Dans un récent ouvrage sur « Le champ de l’Eurocratie, une sociologie politique du personnel de l’UE », Philippe Aldrin étudie les « producteurs, courtiers et experts de l’information européenne ». Trois tendances travaillent l’univers professionnel de la fabrication de l’information européenne…
Tendance n°1 : incorporation d’un professionnalisme issu du secteur privé au sein de l’administration européenne
La « réputation d’amateurisme » frappe les premiers agents de l’information européenne au sein du Service commun de presse et d’information des Communautés européennes. « Les acteurs des premières années racontent tous – unanimement – l’image de « saltimbanques » des gens d’information au sein de l’administration naissante. » C’est l’époque de la DG X autrement appelée « la DG des bras cassés » et de la communication institutionnelle considérée comme « des tâches littéraires et futiles ».
Avec la création de la DG COMM (Direction générale à la communication) au sein de la Commission européenne en 2006 et le premier concours dédié pour recruter des professionnels de l’information et de la communication en 2007, on assiste à la « supplantation du militantisme par la bureaucratie, et du génie des découvreurs par le professionnalisme des lauréats surdiplômés du concours de la fonction publique européenne ».
Ce récent effort de professionnalisation des personnels se double d’une « rationalisation de la chaîne de production communicationnelle au sein des institutions (planification, mutualisation des outils et des coopérations de la communication communautaire) ».
Ainsi, « la coproduction et le jeu croisé des externalisations-internalisations de compétences ont progressivement généré un alignement des pratiques internes sur les méthodes et les process des professionnels de la communication » (issus du secteur privé). Aujourd’hui, les agents communautaires ou leurs sous-traitants partageraient un même professionnalisme avec un même langage et des mêmes outils professionnels.
Tendance n°2 : rationalisation du système de coproduction de l’information européenne
« Depuis les origines, l’intégration européenne s’est appuyée dans différents domaines sur l’enrôlement d’experts et professionnels extérieurs. » En matière d’information, ces collaborations n’étaient pas formalisées mais plutôt « fondées sur des affinités électives autour de l’idée d’intégration » ou alors sur des relations personnelles (comme le « système Olivi » qui privilégie des journalistes recrutés personnellement pour le service de presse) ou encore « des programmes de relations publiques au long cour » auprès de quelques groupes spécifiques acquis au projet européen.
Ce modèle de production de l’information européenne reposant sur des collaborations ponctuelles et sélective s’est formalisé afin d’« uniformiser les procédés du travail communautaire (…) et de généraliser les bonnes pratiques ».
Ainsi, « la rationalisation repose donc aujourd’hui sur des protocoles par lesquels les agents de l’institution encadrent, dans des relations plus dépersonnalisées, les intermittents (collaborateurs free lance, personnels contractuels, stagiaires) et les prestataires extérieurs privés qui sous-traitent les besoins d’information-communication de l’UE ».
Tendance n°3 : normalisation de la prise en charge de la publicité de l’Europe politique
La vision traditionnelle de l’information européenne consiste à se « limiter à la mise en public des informations sur l’Europe ». Il s’agit d’« une conception diffusionniste fondée sur une pédagogie de l’Europe prenant pour relais d’information les « leaders d’opinion » ». Autrement dit, l’information européenne est « conçue jusqu’à ces dernières années comme un problème de didactique (nécessité de faire comprendre ce qu’est la construction européenne) » et tout discours politique est exclu.
L’information européenne « est désormais considérée davantage comme un problème d’équilibre qu’affronte tout pouvoir », entre les tensions générées par son action et la nécessité de le légitimer. La conception de l’information devient davantage procédurale en étant « intégré très en amont de la chaîne de travail communautaire ». Ainsi, l’information européenne est « assumée comme un instrument de légitimation politique ».
« Aujourd’hui, derrière la rhétorique délibérative et, par-delà cette débauche d’apparitions publiques (de Commissaires européens dans les médias et les régions) destinées à « donner à l’Europe un visage humain », le débat public concernant l’action de l’UE en matière d’information-communication s’est en quelque sorte désectorisé, devenant un enjeu plus global indissociable de la réflexion sur la « bonne gouvernance » européenne. »
Ainsi, cette analyse de l’information européenne « dans le mouvement même de son processus de fabrication » saisit un monde de professionnels de la coproduction de l’information européenne plus professionnel, plus rationnalisé et plus normalisé.