Le discours sur l’état de l’Union, que nous analysons chaque année, prononcé mercredi 10 septembre par la Présidente de la Commission exprime une tentative rhétorique et stratégique de faire basculer l’Europe vers un « projet de puissance ». Face à un ordre mondial fracturé, où les dépendances sont des armes et les démocraties des cibles, la Présidente pose un diagnostic sans concession et propose une thérapie de choc. Comment transformer cette vision en un mandat politique clair et mobilisateur, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos frontières, sachant qu’Ursula von der Leyen est largement contestée tant au Parlement européen avec des motions de censure dans les tuyaux que dans les sondages qui sont majoritairement favorable à sa démission, y compris en Allemagne…
1. Le narratif central : le « moment d’indépendance » comme acte de souveraineté
Le discours acte la fin de la « nostalgie » post-guerre froide. L’indépendance n’est plus un acquis, mais un combat permanent. C’est une réponse directe à la Zeitenwende allemande, mais universalisée à l’échelle de l’Union. La Présidente tente de forger une identité européenne non plus seulement fondée sur des valeurs partagées, mais sur une volonté de puissance partagée pour défendre ces valeurs. L’utilisation d’histoires personnelles poignantes (Sasha, les pompiers grecs) vise à incarner ce combat abstrait, à lui donner un visage humain.
Alors que les États-Unis oscillent entre isolationnisme et interventionnisme, et que la Chine promeut un modèle autoritaire de puissance, l’UE se positionne comme une « puissance responsable ». Ce narratif d’indépendance est moins agressif que le « America First » et plus ouvert que la « renaissance nationale » chinoise. Il s’agit d’une souveraineté stratégique assumée. Le risque majeur est le « say-do gap » (le fossé entre le discours et l’action). Le succès de ce narratif dépendra entièrement de la capacité des États membres à suivre, notamment sur les sujets requérant l’unanimité.
2. Le pivot du « Hard Power » : de la parole aux actes en matière de défense
C’est la partie la plus concrète et la plus récemment nouvelle. L’« alliance des drones » avec l’Ukraine, le « mur de drones » balte, le « Semestre européen de la défense » et le programme « Qualitative Military Edge » sont des concepts imagés, compréhensibles qui sonnent comme une tentative renouvelée de créer une culture stratégique et une industrie de défense véritablement européennes.
L’UE s’inspire ici du modèle israélien (avantage technologique qualitatif) et de l’agilité ukrainienne, tout en essayant de le coupler à sa propre puissance industrielle. C’est une reconnaissance que la sécurité du continent ne peut plus être entièrement déléguée à l’OTAN ou dépendre des cycles politiques américains. Le financement reste la clé, c’est potentiellement le mur de la dette qui se dresse. 800 milliards d’investissements potentiels sont mentionnés, mais leur mobilisation effective sera le véritable test.
3. Le réalignement économique : le nouveau contrat social de la compétitivité
Un an après la publication du rapport Draghi plus que jamais d’actualité, le discours opère une synthèse entre les impératifs de compétitivité (IA, clean tech, marché unique) et les angoisses sociales des citoyens (logement, énergie, alimentation, voitures abordables). C’est la reconnaissance que l’indépendance stratégique ne peut se faire contre les peuples. Le « Small Affordable Cars initiative » (la « e-car » européenne) en est la réponse symbolique pour répondre à la fois à la concurrence chinoise, à l’impératif climatique et au pouvoir d’achat. Le plan pour le logement abordable, s’il se concrétise, serait une avancée sociale majeure, montrant que l’UE s’attaque aux problèmes du quotidien.
L’équilibre est fragile. Le critère « made in Europe » dans les marchés publics sera perçu comme du protectionnisme par nos partenaires alors qu’il s’agit d’une défense de la concurrence loyale (level playing field), et non d’une fermeture des marchés européens.
4. La gestion des crises externes : Gaza, un test de crédibilité
La Présidente a pris un risque politique calculé. En admettant la douleur et la frustration face à la division européenne, elle gagne en crédibilité. Surtout, elle sort de l’ambiguïté en proposant un paquet de mesures concrètes (sanctions ciblées, suspension partielle de l’accord d’association, mise en attente du soutien bilatéral). C’est une tentative de reprendre la main et de sortir de la paralysie.
L’obtention d’une majorité au Conseil sur ces points sera extrêmement difficile. L’annonce elle-même est un acte politique, mais son échec potentiel pourrait affaiblir encore davantage la position de l’UE. L’inaction n’est plus une option.
5. La forteresse démocratique : protéger l’espace public et les citoyens
Contre les menaces internes de la désinformation et de l’érosion de la confiance, un « Bouclier pour la démocratie européenne » et un soutien aux médias locaux sont annoncés. L’angle le plus novateur et le plus puissant est celui de la protection des enfants face aux réseaux sociaux. En se positionnant comme l’alliée des parents contre les algorithmes de « Big Tech », la Commission touche une corde universelle et profondément anxiogène.
En citant l’Australie, l’UE montre qu’elle observe les meilleures pratiques mondiales et qu’elle est prête à agir. Cela renforce son image de régulateur mondial au service des citoyens (The Brussels Effect). Mais, toucher aux réseaux sociaux est un champ de mines juridique et idéologique. L’approche devra être prudente, fondée sur des données scientifiques et des consultations larges pour éviter les accusations de censure.
Refuser la fatalité du déclin, c’est prendre le pari de l’unité et de la volonté politique. Le rôle de la communication sera crucial afin de transformer le « combat » en un projet collectif désirable.