées. « 54% des Français se déclarent fatigués de l’information, 39% apparaissent même « très » fatigués », qui conduit à un sentiment de saturation et à une incapacité à établir des priorités. « Plus de huit Français sur dix ont l’impression de voir tout le temps les mêmes informations. »

Cette fatigue engendre la méfiance, beaucoup ayant le sentiment d’être manipulés et incapables de distinguer les faits de la fiction. « Plus d’un Français sur deux confie qu’il a désormais du mal à distinguer ce qui est une vraie information de ce qui est une fausse information. » Cette érosion de la confiance crée un vide, facilement comblé par des sources alternatives, qui propagent souvent de la désinformation et des théories du complot. L’étude révèle que « plus d’un quart des Français (27% précisément) se montrent perméables à la mécanique complotiste ».

Le prix de l’apathie : une menace pour l’intégration européenne

La conséquence la plus inquiétante de cet exode informationnel est peut-être le sentiment d’impuissance généralisé. « 80% des Français disent « se sentir impuissants face aux évolutions du monde » et 83% avouent « se désespérer de l’être humain lorsqu’ils regardent les actualités. » Ce sentiment d’impuissance alimente le désengagement, conduisant nombre d’entre eux à se retirer complètement de l’espace public. L’étude identifie cinq profils distincts de citoyens français dans leur relation à l’information, allant des « submergés », accablés par le déluge, aux « détachés », qui l’évitent activement – autant de catégories qui fonctionneraient parfaitement pour comprendre la relation des Français avec l’Europe.

Un appel à l’action : raviver la flamme européenne avec « Faut qu’on parle d’Europe »

La convergence de ces deux tendances – un euroscepticisme croissant et une nation qui se déconnecte – représente un danger pour l’avenir de l’intégration européenne. L’apathie et le désengagement sont un terreau fertile pour les mouvements nationalistes et populistes, menaçant de détricoter le tissu même du projet européen.

L’initiative « Faut qu’on parle » lancée conjointement par La Croix et Brut offre un modèle prometteur pour relever ce défi. L’idée est simple : réunir des personnes ayant des points de vue opposés pour des conversations en face à face, favorisant l’empathie et la compréhension. Adapter ce modèle aux questions européennes – « Faut qu’on parle d’Europe » – pourrait constituer un puissant antidote à l’exode informationnel et à l’apathie croissance en matière européenne. Il s’agirait de réunir des citoyens français d’horizons divers pour discuter de leurs espoirs et de leurs craintes quant à l’avenir de l’Union, à une échelle individuelle pour privilégier une vraie expérience convaincante, à défaut de campagnes à plus grande échelle.

Il ne s’agit pas simplement de fournir davantage d’informations ; il s’agit de créer des espaces de dialogue significatif, où les gens peuvent s’écouter, remettre en question leurs préjugés et trouver un terrain d’entente. Il s’agit de restaurer la confiance et de favoriser un sentiment d’appropriation collective du projet européen.

Face aux signaux d’alarme de la dégradation de la relation des Français à l’Europe, renforcée par l’exode informationnel nous devons agir maintenant pour raviver la flamme européenne avant qu’elle ne vacille et ne s’éteigne.