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La communication en ligne de la Commission européenne doit-elle copier les médias d’information en ligne ?

La crainte d’une confusion entre activité de relation presse avec des informations destinées aux journalistes et activité de communication avec des contenus destinés aux autres cibles est soulevée avec la refonte mise récemment en ligne de l’espace presse et actualité de l’UE (voir : « Évolution de la « press room » de l’UE vers une « news room » : quel impact ? »)

Cette crainte ne peut que se renforcer à la lecture d’un cas pratique proposé cette année à des agences qui répondaient à l’appel d’offre « Soutenir la communication digitale de la Commission européenne » (supendu avant la fin de la procédure).

Dans ce cas pratique fictif, l’hypothèse de la création d’une « newsroom dédiée à la Commission européenne » était soumise aux agences. La lecture de la mise en situation est édifiante :

The site should look like a real news site, comparable with the sites of quality newspapers or major broadcast companies, but should also fit into the look and feel of the Commission’s homepage. It should address at the same time press, interested professionals and interested citizens.

Traduction : Le site devrait ressembler à un vrai site d’infos, comparables aux sites des journaux de qualité ou des grandes entreprises de radiodiffusion. Le site devrait également s’inscrire dans la charte de la page d’accueil de la Commission. Le site devrait s’adresser en même temps à la presse, aux professionnels et citoyens intéressés.

Ainsi, au travers d’un cas pratique fictif visant à créer une newsroom dédiée pour la Commission européenne qui ressemble à un vrai site d’informations en ligne, la tentation de confondre communication en ligne de la Commission européenne et médias d’information en ligne déjà présente dans le nouvel espace presse et actualité de l’UE se révèle particulièrement inquiétante.

Évolution de la « press room » de l’UE vers une « news room » : quel impact ?

Après une refonte, qui remonte à 2008 et qui de l’aveu même de sa conceptrice Monica Solombrino, « forgot to include the users » (oublie d’inclure l’internaute), la « press room » de l’UE vient d’être totalement revue avec un « user-centred design »…

Présentation des contenus : l’évolution améliore le service pour les internautes

Monica Solombrino, fonctionnaire dans la « webteam Europa » responsable de la refonte, expose sur le blog de la Commission européenne « Waltzing Matilda » les principes pour « présenter (les contenus) dans un ordre logique, simple et facile à interpréter pour les internautes ».

Modalités de l’évolution :  répondre aux attentes des internautes et aux pratiques usuelles

Un ensemble de démarches ont été entreprises pour concevoir le nouvel espace presse et actualités de l’UE :

Fonctionnalités de l’évolution : offrir une expérience utilisateur clarifiée

Un ensemble de nouveautés ont été introduites pour renforcer la lisibilité et l’accessibilité du nouvel espace presse et actualités de l’UE :

  • Simplification, clarification et rationalisation : pour plus de cohérence et moins de duplication, fusion de 4 sites existants entre « EU press room » (l’espace presse), « EU news » (l’espace actualité), « EU calendar » (l’espace agenda) et « the Media centre » (l’espace audiovisuel)
  • Navigation plus complète : « À la une », « Communiqués de presse », « Calendrier », « Audiovisuel » (photos, vidéos, audio), « Contacts presse » (service porte-parole) et « Services presse » (accréditation, listes de diffusion, RSS…).

Au total, l’enjeu d’une meilleure présentation des contenus presse et actualités semble satisfaisant.

Éditorialisation des contenus : l’évolution confond informations aux journalistes et contenus destinés aux internautes

Avec cette refonte fusionnant les espaces presse et actualités de l’UE, le nouvel espace hybride soulève des confusions entre des contenus destinés aux journalistes et des contenus destinés aux internautes.

La physionomie générale répond aux besoins professionnels des journalistes avec des contenus explicitement destinés aux journalistes. L’accès sur un seul portail à l’ensemble des communiqués des institutions de l’UE ainsi qu’aux services à la presse de ces institutions est une avancée pour faciliter le travail des journalistes.

Mais, le nouvel espace hybride propose également des contenus qui manifestement ambitionnent de se substituer au travail journaliste en « éditorialisant » des « dossiers spéciaux » et autres « articles à la une ». Ces contenus sont-ils également destinés aux journalistes pour orienter leur sélection des informations pertinentes aux yeux de l’UE ? S’agit-il de contenus visant à terme à se substituer aux productions destinées aux journalistes ?

Ainsi, la refonte de l’espace presse et actualité de l’UE simplifie la présentation des contenus mais introduit de la confusion entre informations aux journalistes et produits de communication.

Progression de l’information européenne dans les JT français ?

