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Communication technocratique de l’UE : comment s’adresser aux citoyens européens ?

A partir d’une réflexion sur ce qui rapproche et ce qui oppose communication scientifique et communication technocratique de l’UE, deux Eurobloggeurs formulent des propositions pour améliorer la communication européenne :

  • pour Mathew Lowry, qui estime que ces 2 communications se rapprochent dans leur difficulté à jouer le jeu médiatique, il faut améliorer le « storytelling », la pédagogie narrative ;
  • pour Ronny Patz, qui considère que ces 2 communications s’opposent : le raisonnement scientifique ouvert n’a rien de commun avec les conflits d’influence bruxellois, il faut plus de transparence dans l’UE.

Pourtant, seule une formation pédagogique contribuera  à ce que la communication de l’UE touche vraiment les citoyens…

Les impasses de la communication technocratique de l’UE

Mathew Lowry dans « Of technocrats, journalistic balance and telling EU stories » s’intéresse aux difficultés de communiquer sur des sujets scientifiques dans les médias : « Parler de science, c’est expliquer un champ de connaissances complexes et plein de jargons à un public qui ne dispose pas d’une formation spécialisée. »

Effectivement, la recherche journalistique du débat et de l’équilibre entre des points de vue contradictoires conduit à traiter avec les mêmes égards les affirmations d’un scientifique – qui s’appuie sur la recherche et les conclusions de la communauté scientifique – et les contradictions d’un représentant d’intérêts politiques, économiques ou sociaux.

Dans un parallèle contestable en raison de la différence fondamentale entre la communication scientifique partant de preuves et la communication européenne portant sur des compromis, Mathew Lowry démontre néanmoins avec intérêt que tant que la communication de l’UE sera technocratique – à l’image d’une communication scientifique ésotérique et inaccessible – tant que la communication de l’UE se présentera comme raisonnable, voire inéluctable et indépassable alors il y aura toujours dans les médias, un point de vue efficace pour s’opposer et dénoncer les dérives technocratiques et le déficit démocratique de l’UE.

Ronny Patz dans « Communicating EU technocracy and science: Is it the same? » répond à l’argumentation de Mathew Lowry en contestant vivement que la communication de l’UE s’appuierait sur un processus de décision vraiment fondé sur un raisonnement et un équilibre idéal.

Bien au contraire, le fonctionnement technocratique de l’UE conduit à ce que la communication de l’UE dissimule les choix, qu’ils soient basés sur l’influence des groupes de presse, des rapports de force entre Etats-membres, des relations de pouvoirs entre les administrations européennes ou des compromis entre intérêts politiques…

La communication technocratique de l’UE vend ce qui est le reflet de la puissance dissimulée de chaque partie prenante comme la décision techniquement et pratiquement raisonnable, sans alternative possible. C’est justement cette dissimulation des puissances qu’il convient de casser.

Les voix d’une communication européenne pédagogique

Alors que Mathew Lowry en appelle à un meilleur storytelling des décisions de l’UE – ce qui ne serait pas une sinécure – Ronny Patz, quant à lui, considère qu’une communication plus transparente assumant le débat démocratique et la controverse politique est souhaitable – ce que les Eurobloggeurs peuvent contribuer à créer.

Mathew Lowry et Ronny Patz formulent deux propositions judicieuses mais qui risquent de ne toucher que les publics sinon intéressés du moins sensibilisés aux enjeux européens.

Pour reprendre le point de départ de leur réflexion, on peut dire que tout comme il faut être formé au raisonnement scientifique et avoir reçu une éducation à la science pour comprendre les enjeux et se forger un point de vue étayé ; il est également nécessaire que les citoyens européens reçoivent une éducation civique européenne pour comprendre et participer aux décisions européennes.

Naturellement, un bon storytelling et une plus grande transparence peuvent contribuer à une meilleure compréhension du public mais sans une formation préalable, aucune communication européenne ne sera vraiment efficace.

Par ailleurs, une formation pédagogique antérieure à la participation critique et politique est également le seul moyen pour limiter la confusion entre critiques contre les choix politiques et menaces contre la construction européenne et favoriser des contributions moins théoriques/abstraites et plus adaptées à la réalité européenne.

