Archives par étiquette : initiative citoyenne

Union européenne et communication : qu’est-ce qui a changé depuis 10 ans ?

Plus de 10 ans après la sortie en 2000 de la livraison « Europe et Communication » dans la revue « Communication et Organisation » (mis partiellement en ligne le 27 mars 2012), quel regard peut-on porter sur les conclusions – temporaires – tirées par les coordinateurs du dossier Nicole Denoit et Béatrice Galinon-Mélénec ?

Ce qui change peu : les formes de la communication européenne (technocratique, descendante et fonctionnelle)

Les contributions rassemblées dans ce dossier renforcent, pour la plupart, l’idée que les institutions européennes utilisent une communication technocratique, descendante et fonctionnelle qui instrumentalise le destinataire (le citoyen) de l’information. L’observation d’un développement croissant des nouvelles technologies ne modifie pas ce point fondamental.

La première conclusion du dossier « Europe et Communication » a été un peu remise en cause depuis 2000, notamment grâce aux nombreuses initiatives de Margot Wallström entre 2005 et 2009 (plan D, livre blanc…), listée sur la page « Responsabilités » de la Direction Générale de la Communication de la Commission européenne.

Ce qui ne change pas assez : la numérisation de la communication européenne (démocratique, ascendante et interculturelle)

Certaines contributions espèrent que la circulation de l’information pourra être organisée pour permettre une attitude réactive du destinataire final. Mais les institutions sont-elles prêtes à gérer les informations ascendantes et les NTIC peuvent-elles sérieusement espérer servir le renforcement d’une intercuturalité européenne ?

La seconde conclusion du dossier « Europe et Communication » qui concerne le web social n’a pas assez changé depuis 2000. Les actions de l’UE pour mener des expérimentations participatives et assurer une présence plus active dans les médias sociaux prouvent – à ce stade – le potentiel limité sinon en matière d’interculturalité du moins s’agissant de la circulation de l’information.

Ce qui ne change pas encore : la déterritorialisation de la communication européenne en réseaux

La multiplication des échelons régionaux, nationaux, supranationaux, la mise en place de réseaux de communication qui « déterritorialisent » la communication – pour créer leurs nouveaux territoires – posent la question du type de communication à mettre en œuvre. (…) Les réseaux de communication recomposent des territoires. (…) Faut-il y voir une volonté ou une incapacité à concevoir une communication alternative ? Le dossier laisse la question en suspens.

La troisième conclusion du dossier « Europe et Communication » qui concerne les réseaux et les territoires n’a pas encore changé depuis 2000. La stratégie de communication de l’UE de communiquer en partenariat avec les acteurs nationaux est appliquée, mais la question de son extension à d’autres niveaux d’actions comme les régions demeure inexplorée.

Ce qui ne change pas : les finalités de la communication européenne

Communiquer pour organiser un espace dans lequel chacun puisse trouver son appartenance tout en sentant préservée sa différence.

Construire une politique consensuelle mais ferme, qui propose des mesures nécessaires mais sans précipitation, de façon à ce qu’un lien social, une nouvelle citoyenneté européenne puissent s’y nourrir.

Faire et faire savoir certes, mais dans un fonctionnement de type démocratique qui se garde d’une information par trop impérative qui générerait le rejet des décisions institutionnelles à l’échelon européen.

Autant de convictions partagées par les auteurs qui ont bien voulu apporter leur contribution à ce dossier.

La quatrième conclusion du dossier « Europe et Communication » qui concerne les finalités de la communication européenne n’a pas changé depuis 2000. Seule l’innovation que représente l’initiative citoyenne européenne (le droit de pétition des citoyens européens) semble « nourrir une nouvelle citoyenneté européenne » dans la mesure où selon Jean Quatremer « cela va forcer l’exécutif à dialoguer publiquement avec les citoyens, ce qui va modifier profondément ses habitudes de travail ».

Ainsi, en l’espace de 10 ans, tandis que les problèmes posés par la communication européenne n’ont guère changé, les solutions n’ont que peu progressé.

Initiative citoyenne européenne : une révolution citoyenne de la communication européenne ?

Depuis le 1er avril, l’initiative citoyenne européenne (ICE), une innovation du traité de Lisbonne – qui « permet à un million de citoyens de l’UE de participer directement à l’élaboration des politiques européennes, en invitant la Commission européenne à présenter une proposition législative » selon le site officiel – est entrée en vigueur. Cette innovation introduite par le traité de Lisbonne peut-elle assurer une révolution citoyenne de la communication de l’Union européenne ?

L’initiative citoyenne européenne : une nouvelle légitimité pour les « petits entrepreneurs de la cause européenne » ?

