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L’UE à la croisée des chemins : faut-il plus ou moins de pouvoir ?

Débat sur la chaîne YouTube « Brussels Signal » : « Federalist VS Eurosceptic : Should we give the EU more Power? » entre Sophie in’t Veld, ex-députée européenne libérale, auteure de « Naked Power » et Thomas Fazi, auteur de « The Silent Coup » se présentant comme de gauche anti-UE.

Face-à-face : un europhobe contre le supranationalisme et une eurocritique d’un système dysfonctionnel

Sur le plan théorique, il y a de nombreuses déclinaisons du gris eurosceptique, mais les positions ne peuvent pas être plus éloignées entre les deux protagonistes. Pour Thomas Fazi, le discours que nous entendons de l’UE – la souveraineté nationale n’a plus de sens avec la mondialisation, nous ferions mieux de nous regrouper pour créer une super-puissance – a échoué avec pour résultat le déficit démocratique. L’échec n’est pas malgré une UE imparfaite mais parce que le supranationalisme ne fonctionne pas. Nous sommes donc dans les limbes, avec un non-État puissant, l’UE, et des conséquences politiques, enchaînant les erreurs.

Pour Sophie in’t Veld, l’UE a certainement donné des résultats, mais elle sous-performe en tant qu’économie innovante, acteur géopolitique et surtout entité démocratique. Les États-nations n’ont pas été inventés avec Adam et Ève, ce sont des créations récentes, et toute idéalisation des États-nations est un anachronisme naïf.

Le problème avec le pouvoir de l’UE est que les dirigeants nationaux ont confisqué le pouvoir au sein du Conseil européen, qui devrait fonctionner comme un « think tank » selon les traités européens mais qui agit comme un gouvernement dysfonctionnel, décidant sans transparence ni responsabilité. Le fait que la présidente de la Commission européenne soit membre du Conseil européen est problématique, elle devrait faire appliquer la législation européenne, pas se rapprocher des chefs d’État et de gouvernement. Pour Ursula von der Leyen, son ticket pour le pouvoir est d’être à la table du Conseil européen, pas en tant que présidente de la Commission européenne.

La démocratie fonctionne avec des élections et surtout des « checks and balances » : dans l’UE, la responsabilité s’est perdue au fil des ans. La révolution la plus importante aujourd’hui serait d’appliquer les traités européens. Premièrement, réduire la taille de la Commission européenne comme cela est envisagée. Deuxièmement, les Commissaires ne devraient plus représenter leurs pays, puisque la Commission européenne est chargée d’appliquer les traités et de mettre en œuvre les lois européennes, même les procédures d’infraction contre les États membres si nécessaire. Ces dernières années, l’application du droit est en fort déclin, von der Leyen en particulier l’a négocié contre du soutien politique. On ne peut plus faire confiance à la Commission européenne, et c’est le problème le plus urgent.

Que nous faut-il ? Plus de responsabilité et de contrôle des chefs d’État et de gouvernement s’engageant avec l’UE, dans les limites de l’État de droit. Dans le monde fragmenté d’aujourd’hui, nous devons rendre l’UE plus démocratique en tant que démocratie parlementaire à part entière. Nous vivons encore dans l’illusion que les États-nations peuvent faire face seuls aux défis comme le changement climatique, les défis géopolitiques, les migrations et la transition numérique. Dans le cadre des traités actuels de l’UE, le Conseil européen, l’organe des chefs d’État et de gouvernement, ne devrait plus prendre les décisions, et le Parlement européen devrait exercer plus de contrôle. Les pouvoirs ont été consciemment donnés aux institutions européennes, avec réticence par les États membres, car le pouvoir intergouvernemental ne fonctionnait pas, mais nous avons perdu cette mémoire et celle-ci revient avec force. C’est leur « coup d’État », s’il y a un « coup silencieux », il vient des dirigeants gouvernementaux européens. Nous devons ramener le pouvoir là où il devait être : la Commission européenne et le Parlement européen, loin de la boîte noire.