Tandis que la forme que peut revêtir cette communication pédagogique s’inscrit aisément dans le cadre de la formation des futurs citoyens, la sensibilisation inédite d’un vaste public adulte demeure problématique.

Pourquoi l’exposition médiatique de l’UE n’est pas favorable à son image ?

Sans exposition, il n’y a pas d’attention. L’inexistence médiatique de l’UE est souvent considérée comme la première cause d’indifférence, de désintérêt citoyen pour l’UE voire de désaffection civique lors des scrutins européens. A contrario, une forte exposition médiatique – telle que l’Europe vient de connaître avec la crise de l’euro et en Grèce – serait-elle l’assurance d’éveiller l’intérêt ?

Pour ancrer une image dans l’opinion publique, la seule maîtrise de l’exposition médiatique ne suffit pas

Exposition médiatique ≠ attention régulière

Avec un flux quotidien d’informations ayant considérablement augmenté (multiplication des canaux, des supports…), les citoyens sont littéralement assiégés par des informations en nombre et en acuité croissants.

Rechercher une exposition médiatique – au-delà des périodes de crise qui braque les projecteurs – pour s’inscrire durablement dans le champ de l’attention quotidienne devient de plus en plus illusoire.

Autrement dit, il ne suffit pas pour l’UE d’être visible pour intéresser l’opinion publique. A fortiori encore moins pour influencer les jugements portés par les citoyens.

Exposition médiatique ≠ maîtrise de l’agenda médiatique

L’époque n’est plus aux années Reagan pendant lesquelles le « spin-doctor » Mike Deaver met en œuvre la mécanique « hyper-visibilité = bonne image » avec la formule : «il faut faire la météo», c’est-à-dire façonner l’image par une mise en scène des événements visant à frapper les esprits et distribuer des « éléments de langage » aux médias.

Il n’est plus exact qu’en accélérant le rythme d’exposition d’un sujet dans les médias, le détenteur légitime de ce sujet oblige la presse à « venir sur son terrain » et donc à mettre un terme à un agenda fixé de fait par la presse « qui mène la danse » en imposant son propre scénario.

Même avec une forte exposition médiatique, comme lors de crise, il n’est pas vraiment possible de maîtriser l’agenda médiatique ; du moins insuffisamment longtemps pour ancrer la moindre image.

Pour influencer l’image dans l’opinion, il faut capter l’attention et disposer d’un pouvoir d’évocation

Considérons justement comme lors de la semaine dernière que l’attention médiatique soit visiblement portée sur l’UE, il s’agit pour tenter d’influencer l’image de l’UE dans l’opinion publique de disposer d’un « pouvoir évocateur ».

Défini comme la capacité de suggérer une position cohérente dans les « associations-valeurs » et en adéquation avec les aspirations latentes de l’opinion, le pouvoir évocateur cohérent est un moyen de créer un « short cut », un raccourci qui associe une idée-force à des valeurs et façonne l’image.

Ainsi défini, le pouvoir évocateur de l’UE devient particulièrement problématique en période de crise car le « short cut » sur l’Europe soulève une ligne de fracture autour de la dimension démocratique de la construction européenne :

  • pour les uns, le short-cut sur l’Europe : la construction européenne est l’avenir des États-nations européens ;
  • pour les autres, le short-cut sur l’Europe, c’est le déficit démocratique, peuples contre élites.

Ainsi, en période de forte exposition médiatique – condition nécessaire pour capter l’attention et influer sur l’image – l’Europe plutôt que de capitaliser sur un éventuel capital d’évocation cohérent ne voit que se renforcer des opinions divergentes, renforcant une image fracturée.

Les publics cibles de la communication européenne : les figures du citoyen européen (2/2)

Afin de réduire le déficit démocratique de la construction européenne, la communication avec les citoyens constitue l’une des priorités de la Commission européenne. Encore faut-il que l’UE identifie les motivations, les attentes et les besoins des citoyens et sache y répondre…

La figure du citoyen usager : fournir des informations pratiques sur les services de l’UE

Le citoyen usager est motivé par la recherche d’informations pratiques dans ses démarches avec les services administratifs de l’UE :

