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Manipulation et polarisation de l’opinion : de la vulnérabilité numérique en Europe à la souveraineté narrative de l’Union européenne

L’Union européenne se trouve à la confluence de défis informationnels sans précédent. Le rapport 2025 de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sonne l’alarme sur les tensions croissantes exercées sur nos valeurs démocratiques, notamment par la désinformation et la manipulation en ligne lors des processus électoraux récents.

Parallèlement, l’analyse percutante de l’Observatoire du Long Terme sur la « Manipulation et polarisation de l’opinion » dissèque avec une précision chirurgicale les mécanismes par lesquels le numérique est instrumentalisé contre nos démocraties, proposant aussi des pistes pour « sortir du chaos ».

Face à cette « infodémie » persistante, qui exacerbe les tensions et mine la confiance citoyenne, l’UE ne peut se contenter d’une posture réactive. Il est impératif d’inaugurer une nouvelle ère de communication proactive, résiliente, ancrée dans nos valeurs fondamentales, et capable de projeter une souveraineté narrative européenne.

Diagnostic partagé : une démocratie européenne sous pression informationnelle

Les constats des rapports de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE et de l’Observatoire du Long Terme convergent :

  1. L’intégrité électorale est menacée : Le rapport de l’Agence souligne l’impact délétère de la désinformation, des discours de haine et des ingérences étrangères sur les élections européennes et nationales de 2024. La régulation de la sphère en ligne, bien qu’initiée avec le Digital Services Act (DSA), peine encore à endiguer ces flux toxiques, comme l’illustrent les exemples de manipulations algorithmiques et d’astroturfing détaillés par l’Observatoire (cf. l’exemple de la présidentielle roumaine).
  2. Les droits fondamentaux sont érodés : Au-delà des élections, c’est l’ensemble des droits fondamentaux qui est mis à l’épreuve. La montée du racisme, de la xénophobie, des violences faites aux femmes, et les risques liés à l’intelligence artificielle non maîtrisée, sont autant de symptômes d’un espace public numérique où la manipulation émotionnelle prime souvent sur le débat rationnel.
  3. La confiance citoyenne est en berne : L’Observatoire met en lumière comment la « sous-information » et la « production excessive de fausses informations » créent un « vide » que la rumeur numérique exploite, sapant la confiance dans les institutions, les médias traditionnels (MJD – Médias de Journalisme à code de Déontologie) et même la science. Cette défiance est un terreau fertile pour la polarisation et l’action des « ingénieurs du chaos ».
  4. Les vulnérabilités aux ingérences étrangères : Les deux rapports, implicitement ou explicitement, pointent la sophistication croissante des opérations d’influence étrangères, qui exploitent nos libertés pour instiller le doute, diviser et affaiblir le projet européen. L’affaire des « étoiles de David » ou les campagnes autour des punaises de lit, analysées par l’Observatoire, en sont des illustrations préoccupantes.

Recommandations pour une souveraineté narrative européenne

Les rapports de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) et de l’Observatoire du Long Terme (OLT) ne se contentent pas d’un diagnostic ; ils esquissent, chacun avec ses spécificités, des voies d’action concrètes. Leur mise en œuvre conjointe et coordonnée est la clé pour passer d’une Europe informationnellement vulnérable à une Europe narrativement souveraine.

A. Régulation renforcée et application rigoureuse des cadres existants

  • Passage à l’échelle de la supervision : L’application effective du DSA et de l’AI Act implique un changement d’échelle majeur pour les régulateurs nationaux et européens. Cela nécessite des investissements conséquents en expertise technique (IA, algorithmique), juridique et en ressources humaines pour des entités comme l’ARCOM, Viginum, et potentiellement de nouveaux acteurs, comme un « Défenseur des droits d’expression et de la société numérique ».
  • Bras de fer potentiel avec les plateformes et diplomatie numérique : L’accès aux données et la transparence algorithmique restent des points de friction majeurs. L’UE doit se préparer à des contestations juridiques et à des stratégies de contournement, nécessitant une volonté politique sans faille et une coordination avec les États-Unis.
  • Définition de la « responsabilité » : Ces régulations déplacent le curseur du simple hébergement vers une responsabilité éditoriale accrue des plateformes pour les risques systémiques, ce qui a des implications financières et opérationnelles.

B. Fortification de l’écosystème informationnel européen

  • Lutte contre le « vide informationnel » en investissant dans la qualité : Reconnaître que l’information de qualité est un bien public essentiel à la démocratie. Cela implique des politiques publiques volontaristes pour assurer la viabilité économique du journalisme indépendant et diversifié par des mécanismes de financement indirects (taxation des plateformes, partage de revenus publicitaires) et par une labellisation claire pour les distinguer des « quasi-médias ».
  • Éducation aux médias et à l’information comme priorité sociétale : Un pilier de l’éducation citoyenne, de l’école à la formation continue, pour développer l’esprit critique face à la surabondance d’informations et aux manipulations.
  • Rôle des institutions publiques : Les institutions (universités, académies, services publics) doivent assumer un rôle proactif d’information du public sur leurs domaines de compétence, en particulier sur les sujets complexes ou controversés.

