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Série d’été : les fractures de l’information européenne

Avec l’été, Lacomeuropéenne propose une série sur les temps forts en 2012. Depuis le début de l’année, deux types de fractures ont frappé l’information européenne :

  • d’une part, le divorce est consommé entre les journalistes-correspondant de l’UE et le service des porte-parole de la Commission européenne ;
  • d’autre part, le fossé se creuse entre les médias et le grand public sur l’Europe…

Divorce consommé entre les journalistes et les porte-parole de la Commission européenne

Au-delà des passes d’armes régulières sur Twitter ou lors du briefing quotidien, notamment sur la transparence de la communication de la Commission européenne, le lien de confiance s’est peu à peu distendu.

La relation de travail journaliste/porte-parole se dégrade tant en raison des velléités de réforme de l’activité du service de porte-parole visant à mieux « encadrer » la liberté des journalistes sur les questions posées en dehors de l’agenda, que des démissions du service face aux impératifs de « realpolitik ».

Par exemple, lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse, la Commission européenne s’offre une polémique avec les journalistes : à sa manière, la Commission célébre (sic) la Journée mondiale de la liberté de la presse en refusant un point presse aux journalistes, alors que le probable futur Premier ministre chinois Li Keqiang rencontrait Herman Van Rompuy et José Manuel Barroso à Bruxelles.

Autre exemple, selon l’enquête Eurobaromètre sur l’Union européenne, les journalistes et les médias sociaux, une majorité des journalistes accrédités auprès des institutions européennes affirme qu’elle utilisera davantage les médias sociaux mais seule une minorité utiliserait davantage les médias sociaux de l’UE. Autrement dit, les journalistes accrédités auprès de l’UE doutent de la capacité des institutions européennes à leur fournir des informations vraiment utiles via les médias sociaux, quand bien même ces outils seront de plus en plus incontournables pour leur métier.

Fossé creusé entre les médias et le grand public sur l’Europe

Plus largement, le fossé entre l’information européenne et le grand public se creuse.

Première manière de constater le fossé, les pratiques en matière d’information des acteurs européens. Leur consommation des médias indique une très forte concentration autour de quelques titres de la presse anglo-saxonne ou spécialisés sur l’UE – quasiment aucun média grand public ne leur semble digne d’intérêt :

  • le Financial Times et The Economist sont très répandus auprès de la plupart des acteurs, en particulier les think tanks, les milieux académiques et les journalistes ;
  • Euractiv et European Voice – deux sources spécialisées sur l’UE – sont également très lus, notamment dans les associations professionnelles et les ONG.
  • la BBC – seule média grand public – est la source la plus fréquemment citée auprès de tous les acteurs au sein des institutions européennes.

Deuxième manière de constater le divorce entre les médias et le public sur l’Europe, c’est l’opinion des Français en matière d’information sur l’Europe :

  • Deux Français sur trois, se sentent mal informés sur l’Union européenne (66%) – mais ce sentiment fait l’objet d’un paradoxe sociologique puisque ce sont les moins diplômés et les chômeurs qui s’estiment mieux informés que les plus diplômés et les cadres. En résumé, on est peu informé sur l’Europe mais c’est déjà presque trop.
  • Plus de trois Français sur quatre souhaitent que les responsables politiques français, ainsi que les médias, parlent davantage de l’Europe (76%) – mais cette attente est fantasmatique, s’agit-il de plus d’Europe au sens pro-européen tel que l’entendent les partisans de l’intégration européenne ou plutôt de moins d’Europe « politiquement correcte », c’est-à-dire d’une information européenne qui soit plus plurielle, plus nuancée…

Au total, une information européenne grand public est-elle possible ?
Il ne semble pas qu’il y ait beaucoup de place dans les médias pour une information européenne grand public : l’activité des spécialistes de l’actualité de l’UE est accessible à une minorité instruite et motivée et les médias de masse démissionnent devant les exigences liés aux sujets européens et les contradictions des attentes du public.

Quelle est l’opinion des Français en matière d’information sur l’Europe ?

Deux Français sur trois, se sentent mal informés sur l’Union européenne (66%) et plus de trois Français sur quatre souhaitent que les responsables politiques français, mais également les médias, parlent davantage de l’Europe (76%). Ce sont les principaux résultats du dernier Eurobaromètre Flash 346 « Les Français et l’Union européenne », réalisé au printemps 2012. Comment les interpréter ?

