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Élections européennes 2024 : quels impacts de l’IA générative dans les campagnes électorales ?

Selon un rapport de la Fondation Kofi Annan et de Democracy Reporting International, l’IA générative (GenAI) s’est immiscée dans les campagnes électorales. Bien que le déluge prédit de désinformation pilotée par l’IA ne se soit pas entièrement matérialisé, le rapport offre des conclusions sans ambiguïté : la GenAI n’est plus une menace hypothétique, mais un outil tangible activement exploré dans la sphère politique, principalement sous la forme d’images synthétiques, souvent déployée par des acteurs politiques populistes pour amplifier des récits préexistants. Le potentiel de manipulation sophistiquée est indéniable, même si son impact à grande échelle lors de ce cycle électoral aura été limité. Ce n’est pas le moment de l’alarmisme, mais de la prospective et de l’adaptation…

Principales conclusions sur la GenAI lors des élections européennes de 2024

Les préoccupations concernant l’utilisation abusive généralisée de l’IA générative étaient fortes mais aucune utilisation significative et généralisée n’a été observée. Cependant, la GenAI facilement identifiable a été le plus fréquemment utilisée en France, les partis politiques d’extrême droite en France, en Allemagne et en Italie s’avérant être les utilisateurs les plus constants, principalement pour la création d’images synthétiques non étiquetées promouvant des thèmes nationalistes, anti-islamiques et conservateurs. Les plateformes ont eu du mal à détecter et à étiqueter le contenu GenAI, malgré les cadres réglementaires tels que le DSA et les engagements volontaires pris par les plateformes. Les études sur la perception du public ont mis en évidence une faible confiance du public dans l’identification du contenu GenAI, soulignant le besoin urgent d’initiatives d’éducation aux médias. Malgré l’impact limité lors de ces élections, le rapport souligne que la GenAI est un facteur croissant dans le paysage de l’information, nécessitant des stratégies proactives pour atténuer les risques potentiels pour les processus démocratiques.

Transparence et détection sont primordiales, mais pas des panacées

Le rapport souligne les difficultés à détecter le contenu GenAI, même pour les plateformes équipées de technologies avancées. Bien que le règlement sur les services numériques de l’UE et l’AI Act soient des étapes essentielles pour établir un cadre réglementaire, se fier uniquement à la détection et à l’étiquetage est insuffisant.

Il faut développer des outils de détection robustes et évolutifs, tout en reconnaissant leurs limites inhérentes. La transparence, en particulier de la part des acteurs politiques, reste une pierre angulaire de l’intégrité démocratique. Le manquement constant à étiqueter le contenu GenAI, comme observé dans le rapport, est une tendance préoccupante qui exige une plus grande responsabilité et le respect de normes à sanctionner.

La culture médiatique est le fondement de la résilience, mais pas seule

Les conclusions du rapport sur la perception du public sont préoccupantes. La faible confiance du public dans l’identification du contenu GenAI, associée à une connaissance limitée de la technologie elle-même, crée une vulnérabilité que les acteurs malveillants peuvent exploiter. Investir dans des initiatives globales de culture médiatique n’est pas simplement une mesure réactive, mais une stratégie proactive pour autonomiser les citoyens.

Ces initiatives doivent aller au-delà de la simple vérification des faits pour englober les compétences en pensée critique, la vérification des sources et une compréhension de l’écosystème de l’information numérique en évolution. Le « pré-bunking« , mis en évidence dans le rapport, offre une voie prometteuse pour renforcer la résilience cognitive face à la désinformation.

La confiance dans les médias et les institutions est la monnaie ultime mais fragile

Le rapport souligne à juste titre que l’impact de la désinformation pilotée par la GenAI est intrinsèquement lié au niveau de confiance dans les institutions démocratiques et les médias. Dans une ère de paysages d’information fragmentés et d’érosion de la confiance, nos communications stratégiques doivent donner la priorité à la reconstruction et au renforcement de ces fondations.

Cela nécessite un engagement envers l’exactitude factuelle, des pratiques de communication transparentes et un dévouement manifeste à servir l’intérêt public. En renforçant la crédibilité des sources d’information établies et en favorisant un dialogue constructif, nous pouvons créer un environnement moins susceptible d’être manipulé, quels que soient les outils technologiques employés.