C. Communication proactive et capacités de contre-désinformation de l’UE

  • Souveraineté narrative active : L’UE doit développer ses propres narratifs, basés sur ses valeurs et ses réalisations, et les diffuser activement sur la scène mondiale, plutôt que de se contenter de réagir aux narratifs hostiles.
  • Capacités de renseignement informationnel : Nécessité de renforcer les capacités de veille et d’analyse des menaces informationnelles (type Viginum, mais à l’échelle européenne et avec des moyens accrus), en y intégrant l’analyse prédictive basée sur l’IA et des capacités robustes pour anticiper, détecter, analyser et contrer ces menaces.
  • Doctrine de réponse graduée : Élaborer des protocoles clairs pour répondre aux campagnes de désinformation, allant de la simple correction factuelle à des mesures de rétorsion (sanctions, contre-discours ciblés), tout en respectant la liberté d’expression.

D. Autonomisation des citoyens et protection renforcée de leurs droits numériques

  • Citoyenneté numérique active : Passer d’une vision du citoyen comme simple consommateur d’information à celle d’un acteur responsable et critique de l’espace numérique disposant de plus de contrôle sur leur environnement numérique (filtrage de la négativité, « notes de communauté », transparence des algorithmes et du ciblage).
  • Défis techniques et éthiques pour les plateformes : L’implémentation de contrôles utilisateurs granulaires et d’une modération plus engageante représente un défi technique et un changement de philosophie pour les plateformes.
  • Équilibre délicat : La question du pseudonymat régulé soulève des questions complexes d’équilibre entre protection de l’anonymat légitime et lutte contre les abus.
  • Justice et réparation : Des mécanismes de plainte efficaces et accessibles, tant au niveau des plateformes qu’au niveau institutionnel, sont cruciaux pour que les citoyens dont les droits sont bafoués puissent obtenir réparation.

E. Adaptation technologique et encadrement éthique de l’intelligence artificielle

  • Course technologique : La lutte contre la désinformation générée par IA nécessitera des contre-mesures basées sur l’IA (détection, authentification de contenus) et des outils positifs (ContextBot, pop-ups de « Nétiquette 2.0 »).
  • Gouvernance mondiale de l’IA : L’UE doit continuer à promouvoir son modèle de régulation éthique de l’IA au niveau mondial pour éviter une course vers le bas.
  • Prévention de la « pollution informationnelle » : Le risque de saturation de l’espace public par des contenus IA de faible qualité ou malveillants est réel et nécessite des stratégies de curation et de valorisation de l’information humaine de qualité.

L’heure n’est plus aux constats alarmistes mais à l’action résolue. Il ne s’agit pas seulement de protéger nos démocraties, mais de projeter un modèle qui allie liberté, responsabilité et respect des droits fondamentaux afin de « sortir du chaos informationnel » actuel et de bâtir une souveraineté narrative européenne, indispensable à notre autonomie stratégique et à l’avenir de notre projet commun.

Quelles perspectives pour la communication de l’UE sur les médias sociaux ?

L’Union européenne, dans sa quête d’une communication efficace, reconnait de plus en plus le rôle des plateformes de médias sociaux pour interagir avec les citoyens et projeter ses valeurs fondamentales, mais concrètement quelles sont les perspectives ?

Enjeux de la communication de l’UE sur les médias sociaux

Idéalement, l’UE voudrait aligner ses objectifs politiques aux innovations technologiques afin de communiquer librement dans un environnement numérique caractérisé par la sécurité, l’ouverture, la créativité et la confiance. Mais, la réalité est beaucoup moins rose, il s’agit de naviguer dans les complexités de la diffusion de fausses nouvelles et de vivre dans un monde dominé par quelques grands fournisseurs de services dans le paysage des médias sociaux. L’Union doit s’efforcer de trouver le bon équilibre entre ces contradictions.

En outre, l’environnement européen des médias sociaux est distinct en raison de lois sur la protection des données, telles que le Règlement sur les Services Numériques (Digital Services Act – DSA) et le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), qui influencent la manière dont le contenu est géré, la publicité est menée et les interactions des utilisateurs sont traitées.

De plus, le paysage culturel et linguistique diversifié du continent nécessite une approche nuancée de la création de contenu, adaptée non seulement aux différentes langues mais aussi aux contextes culturels variés et aux préférences régionales en matière de plateformes. Cette hétérogénéité souligne la complexité de l’élaboration d’une stratégie de communication unifiée de l’UE qui résonne efficacement dans tous les États-membres.

Un défi fondamental dans l’utilisation des médias sociaux pour la communication de l’UE réside dans la double promesse d’un ciblage « efficace » de la diversité des citoyens et que le contenu lié aux politiques soit « compris » et suscite l’engagement. Compte tenu de la faible identification des citoyens avec l’UE, les efforts qui transmettent la cohésion politique sont primordiaux. Comprendre la construction sociale et le sens politique de ces plateformes est crucial pour favoriser une sphère publique européenne plus forte et promouvoir une plus grande intégration.

Paysage des plateformes et des usages des institutions européennes

Bien que les plateformes établies comme Twitter-X, Facebook ou LinkedIn restent centrales dans la communication de l’UE, il existe une impulsion pour explorer des plateformes comparativement « nouvelles » pour les institutions européennes et s’adapter à la popularité évolutive des plateformes comme Instagram, WhatsApp, TikTok et YouTube, qui comptent d’importantes bases d’utilisateurs à travers l’Europe, un intérêt « incontournable » pour l’UE d’explorer ces plateformes même si elles sont loin de s’aligner sur les valeurs européennes, notamment de protection des données.