Visions opposées de l’avenir : désoccidentalisation vs. démocratisation

Thomas Fazi craint le risque d’un style nouvelle « Guerre froide » de la part de l’UE, alignée sur les USA, qui serait destinée à imploser. L’UE doit s’engager dans un monde multipolaire, avec le bloc non-occidental, les BRICS, qui s’éloignent de la vision suprémaciste occidentale, où une majorité mondiale construit un nouvel ordre basé sur les nations. Sophie in’t Veld se pose en optimiste très inquiète, car les sonnettes d’alarme des présidences Trump et de l’attaque russe de l’Ukraine n’ont pas suffi à apporter le leadership décent dont l’UE a besoin pour décider de notre avenir.

L’Union européenne à l’ère du podcast : une analyse de sa stratégie audio

Dans un monde où l’information circule à grande vitesse et où l’attention du public est de plus en plus difficile à capter, la Commission européenne décide de se lancer dans l’aventure du podcast pour communiquer sur ses activités et ses politiques. Cette stratégie s’inscrit dans une volonté plus large de moderniser sa communication et de toucher de nouveaux publics, notamment plus jeunes. Mais quelle est réellement l’offre de podcasts européens ?

Aperçu général de l’offre de podcasts de l’UE

L’offre de podcasts de l’Union européenne est vaste et diversifiée. D’après la base de données des contenus produits par la Commission européenne, on dénombre pas moins de 22 séries de podcasts différentes, couvrant un large éventail de sujets.

Diversité thématique

Les thèmes abordés vont des actualités européennes avec « Europe Calling » aux statistiques « Stats in a Wrap », en passant par le commerce « Trade-Off », la recherche scientifique « CORDIScovery », la finance « EU Finance – The Future of Finance », l’espace « Let’s Talk EU Space », l’agriculture « Food for Europe », l’environnement « Ocean Calls », ou encore la culture « European Tasty Tales ». Cette diversité thématique reflète la volonté de l’UE de communiquer sur l’ensemble de ses domaines d’action et de compétences.

Multilinguisme

Un autre aspect notable de cette offre est son multilinguisme. Bien que la majorité des podcasts soient en anglais, certains sont produits dans d’autres langues de l’UE. Par exemple, « Wij, Europeanen » est en néerlandais, s’adressant spécifiquement à ce public.

Fréquence et durée

La fréquence de publication varie selon les séries, allant d’un rythme hebdomadaire à mensuel, voire plus espacé pour certaines séries. La durée des épisodes est également variable, mais se situe généralement entre 20 et 40 minutes, un format adapté à une écoute pendant les trajets quotidiens ou les pauses.

Format et style

La plupart des podcasts de l’UE adoptent un format d’interview ou de discussion entre experts. C’est le cas par exemple de « Europe Calling », qui propose des entretiens avec des décideurs clés de l’UE et des experts sur les politiques européennes les plus ambitieuses.

D’autres séries optent pour un format plus narratif, comme « Ocean Calls » qui plonge l’auditeur dans les profondeurs des enjeux maritimes à travers des récits immersifs et des témoignages.

Certains podcasts se distinguent par leur approche plus ludique ou informelle. « Stats in a Wrap » par exemple, présente les statistiques européennes de manière divertissante, cherchant à rendre accessibles des données parfois complexes.

Contenu et messages clés

L’analyse du contenu des différentes séries révèle plusieurs messages clés récurrents :

  • L’importance de l’action européenne dans la vie quotidienne des citoyens
  • La promotion des valeurs européennes (démocratie, état de droit, solidarité)
  • L’explication des politiques et initiatives de l’UE
  • La mise en avant de l’expertise européenne dans divers domaines
  • La sensibilisation aux défis globaux (changement climatique, transition numérique, etc.)

