Archives mensuelles : septembre 2018

Élections européennes et médias : comment les journalistes parlent d’Europe ?

Alors que la prochaine campagne électorale est dans toutes les têtes, notamment dans les rédactions, le défi de parler d’Europe dans ses 3 dimensions – le passé : l’héritage historique, l’espace géographique et la réalité culturelle ; le présent : la machinerie bruxelloise des institutions et des normes et le futur : projet politique voir de civilisation – n’est pas encore sur toutes les lèvres… Alors, à quoi faut-il s’attendre, selon quelques journalistes ?

Consensus intellectuel pour poser l’enjeu des élections européennes

A l’écoute de la Fabrique médiatique sur France Culture consacrée à notre sujet : « Les médias face aux élections européennes », l’un des défis majeurs plutôt consensuel, selon les journalistes, est de parvenir à faire en sorte de poser l’enjeu du scrutin autour de la mise en danger, de l’arrêt ou de la continuité du projet de l’Union européenne… « To be or not to be » pour reprendre les propos récents du Premier ministre. Sur ce point, le consensus semble important – quelques soient les arrière-pensées – pour dramatiser les élections européennes.

Accord déontologique pour discuter de fond, projets contre projets

A rebours d’un journalisme politique se contentant de faire la narration d’une course de chevaux entre les candidats : un récit de personnalités, de caractères, d’alliance ou de trahison, un accord se dessine pour placer le débat à hauteur de l’enjeu : projets contre projets : qu’il s’agisse de revenir à l’UE et ses politiques sans cacher les erreurs et les échecs ; des projets d’une Europe qui protège davantage, ce que veulent largement les peuples ou des valeurs communes qui dessinent des projets européens.

Difficultés professionnelles pour se positionner face à l’Europe

Comment échapper aux « routines » ?

Se contenter d’une mission d’information (raconter de manière objective les faits et distribuer équitablement la parole) ne permet pas d’éclairer pleinement les citoyens. En revanche, déconstruire les discours politiques de manière factuelle sans sombrer dans le jargon techno de l’UE peut redonner la liberté de choix et d’un vote éclairé aux électeurs.

Comment échapper aux « pièges » ?

Assumer son rôle d’éditorialiste selon Brice Couturier, doit viser à donner les clés de compréhension et d’action aux électeurs d’un système politique européen complexe sans sombrer dans le « parti des médias » dénoncés aux yeux d’électeurs qui finissent par voter contre les journalistes.

Conseils pratiques pour parler d’Europe

Éviter toute une série de chausse-trappes pour véritablement éclairer les citoyens, selon Sébastien Maillard, le directeur de l’Institut Jacques-Delors et ancien correspondant de La Croix à Bruxelles, interrogé dans l’émission Matière à penser consacrée à « Comment parler d’Europe en France ? »  :

Articuler la critique aux projets et les débats autour des institutions : la couverture médiatique de la campagne électorale doit permettre de distinguer entre les discussions autour du contrat de mariage (les traités) qui ne sont pas l’objet du scrutin et les options politiques pour des projets qui permettent aux citoyens de se réapproprier la construction européenne ;

Redécouvrir une vision collective de l’Europe au-delà des discours individuels et catégoriels permettant à la fois de discuter de la pertinence de l’échelle européenne selon les politiques publiques, de la force de normes communes sous la vigilance face aux transgressions liées aux valeurs et de répondre aux interrogations relatives à l’identité européenne.

Au total, pour les journalistes, la prochaine campagne électorale européenne doit permettre de mettre les cartes sur la table. Une seule question en définitive : les élections européennes de 2019 seront-elles les premières élections vraiment européennes ?

Pour la communication des Spitzenkandidaten aux élections européennes 2019 : « Try or die trying » !

