Archives mensuelles : mai 2016

La communication de l’UE est-elle encore innovante dans les médias sociaux ?

Alors que l’expérimentation de nouvelles manières de communiquer avec les citoyens a longtemps été la marque de fabrique de la communication de l’UE dans les médias sociaux, cette époque semble révolue. Pourquoi ?

Plus de la moitié des Commissaires européens bloguent, aucun ne publie sur Medium

La liste des Commissaires européens qui apprécient le format d’un blog pour s’exprimer régulièrement en ligne s’est encore allongée avec la Commission Juncker avec dorénavant 16 Commissaires sur 28 qui bloguent.

Pourtant, le format blog a quelque peu vieilli et de nouvelles plateformes représentent autant d’opportunité de toucher de nouveaux publics, comme par exemple Medium, qui se présente comme une « déclinaison hybride mêlant de The Economist, Tumblr et Pinterest », une sorte de YouTube du texte.

Utilisé par le président des Etats-Unis, de nombreuses personnalités d’envergure internationale et l’équipe web du Parlement européen, Medium offre une plateforme d’expression moderne et de qualité à destination d’une audience anglophone internationale.

La vidéo live est partout, les institutions européennes ne sont pas sur Periscope

Entre Facebook qui en fait le cœur de sa stratégie en 2016, et le développement d’une application comme Periscope, qui a largement fait parler d’elle à l’occasion du mouvement français « Nuit Debout », la vidéo en temps réel est aujourd’hui incontournable pour capter l’attention et renouveler les opportunités de faire passer des messages sur l’UE.

Pourtant, la présence des institutions européennes est quasi inexistante sur Periscope, hormis le service audiovisuel de la Commission européenne (c’est le minimum) et les Représentations de la Commission européenne en Roumanie et au Danemark.

Est-ce en raison de l’absence d’une prise de risque compte tenu de la dimension « sans filtre » du dispositif ou pire de l’incapacité à produire un contenu intéressant dans le format d’expression à la fois en direct et en vidéo ?

Snapchat est le réseau social des jeunes, donc les institutions européennes sont là encore quasi toutes aux abonnés absents

Dernier exemple d’une épidémie regrettable de frilosité de la part des équipes de communication des institutions européennes, qui se sont concentrées sur les principaux réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Linkedin, Instagram), la quasi absence de l’UE sur Snapchat, hormis le Parlement européen.

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Pourtant, les opportunités offertes par ces nouvelles plateformes ou applications sont nombreuses et permettraient de toucher un plus large public au-delà de la bulle bruxelloise, à condition de se doter d’une stratégie et surtout d’une envie de partager.

La « Commission socialisée » : l’impact des réseaux sociaux et des plateformes communautaires sur la communication en ligne de l’UE

Deuxième partie de la contribution de Romain Babouard et Michaël Malherbe dans le dossier « « l’Europe sur les réseaux sociaux » publié dans la revue « communication & langages » n°183 en mars 2015.

Premier enjeu du nouveau terrain que représentent les médias sociaux : comment maîtriser la prise de parole institutionnelle

Une genèse difficile dont voici les principales étapes :

En janvier 2010, la communauté des éditeurs et webmasters de la Commission publie une lettre ouverte pour « exploiter la puissance d’Internet ». Viviane Reding leur donne à la fois tord (pas de moyens) et raison (« Internet doit être un élément essentiel de nos efforts pour communiquer »).

En avril 2010, le blog Waltzing Matilda vise à « apprendre comment la Commission peut utiliser les médias sociaux pour communiquer avec les citoyens ».

En juin 2010, un courrier de Viviane Reding expose une série de mesures pour moderniser la DG COMM, dont l’une concerne un « réseaux de 10 à 15 experts en médias sociaux au sein de la Commission » pour assurer surveillance et réfutation.

L’enjeu d’une prise de parole cohérente et inscrite dans une stratégie de communication globale doit permettre de résoudre le dilemme entre le « parler neutre » d’une institution qui doit s’exprimer de manière consensuelle et contrôlée et le « parler vrai » des communications personnelles et politiques des individus.

Deuxième enjeu des médias sociaux : encadrer la prise de parole

En septembre 2011, la Commission publique une stratégie de communication dans les médias sociaux. Décevante, la communication s’y concentre autour de ses « priorités politiques » et d’une approche « top-down » de relais des informations. Les préoccupations des citoyens et à fortiori le dialogue y sont absents.

La stratégie de verrouillage de la prise de parole au nom de l’UE se confirme dans les nouvelles directives pour l’ensemble du personnel sur les médias sociaux qui distinguent entre les prises de parole officielles (des Commissaires et de leurs porte-paroles), « mandatées » (au sein des équipes de communication) et « non officielles » des autres fonctionnaires européens.

Depuis 2012, d’abord sous la forme d’un projet-pilote, « Partageons l’Europe en ligne » est le bras armé de la présence de la Commission dans les réseaux sociaux au travers d’une communauté de community managers dans les Représentations.