Facteurs de risque de la GenAI pour faire basculer une élection ?

Quant aux inquiétudes sur la désinformation et la manipulation de l’opinion publique, pour le professeur Thorsten Quandt, la GenAI aura un impact, mais ne sera pas forcément un « bouleversement » majeur. La confiance dans la démocratie, le système politique et le journalisme traditionnel reste déterminante pour la vulnérabilité d’une société. C’est pourquoi les acteurs populistes cherchent à saper la confiance dans les médias. Le « pré-bunking » s’avère plus efficace que le « débunking » pour renforcer la culture médiatique. La généralisation de la GenAI sur les réseaux sociaux pourrait paradoxalement renforcer la confiance envers les sources d’information fiables. La vulnérabilité à la désinformation est étroitement liée à la structure des systèmes médiatiques. La polarisation idéologique et les liens étroits entre les systèmes politiques et médiatiques augmentent également la susceptibilité à la désinformation. Ainsi, l’impact de la GenAI sur les élections dépendra largement du contexte médiatique et politique dans lequel elle est diffusée.

Focus sur des incidents en France, en Allemagne et en Italie

En France, des comptes TikTok se faisant passer pour des proches fictifs de Marine Le Pen et Marion Maréchal ont utilisé la GenAI avec la génération de fakes en « face-swapping » pour promouvoir des sentiments nationalistes, gagnant des centaines de milliers de vues (plus de 30 000 abonnés et jusqu’à 400 000 likes par vidéo) avant d’être supprimés. Amandine Le Pen, Léna Maréchal, des deepfakes qui entrent en campagne en se sont présentant comme des influenceuses nièces de Marine Le Pen, Amandine Le Pen et Léna Maréchal. De plus, le Rassemblement National et Reconquête ont largement utilisé des images GenAI non étiquetées dans leurs campagnes, se concentrant sur des thèmes nationalistes et anti-immigration. Des acteurs étrangers sont également intervenus, avec une vidéo GenAI de faible qualité imitant un journaliste de France24 pour affirmer faussement que le président Macron avait annulé une visite à Kiev en raison d’un complot d’assassinat, diffusée par des médias pro-russes.

En Allemagne, l’Alternative für Deutschland (AfD) a principalement utilisé la GenAI sur Facebook, déployant des images pour alimenter des sentiments anti-migrants et la nostalgie d’une Allemagne ethniquement homogène. Des branches régionales de l’AfD ont partagé des images de jeunes inexistants approuvant le parti et des contenus provocateurs comme une image de « fête allemande du barbecue » partagée pendant le Ramadan, dont aucune n’était étiquetée comme générée par l’IA.

En Italie, Matteo Salvini et son parti, la Lega, ont été identifiés comme des utilisateurs importants de la GenAI, déployant au moins 19 publications dans le cadre de leur campagne « Più Italia, Meno Europa » (Plus d’Italie, Moins d’Europe). Ces images, diffusées sur Facebook, X et Instagram, ont promu des opinions nationalistes et eurosceptiques, utilisant parfois des images controversées pour critiquer la gestation pour autrui et d’autres fois évoquant des sentiments anti-islamiques. Ni la Lega, ni les plateformes n’ont étiqueté ce contenu GenAI.

Perspectives pour une approche collaborative et adaptative

L’avenir de la communication électorale à l’ère de la GenAI exige une approche multidimensionnelle, collaborative et adaptative visant à :

  • Renforcer les cadres réglementaires : Mettre en œuvre vigoureusement les DSA et AI Act et évaluer en permanence son efficacité pour relever les défis évolutifs de la GenAI.
  • Favoriser l’innovation de détection et de vérification : Soutenir la recherche et le développement de technologies de détection et de vérification de l’IA, tout en reconnaissant le jeu du chat et de la souris en cours avec les acteurs malveillants.
  • Investir dans la culture médiatique : Développer et déployer des programmes complets de culture médiatique dans toutes les catégories démographiques, en mettant l’accent sur la pensée critique et la résilience numérique.
  • Promouvoir des pratiques éthiques en matière d’IA : Encourager l’auto-régulation et l’adoption de lignes directrices éthiques par les acteurs politiques, les entreprises technologiques et les développeurs d’IA.
  • Construire une collaboration intersectorielle : Faciliter le dialogue et la coopération entre les décideurs politiques, les plateformes, les organisations médiatiques, la société civile et le monde universitaire afin d’élaborer des stratégies coordonnées.