Par exemple, la série « CORDIScovery » met en lumière les avancées de la recherche européenne, soulignant ainsi le rôle de l’UE dans l’innovation et le progrès scientifique. « Food for Europe » quant à lui, explique les politiques agricoles et alimentaires de l’UE, cherchant à rapprocher ces enjeux des préoccupations quotidiennes des citoyens.

Évaluation de l’efficacité de la stratégie podcast

Publics cibles

Chaque série de podcast semble viser un public spécifique. « Erasmus+ revealed » s’adresse clairement aux étudiants et jeunes professionnels intéressés par la mobilité en Europe. « EU Finance – The Future of Finance » cible plutôt les professionnels et experts du secteur financier. « European Tasty Tales » vise un public plus large, intéressé par la gastronomie européenne. Cette segmentation permet à l’UE d’adapter son message et son ton en fonction de l’audience visée, afin de maximiser l’impact.

Intérêts et audiences

Il est difficile d’évaluer précisément l’audience de ces podcasts sans avoir accès aux statistiques d’écoute. Cependant, plusieurs indicateurs suggèrent un certain succès :

  • La longévité de certaines séries : « CORDIScovery » en est à son 40ème épisode, « EU Finance » à son 23ème, ce qui indique une certaine fidélisation de l’audience.
  • La régularité des publications : la plupart des séries maintiennent un rythme de publication constant, signe d’un engagement continu de l’UE dans cette stratégie.
  • La diversification de l’offre : le lancement régulier de nouvelles séries comme récemment « Erasmus+ revealed » ou « The Pulse » suggère que l’UE perçoit un intérêt croissant pour ce format.

Diffusion des messages clés

L’analyse du contenu des podcasts montre une cohérence avec les priorités de communication de l’UE. Les thèmes abordés reflètent les grandes orientations politiques de la Commission (Green Deal, transition numérique, relance économique post-Covid, etc.).

La diversité des formats et des approches permet de décliner ces messages de manière adaptée à différents publics. Par exemple, « Ocean Calls » sensibilise aux enjeux environnementaux marins de manière accessible, tandis que « Trade-Off » explique les subtilités de la politique commerciale européenne à un public plus averti.

Limites et défis

Malgré ces aspects positifs, la stratégie podcast de l’UE fait face à plusieurs défis :

  • La visibilité : dans un marché du podcast très concurrentiel, il peut être difficile pour les séries de l’UE de se démarquer et d’atteindre un large public.
  • La barrière linguistique : bien que certains podcasts soient produits dans différentes langues, la majorité reste en anglais, limitant potentiellement leur audience.
  • La complexité des sujets : certains podcasts traitent de thèmes très techniques, ce qui peut rebuter un public non-initié.

Recommandations pour améliorer et développer l’utilisation des podcasts

Sur la base de cette analyse, voici quelques recommandations pour renforcer l’efficacité de la stratégie podcast de l’UE :

Diversifier davantage les formats

Bien que l’offre actuelle soit déjà variée, l’UE pourrait expérimenter de nouveaux formats pour toucher un public plus large :

  • Des séries de fiction audio basées sur des thèmes européens pour captiver un public plus jeune.
  • Des podcasts courts (5-10 minutes) pour une consommation rapide d’information.
  • Des séries collaboratives avec des créateurs de contenu populaires pour bénéficier de leur audience.

Renforcer le multilinguisme

Pour surmonter la barrière linguistique, l’UE pourrait :

  • Produire plus de séries dans différentes langues de l’UE.
  • Proposer des transcriptions traduites pour les podcasts en anglais.
  • Développer des partenariats avec des médias locaux pour adapter et diffuser le contenu dans différentes langues.

Améliorer la promotion et la visibilité

Pour accroître l’audience de ses podcasts, l’UE pourrait :

  • Intensifier la promotion sur les réseaux sociaux, en ciblant spécifiquement les communautés d’auditeurs de podcasts.
  • Collaborer avec des influenceurs et des personnalités publiques pour promouvoir les séries.
  • Organiser des événements en direct (enregistrements publics, Q&A avec les animateurs) pour créer une communauté autour des podcasts.