L’ICE introduit une procédurialisation de la démocratie participative destinée à favoriser l’implication de simples citoyens dans les processus décisionnels de l’UE.

Sous cet angle, l’ICE s’inscrit pleinement dans la stratégie de communication de l’UE consistant à promouvoir la citoyenneté européenne active en sortant d’une conception unilatérale d’un public-récepteur au profit d’un échange avec des citoyens actifs devenus partie prenante de la communication européenne.

L’ICE conforte également la délégation d’une partie de l’activité de promotion de l’UE à des « petits entrepreneurs, militant de la cause européenne », comme l’analyse Philippe Aldrin et Dorota Dakowska dans la revue Politique européenne n° 34 titrée « Promouvoir l’Europe en actes » :

À y regarder de plus près, le regain de considération pour la parole, les opinions ou les initiatives des euro-citoyens « ordinaires » a paradoxalement d’abord bénéficié aux promoteurs non institutionnels mais traditionnels de l’idée européenne.

Ainsi, l’ICE conçue comme une opportunité d’illustrer l’attachement de la communication de l’UE aux pratiques démocratiques se trouverait être en fait un moyen de conforter l’activité de promotion extra-institutionnelle de l’UE réalisée par des « petits entrepreneurs militants périphériques et non institutionnels de la cause européenne ».

L’initiative citoyenne européenne : une exploitation problématique d’un « capital social européen » ?

Le Monde confirme que la procédure étant longue et complexe : « Cela montre la nécessite pour les citoyens d’être aidés et de s’appuyer sur des organismes bien informés sur l’UE. ».

Autrement dit, les citoyens ne pourront se saisir pleinement de l’ICE sans l’aide de ces « petits entrepreneurs de l’Europe » pour diverses missions :

  • mise à disposition des ressources intellectuelles dans la formulation des initiatives et l’évaluation de l’objet de l’initiative pour voir s’il appartient ou non au champ de compétences de la Commission européenne ;
  • mise en relation des citoyens européens intéressés pour constituer un comité de citoyens d’au moins sept organisateurs provenant d’au moins sept États membres de l’Union ;
  • mise en connexion des réseaux européens et des citoyens pour obtenir le nombre de signature nécessaire.

Pour décrypter l’ICE, maîtriser la procédure et éviter les embûches, seuls – selon l’expression de Philippe Aldrin et Dorota Dakowska – « ces « auxiliaires » de l’intégration européenne qui mettent leur expertise professionnelle au service de la cause européenne » disposent du « capital social européen » pour y parvenir.

L’exploitation de cette sorte de « capital social européen » dont seuls disposent les « petits entrepreneurs de la cause européenne » n’est pas sans soulever des problèmes :

Problème explicite : puisque les petits entrepreneurs de la cause européenne ne peuvent se passer de la tutelle financière et symbolique des institutions de l’UE, les ICE risquent de sombrer dans une relative homogénéisation et conformation exercés subrepticement par la Commission européenne.

Problème implicite : « parce que souvent prises dans les plis de l’évidence et de l’impensé d’un entre-soi – conduisant à la compatibilité des messages européens produits au centre et aux périphéries » selon l’analyse de Philippe Aldrin et Dorota Dakowska, les ICE pilotées par les « petits entrepreneurs de la cause européenne » risquent de se traduire par une harmonisation des objets, pauvres en pluralité et en inventivité.

En somme, la logique de disciplinarisation et de conformation aux règles et procédures de l’UE – que seuls maîtrisent les « petits entrepreneurs de la cause européenne » – risque de transformer ce qui pouvait être considéré comme un véritable droit de pétition pour les citoyens européen en un simple canal d’expression technocratique et cannibalisé par les « insiders » du système européen.

Ainsi, l’invocation d’une société civile européenne et d’un espace public européen que portait en germe la participation civique avec l’initiative citoyenne européenne risque de porter des fruits décevants.

Initiative citoyenne européenne et démocratie Internet : comment éviter l’échec ?

Le pouvoir conféré aux citoyens par l’initiative citoyenne introduite dans le traité de Lisbonne aurait pû permettre à l’UE de s’inscrire dans les promesses de la démocratie Internet. Le texte du compromis finalement adopté par les institutions européennes échoue à saisir la nouveauté démocratique d’Internet…

Comment s’auto-organisent les mobilisations collectives sur Internet selon Dominique Cardon ?

Selon Dominique Cardon, auteur de « La démocratie Internet. Promesses et limites » lors de son intervention à la conférence « médias sociaux et démocratie » organisé par le Social Media Club France, Internet permet à la société civile de s’auto-organiser.