Les élections européennes de 2024 peuvent servir de signal que la GenAI n’est pas une menace à éradiquer, mais une technologie transformatrice qui remodèle le paysage de l’information. Notre défi, et notre opportunité, résident dans l’exploitation de son potentiel tout en atténuant ses risques en embrassant un engagement de toutes les parties-prenantes envers les valeurs démocratiques afin de franchir la frontière générative en garantissant que les communications lors des campagnes électorales restent dignes de confiance dans les années à venir.

Ingérence étrangère, manipulation de l’information et désinformation

Confrontation Europe consacre un dossier complet au phénomène des ingérences étrangères, dont 81% des Européens estiment que c’est un problème grave dans un Eurobaromètre. Mais trop peu d’avancées législatives, le jeu d’influence, souvent relais de discours critiques contre l’Europe, est une menace réelle et directe au développement de l’action de l’Union pour la prochaine mandature. Comment développer stratégies et réformes afin de protéger le cœur battant de nos systèmes démocratiques ?

Nicolas Quénel, Journaliste indépendant et auteur du livre « Allô Paris ?! Ici Moscou »

La lutte contre l’ingérence étrangère force à se poser des questions qui vont de la préservation de liberté d’expression jusqu’à celui de l’absence chronique de moyens dans la justice.

Il faut se concentrer sur l’aspect systémique du phénomène, au lieu de chercher à annihiler le dernier maillon de la chaîne : mettre en place de vraies politiques publiques, soutenir les médias, plus d’exemplarité en politique, investir dans l’éducation aux médias pour résoudre cette crise de confiance. Pour lutter efficacement contre ce phénomène, il faut remonter aux racines du problème et réinvestir le champ public.

La guerre de l’information, c’est un phénomène qui ne touche pas que la sphère étatique, mais bien l’ensemble des acteurs. Si la guerre de l’information est l’affaire de tous, tous ont une responsabilité sur la manière dont ils s’informent, tout le monde est acteur de cette guerre, en ce que les puissances étrangères, chinoises ou russes, ont pour projet de faire des citoyens français des victimes de cette guerre. A chacun de lutter.

Christine Dugoin-Clément Chercheuse à la Chaire Risque de l’IAE Paris-Sorbonne, à l’Observatoire de l’Intelligence Artificielle de Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Les opérations peuvent être multiples, mais participent généralement à façonner les opinions publiques pour qu’elles soient plus réactives sur des sujets clivants, ou plus sceptiques vis-à-vis des pouvoirs publics, quand il ne s’agit pas d’instiller le doute dans les personnes publiques, voire dans les processus démocratiques eux-mêmes.

Si l’usage de trolls sur les réseaux sociaux est maintenant de notoriété publique quand il s’agit d’influencer les opinions publiques, de même que l’usage de faux profils ou « sockpuppets », les méthodes utilisant les technologies de l’information ont connu une importante diversification. La récente opération Döppelganger remettait au goût du jour une méthode connue pendant la période soviétique qui consiste à usurper l’identité graphique d’un tiers, en particulier des journaux de confiance et des institutions publiques, afin de bénéficier de la confiance qui leur est accordée pour disséminer des contenus servant une stratégie informationnelle précise.

Plus récemment encore, on a pu observer certaines opérations qui visaient à saturer les groupes chargés de vérifier des contenus et éléments diffusés, comme l’opération « Matriochka » visant à saturer les structures de fact checking. La massification a pu être notée lors de la mise à nu de « Portal Kombat » par Viginum, un réseau de plus de 190 sites visant à diffuser de la désinformation.

Enfin, les développements connus par l’IA, et plus particulièrement par sa branche de Deep Learning, permettent de créer des « deep fakes », des contenus générés par des systèmes algorithmiques, que l’on parle de contenus visuels, audio, ou écrits.

