Lors d’une intervention devant des étudiants, le Secrétaire de la section française de l’Association des Journalistes Européens, Fabrice Pozzoli-Montenay critique l’information « à la française » sur l’Europe. Entre un « journalisme institutionnel, qui se caractérise par une couverture technicienne, proche de l’expertise de l’UE » selon Olivier Baisnée et « l’euro-indifférence globale des médias français » selon Eddy Fougier, y a-t-il une place pour une information européenne grand public ?
Pour une minorité de citoyens : couvertures technicienne ou politique des correspondants de presse à Bruxelles et des médias spécialisés
L’information européenne « de qualité » existe lorsqu’elle est produite par les correspondants (pour l’essentiel de la presse écrite traditionnelle) à Bruxelles. De même, des médias européens en ligne spécialisés produisent une information européenne exhaustive.
Le problème ? Cette information est accessible seulement à une minorité de citoyens : les lecteurs de la presse quotidienne ou hebdomadaire nationale, voire les internautes surfant sur les sites d’information spécialisée. Bref, seuls ceux disposant des ressources nécessaires pour décrypter l’actualité des institutions européennes peuvent accéder à la compréhension des enjeux et des décisions de l’UE.
Et encore. Parmi les correspondants de presse, la couverture technicienne ne permet pas de vraiment saisir la profondeur de l’information européenne. Selon l’analyse d’Olivier Baisnée dans « Le corps de presse accrédité auprès de l’UE » in « En quête d’Europe : Médias européens et médiatisation de l’Europe » :
Le journalisme d’institution renvoie en fait à des habitudes professionnelles qui s’apparentent à celles de « greffiers » rendant compte quotidiennement des activités européennes, sans fournir d’interprétation de type politique. Leur couverture technique de l’UE ne met ainsi jamais en évidence la nature proprement politique des événements, les luttes et les intérêts en présences. … Ces journalistes reprennent assez largement le discours que les institutions tiennent sur elles-mêmes.
Néanmoins, une nouvelle forme de journalisme d’investigation, largement plus critique, « tend à analyser les événements européens d’une façon plus proche du journalisme politique, expliquant et décrivant les luttes et les conflits internes aux institutions », selon Oliver Baisnée. Ces journalistes, le plus souvent freelance ou rattachés à des médias spécialisés sur les questions européennes offrent une information européenne faiblement accessible au grand public.
Au total, le journalisme européen – plutôt pro-européen lorsque la couverture est technicienne ou plus critique lorsque l’approche est davantage politique – est réservé à une minorité de citoyens.
Pour une majorité de citoyens : euro-indifférence globale des médias français
Pour tous ceux qui ne sont ni lecteur régulier de la presse nationale ni visiteur fréquent d’un portail d’information sur l’Europe, l’information européenne est alors très limitée. Quoiqu’il n’existe pas d’euroscepticisme systématique dans les grands médias français, « ils n’en contribuent pas moins à susciter une certaine forme d’euroscepticisme ou, au moins, d’indifférence vis-à-vis de l’actualité européenne » selon Eddy Fougier dans « Traitement médiatique et euroscepticisme en France ».
L’indifférence vis-à-vis de l’actualité européenne est tout particulièrement vraie pour la télévision. Ce désintérêt global des médias français pour l’actualité européenne s’expliquerait par le caractère très institutionnel de l’actualité européenne, le manque de personnalisation de cette actualité et sans doute par son manque de politisation.
Pour autant, les vraies causes de la faible couverture de l’information européenne à la télévision sont davantage à rechercher dans les raisons suivantes :
- les journalistes ont appris que cette actualité est réputée complexe, technique, réservée à des spécialistes. Elle exigerait par conséquent une place importante pour l’explication, ce qui n’est pas possible à l’antenne ;
- les chefs de rédaction ne savent pas comment traiter cette information européenne si transversale et de toute façon la logique de rationalisation des coûts limitent le recours à des correspondants permanents ;
- les auditeurs/téléspectateurs tendraient à privilégier les informations de proximité et se désintéresseraient de l’actualité institutionnelle et internationale et de toute façon la quête d’audience dissuade toute incartade.
Plutôt que de chercher la pédagogie et l’explication avec une information européenne grand public, les médias audiovisuels tendent à véhiculer le message que l’actualité européenne est certes importante, mais rébarbative et éloignée des préoccupations quotidiennes.
Ainsi, il ne semble pas qu’il y ait de place dans les médias pour une information européenne grand public : l’activité des spécialistes de l’actualité de l’UE est accessible à une minorité instruite et motivée et les médias de masse démissionnent devant les exigences liés aux sujets européens.