Des mobilisations collectives en ligne autour des savoirs (Wikipedia), des valeurs universelles (militantisme international) ou des convictions politiques (activisme militant) peuvent alors s’auto-organiser suivant les règles suivantes :

  • le périmètre du collectif est flou avec des niveaux d’engagement à géométrie variable ;
  • il n’y a pas de représentation explicite du collectif, il n’y a que des membres du collectif sans porte-paroles désignés ;
  • on ne vote pas sur Internet, sinon pour qualifier la force des arguments, mais les décisions sont arbitrées par consensus, souvent imposé par les plus actifs.

Comment s’organisent les initiatives citoyennes suivant le compromis entre les institutions européennes ?

Dans le texte adopté par le Parlement européen le 15 décembre 2010, les procédures et conditions requises pour l’initiative citoyenne sont points par points opposées à la logique des mobilisations collectives sur Internet :

  • le périmètre des citoyens – au-delà du million de signatures requis par le traité de Lisbonne – est très précisément défini puisqu’il doit être issu d’au moins un quart des États membres avec un nombre minimal de signataires requis dans chaque État membre.
  • la représentation est également très encadrée avec un « comité des citoyens » qui doit désigner des représentants qui assureront la liaison avec les institutions de l’Union tout au long de la procédure.
  • on ne débat pas de l’initiative citoyenne, puisque seuls compteront les « formulaires de déclaration de soutien » dûment remplis par les citoyens et dans un délai n’excédant pas douze mois.

In fine, « la Commission européenne présente l’action qu’elle compte entreprendre, le cas échéant, ainsi que les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre cette action ». Autrement dit, ce que les citoyens européens auront porté à l’attention de la Commission européenne peut être écarté d’un revers de main.

Comment les initiatives citoyennes européennes pourraient contribuer à un espace public européen avec Internet ?

Pour Stanislas Magniant sur Netpolitique, l’initiative citoyenne européenne pourrait néanmoins constituer une bonne nouvelle, par un usage adapté d’Internet :

  • « l’initiative citoyenne européenne pourrait avoir des effets secondaires positifs pour la constitution d’un espace public européen, mettant intelligemment à profit les outils et les atouts d’Internet pour faciliter la rencontre d’opinions de différents États-membres et la création d’interactions transnationales largement inexistantes » ;
  • « les médias contribueront à éclairer les opinions nationales sur les sujets européens ainsi « hissés » à l’agenda » ;
  • « l’opportunité de répondre par Internet pourrait ouvrir un dialogue, sans doute l’aspect le plus prometteur pour la constitution de cet embryon d’espace public européen ».

Ainsi, malgré l’autisme du texte final sur les initiatives citoyennes européennes aux « vertus démocratiques de l’Internet », selon Dominique Cardon ; ces consultations populaires pourraient néanmoins contribuer à combler – bien imparfaitement – le déficit démocratique entre l’UE et ses citoyens.

Référendum d’initiative populaire : préoccupations corporatistes et propositions décevantes des institutions européennes

Si le principe de l’initiative citoyenne – cette innovation introduite par le traité de Lisbonne permettant à 1 million de citoyens de demander à la Commission de présenter une proposition législative dans un domaine de sa compétence – est acquis, les modalités pratiques de mise en œuvre font l’objet d’une passe d’armes entre le Conseil de l’UE et le Parlement européen…

Préoccupation de l’organe représentant les gouvernements des États membres : veiller à ce que les citoyens de l’Union soient soumis à des conditions similaires indépendamment de l’État membre dont ils sont issus

Le Conseil de l’UE – Affaires générales a adopté le 11 juin dernier une orientation générale soucieuse de soumettre les citoyens européens à « des conditions similaires indépendamment de l’État membre dont ils sont issus ».

Gardien de la légitimité intergouvernementale, l’essentiel des propositions porte sur les « seuils » de recevabilité des initiatives populaires :

  • en amont : au minimum 100.000 signatures issues d’un tiers des États-membres ;
  • en aval : au minimum 750 fois le nombre de membres du Parlement européen pour chaque État membre (soit 55 500 signatures en France).

Ainsi, le Conseil de l’UE envisage l’initiative citoyenne comme une innovation excessivement respectueuse des intérêts nationaux au point d’envisager des règles ad hoc saugrenues.

Préoccupation de l’assemblée des représentants directs des peuples européens : trouver les solutions les plus appropriées pour éviter les frustrations et les déceptions

La Commission des Affaires constitutionnelles du Parlement européen s’est réunie le 20 juillet dernier pour étudier les réponses des rapporteurs Zita Gurmai et Alain Lamassoure.