Ophélie Omnes Fondatrice d’Omnes Legal & Positiv Lobbying, autrice de l’étude « Ingérence étrangère et jeux vidéo en Europe : Jouer est-il politique ? »

Le jeu vidéo est sujet à l’ingérence étrangère principalement par le biais des divers canaux de communication que l’on peut retrouver entre les joueurs. Ces canaux sont vecteurs de propagation de désinformation qui peut parfois aller jusqu’à une forme d’endoctrinement. Quelles solutions ? Donner aux communautés les outils de l’auto-régulation pour les jeux communautaires

Nathalie Loiseau Députée européenne (Renew), Rapporteuse à la Commission INGE 2 sur l’ingérence étrangère

Cette guerre des ingérences étrangères que des régimes autoritaires et inamicaux nous mènent dans le but d’influencer, de diviser, d’affaiblir et de neutraliser nos systèmes démocratiques, n’est pas nouvelle, c’est notre prise de conscience qui l’est. Le doute, ce poison lent, c’est ce que tente d’instiller la désinformation russe dans nos esprits. L’objectif est aussi de nous faire douter de nous-mêmes et de la validité même de notre modèle démocratique :

  1. Exposer les commanditaires, les méthodes et les objectifs des ingérences étrangères constituent une première étape dans la mise au point d’un antidote à cette véritable pandémie.
  2. Soutenir ceux qui, journalistes, associations, startups, se sont spécialisés dans la vérification des faits et le renseignement en source ouverte représente le deuxième stade.
  3. Assumer les choix politiques nécessaires au niveau national comme européen en protégeant les libertés tout en luttant contre ceux qui en abusent pour nous abuser est une nécessité.

VIGINUM, le Service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères

Les manœuvres informationnelles malveillantes s’immiscent désormais dans tous les champs du débat public, en exploitant de manière opportuniste des faits d’actualité ou de société marquants. S’appuyant sur un large éventail de stratégies et de techniques destinées à modifier les perceptions et à altérer l’information des citoyens, elles ont pour principaux objectifs d’éroder la confiance du public dans les institutions, de polariser le débat autour de sujets clivants, de créer ou d’amplifier des tensions au sein des populations, jusqu’à générer des troubles à l’ordre public.

Une ingérence numérique étrangère est constituée par quatre critères : une atteinte potentielle aux intérêts fondamentaux de la Nation, soit au cœur de la souveraineté nationale ; un contenu manifestement inexact ou trompeur ; une diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée ; l’implication, directe ou indirecte d’un acteur étranger (étatique, paraétatique ou non-étatique).

Chine Labbé, Rédactrice en chef et vice-présidente chargée des partenariats Europe et Canada pour News Guard, qui produit des évaluations et scores de fiabilité des sites d‘informations et d‘actualité, censés traduire leur crédibilité et transparence

Comment retisser la confiance dans les médias ? Dans un monde où la défiance envers les institutions n’épargne pas les médias, et où la prolifération des contenus synthétiques, des médias de propagande se faisant passer pour des sites d’actualité traditionnels, ou encore des sites générés par IA sans supervision humaine, menace le débat démocratique, en brouillant toujours davantage la frontière entre information d’un côté, et communication, propagande, et faux de l’autre.

Dans ce contexte, faire œuvre de pédagogie, de transparence, mais aussi d’humilité, est une question de survie pour les médias, qui se doivent de rappeler leur valeur et leur rôle démocratique, qui ne vont plus de soi.

Chez NewsGuard, nous recensons les sites générés par IA sans supervision humaine : fin mai 2023, déjà 49 mais mi-mars 2024, plus de 750 dans une quinzaine de langues. Selon un audit réalisé en août 2023, ChatGPT-4 et Bard (depuis renommé Gemini) répètent des récits connus de désinformation dans respectivement 98 et 80% des cas.

Comment porter et incarner la prise de parole de la marque Europe ?

A l’occasion de la conférence « Communication européenne, comment se faire entendre ? », hébergée par l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible, Nicolas Baygert, chercheur, enseignant à Sciences Po Paris, aborde la question du « leadership européen et (de) son influence sur la “marque UE”»…

Une rivalité systémique et systématique entre les présidences

Depuis 5 ans, s’est glissée une relation dysfonctionnelle au cœur du projet européen, un leadership européen concurrentiel avec la relation entre Charles Michel, président du Conseil européen, l’institution réunissant les chefs d’État et de gouvernement qui prennent les orientations stratégiques pour l’UE et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui est l’institution gardienne des traités, seule habilitée au pouvoir d’initiative à proposer de nouvelles législations.