Mesurer et analyser l’impact

Pour affiner sa stratégie, l’UE devrait :

  • Mettre en place des outils de mesure d’audience plus précis.
  • Réaliser des enquêtes auprès des auditeurs pour évaluer la compréhension et la rétention des messages clés.
  • Analyser régulièrement les données pour ajuster le contenu et le format des podcasts en fonction des préférences du public.

Intégrer les podcasts dans une stratégie de communication plus large

Les podcasts ne devraient pas être considérés comme un outil isolé, mais comme partie intégrante d’une stratégie de communication multicanale. L’UE pourrait :

  • Créer des synergies entre les podcasts et d’autres supports (vidéos, infographies, articles de blog).
  • Utiliser les podcasts comme point d’entrée vers des ressources plus détaillées sur les sites web de l’UE.
  • Encourager l’utilisation des podcasts comme support pédagogique dans les écoles et universités.

L’utilisation des podcasts par l’Union européenne dans sa stratégie de communication représente une avancée significative vers une communication plus moderne et engageante. La diversité thématique et stylistique de l’offre actuelle démontre une volonté réelle de s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation de l’information et de toucher des publics variés.

Cependant, pour maximiser l’impact de cette stratégie, l’UE doit relever plusieurs défis, notamment en termes de visibilité et d’accessibilité afin de renforcer l’efficacité des podcasts comme outil de communication, en les intégrant dans une approche plus globale et interactive.

À l’heure où la désinformation et l’euroscepticisme représentent des menaces sérieuses pour le projet européen, les podcasts offrent une opportunité unique de créer un lien direct et authentique avec les citoyens. En continuant à innover et à affiner sa stratégie audio, l’Union européenne peut non seulement informer, mais aussi engager et inspirer ses citoyens, contribuant ainsi à construire une identité européenne plus forte et partagée.

Nouveaux portefeuilles à la Commission européenne : intérêts et limites d’une communication européenne entre ambition politique et défis institutionnels

Comme prévu par l’agenda institutionnel européen, Ursula von der Leyen est réélue présidente de la Commission européenne pour un second mandat, le 18 juillet, avec une majorité plus confortable qu’attendue. Dans son discours devant les députés européens, elle dévoile ses orientations politiques pour la prochaine Commission : « Le choix de l’Europe » pour les cinq prochaines années, mettant l’accent sur cinq priorités majeures.

Une communication politique hyper-sobre : piliers du programme von der Leyen II

Le travail de consolidation de sa majorité parlementaire, entre les groupes politiques du centre-droit (PPE), centre-gauche (S&D), centristes (Renew), mais aussi les Verts qui ont joué le jeu de la coalition tandis que les conservateurs (ECR) se sont divisés :

  1. Un nouveau plan pour la prospérité et la compétitivité durables, visant à stimuler l’économie européenne, en mettant l’accent sur la facilitation de l’activité des entreprises, l’élaboration d’un pacte pour une industrie propre, et le renforcement de la recherche et de l’innovation. Elle souligne également l’importance de combler le déficit de compétences et de main-d’œuvre.
  2. Une nouvelle ère pour la défense et la sécurité européennes : Face aux défis géopolitiques actuels, von der Leyen promet de faire de l’Union européenne de la défense une réalité, tout en renforçant la préparation aux crises et la sécurité intérieure. Le renforcement des frontières communes et une approche équitable mais ferme en matière de migration sont également au programme.
  3. Soutien aux personnes et renforcement du modèle social européen : La présidente de la Commission s’engage à promouvoir l’équité sociale, à restaurer l’unité des sociétés et à soutenir les jeunes. L’égalité et la préservation de la qualité de vie, notamment en termes de sécurité alimentaire et d’accès à l’eau.
  4. Protection de la démocratie et défense des valeurs européennes : un autre « bouclier européen de la démocratie » propose de renforcer l’état de droit et de placer les citoyens au cœur du processus démocratique.
  5. Renforcement du rôle de l’Europe dans le monde : La présidente de la Commission prévoit de poursuivre l’élargissement de l’UE, d’adopter une approche plus stratégique envers les pays voisins et de mettre en place une nouvelle politique économique étrangère.

