Face à une conjoncture de changements géopolitiques, de crises transnationales et de complexités internes, l’UE n’est pas encore prête à accueillir de nouveaux membres, que ce soit sur le plan institutionnel ou politique. Dans ce contexte, un groupe de travail franco-allemand sur les réformes institutionnelles de l’UE soumet un rapport intitulé « Naviguer en Haute Mer : Réformer et Élargir l’UE pour le 21e Siècle », leaké par Politico Europe contenant des recommandations visant à atteindre trois objectifs : renforcer la capacité d’action de l’UE, préparer l’élargissement de l’UE et renforcer l’État de droit et la légitimité démocratique de l’UE.
Mieux protéger un principe fondamental : l’État de droit
Sur la conditionnalité budgétaire, faire du mécanisme de conditionnalité liée à l’État de droit un instrument de sanction des violations de l’État de droit et, plus généralement, des violations systématiques des valeurs européennes ; en cas de désaccord, étendre le champ de la conditionnalité budgétaire à d’autres comportements préjudiciables au budget de l’UE et introduire la conditionnalité pour les fonds futurs.
Répondre aux défis institutionnels : les domaines clés de réforme
Rendre les institutions de l’UE prêtes à l’élargissement, ce qui signifie que pour le Parlement européen, respecter la limite de 751 députés ou moins et adopter un nouveau système d’attribution des sièges ; pour le Conseil de l’UE, étendre le format trio à un quintet de présidences, chacune couvrant la moitié d’un cycle institutionnel, et pour la Commission, réduire la taille du Collège ou faire la distinction entre les « Commissaires principaux » et les « Commissaires », avec potentiellement seulement les « Commissaires principaux » ayant le droit de vote au sein du Collège.
Pour une meilleure prise de décision au sein du Conseil, généraliser le vote à la majorité qualifiée (QMV), c’est-à-dire transférer toutes les décisions « politiques » restantes de l’unanimité au QMV, sauf pour les domaines de la politique étrangère, de la sécurité et de la défense, et pour rendre le QMV plus acceptable, créer un « filet de sécurité de souveraineté », rééquilibrer le calcul des parts de vote en QMV et offrir une option de retrait pour les domaines de politique transférés en QMV.
Pour la démocratie au niveau de l’UE, harmoniser les lois électorales de l’UE, le Conseil européen et le Parlement européen doivent convenir avant les prochaines élections du Parlement européen de la manière de nommer le Président de la Commission par le biais d’un accord interinstitutionnel.
Pour la démocratie participative, les instruments participatifs existants doivent être étroitement liés à la prise de décision de l’UE, les panels de citoyens doivent être institutionnalisés avec une grande visibilité pour accompagner les choix majeurs et un nouvel Office indépendant de la Transparence et de la Probité doit être chargé de surveiller les activités de tous les acteurs travaillant au sein des institutions de l’UE ou pour elles.
En termes de pouvoirs et de compétences, renforcer les dispositions sur la manière de faire face aux développements imprévus et créer une « Chambre commune des plus hautes juridictions et tribunaux de l’UE » pour un dialogue non contraignant entre les cours européennes et les cours des États membres.
Pour les ressources de l’UE, augmenter le budget de l’UE au cours de la prochaine période budgétaire à la fois en taille nominale et par rapport au PIB, avec de nouvelles ressources propres pour limiter l’optimisation fiscale, l’évasion fiscale et la concurrence au sein de l’UE, ainsi que des décisions budgétaires transférées au QMV pour les dépenses, une révision approfondie des dépenses pour réduire la taille de certaines catégories de dépenses et en augmenter d’autres, permettre à l’UE d’émettre de la dette commune, et à l’avenir, pour chaque cycle institutionnel (mandat du PE) définir un budget européenne, le cadre financier pluriannuel CFP sur cinq ans.
Approfondissement et élargissement de l’UE
Même si l’UE dispose déjà de divers mécanismes de différenciation nécessaires pour accommoder les préférences diverses de plus de 30 États membres de l’UE, la différenciation a ses limites, en particulier en ce qui concerne l’État de droit et les valeurs fondamentales. Elle doit donc être utilisée sous certaines conditions : respect des règles et des politiques de l’UE, utilisation des institutions et des instruments de l’UE, ouverture à tous les États membres, partage des pouvoirs et des coûts entre les participants, et possibilité pour les États membres volontaires d’aller de l’avant.
Dans le cadre de la révision des traités, la différenciation devrait respecter les principes suivants : les clauses de retrait ne devraient être accordées que lorsqu’il s’agit d’approfondir l’intégration ou d’étendre le QMV, et les exemptions des valeurs fondamentales de l’UE ne devraient pas être autorisées.
La différenciation pourrait conduire à quatre niveaux d’intégration européenne, constitués d’un cercle intérieur (intégration approfondie dans des domaines tels que la zone euro et Schengen), de l’UE elle-même, d’un cercle plus large de membres associés, impliquant la participation au marché unique et l’adhésion à des principes communs, et enfin de la Communauté Politique Européenne (CPE), en tant que cercle extérieur de coopération politique sans avoir à être lié au droit de l’UE.
La manière de gérer le processus d’élargissement de l’UE est essentielle pour donner la possibilité aux pays candidats de s’adapter aux politiques et programmes spécifiques de l’UE. Fixer un objectif pour que les deux parties (UE et pays candidats) soient prêtes pour l’élargissement d’ici 2030. Diviser les cycles d’adhésion en groupes plus restreints de pays pour garantir une approche fondée sur le mérite et pour gérer les conflits potentiels, rendant ainsi le processus plus efficace, crédible et guidé politiquement.
Toutes ces recommandations vont faire débat, nécessiterons de prendre du temps, pour éventuellement parvenir à un consensus ; quand les faits risquent de s’imposer, l’anticipation s’exige.