Une certaine ambiguïté des rôles existe, une marge d’interprétation quant aux compétences respectives des présidents, qui s’est traduite par une rivalité pour la visibilité politique et médiatique avec des conflits à l’agenda et une affirmation du leadership politique européen faisant l’objet d’une rivalité personnelle et politique. LA question d’Henry Kissinger « qui dois-je appeler pour parler avec l’Europe ? » demeure encore d’actualité.

Une réinvention de la fonction à chaque nouvelle personnalité

Alors que pour la fonction présidentielle française, les candidats sont conduits à « rentrer dans les habits du président », à incarner l’autorité et la légitimé de la fonction à partir d’un idéal-type gaullien sous la Ve République, il n’en est rien au niveau européen. Chaque dirigeant européen doit réinventer la fonction à chaque prise de responsabilités – c’est autant une chance qu’une menace.

La présidente de la Commission européenne – Queen of Europe – s’est construit un personnage, à coup de centralisation des efforts de communication et de personnalisation à haute dose de la communication. Ainsi, alors qu’elle n’était pas une Spitzenkandidat, elle s’est offert une construction médiatique à travers une « illusion biographique » liant son parcours au Collège d’Europe, son multilinguisme, en somme, son européanité.

Cet investissement dans la communication n’est pas sans conséquence sur la marque UE. Outre l’impact sémiotique en termes de signes, plusieurs autres leviers comme la capacité à définir l’agenda, l’impulsion initiale de la « Commission géopolitique » ; mais aussi la gestion des crises (covid, Ukraine, climat…) et enfin la mise à l’agenda, le rôle d’agenda-setting leadership, de capacités à trouver des réponses institutionnelles pour rallier un consensus, trouver un agenda normatif, fournir une grille de lecture fondée sur des principes ou des justifications idéologiques. Cette conception personnelle au service d’un agenda politique se traduit aussi par une dimension axiologique, les valeurs de l’UE sont instrumentalisées à l’occasion des discours annuels sur l’état de l’Union sans compter que pour incarner l’agenda politique, Von der Leyen utilise sa personne comme une vitrine communicationnelle.

Faut-il tendre vers une seule présidence ?

Suggéré par Jean-Claude Juncker dans son dernier discours sur l’état de l’Union, la fusion des deux fonctions présidentielles permettrait d’accroitre l’efficacité. En termes de communication, il s’agirait d’un repère mental sur le marché hyperconcurrentiel du leadership européen, mais aussi une possibilité de mieux sélectionner des éléments dans le flux des signes au sein d’un espace plus géopolitique, pourquoi pas même un remède au déficit d’incarnation même si cela ne résorberait pas pour autant le déficit de légitimité et le manque de transparence dans la nomination des présidents.

Dans la bataille des égos, il faut réussir à inscrire un style, un personnage pouvant incarner la marque Europe.

Bilan de la mandature parlementaire et perspectives post-élections européennes

« On ne pourra bien dessiner le simple qu’après une étude approfondie du complexe » Gaston Bachelard

Euro-Lab, Groupement d’Intérêt Scientifique et réseau interdisciplinaire de recherche sur l’Union européenne réalise un « Bilan de la 9e législature du Parlement européen (2019-2024) », afin d’éclairer le débat public dans une campagne électorale européenne aux enjeux majeurs, en mettant à disposition du public une analyse rigoureuse.

« L’Europe est une entreprise de raison, non de sentiment » Robert Schuman

Les élections européennes du 9 juin 2024 se profilent dans un espace public français largement ignorant des travaux du Parlement européen. Les Français font partie des habitants de l’Union européenne les moins informés de ses débats par les médias nationaux selon l’eurobaromètre de juin 2023.

Vers une certaine normalisation de l’activité parlementaire européenne

Par le passé, les débats parlementaires étaient structurés par un clivage minorité extrême-droite et extrême-gauche contre la plupart des textes ambitieux et une majorité modérée pro-européenne, allant droite modérée, socialistes libéraux et Verts.

Depuis quelques années, émerge un clivage droite-gauche, qui fait évoluer le Parlement européen en une chambre plus classique. Ce mouvement est nettement visible sur les questions de police et de migration, la gauche parlementaire cherchant à limiter le virage sécuritaire encouragé par la droite. La même tendance est perceptible sur la question environnementale avec la contestation croissante de ces législations protectrices.

