Archives mensuelles : septembre 2020

Faut-il aussi un plan de relance pour la communication européenne ?

Plongée dans le chaos, la communication européenne, hoquetant au gré des décisions nationales de lutte contre la pandémie du Covid ou encore les négociations budgétaires entre les États-membres, a vu son crédit particulièrement endommagé cette année. Comment redonner un nouveau souffle ?

Contre les veilles recettes et les promesses au coin de la rue

Il ne s’agit plus de « vendre » l’idée d’Europe par une information de masse dont les publicitaires ou les médias, notamment télévisuels, maitrisaient tantôt la pratique. L’époque des mass-médias est largement morte et enterrée au profit d’un engagement permanent, avec le poids massif acquis par les médias sociaux.

La promesse jadis de placer les citoyens au cœur du débat européen est devenue en ligne une réalité quotidienne qui dépasse des institutions européennes qui doivent s’adapter en urgence.

Il ne s’agit plus de « promouvoir » les politiques européennes, chacune conduite séparément, mais bien de faciliter le débat partout en cours sur la pertinence de l’action, sur leur légitimité et sur leur utilité pour les nouvelles phases de « gouvernance » de l’Union européenne.

La promesse d’une énième conférence sur l’avenir de l’Europe, surtout sans innovation démocratique est un hochet d’un maniement sensible quand la crise gronde et que les solutions divergent.

Il ne suffit plus d’éduquer à l’Europe des citoyens mal informés, quand la circulation des informations et des fake news est exponentielle et que la croyance individuelle à détenir la vérité voir des vérités alternatives rabat violemment les cartes des connaissances sur l’Europe que des millions de citoyens s’approprient à leur manière, très différente de celle des connaisseurs de l’UE.

La promesse d’entendre les Européens dans leurs situations quotidiennes, idéalement de les écouter en les faisant participer à la préparation de l’action publique menée en leur nom est d’une actualité brulante.

Il ne suffit plus comme le font les institutions depuis quelques vingt ans, de persévérer dans des plans d’action pour une meilleure communication de l’Europe autour d’intentions bonnes de coordonner les activités de communication pour optimiser les efforts et mieux utiliser les moyens de communication.

La promesse de plans internes et d’objectifs de mutualisation ou de standardisation, voire d’auto-régulation n’est plus à la hauteur des enjeux technologiques et pédagogiques actuels.

Renoncer à ces vieilles recettes suggèrent que pour toucher le grand public, il est temps de faire une vraie relance de la communication européenne.

Une communication de l’Europe plus que jamais appelée à faire ses preuves

Aujourd’hui, le contexte mondial et les craintes sociales incitent à bouleverser les idées reçues sur la relation par laquelle les citoyens peuvent adhérer à un projet européen. Les temps de crises accentuent les doutes, les interrogations et les demandes d’explication sur les décisions. Les crises paraissent œuvrer pour une plus grande cohésion européenne, face à la gravité des situations. Mais – très vite – la disparité des intérêts déstabilisent la crédibilité des messages.

La principale problématique aujourd’hui de la communication européenne, c’est de retrouver du crédit, de devenir plus crédible auprès des ses parties prenantes en priorité du grand public plus généralement. Si le discours sur l’état de l’Union de la présidente de la Commission européenne donne une cohérence ponctuelle, l’activité quotidienne et les multiples effets d’annonces la réduisent en cendre. Il faut sans cesse renouveler l’effort de clarté, de lisibilité.

La distance entre l’UE et les citoyens est un autre serpent de mer. L’UE doit se reconnecter au réel, donc elle doit répondre davantage aux attentes de valeurs et ne peut plus être à l’écart des évolutions sociétales. Le sens doit diriger les prises de parole.

La surinformation, de la part des institutions européennes qui multiplient les communiqués paradoxalement crée chez les journalistes et ceux qui veulent de bonne foi suivre l’actualité de l’UE de l’anxiété, une sorte de débordement cognitif. Cette logique de « carpet bombing » est tout sauf une stratégie : plus on bombarde ses cibles, plus on risque par susciter le rejet, le dégoût. L’essentiel doit guider les propos.