Alors que la principale innovation de la campagne électorale européenne en 2014 portait sur les Spitzenkandidaten, des chercheurs Wouter van der Brug, Katjana Gattermann et Claes H. de Vreese ont analysés avec recul « How Different Were the European Elections of 2014? ». Une opportunité pour tenter d’instaurer un cercle vertueux entre la communication des Spizenkandidaten et la couverture par les médias audiovisuels…

Des Spitzenkandidaten pour lutter contre le statut de « second ordre » des élections européennes

Jusqu’à présent les élections européennes ont été considérées par la plupart des électeurs comme des élections de « second ordre », donc de moindre importance, donc avec une moindre participation, donc avec une moindre concentration des votes sur les partis principaux.

Les Spitzenkandidaten peuvent tenter de rompre la tendance des électeurs à s’éloigner des partis du gouvernement et à voter pour des petits partis, ce qui se traduit actuellement par une performance relativement médiocre des partis traditionnels et en particulier des partis au pouvoir, et un soutien accru aux petits partis radicaux.

Les Spitzenkandidaten peuvent tenter de rendre les électeurs plus conscients de l’importance des conséquences de leurs choix, ce que ni la lutte contre la crise économique et les mesures d’austérité imposées aux membres de la zone euro, ni les Spitzenkandidaten ne sont parvenus à réaliser lors des élections de 2014.

Les Spitzenkandidaten peuvent tenter de tendre à faire évoluer les motivations des électeurs pour favoriser le vote stratégique « voter avec la tête », plutôt que le vote dit sincère, tant positifs « voter avec le cœur » que négatifs « voter avec les pieds » qui tend à éparpiller les voix.

Des Spitzenkandidaten pour assurer une couverture médiatique de la campagne électorale européenne

Théoriquement, le rôle des Spitzenkandidaten vise à renforcer la personnalisation des campagnes et à rehausser l’enjeu du scrutin avec le fait que le pouvoir exécutif est en jeu en vue de changer la nature des élections du Parlement européen, c’est-à-dire de renforcer la contestation électorale, soit permettre un meilleur lien entre les préférences des électeurs et les coalitions au sein des institutions de l’UE, contribuant ainsi à surmonter le déficit démocratique de l’UE.

Lors du précédent scrutin en 2014, l’innovation des Spitzenkandidaten n’a pas été à la hauteur des espérances. Dès les procédures de sélection des candidats, les cinq grandes familles de partis politiques européens se sont largement appuyées sur les procédures décisionnelles existantes ou sur l’absence de règles spécifiques pour organiser des exigences de candidature, de décentralisation, d’inclusion, de sélection et de procédures de vote variables.

En 2019, ces procédures de sélection des Spitzenkanditaten devraient être davantage professionnalisées afin de moins passer inaperçues du public et surtout d’aiguiser la curiosité des médias européens, essentielle pour informer les citoyens européens sur les enjeux des élections européennes.

De même, lors des élections de 2014, l’analyse de la couverture de la campagne électorale dans plusieurs journaux et tabloïds indiquent que les Spitzenkandidaten étaient les plus visibles dans la presse allemande, suivis par la presse française, tandis que les journaux britanniques ne prêtaient guère attention aux Spitzenkandidaten. En règle générale, les journaux de qualité les mentionnaient plus souvent que les tabloïds. Cependant, les Spitzenkandidaten n’ont pas contribué de manière significative à une personnalisation de la couverture médiatique au cours des semaines précédant les élections européennes de 2014.

En 2019, la communication politique des Spitzenkandidaten doit tenter autant que possible d’intéresser les médias afin d’accroître l’ampleur et la pertinence des informations autour de la campagne afin de sensibiliser les citoyens de l’UE.

Tout particulièrement, les grands débats télévisés paneuropéens en Eurovision entre les Spitzenkandidaten des principales familles politiques européennes sont indispensables et doivent être plus attrayants pour intéresser les médias et les électeurs à travers l’Europe.

Face à la montée des thèses illibérales et à la pression des populismes, une issue possible se nomme Spitzenkandidaten pour tenter de contrer la vague auprès des électeurs – l’enjeu numéro un de la campagne sur le terrain et dans les médias.

Pour la communication politique aux élections européennes 2019 : « Fake it until you make it » !