Certes, cette normalisation n’est pas achevée. Sur de nombreux textes, la coalition modérée et européiste a tenu face aux extrêmes qui n’ont pas accepté les textes les plus ambitieux.

Au total, l’Union reste un hybride entre une organisation fédérale et une association d’États-nations, cela se perçoit dans le travail du Parlement européen :

  • Soumis à la logique interétatique dans les domaines les plus régaliens, police, justice, défense ;
  • Sensiblement plus communautaire dans les dossiers économiques et environnementaux ;
  • Questions stratégiques et militaires restent dominées par les logiques nationales et otaniennes.

Le modèle économique et social de l’Union évolue sensiblement

D’une Europe libérale vers une communauté intégrant des dimensions socio-environnementale et de puissance plus affirmées :

Certes, la dynamique libérale reste dominante : l’Union reste avant tout fondée sur un marché unique fondée sur les quatre libertés et la renégociation du Pacte de Stabilité au cœur de l’Union économique et monétaire n’a pas congé les fondamentaux.

Mais la dérégulation s’est tari, pour être remplacée par un libéralisme plus tempéré avec des accords commerciaux intégrant une conditionnalité sociale et environnementale et la régulation du numérique progresse avec les Digital Market Act et Digital Services Act qui visent à contrôler les géants du numérique. L’Europe sociale a également progressé, avec l’adoption de textes sur un salaire minimum européen (salaires qui restent certes différents entre les pays, mais le texte appelle à une relance du dialogue social) et sur la transparence des rémunérations hommes-femmes.

Sur le projet le plus emblématique de la mandature, le Pacte Vert, fixant des cibles ambitieuses de réduction des gaz à effet de serre, après ses premières adoptions dans un relatif consensus au sein de la majorité, les protestations du monde agricole, se sont traduites par une frilosité accrue des eurodéputés de droite, et parfois du centre, envers les mesures de protection de l’environnement. Les textes sur la réduction des pesticides et sur la préservation de la biodiversité ont été respectivement abandonné et édulcoré.

Enfin, l’Europe puissance s’est considérablement renforcée, pour répondre à un environnement international plus menaçant. La réémergence de l’hydre du protectionnisme a poussé l’Union à durcir son arsenal commercial. Les inquiétudes croissantes envers l’immigration se sont aussi traduites dans les débats parlementaires, avec un accord politique autour d’un Pacte migratoire plus restrictif qu’auparavant. De même la coopération policière s’est renforcée au bénéfice de l’« Union de la sécurité ». Surtout, la guerre en Ukraine a forcé l’Union a investir le domaine militaire, même si son action reste pour l’instant circonscrite à quelques outils de portée limitée et de court terme.

Avec le retour des nationalismes, l’Union investit le domaine de la puissance

Du point de vue français, cette conjoncture a permis de faire adopter à Bruxelles des projets constamment rejetés auparavant, comme la préférence européenne (maintenant possible dans le domaine de la défense), la taxe carbone aux frontières (inspiration du « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ») ou encore le retour de la négociation collective européenne, de nouveau valorisée dans le cadre du dispositif sur les salaires minimaux.

C’est une victoire posthume pour Jacques Delors, récemment décédé, et sa trilogie d’une Europe fondée sur « la concurrence qui stimule, la solidarité qui unit et la coopération qui renforce ».

Grandes lignes du débat de la prochaine mandature

L’un des premiers sujets prioritaires sera celui de l’Europe solidaire, sociale et environnementale, entre fin d’avancées liées à des circonstances exceptionnelles avec des dispositifs de solidarité inédits, comme le plan de relance, mais qui sont temporaires ou inflexion de fond avec des mesures plus ambitieuses encore comme une taxation européenne des grandes fortunes, et une lutte plus vigoureuse contre le dumping environnemental.

Une seconde question porte sur l’Europe puissance, entre affirmation ou forces centrifuges ? Un score élevé de partis aux priorités géopolitiques divergentes aux élections du 9 juin pourrait tuer dans l’œuf les velléités de développer la dimension stratégique de l’Union.

