Archives mensuelles : mai 2016

Pourquoi la communication de l’UE doit passer par les médias de masse ?

Raisonnablement, force est de reconnaître que le seuil de motivation que les citoyens européens doivent surmonter afin de s’engager sur les questions politiques de l’UE est tout simplement trop élevé pour la plupart des citoyens, la plupart du temps. Comment y remédier, selon Bernd Spanier, auteur d’une thèse « The EU’s “Communication Deficit” Revisited » ?

Le défi de la communication de l’UE : savoir parler à ses publics « captifs » tout autant qu’au grand public désintéressés

Le public des experts joue un rôle dans le maintien de la qualité des politique de l’UE et contribue ainsi en partie à la légitimité du système. Tout comme le grand public fournit également une légitimité sous la forme d’un soutien

Le défi décisif pour la politique de communication de l’UE est d’améliorer la communication avec le grand public sans pour autant négliger les demandes d’information de la sphère des experts.

En dépit de toutes les différences culturelles et linguistiques nationales, les activités de communication de l’UE ont su réalisé une communication substantielle au deux sens du terme auprès de médias spécialisés européens mais aussi des sections spécifiques des principaux médias européens qui jouent un rôle important comme sources d’information, premiers points de référence et catalyseurs pour les parties prenantes dans le processus politique dans toute l’Europe.

L’importance de la visibilité de l’UE dans les médias audiovisuels

L’UE devrait aujourd’hui assumer la tâche de compléter les relations avec les médias vers le secteur audiovisuel. La télévision offre « le hasard des rencontres » avec des sujets européens à des gens qui ne devraient normalement pas avoir la motivation intrinsèque à lire sur les questions liées à l’UE dans la presse. L’effet cumulatif de ces rencontres pourrait contribuer à des niveaux plus élevés d’intérêt et de compréhension.

Les relations avec les médias audiovisuels poursuivrait un objectif de renforcement de la sensibilisation plutôt qu’un objectif de formation d’opinion comme, effectué avec la presse « d’élite ». L’objectif à long terme serait d’élever le niveau d’attention pour les sujets de l’UE qui, dans une deuxième étape, pourrait modifier les modes de perception et de traitement de l’information dans la mesure où les possibilités d’un débat constructif pourraient émerger.

Le manque de visibilité dans les médias audiovisuels est d’une part un problème structurel de communication de l’UE, à savoir le résultat d’un manque de drame, d’un processus de prise de décision complexe et d’acteurs ayant peu d’incitation à rendre public leur travail.

Pourtant, la couverture télévisuelle pourrait être considérablement améliorée en supposant que les médias reçoivent des informations adaptées à leurs contraintes, comme par exemple des Commissaires formés aux médias avec une capacité de parler en « soundbites » et d’expliquer la politique européenne compliquée en termes simples.

Et surtout si la perception de l’UE entre la nature intellectuelle plus « savante » de la presse écrite d’opinion par rapport aux médias audiovisuels plus « bas de gamme » cesse de se traduire par des contenus produits par l’UE largement ciblé auprès d’un public d’experts, caractérisés par un style plutôt technique et dans un jargon spécialisé, difficiles à digérer pour le lecteur non initié.

La communication des décisions européennes auprès du grand public jusqu’à présent trop négligée exige un style différent, «simple» et plus «terre à terre». En dépit des améliorations dans le passé, cette tradition de la communication de l’UE continue sans un «contrôle de réalité».

La faiblesse de la visibilité des leaders européens à la télévision

Politico Europe a réalisé avec Media Tenor International une analyse de la présence des leaders européens sur les principales chaînes de télévision européennes.

Les résultats sont préoccupants. Les leaders européens n’impriment pas. Malgré son importance, Bruxelles rompt rarement l’actualité des nouvelles à l’agenda des grands médias. Et quand il le fait, c’est généralement rapporté négativement.

Même lorsqu’ils sont combinés, le temps d’écran consacré aux figures les plus importantes de l’UE, Tusk, Juncker, Mogherini… est inférieur à celui des dirigeants politiques nationaux – ou de Donald Trump.