Une nouvelle forme de communication politique par la création de nouveaux postes de Commissaires

La nouvelle présidente de la Commission européenne von der Leyen, dont la créativité n’est plus à démontrer si l’on se souvient de la configuration autour de Vice-Présidence aux titres ronflant, se montre de nouveau généreuse dans la création de nouveaux postes de Commissaires, notamment :

  • « chargé de la défense »
  • « spécialement chargé de l’élargissement »
  • «  pour la Méditerranée »
  • « dont le portefeuille inclura le logement »
  • «  chargé de l’égalité »
  • «  chargé de l’équité intergénérationnelle »
  • « chargé de la pêche et des océans »

Ces propositions soulèvent des questions sur l’équilibre entre visibilité politique et efficacité institutionnelle. La création de ces nouveaux postes présente des avantages en termes de visibilité politique et d’adaptabilité face aux défis émergents. Cela peut servir de « marqueur » qui font tant défaut dans la liste des priorités, sur le fond largement consensuel au vue des résultats du vote à bulletin secret pour son investiture, mais sans aspérité, pour les valoriser les porter à la connaissance du grand public.

Cependant, ces nouveaux postes soulèvent également des interrogations. Le respect du cadre juridique, la création de nouveaux postes doit s’inscrire dans le cadre fixé par les traités européens, sinon, le risque de fragmentation augmente avec une multiplication des portefeuilles qui pourrait nuire à la cohérence de l’action de la Commission. Mais surtout, l’alignement avec la structure administrative est crucial afin d’assurer une bonne coordination entre les portefeuilles des Commissaires et l’organisation des directions générales.

En revanche, la communication via les portefeuilles peut se montrer nuisible, en raison de son illisibilité pour le public. La multiplication des postes pourrait paradoxalement rendre moins lisibles les responsabilités réelles de l’UE pour les citoyens européens. Sans compter les contraintes pratiques où la répartition des postes devra se faire en fonction des candidatures présentées par les États membres, ce qui pourrait limiter la flexibilité dans l’attribution des nouveaux portefeuilles en fonction des profils.

Au total, la proposition d’Ursula von der Leyen de créer de nouveaux postes de Commissaires reflète une volonté d’adapter l’institution aux défis contemporains et d’envoyer des signaux politiques forts. Cependant, la mise en œuvre de cette vision devra naviguer entre les contraintes juridiques, les impératifs d’efficacité administrative et les besoins de communication politique. Dans l’équilibre à trouver entre ambition politique et pragmatisme institutionnel, où il s’agira de traduire les nouvelles priorités en actions concrètes, peut-on suggérer que cela ne se fasse pas au détriment de la cohérence et de l’efficacité de l’institution européenne, d’autres formes de communication devraient être privilégiées.

Le processus d’audition des nouveaux Commissaires par le Parlement européen permet d’évaluer la faisabilité et la pertinence de cette nouvelle structure, et aurait pu conduire à des ajustements avant la prise de fonction effective de la nouvelle Commission européenne.