Enfin, une troisième question porte sur l’Europe des libertés. Le durcissement sécuritaire, migratoire et commercial se poursuivra-t-il, instaurant une dichotomie entre une Europe mercantile libérale sur le plan interne, et illibérale dans ses autres dimensions ? Toutes ces questions recevront des réponses avec les prochaines législations de la nouvelle mandature décisive pour notre démocratie.

Les Européens, abandonnés au populisme et attachés au souverainisme démocratique

Dans une enquête paneuropéenne (UE27 + UK) de la Fondation pour l’innovation politique, il apparaît qu’au moment des élections européennes, la plupart des 360 millions d’électeurs sont indubitablement acquis à la fois aux valeurs de la démocratie et à l’idée européenne, peut-être plus que jamais. Comment cette double conviction populaire doit être interprétée pour éviter tout malentendu sur l’interprétation du vote populiste en progression ?

Être Européen en 2024 : soutien à l’idée européenne, aux principes qui la fondent, aux institutions qui en émanent

Le soutien à l’Union européenne atteint des niveaux sans précédent, avec 87 % de la population européenne qui approuve l’appartenance de leur pays à l’Union. Ce soutien massif se reflète également dans l’acceptation de la monnaie européenne, l’euro, à 92 % des personnes interrogées. Le souhait de quitter l’Union européenne est devenu marginal, avec seulement 13 % de la population qui envisage cette option. Ce soutien à l’Europe est également une réalité électorale, avec une majorité d’opinion qui se traduit par un choix de représentants politiques pro-européens. Ces trois résultats contredisent le discours médiatique sur la soi-disant « vague populiste ».

La montée des périls dans le monde affermit l’idée européenne

La mondialisation inquiète davantage les Européens, qui voient dans l’Union européenne un moyen de se protéger face aux défis économiques et sociaux. L’agressivité de puissances hostiles, telles que la Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie, a également favorisé l’idée européenne. Les Européens sont conscients que face à ces menaces, ils sont plus forts ensemble que séparément. La crainte d’une nouvelle guerre mondiale est présente dans l’esprit de 60 % de la population, ce qui renforce encore davantage le soutien à l’Union européenne.

Les Européens à la recherche d’une puissance publique pour répondre à leurs besoins et à leurs attentes

Les Européens se posent la question de savoir ce que les États peuvent faire pour leur peuple. Le « Brexit » montre que les populistes ne sont pas en mesure de répondre aux attentes de la population, qui se sent abandonnée.

Le scepticisme à l’égard de l’État, le stato-scepticisme est plus élevé que celui à l’égard des institutions européennes, l’euro-scepticisme, avec des institutions européennes qui suscitent plus de confiance que les institutions nationales.

Le vote populiste est une composante de l’appel des Européens pour une puissance publique supplémentaire, une demande restée sans réponse.

C’est dans l’attente d’une puissance publique supplémentaire qu’une nouvelle demande d’Europe, une demande populaire, s’installe au cœur de l’opinion européenne.

La plupart des Européens ne croient pas ou ne croient plus aux capacités de leurs États à s’appuyer sur leurs propres forces. Par pragmatisme, et non par idéal comme l’illustre le succès de l’euro, les Européens sont disposés à l’affirmation d’une puissance publique européenne.

Les Européens souhaitent également reprendre le contrôle démocratique de l’espace public de plus en plus numérique, au regard du risque de perte de nos libertés individuelles et collectives, de destruction des fondations de la culture et de la vie démocratique européenne.

Une Europe qui protège, selon les Européens

La sécurité est la première des revendications des Européens. Ils sont conscients que les menaces sont de plus en plus nombreuses et complexes. Le soutien à l’OTAN est fort, avec 65 % favorable. Les Européens souhaitent également une armée commune, en complément des armées nationales, avec 67 % qui soutient cette idée.

Les Européens veulent la protection des frontières communes, avec 86 % de la population qui déclare que cela devrait être une priorité pour l’Union européenne. Ils sont conscients que la liberté de circulation est un acquis précieux, mais ils souhaitent également être protégés contre les menaces extérieures.

En somme, en 2024, les Européens sont plus que jamais attachés à l’Union européenne, qu’ils voient comme un moyen de se protéger face aux défis du monde. Ils sont à la recherche d’une puissance publique, en particulier en matière de sécurité et qui puisse peser sur la scène internationale.