Archives mensuelles : mars 2016

De l’européanisation par la négative des espaces publics nationaux

Tout le monde connaît les conditions d’un espace public européen : un lieu où les citoyens peuvent surmonter les frontières nationales et les barrières linguistiques pour débattre sur les questions européennes. Mais, s’il ne s’agissait plus de raison. Et si les passions « négatives » contribuaient à l’européanisation des espaces publics nationaux ?

Jadis encore, l’européanisation par la crise des espaces publics nationaux 

Dans un Cahier de recherche politique de Bruges, Laura Batalla Adam s’interroge dans sa conclusion, hypothèse d’école, sur l’européanisation éventuelle des médias nationaux par la couverture de la crise de la zone euro, qui conduit à un intense débat inédit sur la dimension politique du projet d’intégration européenne.

Alors que tous les élargissements et approfondissements de la construction européenne durant les trente dernières années ont échoué à accorder une place plus importante aux thèmes de l’UE dans les médias nationaux, la remise en question existentielle de l’UE en raison du manque d’ambition et d’engagement des gouvernements à la création d’une véritable union politique capable de résoudre la crise économique de l’UE s’offrirait comme une opportunité démoniaque à mettre à profit pour une européanisation des sociétés européennes.

Mais, las, il n’en a rien été, et même la crise, salvatrice, ne s’est pas montrée comme un « nouveau point de départ pour l’émergence d’une sphère publique européenne ultime ».

Aujourd’hui hélas, l’européanisation par la peur des espaces publics nationaux

L’absence traditionnelle de débats sur les enjeux européens est entretenue à la fois par les médias qui blâment les partis politiques pour le manque d’intérêt qu’ils insufflent aux citoyens et par les citoyens qui se plaignent du manque d’engagement des partis politiques et des médias, qui intègrent les affaires européennes dans la section internationale donc « l’étranger ».

Actuellement, le cercle vicieux de l’information européenne se délite et laisse la place à une nouvelle configuration où les citoyens attendent des réponses à l’échelle européenne, que les médias relaient et confirment aux vues des échecs nationaux et des enjeux transeuropéens et que les responsables politiques déclarent entendre et traiter (ou condamner encore plus virulemment).

La convergence des regards à l’échelle nationale vers le niveau européen déplace l’intérêt à la fois des citoyens, des journalistes et des politiques vers l’échelon européen contribuant ainsi à la formation d’un espace public européen.

Ce que ni les responsables politiques avec leur vision purement domestique, ni les peuples européens avec leurs débats purement nationaux, ni les médias ne sont parvenus à faire au bénéfice de la construction européenne, les passions contagieuses liées à l’instrumentalisation de la peur du terrorisme et des migrants sont en train de le faire. Plus encore que les crises de l’UE, les peurs existentielles et identitaires sont en train de contribuer à l’émergence d’un espace public européen.

En devenant des « chiens de garde » critiques de l’UE, en mettant à l’épreuve sa légitimité et en révélant ses dysfonctionnements, les citoyens, les journalistes et les responsables politiques soulèvent simultanément des préoccupations similaires au sujet du fonctionnement de l’UE, ce qui contribue à la formation d’une opinion collective sur les questions européennes.

Les citoyens, les journalistes et les politiques montrent des signes d’européanisation dans leurs rapports à l’UE : ils appellent tous à débattre (même et surtout pour rejeter) des solutions européennes dans leurs sphères publiques nationales respectives, ils commentent tous le manque de visibilité, d’impulsion et de résultats de l’UE.

Ce faisant, ils ont effectivement mis en pratique, au dépend de l’UE les trois dimensions de l’européanisation :

  • européanisation horizontale : communication intensifiée et visibilité renforcée de l’actualité d’autres États-membres dans les différentes sphères publiques nationales ;
  • européanisation verticale : infiltration des enjeux, des acteurs et des débats de l’UE dans les sphères publiques nationales ;
  • la troisième dimension de l’européanisation: émergence d’une communauté transnationale commune ayant un sentiment d’appartenance à un public européen, même s’il s’agit hélas d’un sentiment négatif.

Au total, la peur – bien plus encore que la crise – a permis concomitamment la re-fermeture des frontières européennes et une dé-frontièrisation des discours publics sur l’Europe. De la belle ouvrage, mais à l’envers.

