Décryptage de la communication de crise au cœur déjà du second mandat d’Ursula von der Leyen

Après un premier mandat d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne profondément marqué par la gestion de crises successives, la communication de crise dans son second mandat demeure non seulement une nécessité opérationnelle mais aussi un enjeu politique. Les crises exigent des actions décisives, mais également une communication claire, rapide et rassurante pour préserver la confiance publique, justifier les réponses politiques et cultiver la solidarité. La capacité de l’Union européenne à (re)gagner le soutien citoyen en période de turbulence dépend intrinsèquement de la manière dont ses dirigeants communiquent. Alors que le style de communication du premier mandat a démontré une capacité à centraliser les réponses, comment cette approche évolue-t-elle face aux pressions continues et aux controverses potentielles, et quel équilibre sera trouvé entre la projection de force et la transparence nécessaire ?

Naviguer les turbulences externes et internes : études de cas

Si l’armure a brillé sous les projecteurs des sommets internationaux, elle a parfois grincé dans les couloirs feutrés de la politique intérieure européenne. Peut-on être à la fois le porte-étendard inflexible de l’UE à l’extérieur et maîtriser l’art de la posture (presque) martiale et ne pas être la championne de la transparence et de l’écoute à l’intérieur ? C’est tout l’enjeu.

Étude de cas 1 : la réponse aux menaces tarifaires américaines

Face aux mesures commerciales restrictives de la part des États-Unis, et a fortiori avec la dernière annonce de placer des tarifs à 50% sur les importations européennes aux Etats-Unis dès début juin, la stratégie de communication de crise n’apparaît pas suffisamment décisive pour réagir et riposter, alors qu’il s’agit d’une compétence exclusive confiée par les Etats-membres à l’UE.

Le défi de la stratégie de communication devrait viser à projeter force et unité pour dissuader, tout en maintenant la porte ouverte à la diplomatie et en atténuant les dommages économiques. Le risque d’apparaître dans une position objectivement de faiblesse essentiellement réactive devrait être compensé par une pédagogie sur les moyens à la disposition de l’UE et la démarche collective solidaire entre les États-membres.

Étude de cas 2 : la communication de crise continue sur la guerre en Ukraine

Alors que la guerre d’agression russe se poursuit et que des inquiétudes émergent quant à une possible « fatigue de la guerre » ou un affaiblissement du soutien international, la communication reste essentielle. La stratégie de von der Leyen consiste invariablement à présenter le conflit comme une menace existentielle non seulement pour l’Ukraine, mais pour l’Europe entière. Le message central est celui d’un soutien indéfectible de l’UE à l’Ukraine « aussi longtemps que nécessaire », en insistant sur l’unité et la résolution des États membres. La communication met activement en lumière les mesures de soutien concrètes : aide financière, coordination des fournitures militaires, sanctions contre la Russie, et efforts pour l’intégration du marché énergétique ukrainien à celui de l’UE. La lutte de l’Ukraine est constamment liée à la défense des valeurs et des intérêts sécuritaires européens. Les grandes initiatives de défense de l’UE, comme le plan « ReArm Europe », sont également présentées, en partie, comme des mesures nécessaires pour renforcer le soutien à l’Ukraine. Des actions symboliques, telles que les visites à Kyiv ou les déclarations conjointes avec les dirigeants ukrainiens, sont utilisées pour renforcer le message de solidarité

Le défi principal est de maintenir le soutien politique et public pour cet engagement à long terme, face aux pressions domestiques et internationales concurrentes. La communication de crise vise à persuader les opinions publiques européennes de la nécessité de ce soutien continu, tout en signalant une détermination sans faille aux acteurs externes comme la Russie et les États-Unis.

Étude de cas 3 : la gestion des controverses internes

Sur le front intérieur, l’armure se fissure et la communication de crise version von der Leyen montre ses limites. La tendance à la centralisation, au contrôle, voire au secret, peut se retourner contre elle :

L’incident de la pneumonie en janvier 2025 : Lorsque von der Leyen a été hospitalisée pour une pneumonie, son équipe de communication aurait minimisé ou occulté la situation. De plus, elle n’a pas formellement délégué le contrôle de la Commission pendant son absence. Cette approche suggère une stratégie privilégiant le maintien d’une image de leadership ininterrompu et de stabilité institutionnelle, potentiellement au détriment de la transparence. Cette gestion a suscité des critiques de la part d’observateurs qui l’ont jugée excessivement secrète.

La démission de Thierry Breton : Le départ du Commissaire Thierry Breton aurait été précipité par sa décision de publier sur X une lettre d’avertissement à Elon Musk concernant la mise en œuvre d’enquêtes, sans coordination préalable avec le cabinet de von der Leyen. Par la suite, celle-ci aurait informé le Président français Emmanuel Macron qu’elle ne pouvait plus travailler avec M. Breton. Cet incident, communiqué principalement par des canaux internes et diplomatiques plutôt que par des déclarations publiques, souligne le contrôle très centralisé de la communication au sein de son administration et suggère une faible tolérance pour les actions perçues comme sapant ce contrôle ou défiant son autorité.