En théorie, la capacité des médias sociaux à renforcer la participation citoyenne et à améliorer les processus démocratiques ne dépendrait que de « recettes » liées à des stratégies qui privilégient l’interaction, l’inventivité et la transparence. Cependant, les études pointent un paradoxe potentiel où une utilisation plus élevée des médias sociaux est associée à une confiance moindre dans l’UE. Cela suggère que la simple présence des institutions de l’UE sur les médias sociaux est insuffisante pour cultiver la confiance et peut, dans certains contextes, contribuer à son érosion.

Le contenu et le contexte de la communication jouent un rôle crucial dans la formation de la perception des publics. De plus, la capacité de l’UE à surveiller et évaluer efficacement l’impact de sa communication sur les médias sociaux, notamment pour contrer la désinformation, est entravée par les limites de la qualité des données et de la comparabilité des rapports de transparence fournis par les plateformes de médias sociaux. Ces lacunes empêchent une compréhension globale des politiques et pratiques des plateformes, posant ainsi un défi à l’élaboration de stratégies fondées sur des preuves et à une surveillance efficace.

Tendances émergentes dans l’utilisation des médias sociaux par l’UE

Les prévisions peuvent suggérer plusieurs tendances émergentes qui façonneront la manière dont les institutions de l’UE utiliseront ces plateformes pour leur communication :

1. Un changement notable est la nature évolutive des réseaux de médias sociaux eux-mêmes, avec des plateformes comme Instagram et TikTok ressemblant de plus en plus à des réseaux médiatiques axés sur la consommation passive de contenu plutôt que sur un engagement significatif. Cette évolution nécessite que les institutions de l’UE adaptent leurs stratégies, en adressant les conséquences de plateformes privilégiant un contenu piloté par des algorithmes.

2. Le contenu généré par les utilisateurs continuera probablement sa domination, en stimulant l’engagement, représentant une opportunité pour les institutions de l’UE de s’associer avec des créateurs de contenus pour produire un storytelling authentique qui résonne auprès des publics cibles et renforce la confiance.

3. La croissance des communautés privées comme les groupes Facebook et les fonctionnalités plus communautaires sur Instagram indique une préférence des utilisateurs pour des espaces en ligne plus intimes et ciblés. Les institutions de l’UE pourraient envisager de créer ou de s’engager dans de telles communautés pour favoriser des liens plus profonds avec des segments d’audience spécifiques. L’importance croissante de la messagerie privée comme WhatsApp pour établir des liens plus forts et plus personnels avec les audiences doit également être notée.

4. L’intelligence artificielle est appelée à transformer la création de contenu à grande échelle, avec des outils d’édition de contenu, de traduction et d’interactions personnalisées devenant plus accessibles. Cela nécessitera une réflexion approfondie sur les implications éthiques et le maintien de l’authenticité.

5. Des réglementations plus strictes dans le prolongement du DSA devraient continuer à façonner le paysage des médias sociaux avec une plus grande responsabilité des plateformes en matière de sécurité des utilisateurs et de protection des données, y compris des exigences plus strictes pour la modération de contenu et la transparence.

6. L’émergence de nouvelles plateformes, telles que Threads et Bluesky, offre aux institutions de l’UE des voies supplémentaires pour se connecter avec de nouveaux publics. Les institutions européennes pourraient explorer également des réseaux sociaux « nostalgiques » émergents qui mettent l’accent sur l’authenticité et l’interaction véritable.

7. L’hyper-personnalisation, alimentée par l’IA avancée et l’apprentissage automatique, sera exploitée par les plateformes de médias sociaux pour adapter le contenu aux préférences et comportements individuels, exigeant des institutions de l’UE qu’elles se concentrent sur la création de messages très pertinents et personnalisés pour engager efficacement leurs audiences.

8. La réalité augmentée devrait devenir plus intégrée aux médias sociaux, offrant des expériences immersives grâce à des filtres et des essais virtuels. Les institutions de l’UE pourraient explorer le potentiel de la RA pour améliorer l’engagement des utilisateurs avec leur contenu.

9. La croissance des communautés de médias sociaux de niche répondant à des intérêts spécifiques pourrait fournir des espaces pour les institutions afin de se connecter avec des audiences très engagées. Les citoyens attendront de plus en plus des institutions qu’elles démontrent un engagement sincère en faveur de la durabilité et de la responsabilité sociale, influençant leur engagement.

10. Bien que certaines de ces tendances pointent vers une augmentation de la consommation passive de contenu sur certaines plateformes, la valeur fondamentale des médias sociaux pour la participation et l’engagement actifs des citoyens reste essentielle pour favoriser l’unité et la confiance dans le projet européen. Les institutions de l’UE sont confrontées au défi stratégique de concevoir du contenu et des campagnes qui non seulement captent l’attention dans un environnement de consommation passive croissante, mais sollicitent aussi activement la participation, le dialogue et les retours des divers publics européens.

Les médias sociaux représentent un potentiel significatif pour aider à combler les fossés numériques et à favoriser l’unité européenne. Le concept d’un réseau social européen dédié pourrait jouer un rôle crucial dans le renforcement de l’identité européenne et la promotion d’un sentiment d’appartenance en servant de canal principal pour les communications institutionnelles tout en promouvant le multilinguisme et les valeurs européennes.