Paradoxe sociologique du sentiment d’information perçu sur la vie politique de l’UE : les moins diplômés et les chômeurs s’estiment mieux informés que les plus diplômés et les cadres

Selon l’enquête Eurobaromètre (pages 14/15), l’information sur la vie politique européenne fait l’objet d’un paradoxe sociologique puisque ce sont les personnes ayant quitté l’école le plus tôt qui se disent les mieux informées. De même, les chômeurs (35%) se sentent mieux informés que les cadres (24%) :

Alors que les logiques sociologiques sont assez classiques en ce qui concerne le sentiment d’information sur la vie politique française (avec notamment un meilleur sentiment d’information chez les plus diplômés), les variations sont parfois un peu plus surprenantes en ce qui concerne l’information sur la vie politique dans l’UE.

Comment analyser ce niveau d’information « sociologiquement paradoxal » sur la vie politique de l’UE ?

S’agit-il d’une telle indifférence, d’un tel profond désintérêt, voire d’une défiance des classes populaires pour l’UE au point que les populations les moins diplômées jouent « la provocation » de s’estimer les mieux informées, alors que le niveau d’information sur l’UE est objectivement faible en France ?

S’agit-il d’une résignation, d’un abandon de toute idée d’être mieux informé chez les populations les moins diplômées qui – faute d’un effort de pédagogie dans les médias – s’estiment les mieux informés, puisque de toute façon l’information européenne est de toute façon incompréhensible, inaudible ?

Souhait de davantage de la thématique européenne dans le discours des politiques et dans les médias

Selon l’enquête Eurobaromètre, pour le souhait très majoritaire chez les Français de davantage d’information sur l’UE chez les hommes politiques et dans les médias, « les tendances sociodémographiques sont, dans l’ensemble, peu marquées avec très peu de différences selon le sexe et l’âge et un souhait fréquemment plus prononcé chez les plus diplômés. (…) En cohérence avec les différences selon le niveau d’éducation, les cadres sont plus nombreux que les ouvriers à souhaiter davantage d’Europe dans le discours des politiques et les médias ».

Comment analyser ce souhait d’informations sur la vie politique de l’UE dans les médias et les discours des responsables politiques ?

S’agit-il, selon Julien Zalc, consultant pou TNS-Sofres, dans une note de la Fondation Robert Schuman « Les Français et l’Europe : vérités et surprises » de « faire l’hypothèse qu’ils [les Français] aimeraient peut-être entendre un discours plus positif et fédérateur sur l’Union et ses institutions que celui qui leur a été proposé » [pendant la campagne des élections présidentielles] ?

S’agit-il au contraire d’un souhait d’une présence de la thématique européenne moins « politiquement correcte », c’est-à-dire d’une information européenne qui soit plus plurielle, plus nuancée tant dans les discours politiques et les médias ?

Bref, l’analyse de l’opinion des Français en matière d’information sur l’Europe est complexe tant d’une part par un paradoxe sociologique quant au sentiment sur le niveau d’information actuel et d’autre part par un biais politique quant au souhait sur le niveau d’information à venir.

Election présidentielle et Europe : l’information des médias et la communication des candidats au crible du factcheking européen

Vigie 2012 est un site de factcheking sur l’Europe lancé en octobre 2011 qui mène « un double travail de vérification de la parole politique sur l’Europe et de mesure du traitement de l’Europe dans les médias ». Quelles sont les faits saillants de la campagne présidentielle en France en matière d’Europe ?

Europe et culture politique française : fracture et paradoxe

Selon Thierry Chopin, auteur du « Bal des hypocrites », dès qu’il s’agit d’Europe en France, tout remonte au « non » français du 29 mai 2005 qui a révélé « « une fracture politique entre France et Union européenne » et mis en lumière « la relation paradoxale qu’entretient la France à l’Europe », fracture et paradoxe dont la clef réside avant tout dans la culture politique française » structurée selon :

  • une culture institutionnelle jacobine stato-centrée en déphasage avec l’univers bruxellois ;
  • une vision économique « antilibérale » et donc difficilement compatible avec le marché européen ;
  • une identité internationale gallicane mal à l’aise dans l’Union à 27.

Par ailleurs, Thierry Chopin plaide, dans son ouvrage datant de 2008, pour une nouvelle pratique politique – que la campagne présidentielle de 2012 n’a pas vraiment illustrée puisqu’il s’agissait d’un passage d’une « rhétorique de puissance à une politique d’influence » – qui s’appuierait notamment sur… un plus grand respect par la France de ses engagements communautaires.