Quel est l’état de l’open data et de la transparence de l’Union européenne ?

Le portail européen de données met en ligne actuellement environ 400 000 ensembles de données provenant de l’UE et des Etats-membres – un chiffre à lire à la lumière d’un autre – seulement 15% des catalogues européens ont plus de 75% de leurs données disponibles en format lisible par une machine. Quel est donc l’état de l’open data et de la transparence en Europe et au niveau de l’UE ?

Une maturité moyenne de l’Open Data en Europe

Pour mesurer la maturité Open Data, deux indicateurs clés ont été sélectionnés :

  • les politiques nationales de préparation et de promotion des données ouvertes ;
  • l’évaluation des caractéristiques disponibles sur les portails de données nationales.

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L’indicateur de l’état de préparation Open Data montre une moyenne européenne de 44,7%. Au total, 27 pays ont un portail national de données ouvertes, laissant 4 pays sans portail. Une politique Open Data est en place dans 71% des pays souvent dans le cadre d’une stratégie numérique plus générique ou d’un programme e-gouvernement.

L’indicateur de maturité sur les portails montre une moyenne européenne de 40,8%. Il y a une énorme différence entre différents portails nationaux. Seulement 33% des portails offrent un mécanisme de rétroaction. En outre, la disponibilité des données lisibles par machine est relativement faible. Seuls 17 pays ont été en mesure de fournir des statistiques du portail.

Une « unconférence » sur l’open data et la transparence

Le 1er juin prochain, la fondation Open State et la présidence hollandaise du Conseil de l’UE organise la toute première Transparency Camp Europe à Amsterdam.

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Une « unconference », c’est-à-dire où les participants décident de l’ordre du jour, se concentre sur les données ouvertes et les nouvelles technologies / politiques qui stimulent une gouvernance ouverte et inclusive tout en aidant les gens à saisir le fonctionnement des différentes institutions de l’UE.

Une compétition « app-challenge » pour exploiter les données publiques ouvertes actuellement disponibles (cf. « Transparent EU decision-making » et « An easy way to find European open data ») est également prévue.

Une application pour calculer les votes au Conseil de l’UE

Dernière illustration de la transparence, présentée lors du Working Party on Information du 12 janvier 2016, l’application pour mobile « EU Council voting calculator app » disponible sur Apple App Store et Google Play Store.

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Conçu pour ceux qui ont besoin de vérifier rapidement un résultat de vote potentiel pour le Conseil de l’UE, l’application de calcul de vote est un « must-have » pour tous ceux qui suivent les réunions du Conseil de l’UE, ses groupes de travail ou Coreper. La calculatrice de vote permet de vérifier si une majorité qualifiée est atteinte, à tout moment, partout.

Au total, ces différentes initiatives innovantes illustrent la progression de la transparence et de l’open data dans l’UE au niveau des Etats-membres et des institutions européennes.

Instagram : benchmark de la communication des institutions européennes

Parmi les réseaux sociaux, Instragram, lancé en 2010, représente une belle occasion pour les institutions européennes de se connecter, sans filtre, avec leurs publics et notamment les jeunes. Quelles visions se dégagent de l’utilisation d’Instragram par les principales institutions européennes ?

Commission européenne : une communication politique à visage humain

Avec près de 20 000 abonnées, le compte géré par l’équipe de la DG COMM dédiée aux médias sociaux humanise la communication de l’institution en mettant largement en avant les Commissaires sur Instagram.

Instagram_CommissionAvec des mises en scène soignées, autour des livres lus par les Commissaires ou des visites de terrain, l’image qui se dégage de la Commission européenne sur Instagram est beaucoup plus humaine et chaleureuse qu’ailleurs.

Parlement européen : une communication thématisée et plus marketée

Avec près de 35 000 abonnés, le compte du Parlement européen semble moins focalisé principalement sur les acteurs de l’institution, mais mixe davantage des photos de plénières avec des clichés très travaillés autour de thème, comme la journée de la femme aujourd’hui.

Instagram_Parliament

La promotion de la construction européenne s’inscrit plus visiblement dans un équilibre entre les messages traditionnels sur les avantages de l’UE (mobilité, tourisme, diversité) et les dossiers actuels de l’UE.