  • les pièces constitutives d’un dossier de demande de mobilité pour un étudiant, de candidatures pour un chercheur d’emploi…
  • les critères d’admission les modalités d’application ou les critères d’éligibilité pour bénéficier d’une aide ou d’une subvention (voir le guide des aides de l’UE)
  • les coordonnées de fonctionnaires européens…

Pour entretenir cette relation administré / administration, où le citoyen usager cherche à optimiser ses rapports avec les services « exclusifs » de l’UE, plusieurs outils sont mis à sa disposition :

  • Europe Direct, le service téléphonique gratuit d’information sur l’UE disposant de relais décentralisés, implantés dans les régions (environ 470 relais répartis dans les 27 États membres de l’Union, 45 relais Europe direct en France)
  • Office des publications de l’UE, le Journal officiel de l’UE
  • EU Whoiswho, l’annuaire officiel de l’UE

La plus value de la communication de l’UE serait de faciliter les mises en relation entre usagers assidus à travers notamment l’animation de réseaux permettant de prolonger la relation créée autour de l’usage.

La figure du citoyen électeur : fournir des informations politiques sur les actions de l’UE

Quoique plus rarement, au vue de l’abstention rédhibitoire à chaque scrutin européen, le citoyens peut néanmoins s’intéresser aux affaires publiques de l’Union et rechercher des informations sur :

  • les travaux des institutions européennes (ce qui va ou vient d’être voté par exemple),
  • les politiques publiques menées par l’Union,
  • les prises de positions des principaux responsables européens…

Dans cette relation électeur / élu, où le citoyen cherche en quelque sorte à contrôler l’activité de l’UE, plusieurs outils – plutôt développé par des observateurs – sont disponibles :

La plus value de la communication de l’UE serait de faciliter les débats de nature civique ou politique à travers notamment la diffusion de données structurées, permettant d’exploiter aisément les informations brutes.

Ainsi, la communication de l’UE aurait tout intérêt à mieux satisfaire les attentes des citoyens tant usager qu’électeur.

Les publics cibles de la communication européenne : la défaillance des médiateurs naturels (1/2)

Afin de réduire le déficit démocratique de la construction européenne, la communication avec les citoyens constitue l’une des priorités de la Commission européenne. Cette stratégie devrait logiquement s’appuyer sur des médiateurs puisqu’en dépit d’un usage massif d’Internet, la Commission n’a pas les moyens de toucher directement les citoyens. Pourtant, les médiateurs naturels sont défaillants…

S’attaquer à la stérilité conjoncturelle des relations conflictuelles entre l’UE et ses médiateurs naturels pour lutter contre la fébrilité structurelle de l’information sur l’Europe

D’une part, l’actualité récente montre que la Commission européenne semble maladroitement s’être installée dans une logique stérile de concurrence avec les émetteurs d’information sur l’Europe, notamment les journalistes.

D’autre part, le constat durable en matière d’information ou de communication sur l’Europe est implacable : aucun émetteur – et à fortiori la Commission européenne – n’a réussi jusqu’à présent à sortir d’une fébrilité structurelle.

Il est impératif que les communicants de l’UE réapprennent à travailler avec les médiateurs naturels de l’UE, compris comme :

  • autorité morale : l’UE doit reconnaître ses médiateurs comme des parties indépendantes, respectueuses des diversités, capables de susciter la confiance et l’intérêt de leurs propres publics ;
  • autorité de compétences : l’UE doit être en mesure de mettre à la disposition de ses médiateurs des experts qui offriront leur capacité pour faire comprendre les enjeux, pour susciter et garantir le dialogue ;
  • autorité de représentation : l’UE doit se convaincre que le principe de subsidiarité s’applique particulièrement bien en communication, avec les relais et réseaux nationaux et locaux.