Alors que le slogan du Parlement européen en 2014 annonçait « Cette fois, c’est différent », plusieurs chercheurs Wouter van der Brug, Katjana Gattermann et Claes H. de Vreese ont analysés avec recul « How Different Were the European Elections of 2014? ». Autant de leçons à tirer, en particulier pour les partis politiques, et les médias lors des prochaines élections européennes de 2019…

Les élections européennes : un cirque médiatique influencé par les partis « radicaux » ?

Les partis politiques doivent redoubler leurs efforts de mobilisation des citoyens car l’exposition à la couverture de l’UE par les médias induit des changements d’attitude à l’égard de l’UE et par voie de conséquence sur le comportement électoral aux élections européennes.

Ce n’est pas tant que les médias d’information jouent un rôle dans la formation de l’opinion publique sur l’UE, même s’il est prouvé que les citoyens relient leurs évaluations de l’UE au fil du temps aux contenus des médias d’information auxquels nous sommes exposés.

C’est surtout que les modèles de mobilisation partisane sur les questions européennes dans l’actualité en France sont inquiétants. En comparant les élections européennes de 2014 et de 2009, les efforts de mobilisation visibles dans les informations des partis contestataires affectent ceux des autres partis. Alors que la plupart des partis traditionnels et surtout des partis en place se mobilisent publiquement sur les questions européennes pendant les deux campagnes, les efforts de mobilisation des partis « radicaux » sont devenus plus visibles lors des élections de 2014. En outre, la visibilité des partis eurosceptiques présente des effets de contagion significatifs sur la visibilité des partis traditionnels dans les informations.

Autrement dit, la couverture médiatique des élections européennes est en partie conditionnée par la mobilisation partisane des extrêmes qui poussent et réussissent à mettre à l’agenda médiatique les sujets européens, notamment à cause de leur capacité à simplifier les enjeux – ce que certains médias audiovisuels ont déniés aux Spitzenkandidaten lors des dernières élections.

Les élections européennes : une machine à perdre pour les partis gouvernementaux ?

En ce qui concerne le choix du vote, une analyse des effets de l’actualité révèle que les problèmes de l’UE affectent le résultat électoral : plus les partis sont associés aux informations, comme par exemple en 2014 avec la crise de l’euro et la crise en Ukraine, moins ils obtiennent le soutien des électeurs.

Les élections européennes de 2019 auront lieu après une période où l’UE aura été beaucoup plus visible dans l’agenda des médias que lors des précédentes élections, non plus seulement pour une couverture consacrée au rôle international de l’UE ou aux développements économiques de l’UE, comme en 2014, où il s’agissait alors de sujets non régaliens qui ne sont pas nécessairement abordés lors de la campagne électorale.

Mais là encore, ce n’est pas les effets de l’exposition aux informations qu’il faut craindre, même si l’exposition à l’information sur l’UE peut se traduire par des évaluations de la performance de l’UE… tant qu’une partie non négligeable des citoyens de l’UE continue à se tourner vers les sources d’information traditionnelles.

Ce qu’il faut craindre, c’est que le fait d’être associé aux questions européennes est négativement associé au succès électoral, c’est-à-dire que l’UE est un sujet sur lequel les partis peuvent potentiellement perdre des voix.

L’histoire ne repasse pas les plats. Mais autant la situation en 2014 n’était finalement pas si différente des précédentes, ni l’introduction des Spitzenkandidaten, ni la politisation accrue autour de l’UE, n’ayant fait beaucoup pour changer la nature de « second ordre » des élections européennes, ce que confirment les résultats électoraux avec l’abstention et la relative bonne performance des grands partis européens ; autant la période actuelle, entre le Brexit, la contamination quasi générale au populisme en Europe et le glissement d’une crise économique à une crise identitaire ont rendu les affaires de l’UE beaucoup plus visibles, sur des enjeux qui comptent aux yeux du public et risquent ainsi de bouleverser le paysage politique au Parlement européen, si les électeurs prennent vraiment conscience de ce qui est enjeu.