Régulièrement, l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) publie INA Stat, une lettre trimestrielle offrant un « baromètre thématique des journaux télévisés (JT) français ». Quoique l’information européenne ne soit pas singularisée de l’information internationale – sauf à l’occasion d’un numéro spécial en 2008 sur l’Europe dans les journaux télévisés de six chaînes (TF1, France 2, France 3, Canal+, Arte et M6) – il semble que l’actualité européenne soit récemment plus présente…

En 2008, l’information européenne représentait 2,2% des sujets des JT français

Selon l’étude de l’INA, en 2008, 31 629 sujets ont été abordés dans les JT (TF1, France 2, France 3, Arte et M6) dont 716 consacrés à l’Europe :

  • Arte consacre en 2008 6% de ses sujets à l’Europe ;
  • France 3 diffuse 119 sujets, soit 2,3% ;
  • TF1 propose à ses téléspectateurs 1,9 % soit 172 sujets ;
  • France 2 traite l’Europe à hauteur de 1,6% de ses sujets ;
  • M6 se contente de 27 sujets européens dans l’année.

En 2011, l’information européenne représenterait 5,9% des sujets des JT français

Aujourd’hui, l’éditorialiste du Point Emmanuel Berretta publie un article sur « le poids de l’info internationale dans les JT » en 2011. Selon ses informations, « le poids de l’étranger a été de 45,5 % dans les journaux télévisés, dont 13 % sur la zone Europe », soit un poids relatif de 5,9% pour les sujets sur l’Europe dans les JT :

  • Arte demeure la chaîne la plus ouverte avec 24,6% de sujets sur l’Europe ;
  • France 2 octroie 3,6% de sujets sur l’Europe – ce qui doublerait le volume des sujets européens depuis 2008 – l’information internationale représentant 29,6% ;
  • TF1 propose seulement 2,9% de sujets sur l’Europe – un point de mieux par rapport à 2008 – l’information internationale montant à 33,3%.

Dans le détail, selon Emmanuel Berretta, notre partenaire allemand a été abordé dans 732 sujets, tous JT confondus. La Grèce, pourtant à l’origine d’une crise financière majeure, n’apparaît qu’assez loin avec 360 sujets. Enfin, dans l’Europe des 27, la Lettonie est le seul pays à n’avoir suscité aucun reportage en 2011.

Avec de tels résultats, la part de l’Europe serait ainsi aussi importante qu’en 2005, année du référendum sur la Constitution européenne, où la part des sujets européens correspondait à 5% dans les JT français.

Communication européenne : la pédagogie peut-elle être démagogique ?

Dans une note « Refonder le projet européen », publiée en mars 2012, l’Institut Montaigne – parmi un ensemble de propositions – formule l’idée de rendre l’Europe plus directement perceptible dans les médias en fournissant « un éclairage européen à un certain nombre de rubriques d’actualité, qu’il s’agisse de la météo, des résultats sportifs ou de l’actualité culturelle ».

Plus largement, l’intention de faire de la pédagogie sur l’Europe en dépassant les rubriques traditionnelles du traitement de l’actualité de l’UE dans les médias peut-elle se transformer en démagogie au sens où l’Europe sortirait du champ rationnel pour assurer une présence flatteuse là où la population porterait ses faveurs médiatiques : le sport, la météo, la culture voire le divertissement ou la fiction ?

La pédagogie sur l’Europe dans les médias d’information et les émissions d’information dans l’audiovisuel : une voie bloquée, selon les Européens eux-mêmes

Idéalement, assurer une meilleure information sur l’Europe serait envisageable dans les médias d’information (PQN…) et les émissions d’information (JT…) dans l’audiovisuel. Cela serait même souhaitable puisqu’une majorité des Européens s’estime mal informée sur l’Europe, selon l’Eurobaromètre 74 sur « l’information sur les questions politiques européennes ».

Pourtant, quoique conscients de leur faible niveau d’information sur l’UE, les Européens ne ressentent pas le besoin de combler leur déficit d’information sur l’UE. Toujours selon cette enquête Eurobaromètre, une majorité des Européens estime que la télévision et la radio parlent assez des affaires européennes.

La voie de la pédagogie « informative » sur l’Europe dans le cadre des médias et des émissions d’information n’est donc pas praticable pour mieux faire connaître l’actualité de l’Europe.

La pédagogie empathique sur l’Europe dans des médias d’affinité ou des actualités de divertissement dans l’audiovisuel : une opportunité ouverte sous conditions

Finalement, la pédagogie sur l’Europe ne peut se faire que dans le cadre de la consommation extra-informative des médias chez les Européens. C’est en inscrivant l’Europe dans le cadre des souhaits et des attentes du public et donc des supports ou lieux fort en audience ou audimat – sans rechercher d’emblée un discours sur l’intérêt général et la construction européenne – que des opportunités semblent ouvertes.

Néanmoins, cette recherche d’opportunités de faire de la pédagogie sur l’Europe ne doit pas sombrer dans la facilité voir la paresse intellectuelle en véhiculant des clichés, des préjugés ou en jouant avec les frustrations éventuelles dans la population. Par ailleurs, la pédagogie – même limitée – sur l’Europe doit se faire dans la transparence et avec une relative acceptabilité des publics.

Une fois ces règles de déontologie respectées, l’hypothèse d’assurer « un éclairage européen à un certain nombre de rubriques d’actualité, qu’il s’agisse de la météo, des résultats sportifs ou de l’actualité culturelle » semble une façon insatisfaisante mais relativement efficace d’assurer une présence plus sensible, plus empathique de l’Europe dans le quotidien des Européens.