L’influence, ADN de l’Europe, en mutation : l’UE face au grand réalignement informationnel

Le rapport « EU Media Poll 2025 » vient de tomber. Réalisé chaque année auprès des Key Opinion Formers à Bruxelles, c’est une boussole pointant vers des courants changeants. Quelles sont les tendances 2025 en matière d’information, d’influence et d’engagement sur les réseaux sociaux ?

Acte I : Le trône vacille, les barons de l’info en PLS ?

Le rapport est clair : les « grands classiques » comme POLITICO (69% d’influence perçue), le Financial Times (63%) et Reuters (62%) tiennent encore le haut du pavé. Ouf, l’ordre ancien n’est pas mort. POLITICO reste le chouchou, surtout pour son « accès insider » (50%) et sa « rapidité » (57%). C’est un peu le fast-food de luxe de l’info UE : rapide, efficace, mais laisse-t-il toujours le temps à la digestion et à la nuance ?

Cependant, attention au chant du cygne. L’influence de tous ces mastodontes décline par rapport aux années précédentes. POLITICO perd 5 points, le FT dégringole de 10 points, et The Economist, ce parangon de l’analyse, chute de 15 points ! C’est plus qu’une tendance, c’est un glissement de terrain.

Pendant ce temps, LinkedIn grimpe de 7 points pour s’asseoir à la table des grands avec 52% d’influence, une place acquise à la tête des médias sociaux. Et que dire de X (feu Twitter) ? Une chute vertigineuse de 15 points d’influence (à 43%) et une baisse de 12 points dans son usage hebdomadaire. C’est vraiment le moment de construire son influence ailleurs.

Aux États-Unis, si les médias traditionnels (NYT, WaPo) gardent une forte influence, la fragmentation est encore plus marquée avec une myriade de newsletters Substack, de podcasts indépendants et de commentateurs sur YouTube qui façonnent l’opinion. L’UE est-elle prête pour ce niveau de « désintermédiation sauvage » ?

Acte II : La quête de sens… et de vitesse (le paradoxe du sprinteur myope)

Pourquoi ces médias sont-ils « très influents » ? Pour le FT, c’est la « qualité de l’analyse ou de l’opinion » (67%). Pour Reuters, la « fiabilité » (66%). Pour POLITICO, la « rapidité » et l’ »accès insider ». On voit ici une tension fascinante : le besoin de profondeur face à l’urgence de l’immédiateté. Le rapport souligne que « l’accent mis sur l’immédiateté peut parfois se faire au détriment de la rigueur et de l’exactitude ». La course au scoop s’es intensifiée entre les grandes rédactions bruxelloises. C’est le dilemme de l’œuf ou de la poule : faut-il être le premier à dire une bêtise, ou le second à dire une vérité ?

Et comment consomme-t-on cette information européenne ? La lecture des sites d’information en ligne chute de 16 points (à 59%) ! Stupeur et tremblement. Les podcasts (+8 points) et les agrégateurs (+12 points) montent en flèche. L’ère de la curation personnalisée et de l’écoute nomade est bien là.

En Asie, des super-apps comme WeChat intègrent information, communication et services. L’Europe, avec son RGPD et sa culture de la spécialisation, peut-elle imaginer de tels écosystèmes intégrés sans sacrifier ses valeurs ?

Acte III : L’humain, toujours… mais moins qu’avant où le nouveau « café du commerce » numérique

Les relations personnelles et les contacts directs restent cruciaux (70% pour les collègues professionnels, 68% pour les contacts personnels). Mais attention, ces chiffres sont en baisse notable (respectivement -16 et -13 points !). Le « off » se numérise-t-il ? Les discussions de couloir se transforment-elles en échanges WhatsApp (toujours le plus utilisé à 65%, mais en baisse de 10 points) ou en messages LinkedIn ?

Pendant ce temps, Instagram (+6 points d’influence, +7 d’usage), TikTok (+11 points d’influence, +5 d’usage) et même Mastodon (+9 points d’influence) gagnent du terrain. L’image, la vidéo courte, le format « snackable » s’imposent. Doit-on s’attendre à un Commissaire européen faisant un « unboxing » de la dernière directive sur TikTok, ou un « story time » sur la politique agricole commune sur Instagram ? L’idée soulève une question fondamentale : comment toucher les citoyens (et les influenceurs de demain) là où ils sont, avec les codes qu’ils comprennent ?

Les dernières campagnes politiques ont toutes parfaitement maîtrisé l’art de créer une connexion « authentique » via les réseaux sociaux, en adaptant le message à chaque plateforme. L’UE, souvent perçue comme distante, a un défi immense à relever.

La vision stratégique : l’UE, l’influenceur des influenceurs (et pas seulement à Bruxelles)

Face à ce tableau, que faire ? Se lamenter sur la fin de la « belle époque » ? Certainement pas. Il est temps d’adopter une posture d’humilité, de curiosité et d’audace.

Devenir un polyglotte numérique : Il ne suffit plus de parler le langage de POLITICO. Il faut maîtriser les codes de LinkedIn (professionnel, réseau), d’Instagram (visuel, narratif), de TikTok (court, viral, authentique), des podcasts (intime, approfondi). Cela ne veut pas dire transformer chaque fonctionnaire en star des réseaux, mais d’identifier les bons canaux et les bons formats pour les bons messages et les bonnes cibles.