La spécificité de la relation entre l’UE et les citoyens ou la communication européenne demeure trop de conviction, souvent curative, défensive, poussive et en fin de compte peu crédible n’est plus adaptée à l’ère numérique. Plus la communication est descendante, longue et fastidieuse, moins elle est consommée. Plus la proximité et l’intérêt humain sont présents, et plus l’attention sera captivée. En somme, les vertus cardinales de cette rentrée devraient être : sincères, authentiques, engagés et empathiques.

Face aux crises, il est urgent de repenser la communication européenne pour s’ouvrir et s’adapter à une authentique société de communication.

SOTEU2020 : « Unis dans la diversité, et l’adversité »

Premier discours sur l’état de l’Union de la nouvelle présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, l’exercice de communication européenne de la rentrée est globalement réussi avec des propos construits et fermes pour que l’UE soit le levier pour construire le monde dans lequel nous voulons vivre…

Synthèse du discours sur l’état de l’Union

Attendu par de nombreux observateurs et acteurs à Bruxelles après une première séquence des 100 jours qui n’avait pas suffisamment imprimé et une gestion de la pandémie chaotique, l’agenda politique de la Commission européenne devait être remis sur les rails pour redonner de la visibilité au programme de von der Leyen et lancer les prochaines législations de la mandature.

Construit autour d’une prise de parole structurée, raisonnablement ambitieuse compte-tenu du contexte et globalement tranchée sur des sujets sensibles, le discours de la président de la Commission européenne devrait servir de référence pour la suite de son mandat.

Premier pilier : « tenir les promesses de l’Europe », c’est-à-dire :

  • Protection des vies et des emplois ;
  • Stabilité de l’économie sociale de marché et ambition autour du salaire minimum ;
  • Opportunité avec une union de la santé, une agence R&D de la biomédecine avancée et une réforme de l’espace Schengen des libertés.

Deuxième pilier : « construire le monde dans lequel nous voulons vivre » :

  • D’une part, le pacte vert, donc l’engagement de réduction des émissions de CO2 à moins 55% en 2030 et 30% du plan de relance européen consacrés aux obligations vertes ;
  • D’autre part, la transition numérique avec plusieurs annonces : cloud européen, une identité électronique européenne sécurisée et les infrastructures.

Troisième pilier : « une nouvelle vitalité pour l’Europe dans un monde fragile »

  • D’abord, l’accent sur la coopération internationale, pour le vaccin contre la Covid, pour la réforme du système multilatéral ;
  • Ensuite, la fermeté pour les relations avec les puissances comme la Chine et les États-Unis mais encore pour ne prendre que quelques exemples le Brexit ou la crise en Bélarus ;
  • Enfin, l’ouverture sur les valeurs humanistes contre la haine, le racisme et les discriminations.

Réceptions et interprétations du « State of the European Union – SOTEU »

Petit florilège – non représentatif, mais significatif – de réactions à chaud à l’écoute du discours sur l’état de l’Union.

  • « Sur la forme, le discours a perdu la politisation insufflée par Juncker », pour Clémentine Forissier, Rédactrice en chef de Contexte.
  • « Tonalité sociale (salaire minimum), volontariste sur climat (nouveaux objectifs chiffrés + législations), ferme vis-à-vis Chine, Russie, ouvert aux USA, silencieux sur #MFF (sauf santé), prudent sur migration, très tiède sur Conf. futur Europe et affirmé sur sujets sociétaux », pour Sébastien Maillard, le patron du think tank Jacques Delors – Notre Europe.
  • « Discours important : de l’ambition, de l’émotion, de la projection, des idées, des propositions, de la fermeté. Exercice réussi. » pour le correspondant de l’AFP à Bruxelles Christian Spillmann.

A choisir pour trouver une dimension positive à relever, on pourrait dire que l’élément novateur par son importance comme trait de caractère et comme positionnement, c’est la fermeté. Ursula von der Leyen a tenu des propos fermes sur de nombreux sujets sensibles, que beaucoup auraient sans doute évité.

S’il fallait trouver un point de critique, on regrettera que la doctrine von der Leyen d’une Commission géopolitique n’ait guère été davantage précisée dans ce discours, comme dans ses précédentes interventions. Nous ne savons toujours pas vraiment comment comprendre cette idée de donner un prisme international à une construction européenne, pensée en chambre close et destinée aux seuls Européens, mais qui doit dorénavant se réaliser en prenant en compte le monde extérieur, à savoir le jeu diplomatique, commercial et sécuritaire des puissances, dont l’UE fait partie, ainsi que les enjeux globaux de régulation notamment numérique et de transformation notamment climatique.