Quelle Europe devrait-être communiquée ?

Au fur et à mesure que les crises européennes de basse et de haute intensité s’enchaînent (Brexit, migrants, illibéralismes, budgets de l’UE et de la zone euro…), l’impression indistincte s’installe que si l’on parle de plus en plus d’Europe, on en parle également de plus en plus mal. Alors, que devrait faire la communication européenne ?

La pédagogie de l’Europe par la preuve

En cette période de tensions, il n’est pas inutile de se rappeler que toutes les enquêtes d’opinion mesurent qu’une majorité des citoyens européens dans tous les États-membres se prononcent pour rester dans l’Union européenne et dans une moindre mesure pour approuver et/ou faire confiance aux institutions européennes. Ces sondages indiquent également que des majorités se dessinent pour regretter de ne pas être suffisamment bien informés et souhaiter être davantage et mieux informés.

La main tendue des Européens, si elle n’est pas saisie, risque de se retirer.

Il est à craindre, dans un avenir plus ou moins proche, que cette corrélation se dégrade. Autrement dit, le risque est fort que la frustration liée à une mésinformation sur l’Europe conduise à une défiance renforcée ou que la perte de confiance se développe à mesure que la méconnaissance et le désintérêt progressent. L’heure n’est plus à réenchanter la flamme européenne mais à s’assurer qu’elle ne s’éteigne pas.

A quoi devrait donc servir la communication européenne ?

Contribuer à faire la démonstration de l’utilité et de la nécessité du projet européen non plus seulement de manière argumentative pour convaincre sur un plan politique ou électoral mais surtout pratique, quotidienne, par des résultats concrets sur le terrain, seuls susceptibles de faire changer durablement les opinions publiques qui ne se laisseront pas séduire par des beaux discours ou de belles campagnes avec des arguments creux.

D’une certaine manière l’ambition de la communication européenne doit être d’autant plus grande afin de renouer avec tous les Européens, en sortant des seuls cercles d’initiés et d’affidés qu’elle vise du coup à reprendre à la base tous les fondamentaux en partant des évidences matérielles et culturelles de la réalité européenne, en fuyant les controverses stériles et artificielles. Quand la construction se lézarde et se fragilise, il ne s’agit pas de replâtrer les murs mais de conforter les fondations, le seul chantier vraiment prioritaire.

Le dialogue sur l’Europe avec les citoyens

Alors que les opportunités de contacts avec le public se sont très largement multipliées avec le développement des nouvelles technologies, des nouveaux médias, des nouveaux influenceurs digitaux, etc. ; la communication européenne doit là encore faire le ménage entre l’essentiel et l’accessoire.

La priorité de la communication européenne réside dans toutes les occasions d’aller à la rencontre des Européens, sur tous les territoires et auprès de tous les publics pour appréhender ce qu’est l’Europe pour eux dans leur vie quotidienne afin de donner du sens.

Qu’est-ce que l’Europe devrait dire aux Européens ?

Sur la forme, nulle besoin de suivre les conseils des gourous ou des spin doctors, revenons à l’art poétique de Boileau, ou malheureusement les propos sur l’Europe sont d’autant plus obscures et inaudibles qu’ils masquent une vérité que l’on ne veut pas dire ou que l’on n’est plus capable de formuler :

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Par voie de conséquence, la communication européenne devrait être plus modeste : apprendre à parler autrement de l’Europe, de manière plus authentique, plus naturelle, plus simple mais aussi savoir partager les bonnes pratiques, sortir des cadres contraignants de l’agenda médiatique, du catalogue institutionnel ou du programme législatif et donner la parole aux bons médiateurs, en particulier les élus locaux dont les responsabilités en matière européennes sont essentielles et concrètes autour de projets d’investissement d’avenir à échelle humaine.

Au total, seule une communication européenne en même temps plus ambitieuse, pour sa mission et ses publics et plus modeste, dans ses messages et ses outils devrait parvenir à toucher sensiblement le grand public.