L’authenticité, l’arme de construction massive : Les « influenceurs » (au sens large) sont en quête de sens, de fiabilité, mais aussi d’une connexion humaine. L’UE doit incarner ses messages. Moins de jargon, plus d’histoires. Moins de process, plus d’impact visible. Les « insider access » de POLITICO sont précieux, mais l’ »outsider understanding » pour le citoyen l’est encore plus. La perception d’une « bulle bruxelloise » est tenace. LinkedIn est très influent chez les « Brussels opinion formers » (65%). Comment s’assurer que ce n’est pas un simple entre-soi numérique ?

La « coopétition » intelligente : Les médias traditionnels déclinent mais restent forts. Il faut continuer à travailler avec eux, mais aussi investir dans ses propres canaux et soutenir l’émergence de nouvelles voix européennes indépendantes et de qualité. Comment former les créateurs de contenu aux enjeux européens ?

L’art de la conversation : Même si les médias sociaux ont largement investi dans la dimension médiatique via la visibilité, particulièrement payante, la partie sociale organique et communautaire demeure. Il faut écouter, interagir, répondre. Le « community management » n’est pas une tâche subalterne, c’est le cœur du réacteur de l’influence moderne. Les médias sociaux en tant source d’influence sont encore relativement faibles (39%), ils devraient se développer à condition de les utiliser non comme des panneaux d’affichage mais des salons de discussion.

Embrasser la « Creator Economy » européenne : Il existe des milliers de créateurs de contenu talentueux à travers l’Europe. Collaborer avec eux (pas seulement les « gros » influenceurs, mais aussi les micro et nano-influenceurs spécialisés) peut démultiplier la portée des messages européens de manière crédible et ciblée.

Le courage de l’expérimentation (et du droit à l’erreur) : Le paysage médiatique évolue plus vite qu’auparavant, avec des mouvements à plus de 10 points d’écart en un an seulement. Il faut oser tester de nouveaux formats, de nouvelles plateformes, quitte à se tromper parfois. L’innovation ne naît pas de la peur de l’échec.

L’enquête « EU Media Poll 2025 » est une invitation à repenser nos certitudes, à affûter nos outils, et surtout, à rallumer la flamme de la narration européenne. L’UE, c’est une histoire et pour bien la raconter en 2025, il va falloir changer de disque… ou du moins, ajouter quelques pistes à la playlist pour swiper, liker, podcaster et « tiktoker » l’Europe. Si nous ne le faisons pas, d’autres s’en chargeront. L’influence, comme la nature, a horreur du vide.

Élections européennes 2024 : quels impacts de l’IA générative dans les campagnes électorales ?

Selon un rapport de la Fondation Kofi Annan et de Democracy Reporting International, l’IA générative (GenAI) s’est immiscée dans les campagnes électorales. Bien que le déluge prédit de désinformation pilotée par l’IA ne se soit pas entièrement matérialisé, le rapport offre des conclusions sans ambiguïté : la GenAI n’est plus une menace hypothétique, mais un outil tangible activement exploré dans la sphère politique, principalement sous la forme d’images synthétiques, souvent déployée par des acteurs politiques populistes pour amplifier des récits préexistants. Le potentiel de manipulation sophistiquée est indéniable, même si son impact à grande échelle lors de ce cycle électoral aura été limité. Ce n’est pas le moment de l’alarmisme, mais de la prospective et de l’adaptation…

Principales conclusions sur la GenAI lors des élections européennes de 2024

Les préoccupations concernant l’utilisation abusive généralisée de l’IA générative étaient fortes mais aucune utilisation significative et généralisée n’a été observée. Cependant, la GenAI facilement identifiable a été le plus fréquemment utilisée en France, les partis politiques d’extrême droite en France, en Allemagne et en Italie s’avérant être les utilisateurs les plus constants, principalement pour la création d’images synthétiques non étiquetées promouvant des thèmes nationalistes, anti-islamiques et conservateurs. Les plateformes ont eu du mal à détecter et à étiqueter le contenu GenAI, malgré les cadres réglementaires tels que le DSA et les engagements volontaires pris par les plateformes. Les études sur la perception du public ont mis en évidence une faible confiance du public dans l’identification du contenu GenAI, soulignant le besoin urgent d’initiatives d’éducation aux médias. Malgré l’impact limité lors de ces élections, le rapport souligne que la GenAI est un facteur croissant dans le paysage de l’information, nécessitant des stratégies proactives pour atténuer les risques potentiels pour les processus démocratiques.

Transparence et détection sont primordiales, mais pas des panacées

Le rapport souligne les difficultés à détecter le contenu GenAI, même pour les plateformes équipées de technologies avancées. Bien que le règlement sur les services numériques de l’UE et l’AI Act soient des étapes essentielles pour établir un cadre réglementaire, se fier uniquement à la détection et à l’étiquetage est insuffisant.

Il faut développer des outils de détection robustes et évolutifs, tout en reconnaissant leurs limites inhérentes. La transparence, en particulier de la part des acteurs politiques, reste une pierre angulaire de l’intégrité démocratique. Le manquement constant à étiqueter le contenu GenAI, comme observé dans le rapport, est une tendance préoccupante qui exige une plus grande responsabilité et le respect de normes à sanctionner.