A ce sujet, notons la réflexion d’Alexander Stubb de considérer les politiques publiques de l’UE (commerce, réglementation des techno, politique de concurrence et euro) comme de véritables instruments économiques de politique étrangère et de puissance géoéconomique.

En résumé, le premier discours sur l’état de l’Union est dans la tradition européenne plutôt dense, en privilégiant les policies sur la politics, ce qui lui vaudra absence aux JT de 20h et ce qui est plus nouveau assez ferme, une nouvelle marque de fabrique en devenir.

Comment raconter l’Europe ?

Parent pauvre dans l’actualité, l’information européenne – malgré les évolutions majeures de l’Europe – évolue marginalement en France. Comment comprendre cette situation préoccupante, grâce à une interview de Jean Quatremer publiée au cours de l’été ?

Le métier de journaliste à Bruxelles : pas un correspondant étranger, mais un rubricard

Jean Quatremer, journaliste à Libération, se définit comme un spécialiste de l’Europe dont le rôle est à la fois de faire la pédagogie de l’Europe à Bruxelles « expliquer en racontant des histoires » et en même temps de faire de l’investigation sur l’Union européenne : « montrer les dysfonctionnements », une autre forme de pédagogie.

Le journaliste européen se positionne plutôt, sans doute comme la plupart de ses confrères, comme un spécialiste de la politique européenne, pas de toutes les politiques de l’UE. Les sujets européens ont vocation à être traités par tous les journalistes : le correspondant bruxellois donne une vision européenne à des actualités qui sont traitées avec lui par les spécialistes sectoriels le tout en résonance avec le débat public national.

L’évolution du métier de journaliste européen, c’est le passage d’un rôle de suiveur de l’actualité imposée par les institutions européennes – aujourd’hui bien mieux maîtrisé par les nombreuses dépêches d’agences de presse – à un rôle de créateur d’événement afin d’imposer à l’agenda une affaire, au-delà des actualités incontournables. Se saisir des dysfonctionnements joue comme un révélateur du projet européen, de ses avancées et de ses limites.

La couverture médiatique de l’Europe en France : plutôt un problème d’offre que de demande

Le paysage médiatique est très différent selon le type de médias.

Du côté de la presse écrite, globalement l’information européenne est disponible – la presse écrite nationale dispose globalement de correspondants permanents à Bruxelles tandis que la presse régionale recours davantage aux pigistes.

En ligne, l’information européenne est abondante et de qualité dans les médias spécialisés.

Le problème se situe plutôt dans l’audiovisuel (radio et TV). Si Radio France peut assurer une couverture honnête, la 1e radio privée RTL ne dispose d’aucun correspondant, Europe 1 d’une journaliste qui pige pour plusieurs titres… Et c’est pire à la TV, ni TF1, ni aucune chaîne d’info en continu ne font travailler des spécialistes de l’Europe tandis qu’Arte, enfin, s’est doté d’un correspondant à Bruxelles.

Lorsque des personnalités européennes sont invitées à s’exprimer dans l’audiovisuel français, les questions porteront immanquablement sur la politique nationale française.

Résultat, les grandes chaînes TV restant la 1e source d’information pour les Français, ceux-ci se plaignent à juste titre d’être mal informés sur l’Europe, même s’ils ne font aucun effort pour corriger leur insatisfaction.

Le problème de la formation des journalistes à l’Europe

Certes, Jean Quatremer concède qu’on ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif, sous-entendu que les rédacteurs en chef ne ressentent pas le besoin de davantage parler d’Europe, en particulier à la télévision.

Mais, surtout les futurs ou jeunes journalistes ont des lacunes persistantes en matière de connaissances sur l’Europe, ses institutions et leurs fonctionnements ; pointant du doigt la formation dans les écoles de journalisme.

Pour comprendre l’Europe, il faut avoir étudié l’économie et le droit – deux matières qui sont les angles morts de la formation à la française.

Pour voir la vidéo intégrale :

Davantage d’information européenne dans les médias, à fortiori audiovisuels, ne pourra se faire sans une meilleure formation de tous les journalistes permettant de combler le déficit actuel.