L’information européenne dans les grands médias s’éloigne à mesure que la campagne s’intensifie

Qu’il s’agisse de la presse quotidienne nationale (Les Echos, Le Monde, le Figaro, Libération) ou des journaux télévisés (TF1, France 2 et France 3) « les grands médias d’information accordent de moins en moins d’espace à l’actualité européenne » à mesure que la campagne électorale avance.

Selon Vigie 2012, « cela s’explique probablement par la moindre présence de la crise de la zone euro dans l’actualité ». Sans doute, mais c’est également le fruit d’une campagne présidentielle, dont les centres d’intérêt n’ont pas sensiblement porté sur les enjeux européens.

La communication européenne des candidats : c’est ceux qui en veulent le moins qui en parlent le plus

La fracture entre politique française et Europe – rappelons le rapport Herbillon sur le sujet en 2005 – se poursuit lors de l’élection présidentielle de 2012.

Les familles politiques parlent d’autant plus d’Europe que leurs électeurs ont voté « non » au traité constitutionnel européen en 2005. Par ailleurs, toutes les familles politiques françaises parlent aussi mal d’Europe, puisque 50% des déclarations vérifiées des candidats sont vraies.

Ainsi, le travail de factcheking européen réalisé par Vigie 2012 lors de la campagne présidentielle confirme fracture et paradoxe d’une relation entre Europe et politique française pour le moins agitée.

Quelles sont les tendances de la fabrication de l’information européenne ?

Dans un récent ouvrage sur « Le champ de l’Eurocratie, une sociologie politique du personnel de l’UE », Philippe Aldrin étudie les « producteurs, courtiers et experts de l’information européenne ». Trois tendances  travaillent l’univers professionnel de la fabrication de l’information européenne…

Tendance n°1 : incorporation d’un professionnalisme issu du secteur privé au sein de l’administration européenne

La « réputation d’amateurisme » frappe les premiers agents de l’information européenne au sein du Service commun de presse et d’information des Communautés européennes. « Les acteurs des premières années racontent tous – unanimement – l’image de « saltimbanques » des gens d’information au sein de l’administration naissante. » C’est l’époque de la DG X autrement appelée « la DG des bras cassés » et de la communication institutionnelle considérée comme « des tâches littéraires et futiles ».

Avec la création de la DG COMM (Direction générale à la communication) au sein de la Commission européenne en 2006 et le premier concours dédié pour recruter des professionnels de l’information et de la communication en 2007, on assiste à la « supplantation du militantisme par la bureaucratie, et du génie des découvreurs par le professionnalisme des lauréats surdiplômés du concours de la fonction publique européenne ».

Ce récent effort de professionnalisation des personnels se double d’une « rationalisation de la chaîne de production communicationnelle au sein des institutions (planification, mutualisation des outils et des coopérations de la communication communautaire) ».

Ainsi, « la coproduction et le jeu croisé des externalisations-internalisations de compétences ont progressivement généré un alignement des pratiques internes sur les méthodes et les process des professionnels de la communication » (issus du secteur privé). Aujourd’hui, les agents communautaires ou leurs sous-traitants partageraient un même professionnalisme avec un même langage et des mêmes outils professionnels.

Tendance n°2 : rationalisation du système de coproduction de l’information européenne

« Depuis les origines, l’intégration européenne s’est appuyée dans différents domaines sur l’enrôlement d’experts et professionnels extérieurs. » En matière d’information, ces collaborations n’étaient pas formalisées mais plutôt « fondées sur des affinités électives autour de l’idée d’intégration » ou alors sur des relations personnelles (comme le « système Olivi » qui privilégie des journalistes recrutés personnellement pour le service de presse) ou encore « des programmes de relations publiques au long cour » auprès de quelques groupes spécifiques acquis au projet européen.

Ce modèle de production de l’information européenne reposant sur des collaborations ponctuelles et sélective s’est formalisé afin d’« uniformiser les procédés du travail communautaire (…) et de généraliser les bonnes pratiques ».

Ainsi, « la rationalisation repose donc aujourd’hui sur des protocoles par lesquels les agents de l’institution encadrent, dans des relations plus dépersonnalisées, les intermittents (collaborateurs free lance, personnels contractuels, stagiaires) et les prestataires extérieurs privés qui sous-traitent les besoins d’information-communication de l’UE ».