Plus d’un quart de tous les sujets dans les programmes d’information de télévision jusqu’à présent cette année ont cadré l’UE comme un échec, contre environ 5% qui dépeint l’UE de manière positive.

La priorité de la communication de l’UE doit se porter sur une meilleure action auprès des médias audiovisuels maintream afin d’assurer une présence plus importante, et plus positive auprès du grand public.

Déficit démocratique de l’UE : est-ce la faute de la communication européenne ?

A suivre Eric Dacheux, auteur de « Sans les citoyens, l’Europe n’est rien » dans le Huffington Post « Non seulement la communication ne peut pas combler le déficit démocratique de l’Union, mais pour l’instant, elle le creuse ! Pourquoi ? »…

La thèse d’Eric Dacheux : Sans les citoyens, l’Europe n’est rien

Pour Eric Dacheux, « la politique de communication mise en œuvre est un marketing politique, une politique de persuasion. Or, si la persuasion est un objectif électoral légitime pour un candidat, ce n’est pas un objectif légitime pour une Union de pays démocratiques. L’objectif légitime pour une Union de pays démocratiques est l’approfondissent de la démocratie. Or, la démocratie est une culture commune qui se perpétue et se transforme en générant du dissensus. La politique de communication de l’UE doit donc renoncer à l’auto justification. Elle doit, au contraire, chercher à intensifier les débats contradictoires autour de l’intérêt général.

D’autant plus, que le marketing politique est, par essence, inadapté à l’objectif fixé : il ne peut pas rassembler des citoyens différents autour d’un projet commun, car son ADN est de séparer une masse commune pour créer des cibles distinctes. Dès lors, il convient, si les institutions européennes veulent réellement sortir de l’impasse démocratique, de s’attaquer aux racines politiques, économiques et symboliques du mal dont souffre l’Union.

Pour ce faire, elle doit changer de méthodes : non plus la méthode Monnet des petits pas technocratiques censés entraîner une Union de fait, mais une méthode démocratique : associer les citoyens à la construction des solutions envisagées. Dans cette perspective participative, la communication publique joue un rôle, modeste mais indispensable : favoriser un conflit intégrateur aux dimensions de l’Union. »

Le déficit de communication de l’UE revisité

Dans une thèse récente « The EU’s “Communication Deficit” Revisited« , la question est donc « revisitée ».

Oui, la communication de l’UE contribue au déficit démocratique de l’UE parce que les initiatives de communication de l’UE tels que le « Livre blanc sur la politique de communication » ou la stratégie « Communiquer l’Europe en partenariat » n’ont apparemment pas réussi à atteindre l’objectif de rapprocher l’UE avec ses citoyens.

La stratégie de communication – par le biais de nouveaux moyens technologiques tels que les consultations en ligne, mais aussi via l’organisation de « débats citoyens » promus et lancés avec des attentes irréalistes – s’est en réalité limitée à quelques personnes intéressées déjà à des niveaux extraordinairement élevés de motivation et de connaissances sur les questions européennes.

Mais, l’auteur continue sur la communication de l’UE et le déficit démocratique de l’UE parce que cette critique repose sur une tendance implicite à faire valoir un point de vue de l’État-nation. La performance de l’UE – sous l’angle national – conclut inévitablement que la communication politique de l’UE est déficiente et inefficace parce qu’elle ne parvient pas à faire une impression durable sur la perception des citoyens. La charge contre la communication politique de l’UE déficiente omet également de prendre en compte que l’UE supranationale rend beaucoup plus difficile de communiquer les affaires européennes auprès du grand public.

La logique de la communication supranationale, le succès de la communication de l’UE

L’UE a besoin d’une communication très efficace qui permet aux parties prenantes dans et en dehors de Bruxelles d’être efficacement informés pour apporter leur contribution au processus législatif. Cette clientèle d’experts transnationaux forme naturellement le centre d’attention pour les acteurs de l’UE.

En d’autres termes, les informations fournies par les institutions européennes doivent avant tout répondre à la demande d’information des parties prenantes à Bruxelles et dans les Etats membres qui sont directement ou indirectement impliqués dans les routines de prise de décision de l’UE.