Garant de la légitimité démocratique, l’essentiel des propositions porte sur les « recours » en cas de décision négative de la Commission européenne :

  • en amont, si après 5000 signatures recueillies, un groupe de sages « aussi impartial que possible » déclarerait l’initiative irrecevable, alors les organisateurs auraient le droit de faire appel de cette décision devant la Commission européenne puis en appel devant la Cour de justice ;
  • en aval, si la Commission décide de ne pas donner suite à l’initiative populaire, « pour éviter toute déception et veiller à ce que les citoyens sentent qu’ils ont été écoutés », alors les organisateurs pourraient être reçu en audience au Parlement européen et l’initiative citoyenne pourrait devenir une pétition au Parlement européen.

Ainsi, le Parlement européen envisage l’initiative citoyenne comme une procédure extrêmement judiciarisée au point d’envisager que l’échec éventuel soit politiquement récupéré.

Alors que nous craignions le « spectre d’une coalition anti-citoyenne des institutions communautaires » contre le droit d’initiative citoyenne en juin dernier, force est de constater que les préoccupations et les propositions tant du Conseil de l’UE que du Parlement européen ne font que renforcer cette inquiétude.

L’initiative citoyenne devait « donner une nouvelle dimension à la construction européenne », la querelle des chiffres et des procédures sera loin d’en faire « un instrument facile à utiliser et accessible pour tous les citoyens européens » comme le souhaite le Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes de la présidence belge, Olivier Chastel. Ironiquement, la rédaction d’un « Guide de l’utilisateur » envisagée par les rapporteurs « pour rendre la procédure aussi conviviale que possible » semble plus qu’indispensable.

Initiative citoyenne : le spectre d’une coalition anti-citoyenne des institutions communautaires

Le droit d’initiative – l’innovation juridique de démocratie participative introduite par le traité de Lisbonne – permettra aux citoyens de demander à la Commission européenne de proposer un projet de loi, à condition qu’il soit appuyé par au moins un million de citoyens originaires d’un tiers des États membres de l’UE.

Afin de préciser les modalités de mise en œuvre, la Commission a présenté, le 31 mars dernier, une proposition de règlement, qui ne fut pas sans soulever des inquiétudes quant à la réelle ouverture de la procédure aux citoyens européens « ordinaires ». Qu’en est-il des positions respectives des institutions européennes ?

Accord du Conseil de l’Union européenne – organe décisionnaire dans l’adoption du règlement – autour des propositions de la Commission européenne

Malgré les nombreuses protestations (voir une synthèse des critiques par Julien Frisch), le Conseil de l’UE (Affaires générales) a décidé, lors d’une réunion, le 14 juin dernier, d’accélérer l’adoption du règlement avec une procédure en urgence (avec une lecture unique au Parlement et au Conseil) – qui devrait permettre de boucler un accord avant la fin de l’année…

Unique concession à la lecture du communiqué de presse, le Conseil estime que la Commission devrait se prononcer sur la recevabilité d’une initiative une fois 100 000 signatures recueillies (et non 300 0000). Quant à la controverse sur le « nombre significatif d’États membres » nécessaire pour atteindre le million de citoyens, le Conseil, suivant la proposition de la Commission estime qu’« un nombre significatif est considéré comme un tiers au moins des membres de l’UE ».

Désaccord du Comité des Régions – organe consultatif dans l’adoption du règlement – autour des propositions de la Commission européenne

Sollicité par le Conseil et le Parlement européen pour donner son avis, le Comité des Régions (CdR) trouve la proposition de la Commission trop compliquée, selon un communiqué du 10 juin dernier.

« Craignant que les pesanteurs de la procédure nuisent à sa popularité, le CdR réclame un assouplissement des contraintes imposées aux citoyens européens pour présenter une initiative citoyenne. »

Au-delà de la proposition de la Commission de créer un registre en ligne pour enregistrer les initiatives proposées, le rapporteur du CdR Sonia Masini « réclame la mise en place d’un guichet d’information interinstitutionnel, visant à fournir une assistance aux auteurs des initiatives et faire connaître les initiatives en cours. Cela doit notamment passer par un effort de traduction, pour que les initiatives proposées ne se voient pas limitées par les barrières linguistiques. »

La traduction et la publicité des initiatives citoyennes – condition du succès populaire – ne semblent pas avoir été suffisamment prises en compte par la Commission européenne.

Ainsi, entre l’accord du Conseil de l’UE, décisionnaire dans l’adoption du règlement et le désaccord du Comité des Régions, tout repose maintenant sur le Parlement européen, l’autre organe décisionnaire, qui a choisi Alain Lamassoure, auteur d’un rapport sur « le citoyen et l’application du droit communautaire » comme rapporteur pour l’initiative citoyenne.

Souhaitons que lors de la réunion de la commission des affaires constitutionnelles du PE qui se réunira le 12 juillet prochain, le spectre d’une coalition anti-citoyenne des institutions communautaires cesse de planer sur l’initiative citoyenne…