« Storytelling Shift » : évolution des stratégies de communication de l’UE entre 2019 et 2024

Face au défi permanent de communiquer efficacement ses priorités, actions et valeurs à un public diversifié de plus de 400 millions de citoyens répartis dans 27 États membres, la communication de l’Union européenne est définie dans les documents stratégiques les plus importants : les agendas stratégiques du Conseil européen rédigé avant les élections européennes et les lignes directrices politiques de la Commission européenne rédigées par la nouvelle présidence. Quelles évolutions des stratégies de communication de l’UE peuvent être déduites en comparant deux ensembles de documents pivotaux : les agendas stratégiques du Conseil européen pour 2019-2024 et 2024-2029, et les lignes directrices politiques de la Commission européenne présentées par Ursula von der Leyen en 2019 et 2024 ? Ces documents ne définissent pas seulement la direction politique de l’UE, mais révèlent également comment les institutions cadrent leurs messages et prévoient de s’engager avec les citoyens dans un paysage géopolitique en constante évolution.

En une phrase, notre analyse révèle un changement significatif dans les stratégies de communication, reflétant l’adaptation de l’UE aux nouveaux défis mondiaux et aux attentes changeantes du public. L’UE se dirige vers une approche de communication plus affirmée, axée sur la sécurité et l’engagement des citoyens, tout en s’efforçant de maintenir ses valeurs fondamentales et son unité dans un monde de plus en plus complexe.

1. Changement des cadres narratifs : le passage d’un récit d’aspiration à un récit de nécessité et d’urgence

Le changement le plus frappant dans la communication de l’UE est le passage d’un récit d’aspiration à un récit de nécessité et d’urgence. En 2019, les lignes directrices de von der Leyen étaient encadrées autour du concept d’une Union qui « aspire à plus », mettant l’accent sur l’ambition et le progrès. L’agenda stratégique de 2019 se concentrait également sur « la construction de notre avenir ensemble ». En revanche, les documents de 2024 encadrent les actions de l’UE en termes de force, de souveraineté et de sécurité. L’agenda stratégique de 2024 s’ouvre sur une évaluation sévère des défis mondiaux, soulignant la nécessité d’une « Europe forte et souveraine ». Ce changement reflète une reconnaissance de la réalité géopolitique modifiée à la suite d’événements comme la pandémie de COVID-19, la crise énergétique et l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Le Pacte vert pour l’Europe, une pièce maîtresse de l’agenda de 2019, était initialement encadré principalement en termes de protection de l’environnement et d’opportunité économique. En 2024, bien qu’il reste une priorité, il est de plus en plus encadré en termes d’autonomie stratégique et de compétitivité, soulignant la nécessité pour l’Europe de diriger les technologies vertes pour assurer la sécurité économique.

2. Évolution des Messages clés : un passage vers une communication plus affirmée sur le rôle de l’UE dans la garantie de la sécurité

La sécurité et l’autonomie stratégique sont devenues des thèmes centraux en 2024, reflétant une évolution significative par rapport à 2019. Bien que la défense et la sécurité aient été mentionnées dans les documents de 2019, elles n’avaient pas la même importance. L’agenda stratégique de 2019 mentionnait brièvement la nécessité de « prendre une plus grande responsabilité pour notre propre sécurité et défense ». En revanche, l’agenda de 2024 consacre une section entière au « Renforcement de notre sécurité et de notre défense », détaillant des plans pour augmenter les dépenses de défense, les achats conjoints et le développement des capacités industrielles de défense de l’UE. Ce changement indique un passage vers une communication plus affirmée sur le rôle de l’UE dans la garantie de la sécurité de ses citoyens et sa place sur la scène mondiale.

3. Stratégies de ciblage et d’engagement du public : un engagement citoyen plus soutenu et significatif pour construire la légitimité et le soutien

Les deux ensembles de documents montrent une importance accrue de l’engagement direct des citoyens, mais les documents de 2024 vont plus loin, reflétant les leçons tirées d’initiatives comme la Conférence sur l’avenir de l’Europe. En 2019, von der Leyen envisageait la Conférence sur l’avenir de l’Europe comme un moyen de donner aux citoyens une voix dans les priorités de l’UE. Les lignes directrices de 2024 semblent avoir plus d’ambition, s’engageant à « faire de la participation des citoyens une pratique régulière dans l’UE », y compris des dialogues annuels avec les commissaires. Cette évolution suggère une reconnaissance de la nécessité d’un engagement citoyen plus soutenu et significatif pour construire la légitimité et le soutien aux actions de l’UE.