La culture médiatique est le fondement de la résilience, mais pas seule

Les conclusions du rapport sur la perception du public sont préoccupantes. La faible confiance du public dans l’identification du contenu GenAI, associée à une connaissance limitée de la technologie elle-même, crée une vulnérabilité que les acteurs malveillants peuvent exploiter. Investir dans des initiatives globales de culture médiatique n’est pas simplement une mesure réactive, mais une stratégie proactive pour autonomiser les citoyens.

Ces initiatives doivent aller au-delà de la simple vérification des faits pour englober les compétences en pensée critique, la vérification des sources et une compréhension de l’écosystème de l’information numérique en évolution. Le « pré-bunking« , mis en évidence dans le rapport, offre une voie prometteuse pour renforcer la résilience cognitive face à la désinformation.

La confiance dans les médias et les institutions est la monnaie ultime mais fragile

Le rapport souligne à juste titre que l’impact de la désinformation pilotée par la GenAI est intrinsèquement lié au niveau de confiance dans les institutions démocratiques et les médias. Dans une ère de paysages d’information fragmentés et d’érosion de la confiance, nos communications stratégiques doivent donner la priorité à la reconstruction et au renforcement de ces fondations.

Cela nécessite un engagement envers l’exactitude factuelle, des pratiques de communication transparentes et un dévouement manifeste à servir l’intérêt public. En renforçant la crédibilité des sources d’information établies et en favorisant un dialogue constructif, nous pouvons créer un environnement moins susceptible d’être manipulé, quels que soient les outils technologiques employés.

Facteurs de risque de la GenAI pour faire basculer une élection ?

Quant aux inquiétudes sur la désinformation et la manipulation de l’opinion publique, pour le professeur Thorsten Quandt, la GenAI aura un impact, mais ne sera pas forcément un « bouleversement » majeur. La confiance dans la démocratie, le système politique et le journalisme traditionnel reste déterminante pour la vulnérabilité d’une société. C’est pourquoi les acteurs populistes cherchent à saper la confiance dans les médias. Le « pré-bunking » s’avère plus efficace que le « débunking » pour renforcer la culture médiatique. La généralisation de la GenAI sur les réseaux sociaux pourrait paradoxalement renforcer la confiance envers les sources d’information fiables. La vulnérabilité à la désinformation est étroitement liée à la structure des systèmes médiatiques. La polarisation idéologique et les liens étroits entre les systèmes politiques et médiatiques augmentent également la susceptibilité à la désinformation. Ainsi, l’impact de la GenAI sur les élections dépendra largement du contexte médiatique et politique dans lequel elle est diffusée.

Focus sur des incidents en France, en Allemagne et en Italie

En France, des comptes TikTok se faisant passer pour des proches fictifs de Marine Le Pen et Marion Maréchal ont utilisé la GenAI avec la génération de fakes en « face-swapping » pour promouvoir des sentiments nationalistes, gagnant des centaines de milliers de vues (plus de 30 000 abonnés et jusqu’à 400 000 likes par vidéo) avant d’être supprimés. Amandine Le Pen, Léna Maréchal, des deepfakes qui entrent en campagne en se sont présentant comme des influenceuses nièces de Marine Le Pen, Amandine Le Pen et Léna Maréchal. De plus, le Rassemblement National et Reconquête ont largement utilisé des images GenAI non étiquetées dans leurs campagnes, se concentrant sur des thèmes nationalistes et anti-immigration. Des acteurs étrangers sont également intervenus, avec une vidéo GenAI de faible qualité imitant un journaliste de France24 pour affirmer faussement que le président Macron avait annulé une visite à Kiev en raison d’un complot d’assassinat, diffusée par des médias pro-russes.

En Allemagne, l’Alternative für Deutschland (AfD) a principalement utilisé la GenAI sur Facebook, déployant des images pour alimenter des sentiments anti-migrants et la nostalgie d’une Allemagne ethniquement homogène. Des branches régionales de l’AfD ont partagé des images de jeunes inexistants approuvant le parti et des contenus provocateurs comme une image de « fête allemande du barbecue » partagée pendant le Ramadan, dont aucune n’était étiquetée comme générée par l’IA.

En Italie, Matteo Salvini et son parti, la Lega, ont été identifiés comme des utilisateurs importants de la GenAI, déployant au moins 19 publications dans le cadre de leur campagne « Più Italia, Meno Europa » (Plus d’Italie, Moins d’Europe). Ces images, diffusées sur Facebook, X et Instagram, ont promu des opinions nationalistes et eurosceptiques, utilisant parfois des images controversées pour critiquer la gestation pour autrui et d’autres fois évoquant des sentiments anti-islamiques. Ni la Lega, ni les plateformes n’ont étiqueté ce contenu GenAI.

Perspectives pour une approche collaborative et adaptative

L’avenir de la communication électorale à l’ère de la GenAI exige une approche multidimensionnelle, collaborative et adaptative visant à :

  • Renforcer les cadres réglementaires : Mettre en œuvre vigoureusement les DSA et AI Act et évaluer en permanence son efficacité pour relever les défis évolutifs de la GenAI.
  • Favoriser l’innovation de détection et de vérification : Soutenir la recherche et le développement de technologies de détection et de vérification de l’IA, tout en reconnaissant le jeu du chat et de la souris en cours avec les acteurs malveillants.
  • Investir dans la culture médiatique : Développer et déployer des programmes complets de culture médiatique dans toutes les catégories démographiques, en mettant l’accent sur la pensée critique et la résilience numérique.
  • Promouvoir des pratiques éthiques en matière d’IA : Encourager l’auto-régulation et l’adoption de lignes directrices éthiques par les acteurs politiques, les entreprises technologiques et les développeurs d’IA.
  • Construire une collaboration intersectorielle : Faciliter le dialogue et la coopération entre les décideurs politiques, les plateformes, les organisations médiatiques, la société civile et le monde universitaire afin d’élaborer des stratégies coordonnées.