Reconnaissant que « la réputation est l’élément essentiel d’une présence efficace sur les réseaux sociaux » mais confiant la tâche de piloter cette activité à des « intermittents de l’Europe », l’ambivalence symptomatique de la place octroyée par les médias sociaux est encore aujourd’hui perceptible au sein de la Commission.

Les plateformes communautaires

Supposant à la fois un public captif lié aux politiques européennes et une compétence de l’UE qui se traduise par des occasions de redistribution, les plateformes communautaires se présentent comme de nouveaux services qui répondent à des besoins de communication jusque-là non remplis.

1. Les réseaux de bénéficiaires : prolonger une relation avec un public

Associer une action ou un programme de l’UE à un état d’esprit afin de pérenniser une relation entre l’UE et ses bénéficaires

=> Les Euronautes, la communauté des jeunes qui bougent en Europe

2. Les laboratoires de co-création : partager l’innovation

Recueillir des idées, des remarques, des suggestions en laissant la part belle à l’intelligence collective, i.e. aux échanges entre les contributeurs.

=> Europcommunity

3. Les plateformes citoyennes : nourrir un débat autour d’une cause ou d’un enjeu collectif majeur

Animer une communauté d’intérêts autour de thématiques spécifiques

=> Ourspace, le Myspace des Européens : une plateforme paneuropéenne de dialogue entre les jeunes et les responsables politiques

4. Les communautés d’entraide : fédérer un collectif

Structurer des collectifs organisés à l’échelle européenne évoluant dans des domaines professionnels particuliers afin de favoriser l’entraide et le partage d’expériences et de bonnes pratiques

=> eTwining, la communauté en ligne pour les établissements scolaires

=> Regionetwork, la communauté d’entraide des acteurs des fonds européens

=> Capacity4dev, la communauté de la coopération et du développement de l’UE

5. Les services d’expertise et d’accompagnement : représenter des publics cibles

Se positionner comme référent auprès d’un public cible se trouvant dans une situation d’attente d’informations stratégiques

=> Farnet, le réseau européen des acteurs locaux, régionaux, nationaux et européens autour des zones de pêche

 

Vers une « Commission 2.0 » : accessibilité, interactivité et participation comme piliers de la communication en ligne de l’UE

Première partie de la contribution de Romain Babouard et Michaël Malherbe dans le dossier « « l’Europe sur les réseaux sociaux » publié dans la revue « communication & langages » n°183 en mars 2015.

L’âge de l’accès et de l’interactivité

Le premier site Europa est mis en ligne en 1995 (avant la Maison Blanche) repose sur les principes de l’accès : fournir aux internautes des informations sur l’UE et d’interactivité : proposer des échanges en ligne, comme l’expérimentation d’un chat entre le Commissaire Marcelino Oreja et les internautes en décembre 1996. En 1997, une version multilingue propose une « Foire aux Questions » et une « boîte aux lettres ». En avril 2001, une nouvelle version renforce ces principes.

En 2009, une refonte positionne Europa comme un portail composé de plus de 150 sites des différents organes et agences de la Commission européenne. Ce portai répond à un double impératif d’accessibilité en fournissant des informations utiles et « vulgarisées » et d’interactivité en expérimentant de nouveaux formations de communication.

Le portail de la Commission en ligne a « valeur de démonstration », de « vitrine », de « mettre en scène une institution moderne, ouverte sur la société civile et à l’écoute des citoyens ». Par exemple, la refonte du site « Votre point de vue sur l’Europe » en 2011 tente d’ouvrir les consultations de la Commission aux citoyens ordinaires même si elles restent essentiellement un espace de participation investi par des lobbies.

En parallèle de la mutualisation des ressources et du renforcement de la coordination des services via la DG COMM, de nouveaux services interactifs sont exploités : la chaîne Youtube « EUtube » et les blogs personnels des Commissaires.

L’impératif participatif

Avec le plan D, Margot Wallström vise à prouver le potentiel de son discours de rupture : l’expérimentation de la participation des citoyens à l’échelle européenne doit assurer une fonction légitimatrice. La démocratie participative se présente comme la solution au déficit démocratique. Dorénavant, la participation devient « la pierre angulaire des stratégies de communication de l’UE ».

Ce nouvelle impératif participatif se traduit notamment par diverses consultations délibératives qui transgressent à la fois les oppositions entre sachants/profanes et opinion éclairée/opinion publique. Le rôle de ces expérimentations en ligne est de prouver que la démocratie participative à l’échelle européenne fonctionne.

Des critiques y voient un « marketing participatif » qui assure la promotion d’une démocratie technologique/horizontale s’opposant frontalement aux valeurs d’une démocratie représentative/verticale… sans oublier des « procédures verrouillées », des « actions de façade » à l’impact très limité qui constituent un « confortable paravent ».

Mais, deux éléments demeurent : d’une part, la dimension pragmatique et expérimentale liée aux opportunités circonstancielles et/ou aux volontés individuelles de « tenter le coup » et d’autre part, des citoyens et des organisations s’en emparent et se les approprient.