S’attaquer à la défaillance des médiateurs naturels de l’UE pour réduire le déficit démocratique de l’information sur l’Europe

Deux approches doivent être conjointement poursuivies auprès des médiateurs :

  • approche partenariale avec les médiateurs étatiques et institutionnels ;
  • approche servicielle auprès des journalistes, des enseignants et des élus locaux ;

D’une part, la stratégie « Communiquer sur l’Europe en partenariat », lancée en octobre 2007 par Margot Wallström doit être confortée :

  • le partenariat stratégique entre les institutions communautaires doit rapidement déboucher sur une réunion du Groupe interinstitutionnel de l’information (GII) pour déterminer les priorités annuelles communes en matière de communication ;
  • le partenariat de gestion avec les États membres doit rapidement doit rapidement déboucher sur l’objectif dès 2010 de conclure 27 contrats (4 États membres n’ont pas encore mis en place de partenariats : Luxembourg, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni et les 23 autres partenariats devront faire l’objet d’une reconduction) ;
  • le partenariat de collaboration avec la société civile proposé dans une résolution « Dialogue actif avec les citoyens sur l’Europe » adoptée en session plénière, mardi 24 mars 2009 par le Parlement européen doit rapidement déboucher sur des propositions concrètes et réalistes de la Commission européenne.

D’autre part, l’approche servicielle – au-delà de la fourniture d’informations et de données d’actualité – consistant à fournir des prestations facilitant le travail des médiateurs doit également être appuyée :

  • des formations pour les journalistes qui ne sont pas correspondant à Bruxelles afin de leur permettre de mieux comprendre les institutions communautaires ;
  • des formations aux futurs corps enseignants afin de leur permettre de mieux enseigner l’éducation civique européenne ;
  • des formations pour les élus locaux à travers des outils pour mieux connaître le fonctionnement de l’UE et des messages pour se valoriser en parlant de l’UE.

Ainsi, face à « la contradiction fondamentale de la communication institutionnelle européenne » :

  • un public « réel » restreint qui a besoin d’une information de qualité, abondante ;
  • un public « convoité », constitué d’opinions publiques fragmentées, globalement désintéressées par les questions européennes et qui ont le sentiment de n’y rien comprendre ;

une réconciliation entre l’UE et ses médiateurs naturels permettrait de mieux informer les citoyens.

Quelle articulation entre déficit démocratique de l’UE et communication européenne, selon Jacques Delors ?

Président de la Commission européenne de 1985 à 1995 et considéré comme l’un des « pères de l’Europe », Jacques Delors – interrogé à l’occasion de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne par Euractiv – précise l’articulation qu’il envisage entre déficit démocratique de l’UE et communication européenne….

La communication sur les avancées du traité de Lisbonne en matière parlementaire pour résoudre le déficit démocratique vécu de l’UE

Pour Jacques Delors, « avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, il y a quand même deux points très positifs » :

  • d’une part, le Parlement européen aura plus de pouvoirs, ayant ainsi le dernier mot pour l’ensemble du budget ;
  • d’autre part, les Parlements nationaux pourront invoquer le problème de la subsidiarité.

Pour résoudre le déficit démocratique vécu par les acteurs-institutions de l’UE, les Parlements nationaux et le PE « vont devoir faire des efforts pour expliquer à l’opinion » ces avancées issues du traité de Lisbonne.

La communication en partenariat entre les Etats membres et l’Union pour résoudre le déficit démocratique perçu de l’UE

Pour Jacques Delors, « la grosse lacune en matière de communication réside dans le fait que les gouvernements nationaux n’expliquent pas ce qu’ils font en Europe. Souvent, ces derniers disent, « grâce à nous, j’ai obtenu une victoire ». Mais l’Europe est une famille. Les gens ont du bon sens et se disent « c’est extraordinaire cette famille qui se réunit et où en sortant un ou deux des frères disent “on a gagné sur l’Europe”. Tout cela est contre-productif. »

Pour résoudre le déficit démocratique perçu par les spectateurs-citoyens de l’UE, la stratégie de communication européenne en partenariat, initiée en 2008, va devoir poursuivre les efforts pour communiquer de concert sur des priorités communes.

La communication sur l’Europe (par les gouvernements nationaux) plutôt que la communication de l’UE (par les institutions communautaires)

Pour Jacques Delors, « on ne peut pas demander aux institutions européennes de communiquer comme un gouvernement national. L’agora naturelle est la nation, et les nations demeurent. L’obligation de faire comprendre l’Europe – et encore mieux si possible de la faire aimer – revient aux gouvernements nationaux et aux élus nationaux. »

Ainsi, au risque de paraître paradoxal, la réduction du déficit démocratique de l’UE semble passer par une communication relativement plus réduite de l’UE par rapport aux États membres qui doivent redoubler d’efforts pour communiquer plus sur leurs engagements européens.