Les élections européennes de 2024 peuvent servir de signal que la GenAI n’est pas une menace à éradiquer, mais une technologie transformatrice qui remodèle le paysage de l’information. Notre défi, et notre opportunité, résident dans l’exploitation de son potentiel tout en atténuant ses risques en embrassant un engagement de toutes les parties-prenantes envers les valeurs démocratiques afin de franchir la frontière générative en garantissant que les communications lors des campagnes électorales restent dignes de confiance dans les années à venir.

Mobiliser les imaginaires démocratiques dans la guerre de l’information, une perspective européenne

Notre connectivité sans précédent inaugure un nouveau champ de bataille incessant et sans frontières : la guerre de l’information. Selon l’analyse « Gagner la guerre de l’information : vers la mobilisation générale des imaginaires démocratiques » publiée sur le Grand Continent, nous sommes face à une réalité brutale : les approches traditionnelles de la communication stratégique ne suffisent plus. Nous avons un besoin urgent de déplacer notre attention d’une défense réactive avec le fact-cheking et le debunking à un leadership narratif proactif faisant vibrer nos imaginaires démocratiques, ancrés dans les valeurs européennes.

La guerre de l’information : un conflit nébuleux et omniprésent

Pour David Colon, la guerre de l’information est un conflit nébuleux et omniprésent. Elle ne se limite pas aux frontières géopolitiques ou aux scénarios de guerre traditionnels. Il s’agit d’un barrage constant de récits, de manipulations et de tensions stratégiques visant à influencer l’opinion publique, brouillant les lignes entre vérité et mensonge, et érodant la confiance dans les institutions démocratiques, piliers de nos sociétés européennes. Nos premières réponses – initiatives de vérification des faits, réglementations des plateformes, à l’image du Digital Services Act européen, et délégation de responsabilité – se sont avérées être de simples pansements sur une blessure systémique. Elles n’ont pas endigué la marée ; dans certains cas, elles ont même amplifié le message de l’adversaire en lui accordant involontairement une plus grande visibilité.

Pourquoi ces efforts ont-ils échoué ? L’erreur de combattre le contenu et négliger le contexte

Parce que nous avons mené la mauvaise bataille, sur le mauvais terrain. Nous avons été obsédés par le contenu de la désinformation, tentant de déconstruire des contre-vérités individuelles, tout en négligeant le contexte sous-jacent – le terreau fertile de nos imaginaires collectifs où ces récits prennent racine et s’épanouissent. La condescendante à l’encontre des seuls « non-informés » susceptibles d’être manipulés négligent l’impact des biais cognitifs qui sont universels, transcendant les catégories socio-économiques, et qui traversent toutes les nations européennes. La véritable arme dans la guerre de l’information n’est pas nécessairement de nous convaincre de mensonges flagrants, mais de solliciter excessivement nos systèmes cognitifs, de saturer notre attention et de déclencher des réponses émotionnelles – indignation, peur, espoir – qui court-circuitent la pensée rationnelle, fragilisant ainsi le débat public européen.

La vaporisation de la manipulation à l’ère algorithmique

Le paysage numérique lui-même a évolué, rendant obsolètes les anciens paradigmes. La « complosphère » et la « fachosphère » – chambres d’écho soigneusement définies – sont des vestiges d’une époque révolue. Aujourd’hui, la manipulation est vaporisée, diffusée à travers les algorithmes et les flux personnalisés des plateformes numériques dominantes. Nous ne sommes plus confrontés à des poches isolées de désinformation, mais à une propagation omniprésente de récits, souvent amplifiée par des utilisateurs synthétiques pilotés par l’IA qui brouillent les frontières entre voix authentiques et personnages fabriqués, défiant les efforts de régulation européens.

Au-delà de la figure de l’« utilisateur » : l’individu et ses identités narratives

De manière cruciale, il est important de distinguer entre « utilisateurs » et « individus ». Nos avatars en ligne sont des représentations fragmentées de nos personnalités complexes. Notre vulnérabilité à la manipulation n’est pas uniforme ; elle est profondément liée à nos « identités narratives » et à nos systèmes de valeurs, façonnés par nos histoires nationales et notre héritage culturel européen commun. Nous pouvons être perspicaces dans un domaine, mais susceptibles dans un autre, selon la facette de notre identité qui est ciblée. Ce n’est pas une faiblesse, mais une intuition cruciale : au sein de chaque individu, même ceux qui diffusent involontairement de la désinformation, réside une ressource potentielle pour la résilience démocratique.

La ligne de front traverse nos imaginaires européens

C’est ce changement de paradigme que nous devons adopter, à l’échelle européenne. Le véritable champ de bataille de la guerre de l’information n’est pas seulement l’infrastructure numérique, mais la « superstructure immatérielle » de nos sociétés – nos imaginaires collectifs européens, les histoires que nous nous racontons sur le monde, nos valeurs démocratiques et nos aspirations à une Europe unie et prospère.