La « culture web » pour pérenniser la participation

En décembre 2007, la stratégie « Communiquer l’Europe par Internet : Faire participer les citoyens » consacre un nouvel impératif : « intégrer la culture Internet pour exploiter les possibilités de la communication en ligne ». Il ne s’agit plus de partir des technologies mais des usages des internautes afin de permettre une véritable interactivité entre citoyens et décideurs. Pour autant, les ambitions seront revues à la baisse : l’utilisation de wikis sera abandonnée et la participation se limitera à noter les sites.

En 2008, la communication « Debate Europe : Exploiter les réalisations du plan D » vise à pérenniser le principe de participation en liant la participation citoyenne et le processus décisionnel afin que les citoyens puissent constater les effets de leur participation sur les politiques publiques de l’UE.

Le forum de discussion « Debate Europe » jusqu’à 2010 va se concentré sur 3 thématiques : l’avenir de l’Europe, l’énergie/le changement climatique et le dialogue interculturel. Au total, 1,3 millions d’avis en tous genres seront recueillis.

De même, la consultation européenne des citoyens en 2009 « a valeur de preuve, de démonstration qui confirme la théorie et en valide le sens ».

Au total, les discours de rupture portés par Margot Wallström vont s’appuyer sur les démonstrations permises en ligne pour légitimer de nouveaux principes qui vont devenir de nouvelles normes de communication. A partir de 2009, toutes les stratégies de communication des institutions européennes comprendront une dimension participative qui vise à impliquer les citoyens dans la prise des décisions. Le principe ne sera plus remis en cause. Il est devenu la norme.

La communication des institutions européennes sur Internet : l’expérimentation comme stratégie

Face à l’enjeu de la résorption du déficit démocratique de l’UE, l’évolution des stratégies de communication numérique des institutions européennes repose sur l’expérimentation, selon Romain Babouard et Michaël Malherbe dans le dossier « « l’Europe sur les réseaux sociaux » publié dans la revue « communication & langages » n°183 en mars 2015.

L’expérimentation opère à la fois comme exploration dans une situation d’incertitudes, mais aussi comme processus de « mise en laboratoire » de pratiques citoyens et surtout comme démonstration publique afin de valider et légitimer la démarche.

L’expérimentation fonctionne comme une « courroie de transmission entre des discours de rupture » promouvant de nouveaux principes de communication « et des impératifs stratégiques » visant à les intégrer dans l’élaboration des politiques publiques européennes.

L’expérimentation représente « un facteur d’instabilité » puisqu’elle dépend autant des évolutions technologiques que de logiques d’appropriation technologique ; et « engendre une pluralité des locuteurs » en ouvrant la porte à de nouveaux acteurs qui s’expriment en ligne.

L’expérimentation révèle enfin que « les enjeux de communication institutionnelle sont pris en étau entre des impératifs de modernité et des réalités administratives ».

Au total, les stratégies de communication en ligne de l’UE ont évolué au gré des évolutions politiques, des innovations technologiques et de la volonté de professionnaliser les dispositifs.

La communication de l’UE en ligne a visé à répondre à un impératif de modernité, entrant bien souvent en contradiction avec les contraintes matérielles, administratives et humaines des institutions. Ce qui a constitué un obstacle à réplication et à la pérennisation des expérimentations, conduisant paradoxalement à des formes de communication institutionnelle plus verrouillée et hiérarchisée.

L’Europe sur les réseaux sociaux : une communication renouvelée ?

Dans le dossier « L’Europe sur les réseaux sociaux » publié dans la revue « communication & langages » n°183 en mars 2015, Sandrine Roginsky et Valérie Jeanne-Perrier introduisent le parti pris des contributeurs qui consiste à « s’intéresse(r) au quotidien de l’Union européenne sur les dispositifs de communication sur Internet ».

Les logiques de flux de l’information et de quasi-immédiateté des processus de création, de publication et de diffusion dans les réseaux sociaux invitent à proposer « une nouvelle approche de l’utilisation des dispositifs de communication sur Internet (sites web et réseaux sociaux) pour promouvoir ou non l’Union européenne.

Cette approche par les dispositifs, les usages et les discours dans la production, la mise en scène et la circulation de la parole européenne n’occulte pas la complexité des phénomènes mais montre comment ils s’inscrivent dans les espaces en place et renouvellent les pratiques sans les révolutionner.

Cette parole européenne est portée dans les discours des experts sur les blogs, les discours des politiques sur leurs profils dans les réseaux sociaux et les médias plus traditionnels, les discours des militants dans les commentaires, etc.

Au total, c’est une analyse en demi teinte qui se dessine tout au long du dossier.

Certes, les dispositifs de communication sur Internet renouvellent les codes de communication des acteurs et des institutions européens.

Mais, de manière plus contrastée, les médias sociaux illustrent des fonctionnements qui sont en grande partie le fait de pratiques et d’organisations qui les dépassent et les digèrent en les ancrant et institutionnalisant dans le paysage.