Tendance n°3 : normalisation de la prise en charge de la publicité de l’Europe politique

La vision traditionnelle de l’information européenne consiste à se « limiter à la mise en public des informations sur l’Europe ». Il s’agit d’« une conception diffusionniste fondée sur une pédagogie de l’Europe prenant pour relais d’information les « leaders d’opinion » ». Autrement dit, l’information européenne est « conçue jusqu’à ces dernières années comme un problème de didactique (nécessité de faire comprendre ce qu’est la construction européenne) » et tout discours politique est exclu.

L’information européenne « est désormais considérée davantage comme un problème d’équilibre qu’affronte tout pouvoir », entre les tensions générées par son action et la nécessité de le légitimer. La conception de l’information devient davantage procédurale en étant « intégré très en amont de la chaîne de travail communautaire ». Ainsi, l’information européenne est « assumée comme un instrument de légitimation politique ».

« Aujourd’hui, derrière la rhétorique délibérative et, par-delà cette débauche d’apparitions publiques (de Commissaires européens dans les médias et les régions) destinées à « donner à l’Europe un visage humain », le débat public concernant l’action de l’UE en matière d’information-communication s’est en quelque sorte désectorisé, devenant un enjeu plus global indissociable de la réflexion sur la « bonne gouvernance » européenne. »

Ainsi, cette analyse de l’information européenne « dans le mouvement même de son processus de fabrication » saisit un monde de professionnels de la coproduction de l’information européenne plus professionnel, plus rationnalisé et plus normalisé.

« On the frontline » : hybridation entre information d’Euronews et communication de la Commission européenne

Début avril, la chaîne internationale d’information Euronews qui se présente comme un « véritable hub média indépendant » (boilerplate de la chaîne) lance un programme hybride « On the frontline » réalisé « en partenariat » avec la Direction Générale des Affaires Intérieures de la Commission européenne…

Le programme de subventions à Euronews de la Commission européenne

Afin de « garantir la couverture à long terme des activités de l’Union sous un éclairage européen » sur Euronews, la Commission européenne subventionne la production et la diffusion – à la carte – de programmes sur les affaires européennes.

Selon le programme de travail annuel de la Direction Générale à la communication, une « convention-cadre de partenariat avec Euronews a établi des barèmes type de coûts unitaires pour un certain nombre de magazines de durées différentes, disponibles isolément ou en série, avec ou sans distribution ».

Autrement dit, n’importe quelle « DG » de la Commission peut piocher dans le catalogue pour produire et diffuser des programmes d’information selon les formats et les volumes au choix : d’un magazine de 3 minutes, diffusé 20 fois (bande-annonce comprise) à 19 444 € à une série de 24 programmes de 12 minutes, diffusés 15 fois à 1 349 671 €. Le montant maximal de la contribution de la CE à cette action pour 2012 a été fixé à 6,5 millions d’€.

On the frontline, le premier programme d’Euronews parrainé par la DG Affaires intérieures

En application de la convention-cadre de partenariat, Euronews en partenariat avec la DG Affaires intérieures lance un « nouveau magazine d’information qui fait le point sur les questions européennes et mondiales de sécurité les plus urgentes, avec un traitement à 360° ».

Ce programme, réalisé en studio, débute par des reportages ou éléments visuels qui mettent en perspective la problématique de l’émission. Ces données conduisent à un débat entre deux invités, animé par la journaliste Isabelle Kumar qui déclare, dans le communiqué de lancement :

« Notre objectif est de mettre en perspective ces enjeux en informant et en présentant les différents points de vue sur les sujets. Nous espérons que les téléspectateurs pourront ainsi se forger leur propre opinion sur ces questions vitales liées à leur sécurité ».

Selon les informations disponibles, ce programme correspondrait – dans le catalogue – à une série de 10 ou 24 épisodes de 12 minutes, diffusé chacun 15 fois à l’antenne.

Le premier programme sur le crime organisé en Europe, dont l’un des deux invités est « Carlo van Heuckelom, le chef du bureau criminalité financière à Europol » est donc visible en catch-up TV sur le site d’Euronews mais également dès la page d’accueil du site de la DG Affaires intérieures.

Ainsi, « On the frontline » est le premier exemple de l’hybridation entre un programme d’information produit par un média audiovisuel indépendant et une vidéo de promotion de l’action de la Commission européenne.