Comme le révèle la recherche de Cluster 17, notre sensibilité à différents récits – qu’ils soient russes, ukrainiens ou autres – est profondément corrélée à nos sensibilités sous-jacentes et à nos représentations collectives héritées, construites au fil de l’histoire. Nous sommes, en essence, structurés par les récits qui nous habitent, et ces récits ont une dimension profondément européenne.

Rompre avec le discours rationaliste : raconter l’Europe par ses attachements

Cela nécessite une rupture radicale avec le discours rationaliste détaché souvent privilégié par ce que l’article appelle l’élite « hors-sol ». Nous devons dépasser les déclarations abstraites et nous engager avec l’émotionnel, l’humain, en puisant dans le riche terreau culturel européen. Nous devons raconter des histoires différentes, des histoires qui résonnent avec nos attachements communs européens, des histoires qui célèbrent notre diversité et notre unité, des histoires qui nous aident à « atterrir » dans un monde de plus en plus dominé par les récits désorientants du « cloud », souvent orchestrés par des acteurs externes à l’Europe.

Hypnocratie ou lucidité collective : le dilemme européen

Contre les écueils de la « transe » en référence au concept d’« hypnocratie » de Jianwei Xun – un système de contrôle réalisé non pas en supprimant la vérité, mais en multipliant les récits au point de désorienter – et de l’« hypnose » faisant écho à l’analyse de Marc Bloch sur les mouvements de masse fascistes, nous devons choisir. Allons-nous nous laisser manipuler dans un état de transe ou d’hypnose collective, ou bien allons-nous cultiver la collaboration consciente et la pensée critique, valeurs fondamentales de l’esprit européen ?

Vers une mobilisation générale des imaginaires démocratiques européens

La voie à suivre, telle que décrite dans les propositions, ne concerne pas des solutions technologiques isolées ou un contrôle descendant, mais une réorientation fondamentale de nos efforts de communication stratégique à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit de :

  • Réimaginer le champ de bataille européen : Dépasser les cartes socio-démographiques simplistes et comprendre les interactions complexes et dynamiques qui façonnent l’opinion publique européenne. Se concentrer sur la « superstructure » des imaginaires européens plutôt que sur la simple « infrastructure » des réseaux.
  • Décrypter les codes de la désinformation : Reconnaître la nature « sérielle » de la désinformation, sa dépendance à l’égard de formules narratives et de tropes récurrents, souvent ciblant spécifiquement les vulnérabilités des sociétés européennes. Décrypter cette « grammaire » est crucial pour déconstruire ses mécanismes et réduire son pouvoir de persuasion au sein de l’espace public européen.
  • Amplifier les récits authentiques européens : Au lieu de simplement réagir à la désinformation, nous devons cultiver et diffuser de manière proactive des récits positifs et convaincants, ancrés dans les valeurs démocratiques européennes, l’état de droit, les droits humains et la solidarité. Il s’agit d’un effort stratégique à long terme, une approche « goutte-à-goutte » qui façonne progressivement l’environnement informationnel européen.
  • Forger des coalitions de confiance paneuropéennes : Reconnaître qu’aucun acteur isolé – État membre ou institution européenne – ne peut gagner cette bataille seul. Nous devons construire des coalitions intersectorielles paneuropéennes – gouvernements nationaux et institutions européennes, société civile, médias indépendants, universités et acteurs technologiques responsables – pour assurer la convergence narrative et maximiser l’impact de nos actions coordonnées.
  • Naviguer dans la forêt sombre numérique : Reconnaître les limites de l' »écoute sociale » traditionnelle dans un espace en ligne fragmenté et piloté par des algorithmes, qui échappe en partie au contrôle européen. Nous devons adapter nos méthodes, en reconnaissant la « forêt sombre » comme un espace d’engagement et d’OSINT, mais pas nécessairement comme un baromètre fiable de l’opinion publique européenne.
  • Recentrer sur la perspicacité humaine : Revenir aux outils « analogiques » – recherche qualitative transnationale, écoute profonde et compréhension des récits individuels et collectifs européens. Exploiter l’IA non pas comme une source d’artificialité, mais comme un outil pour améliorer notre compréhension des imaginaires humains européens et renforcer notre capacité à y répondre de manière éthique et efficace.
  • Reconstruire la confiance et les valeurs partagées : Dépasser la communication transactionnelle et à court terme et adopter un appel démocratique fondé sur des valeurs partagées européennes et une confiance mutuelle entre citoyens et institutions. Il s’agit de favoriser un sentiment de but collectif européen et de résilience face aux récits manipulateurs qui cherchent à diviser et à affaiblir l’Europe.

Un appel à la mobilisation des imaginaires européens

La guerre de l’information n’est pas une course aux armements technologiques ; c’est une bataille pour les cœurs et les esprits européens, menée dans le domaine des récits et des émotions. Pour « gagner » cette guerre, nous devons mobiliser nos imaginaires démocratiques européens, en favorisant un écosystème vibrant d’histoires qui nous responsabilisent, nous inspirent et nous unissent en tant qu’Européens. Il ne s’agit pas seulement de contrer la désinformation ; il s’agit de construire un avenir plus résilient, informé et, en fin de compte, plus démocratique pour l’Europe. L’heure est à la mobilisation générale – non pas des armées, mais des imaginations européennes.