La communication a donc tendance à être intrinsèquement orientée vers l’information en profondeur des experts qui remplissent un rôle plus immédiat dans la politique au jour le jour de l’UE. Dans ce contexte, fournir des informations précieuses pour un public d’experts présente non seulement une tâche primordiale et légitime de toute activité de communication, mais pourrait même l’emporter sur des objectifs d’information générale dans la réalité au jour le jour.

La logique de la communication nationale, l’insuccès de la communication de l’UE

Le projet européen dépend du soutien (au moins diffus) du public européen. Il est l’essence même du « consensus permissif » qui a été construit sur la bonne volonté générale des citoyens envers l’UE. Le consensus permissif présente un décalage dans le temps : il faut une confiance de base dans les décisions prises au niveau européen dans l’attente des résultats politiques souhaitables. La confiance est « créditée » aux acteurs de la politique européenne aussi longtemps que leurs actions produisent des avantages dans le futur qui viennent «rembourser» la confiance investie en eux.

Dans ce contexte, la communication des résultats de la politique de l’UE devient clé. L’approbation du public doit être gagnée, a priori, par le biais d’un débat avec des arguments convaincants, plus facilement atteint grâce à l’amélioration de l’impact des relations avec les médias à l’égard de la promotion des sujets européens dans la couverture systématique des médias de masse de grande consommation, notamment les médias de télévision plutôt que par le biais de campagnes de publicité.

Néanmoins, il demeure difficile de traduire la communication d’experts de la sphère de la « bulle de Bruxelles » à une forme de communication « comestible » et significative pour un public local ; surtout sans visage familier représentant l’UE dans les Etats membres.

La complexité de l’UE, comme frein à l’intérêt des Européens

La complexité de l’UE est un élément clé en ce qui concerne, d’une part, la façon dont les médias sélectionnent et cadrent les sujets européens et, d’autre part, la façon dont les audiences perçoivent ces questions dans les médias.

Des niveaux de complexité élevés conduisent à une situation où les sujets de l’UE se prêtent plus à un support de presses spécialisées et moins aux médias audiovisuels avec une cible d’audience plus large.

Même dans les cas où les sujets européens apparaissent dans les médias grand public, ils sont moins susceptibles d’être perçus par un public général, en raison de la motivation insuffisante pour lire un article sur un sujet complexe de l’UE ou suivre consciemment un sujet européen à la télévision.

Le manque d’intérêt du public dans l’UE existe donc non seulement en raison des possibilités limitées de participation, mais aussi d’un manque de repères familiers au niveau supranational qui permettrait aux citoyens de faire des « raccourcis » pour assurer leur traitement de l’information.

Euroscepticisme et méconnaissance de l’UE : commencements et actualités

Frappée par de multiples crises, l’UE fait face à de nombreuses critiques favorisant la montée de l’euroscepticisme, que les étudiants de la Sorbonne et l’association EuroSorbonne ont souhaité questionner autour d’une conférence à la Maison de la Recherche : « Euroscepticisme et méconnaissance de l’UE »…

L’irrésistible cristallisation des opinions publiques européennes : Christine Manigand, historienne

Depuis le commencement de la construction européenne, la méconnaissance ou l’indifférence fait qu’un tiers des Européens ne se prononce pas dans les enquêtes d’opinion. Malgré tout, jusqu’à 1992, c’est le « consensus permissif » qui domine dans l’opinion publique européenne.

Avec Maastricht, la politisation des opinions publiques européennes se cristallise et les premiers contestataires se déclarent pour une autre Europe. Au cours des années 1990 et 2000, l’euroscepticisme se développe sous tous les registres : mou, dur, voire jusqu’à l’europhobie.

Aujourd’hui, les opinions publiques européennes sont très largement cristallisées au sujet de l’Europe et leur soutien au projet s’effrite sérieusement.