Discours de la méthode de la politique européenne de Macron

Conseiller Europe à Bercy, puis lors de la présidentielle et ensuite à l’Élysée, le dorénavant Secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, Clément Beaune, partage un véritable discours de la méthode de la politique européenne mise en œuvre par le président de la République. Une lecture, dans la revue de l’IFI, passionnante et instructive…

Attentes croissantes des citoyens à l’égard de l’Europe : une réelle nouveauté minimisée

Attentif observateur des mouvements de l’opinion publique, les attentes croissantes des citoyens constituent un changement de paradigme important et inédit. Dorénavant, selon Clément Beaune, « les citoyens ne critiquent pas tant l’Europe pour son intrusion dans les compétences nationales que pour son inaction face aux défis communs. (…) Aujourd’hui, on s’attend à ce que l’Europe agisse, on la critique quand elle ne le fait pas, ou peu, ou tard ».

Ce besoin d’Europe est lié au fait que « désormais, tous les défis européens sont externes » et touchent au rapport de l’Europe au monde : migrations, protection des frontières, sécurité et défense, changement climatique, bouleversement numérique, mondialisation commerciale, santé…

Ce renversement de l’agenda européen des priorités des citoyens représente une opportunité et « dessine la matrice d’un projet européen qui doit revoir ses méthodes comme sa substance pour incarner une puissance ferme, rapide et audible dans un monde brutal que les Européens redécouvrent ».

Vision programmatique de la politique européenne de la France : la fameuse « souveraineté européenne »

Contre « le charme discret de la décadence » mélange de vraie « peur du déclin » et de faux « sentiment confortable de vivre en paix dans une bulle protectrice », le programme européen de Macron vise à « retrouver le sens du monde et le goût de l’avenir » afin que les Européens parlent le langage de la puissance sans perdre la grammaire de la coopération.

Afin de réconcilier l’Europe et les Européens, l’Europe politique doit se doter aujourd’hui de quatre attributs indispensables à toute communauté politique qui dure et s’affirme :

  • Des frontières claires : une révision de « la passion européenne de l’élargissement », des partenariats revus avec les puissances étrangères comme la Turquie et bien entendu un Brexit maîtrisé ;
  • Des institutions adaptées et efficaces : un cadre institutionnel unique avec des formats différenciés selon les sujets autour de « Trois Europe », celle des valeurs et du marché, celle des coopérations pragmatiques ad hoc et l’avant-garde du socle franco-allemand ;
  • Un agenda de puissance : indépendance industrielle, renforcement du marché intérieur (banque, finances, numérique) et lutte contre le dumping interne, nouveau logiciel de la politique commerciale et soutien à la démographie ;
  • Un sentiment d’appartenance : ni un luxe, ni une lubie « européiste », pourquoi pas rêver que le premier homme sur Mars sera européen »…

Avec honnêteté, Clément Beaune revient sur « la notion de souveraineté européenne, parfois mal comprise par nos partenaires de l’Union mais de plus en plus reprise » qu’il définit comme « la capacité à défendre ou promouvoir ses intérêts et ses valeurs ; ce que l’Europe n’ose encore ni faire ni penser sans quelque pudeur liée à son égarement colonial, à l’effondrement des guerres mondiales, à son expérience totalitaire. Pourtant, l’Europe « géopolitique », appelée de ses vœux par Ursula von der Leyen en particulier, est l’enjeu réel de la décennie qui vient : exister sur la carte ou subir la loi des autres. ».

Vadémécum de la démarche européenne de Macron

Présentée comme « une rupture méthodologique », la méthode européenne du président de la République repose sur 4 piliers :

  • Avant tout, le socle franco-allemand au-delà de la célébration ou de la confrontation, une relation de travail reposant sur la patience et la constance ;
  • Parler à tout le monde, un travail de réseau européen tous azimuts, en bilatéral ;
  • Un réinvestissement français dans les institutions européennes : suivi des nominations importantes et groupe politique au Parlement européen ;
  • Une stratégie de changement reposant sur la coopération quotidienne et l’interpellation régulière via des discours ou des interviews à la presse.

Avec Clément Beaune en homme de l’ombre puis sous la lumière médiatique au sein du gouvernement, la feuille de route européenne de la France est, comme rarement par le passé, théorisée et appliquée – reste à en attendre davantage de résultats.