L’affaire des SMS avec le PDG de Pfizer : D’emblée dotée d’un nom dédiée, l’une de plus importantes crises, le «Pfizergate » incarne tous les travers de la présidente de la Commission européenne : non seulement la classique culture du secret mais en l’occurrence la destruction des échanges de SMS. Le Tribunal de la Cour de justice vient de juger que ces SMS existaient bel et bien et qu’Ursula von der Leyen a menti et la Commission avec elle. La tactique de l’évitement et le traitement par le mépris n’ont pas suffit à faire taire les critiques, dorénavant légitimes, car confirmées par les juges européens.

Ces épisodes révèlent une constante : une préférence pour le contrôle, parfois au détriment de la transparence. Le « Kabinett » von der Leyen, souvent comparé à une forteresse bien gardée, a tendance à vouloir tout maîtriser, tout verrouiller. C’est humain, surtout en temps de crise. Mais c’est aussi un risque.

Pour une communication de crise (vraiment) éclairée

Si Ursula von der Leyen veut marquer son second mandat d’une pierre blanche en matière de communication, voici quelques modestes suggestions, garanties sans éléments de langage officiels :

1. Un soupçon d’humour et d’autodérision : Sérieux ne veut pas dire ennuyeux. L’Europe est souvent perçue comme une machine complexe et technocratique. Un peu de légèreté, une pointe d’humour (même sur soi-même !) peut rendre le message plus accessible, plus humain. Et franchement, ça nous ferait du bien à tous.

2. Ouvrir (un peu plus) les fenêtres du Berlaymont : La transparence n’est pas un gros mot. C’est même la meilleure amie de la confiance. Expliquer les décisions, même complexes, même impopulaires. Reconnaître les erreurs quand il y en a. Le public est plus intelligent qu’on ne le pense. Et un peu d’air frais n’a jamais fait de mal à personne.

3. Jouer la carte de l’empathie (la vraie, pas celle qui est calculée) : Les citoyens ne sont pas des statistiques. Derrière les grandes politiques, il y a des vies, des inquiétudes. Une communication qui parle au cœur autant qu’à la raison est une communication qui porte. Un zeste d’humilité ne ferait pas de mal non plus. La rencontre à Bruxelles avec les victimes des inondations en Espagne après le congrès du PPE va dans la bonne direction.

4. Faire confiance à son équipe (et au-delà) : La centralisation a ses vertus, mais elle a aussi ses limites. Déléguer la parole, encourager les Commissaires à s’exprimer (quitte à ce qu’ils fassent parfois une petite « boulette » – c’est ça aussi, la démocratie !), c’est montrer une Europe plurielle et vivante.

5. Accepter la critique et le débat : Le Parlement européen n’est pas un paillasson. Les journalistes ne sont pas (tous) des ennemis. Les ONG ne sont pas (toujours) des empêcheurs de tourner en rond. Le débat contradictoire est le sel de la démocratie. Une communication qui l’accepte, voire le stimule, est une communication mature.

La communication de crise reste donc un pilier central de la présidence von der Leyen, particulièrement efficace pour projeter l’unité et la détermination de l’UE face aux menaces extérieures comme la guerre en Ukraine ou les potentiels différends commerciaux. Cependant, la gestion des enjeux internes révèle une approche privilégiant le contrôle sur la transparence, une tendance à la centralisation potentiellement renforcée par la nature même des crises.

Le véritable leadership éclairé pour un second mandat pourrait résider dans la capacité à affiner l’équilibre entre d’une part, rapidité et centralisation nécessaires en pleine tempête et d’autre part, maintenir la confiance à long terme exige aussi une communication qui intègre davantage de transparence et de réceptivité, même lorsque les sujets sont sensibles. Naviguer les crises futures demandera non seulement de la résolution, mais aussi une communication subtile capable de maintenir la cohésion interne et la crédibilité externe dans un monde de plus en plus complexe et contesté.

En conclusion, Ursula von der Leyen a prouvé qu’elle savait être une « guerrière » de la communication en temps de crise externe. Le défi de son second mandat sera de devenir aussi une « pacificatrice » tissant des liens en interne, une championne de la transparence et de l’écoute. Car la véritable force de l’Union européenne ne réside pas seulement dans sa capacité à projeter une image d’unité face au monde, mais aussi dans sa capacité à convaincre ses propres citoyens de la justesse de son action, même (et surtout) quand les temps sont durs. Et pour cela, il faut plus qu’une armure : il faut une âme. Et une communication qui la révèle.

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