Ainsi, inscrire une dose de pédagogie sur l’Europe dans le cadre des médias d’affinité et des actualités de divertissement peut renforcer l’attachement des Européens à la construction européenne.

Une information européenne grand public est-elle possible ?

Lors d’une intervention devant des étudiants, le Secrétaire de la section française de l’Association des Journalistes Européens, Fabrice Pozzoli-Montenay critique l’information « à la française » sur l’Europe. Entre un « journalisme institutionnel, qui se caractérise par une couverture technicienne, proche de l’expertise de l’UE » selon Olivier Baisnée et « l’euro-indifférence globale des médias français » selon Eddy Fougier, y a-t-il une place pour une information européenne grand public ?

Pour une minorité de citoyens : couvertures technicienne ou politique des correspondants de presse à Bruxelles et des médias spécialisés

L’information européenne « de qualité » existe lorsqu’elle est produite par les correspondants (pour l’essentiel de la presse écrite traditionnelle) à Bruxelles. De même, des médias européens en ligne spécialisés produisent une information européenne exhaustive.

Le problème ? Cette information est accessible seulement à une minorité de citoyens : les lecteurs de la presse quotidienne ou hebdomadaire nationale, voire les internautes surfant sur les sites d’information spécialisée. Bref, seuls ceux disposant des ressources nécessaires pour décrypter l’actualité des institutions européennes peuvent accéder à la compréhension des enjeux et des décisions de l’UE.

Et encore. Parmi les correspondants de presse, la couverture technicienne ne permet pas de vraiment saisir la profondeur de l’information européenne. Selon l’analyse d’Olivier Baisnée dans « Le corps de presse accrédité auprès de l’UE » in «  En quête d’Europe : Médias européens et médiatisation de l’Europe » :

Le journalisme d’institution renvoie en fait à des habitudes professionnelles qui s’apparentent à celles de « greffiers » rendant compte quotidiennement des activités européennes, sans fournir d’interprétation de type politique. Leur couverture technique de l’UE ne met ainsi jamais en évidence la nature proprement politique des événements, les luttes et les intérêts en présences. … Ces journalistes reprennent assez largement le discours que les institutions tiennent sur elles-mêmes.

Néanmoins, une nouvelle forme de journalisme d’investigation, largement plus critique, « tend à analyser les événements européens d’une façon plus proche du journalisme politique, expliquant et décrivant les luttes et les conflits internes aux institutions », selon Oliver Baisnée. Ces journalistes, le plus souvent freelance ou rattachés à des médias spécialisés sur les questions européennes offrent une information européenne faiblement accessible au grand public.

Au total, le journalisme européen – plutôt pro-européen lorsque la couverture est technicienne ou plus critique lorsque l’approche est davantage politique – est réservé à une minorité de citoyens.

Pour une majorité de citoyens : euro-indifférence globale des médias français

Pour tous ceux qui ne sont ni lecteur régulier de la presse nationale ni visiteur fréquent d’un portail d’information sur l’Europe, l’information européenne est alors très limitée. Quoiqu’il n’existe pas d’euroscepticisme systématique dans les grands médias français, « ils n’en contribuent pas moins à susciter une certaine forme d’euroscepticisme ou, au moins, d’indifférence vis-à-vis de l’actualité européenne » selon Eddy Fougier dans « Traitement médiatique et euroscepticisme en France ».

L’indifférence vis-à-vis de l’actualité européenne est tout particulièrement vraie pour la télévision. Ce désintérêt global des médias français pour l’actualité européenne s’expliquerait par le caractère très institutionnel de l’actualité européenne, le manque de personnalisation de cette actualité et sans doute par son manque de politisation.

Pour autant, les vraies causes de la faible couverture de l’information européenne à la télévision sont davantage à rechercher dans les raisons suivantes :

  • les journalistes ont appris que cette actualité est réputée complexe, technique, réservée à des spécialistes. Elle exigerait par conséquent une place importante pour l’explication, ce qui n’est pas possible à l’antenne ;
  • les chefs de rédaction ne savent pas comment traiter cette information européenne si transversale et de toute façon la logique de rationalisation des coûts limitent le recours à des correspondants permanents ;
  • les auditeurs/téléspectateurs tendraient à privilégier les informations de proximité et se désintéresseraient de l’actualité institutionnelle et internationale et de toute façon la quête d’audience dissuade toute incartade.

Plutôt que de chercher la pédagogie et l’explication avec une information européenne grand public, les médias audiovisuels tendent à véhiculer le message que l’actualité européenne est certes importante, mais rébarbative et éloignée des préoccupations quotidiennes.

Ainsi, il ne semble pas qu’il y ait de place dans les médias pour une information européenne grand public : l’activité des spécialistes de l’actualité de l’UE est accessible à une minorité instruite et motivée et les médias de masse démissionnent devant les exigences liés aux sujets européens.