Conseil de l’UE : une communication dominée par l’agenda institutionnel

Avec mois de 10 000 abonnés, le compte du Conseil de l’UE propose une animation plus traditionnelle, c’est-à-dire plus conforme à l’agenda institutionnel : réunions du Conseil, photos des leaders nationaux et européens et surtout des vidéos courtes et informatives.

Instagram_EUCouncil

La dualité de la couverture entre les réunions du Conseil des ministres et du Conseil européen avec son président Donald Tusk ne contribue sans doute pas à simplifier la compréhension du fonctionnement des institutions européennes.

Au total, contrairement au flot de contenus publiés sur les dizaines de comptes Twitter ou de pages Facebook des institutions européennes, l’unicité de leur présence sur Instagram pousse les institutions européennes à se concentrer sur ce qu’elles estiment être le meilleur, dans leurs actualités, à proposer à leurs communautés. Une vision rafraichissante qui sort des sentiers battus.

Conseils européens : quelles sont les stratégies de communication politique ?

Le dernier sommet des chefs d’Etat et de gouvernement illustre particulièrement les stratégies de communication adoptées par les acteurs entre pédagogie politique et rhétorique de la réforme, et attitude de dialogue…

Pédagogie politique : le rôle dévolu aux institutions européennes

De qui parle-t-on ? Des présidents du Conseil européen, de la Commission européenne, du Parlement européen et même du Conseil de l’UE, qui en l’occurrence ne signifie pas l’acquisition de pouvoirs temporaires complémentaires mais plutôt le respect d’obligations supplémentaires.

Comment s’expriment-il ? Hélas, la créativité est rarement de mise à l’occasion des Conseils européens, surtout lorsque les enjeux, comme le Brexit ou les migrants, focalisent l’attention médiatique et cristallisent des tensions entre les Etats membres.

Trois messages sont systématiquement déclinés sur différents tons :

  1. dégonfler les attentes : surtout ne plus jouer la carte du sommet de la dernière chance, de la crise salvatrice, de l’accord au petit matin… même si les journalistes ne se sont pas privés d’utiliser ce registre ces dernières années ;
  2. canaliser les priorités : éviter de multiplier les sujets à l’agenda pour parvenir à des conclusions courtes et lisibles… même si le diable est toujours dans les détails et les annexes ;
  3. synthétiser les décisions : tenter d’imposer un cadrage dominant exclusif sur la lecture à apporter… même si les déclarations plus ou moins improvisées en conférence de presse à la sortie divisent l’unité.

Au total, le rôle des « présidents », imposé par le poids des institutions, ne leur permet pas de déployer une communication vraiment audible.

Rhétorique de la réforme : le rôle des Etats-membres velléitaires

À l’occasion des Conseils européens, les chefs d’Etat et de gouvernement ont le beau rôle. Du coup, leur communication est beaucoup plus offensive pour faire passer leur souhait de réforme.

Trois temps incarnent la rhétorique de la réforme :

  1. on inquiète : d’abord, on met l’accent sur les risques et les menaces, afin de capter l’attention médiatique, de définir des opposants et des limites infranchissables ;
  2. on rassure : ensuite, on évoque des opportunités, des débouchés, afin de créer une coalition de réformateurs, de créer un réseau/relais d’adhérents à la réforme ;
  3. on bétonne : finalement on communique sur le « deal » de la réforme, on « positive » sur les principes et les« avancées » de la réforme.

Attitude du dialogue : le rôle des « grands frères » de l’Europe

À défaut de disposer encore des pères fondateurs de l’Europe, ce qui fait que le projet a été perdu dans les sables par leurs successeurs, certains chefs d’Etat et de gouvernement, qu’ils appartiennent au couple franco-allemand ou coalise des groupes de pays homogènes, endossent le rôle de grands frères.

Ouverts au dialogue, mais dans le respect des règles de la famille, la régulation de l’ensemble des Conseils européens réside dans la réussite ou l’échec de ces médiations. Les velléitaires seront d’autant plus turbulents quand les « grands frères » ne rempliront pas leur fonction.

Au total, les Conseils européens, au-delà de leur « dramaturgie journalisticisée » sont devenus les principaux rendez-vous occasionnels de l’Europe avec ses citoyens, d’où l’importance des stratégies de communication politique.