Les premières analyses de la campagne américaine redéfinissent largement les lignes entre une vision optimiste des opportunités du numérique pour réengager les électeurs et une vision réaliste des risques et des dérives du web sur le corps électoral et les résultats des élections. Quels sont les nouveaux défis de la démocratie à l’ère numérique, à la lecture des tendances définies par Jamie Bartlett et Heather Grabbe dans « E-democracy in the EU: the opportunities for digital politics to re-engage voters and the risks of disappointment » ?
De nouvelles attentes : les citoyens perdent confiance dans la manière dont les élus font de la politique, même si elle reste pertinente
L’expérience numérique des gens est en train de changer leur attitude envers la politique alors que la révolution numérique leur a permis de parler sans filtre beaucoup plus facilement, de s’impliquer davantage dans la création d’informations et d’interagir avec n’importe qui.
Les élections américaines montrent que ces facultés offertes par la technologie numérique dans la vie quotidienne semblent être appréciées par les citoyens chez les candidats, même les moins conventionnels.
Si les électeurs estiment que les procédures qui régissent la façon dont les décisions sont prises sont distantes, fermées, incompréhensibles et inexplicables, ils valoriseront de moins en moins les processus démocratiques où leur participation est pourtant vitale.
Comment la politique peut-elle répondre aux nouvelles attentes des gens à l’égard de la prise de décision ?
Améliorer la qualité de l’engagement en politique est donc particulièrement important, surtout au niveau de l’UE, où la prise de décision est souvent à huis clos et toujours difficile à comprendre, rendant l’expérience encore plus insatisfaisante et opaque pour les citoyens.
Une partie de la réponse réside dans la qualité de l’engagement, pas seulement sa rapidité ou sa facilité, via notamment la transparence non seulement des informations mises en ligne mais des données publiques européennes consultables, partageables et discutables
En résumé, la vie en ligne est instantanée, transparente, facile et connectée alors que la politique est souvent lente, laborieuse et secrète.
De nouvelles manières de faire de la politique : les partis politiques de masse sont à la remorque, face à de nouveaux mouvements en ligne
Chaque jour, il y a des millions de conversations sur les enjeux politiques dans les espaces numériques qui reflètent espoirs, opinions et croyances des citoyens – mais ces débats ne sont pas, ou très peu, reliés à l’engagement politique formel.
Les médias sociaux et les réseaux alternatifs permettent aux gens de trouver une myriade de nouvelles manières d’exprimer leurs opinions politiques publiquement, en dehors des espaces politiques formels traditionnels.
Quel sera l’effet de la montée rapide de nouveaux mouvements sur le web pour la démocratie ?
De nouveaux partis et mouvements canalisent beaucoup plus d’énergie grâce à l’activité politique en ligne. Ils posent également un défi majeur aux partis établis, dont l’infrastructure, l’organisation locale et l’adhésion ne sont plus un avantage décisif.
Le marché politique – autrefois un oligopole entre quelques grands partis – est beaucoup plus ouvert avec maintenant moins d’obstacles pour les nouveaux entrants et beaucoup plus de concurrence pour l’attention et les votes. Les réseaux deviennent plus puissants vis-à-vis des institutions établies, comme dans de nombreux autres domaines touchés par Internet.
Certains auront des difficultés à s’adapter, mais d’autres pourraient être dynamisés par la nouvelle concurrence en adoptant de nouvelles méthodes qui se connectent mieux avec les électeurs.
Les implications pour le fonctionnement démocratique du système politique tel qu’il est actuellement constitué dépendent moins du fait que les anciens partis réussissent à garder leur part du vote que des questions et du style de débats que les nouveaux mouvements apportent à la politique.
S’ils nourrissent de larges débats publics et stimulent une nouvelle réflexion, ils peuvent apporter un nouveau dynamisme. Mais s’ils deviennent des « petites chapelles » qui marginalisent les minorités et excluent certaines parties de la société, ils pourraient nuire.
De nouvelles sources et formes pour créer, accéder et utiliser l’information en politique : les citoyens, comme les élus sont submergés
Le web fournit de vastes quantités de données et un large éventail de sources d’information sur un vaste éventail de questions, accessibles à tout être humain disposant d’une connexion Internet.
Des changements majeurs s’observent dans la façon dont les gens trouvent, accèdent, consomment, créent et partagent des informations sur la politique. En particulier, les médias sociaux sont en train de changer où et comment les gens obtiennent leurs informations politiques.
Comment s’assurer que les électeurs, les représentants et les institutions ne soient pas submergés par des données politiques inexactes et non pluralistes au point de les déstabiliser ?
Les démocraties font face à une situation nouvelle en passant de la rareté au déluge des informations : entre les infos des médias traditionnels, des politiques et générées par les internautes-utilisateurs, qui entrent directement dans la vie publique, sans intervention ni médiation d’un « gatekeeper » professionnel.
L’accès à l’information s’est démocratisé mais les informations sont plus trompeuses. L’éventail des erreurs, des demi-vérités, des mensonges – l’ère « post-truth » actuellement en ligne – remet en question la capacité des gens à distinguer entre les bonnes et les mauvaises informations. Il en va de même pour les hommes politiques européens. Ils reçoivent également de vastes volumes de données générées par les utilisateurs.
Les effets ultimes de ces changements sur les attitudes politiques sont encore inconnus, mais les élections américaines invitent à lire comme conséquence un débat politique plus polémique et polarisé.
Certes, Internet démocratise la création de l’information et met à la disposition des gens une large diversité d’opinions, ce qui amène davantage d’engagement et de pluralisme. Mais, le défi vital est comment les citoyens peuvent mieux naviguer et utiliser l’information non médiatisée de manière à soutenir des sociétés ouvertes et libres et comment la technologie peut aider les citoyens à tenir leurs élus responsables et encourager une plus grande transparence et responsabilisation.