Le commencement d’une communauté de destin : Paul Collowald

Pour l’ancien correspondant du Monde et ancien directeur général de l’information à la Commission européenne et au Parlement européen, citant Paul Valéry « tout se joue dans les commencements ». Pourquoi l’Europe ? C’est une décision politique quasi-révolutionnaire, pour la paix qu’il s’agit d’expliquer et de faire comprendre aux citoyens.

Les citoyens ont le droit à l’information tout autant qu’ils ont le devoir de s’informer. Alfred Sauvy disait : « Un homme pas informé est un sujet, un homme informé est un citoyen ». Comment s’informer ? C’est évidemment les médias qui jouent tour à tour les rôles de miroir, de loupe grossissante et de 4e pouvoir.

L’Europe est prise dans un cercle vicieux. Déjà sous l’ORTF, le patron de la télévision Pierre Desgraupes répondait à Louis Leprince-Ringuet, auteur d’une chronique citoyenne fort populaire qui lui disait qu’il n’y avait pas grand chose à la TV sur l’Europe : « l’Europe, c’est emmerdant ».

Autre illustration à l’occasion du premier sommet informel des chefs d’Etat et de gouvernement à La Haye en 1969 où les journalistes se sont rendus aux briefings de leurs différents responsables politiques nationaux tandis que le président de la Commission européenne, écarté, a tenu une conférence de presse le lendemain, que le corps de presse est venu assisté, par solidarité.

Les responsabilités sont partagées entre les institutions nationales et européennes, les médias et les citoyens. Mais, si l’on veut que l’Europe soit la « communauté de destin » qu’Edgar Morin appelait de ses vœux dans son essai « Penser l’Europe » paru en 1987, il s’agit de persévérer et de réinventer l’Europe.

L’Europe est un problème de génération, il nous faudra du temps et l’enthousiasme de la jeunesse, disait Robert Schuman. Il faudrait aussi que les citoyens s’intéressent aux affaires de la cité. La démocratie européenne ne connaît que 2 ennemis, l’indifférence et l’ignorance et devrait avoir 2 alliés, l’école et les médias.

L’actualité de l’opinion des citoyens européens sur l’Europe et le rôle des médias dans l’information européenne : Michaël Malherbe

L’approche quantitative des enquêtes Eurobaromètres permet de « prendre une photographie » de l’opinion publique européenne. En matière d’information, les Européens se sentent majoritairement mal informés sur l’UE et souhaitent encore pus majoritairement que les médias parlent davantage de l’Europe. Mais, de quelle Europe veulent-ils ? Un discours plus positif et fédérateur ou une présence de la thématique européenne « moins politiquement correcte » ?

L’approche qualitative, des rares focus groupes organisés sur l’opinion européenne des Européens, tend à montrer à la fois que les opinions européennes des citoyens sont superficielles, l’Europe est peu saillante, hormis chez les plus politisés et que les opinions publiques sont ambivalentes, indécises, faute d’être en mesure d’interpréter, et de traduire ce qu’ils perçoivent de l’UE, hormis là encore chez les plus politisés.

En somme, c’est davantage la distance et l’indifférence des citoyens ordinaires face à l’UE qui prédomine majoritairement (en dehors des franges les plus mobilisés) que l’attitude de rejet et d’opposition de l’UE, quoique l’influence des eurosceptiques, les seuls à porter un discours sur l’Europe qui soit audible et attractif pèse.

Plusieurs actions pour les médias apparaissent particulièrement pressantes pour intéresser les Européens à l’Europe :

  • d’abord, l’urgence de parler de l’Europe autrement dans les médias, notamment audiovisuels. La parole ordinaire, le vécu et l’expérience doivent prendre le pas sur les rares discours institutionnels et politiques ;
  • ensuite, la nécessité de déconstruire l’alliance entre l’euroscepticisme et une frange de médias très grand public qui versent ensemble dans un discours simplificateur et approximatif sur l’Europe et instrumentalisent les émotions, les préjugés et les peurs ;
  • enfin, le besoin d’une information européenne grand public qui ne soit pas un journalisme d’institution mais d’investigation, sur le terrain, sans démissionner devant la lourde mission d’informer sur l’Europe.