4. Communication de crise et résilience

Les documents de 2024 montrent une augmentation marquée autour de la préparation aux crises et de la résilience, reflétant les expériences de l’UE depuis 2019. Bien que les documents de 2019 mentionnent la nécessité d’une réponse aux crises dans des domaines spécifiques comme la migration, l’agenda stratégique de 2024 appelle à « une approche plus robuste et agile » de la gestion des crises dans tous les domaines, des urgences sanitaires aux cyberattaques. Ce changement indique une tentative de rassurer les citoyens sur la capacité de l’UE à gérer les crises futures, tout en justifiant une intégration accrue dans des domaines comme la santé et la cybersécurité.

5. Équilibre entre unité et diversité

Les deux ensembles de documents luttent avec le défi de promouvoir l’unité de l’UE tout en reconnaissant la diversité des États membres. Cependant, les documents de 2024 montrent une approche plus nuancée de cet équilibre. L’agenda stratégique de 2019 mettait l’accent sur « l’unité dans la diversité » comme une force. L’agenda de 2024, tout en continuant à promouvoir l’unité, reconnaît plus explicitement les circonstances nationales différentes, en particulier dans des domaines comme la transition verte et la politique migratoire, reflétant les changements des forces politiques élues lors des élections du Parlement européen. Cette évolution suggère une tentative de répondre aux préoccupations concernant l’empiètement de l’UE tout en promouvant une action collective.

Ces changements dans les stratégies de communication de l’UE ont plusieurs implications :

  1. Légitimité et perception publique : Le passage à une communication plus affirmée sur la sécurité et l’autonomie stratégique peut aider à justifier une intégration accrue de l’UE dans ces domaines. Cependant, cela risque également d’aliéner ceux qui sont méfiants vis-à-vis de l’expansion des pouvoirs de l’UE.
  2. Positionnement mondial : Le ton plus affirmé positionne l’UE comme un acteur mondial plus fort, mais peut également créer des tensions avec les alliés, partenaires, concurrents et rivaux systémiques internationaux.
  3. Engagement des citoyens : L’accent accru sur la participation directe des citoyens est une promesse durable, mais son efficacité dépend toujours de la mise en œuvre et de la capacité de l’UE à démontrer que l’apport des citoyens influence réellement la politique.

Notre analyse révèle que les institutions de l’UE adaptent leurs stratégies de communication à un environnement plus complexe et difficile. Le passage à une communication plus affirmée sur la sécurité et l’autonomie stratégique, couplé à un accent accru sur l’engagement des citoyens, représente une tentative de construire un soutien pour une UE plus intégrée et globalement influente, tout en ne négligeant pas la nécessité de respecter la diversité des États membres et de répondre aux préoccupations des citoyens concernant la souveraineté. À l’avenir, les stratégies de communication de l’UE devront probablement devenir encore plus agiles et intégrées entre les institutions pour relever le défi de maintenir un message cohérent tout en s’adressant à des publics nationaux diversifiés et à des situations mondiales en évolution rapide.

Alors que l’UE continue d’évoluer en réponse aux défis mondiaux, sa capacité à communiquer efficacement ses actions, valeurs et vision aux citoyens sera cruciale pour façonner son avenir et sa place dans le monde.

Références

European Council. (2019). A new strategic agenda 2019-2024.

European Council. (2024). Strategic Agenda 2024-2029.

von der Leyen, U. (2019). A Union that strives for more: My agenda for Europe.

von der Leyen, U. (2024). Political Guidelines for the next European Commission 2024-2029.

Directives de la présidente pour la communication de la Commission européenne

En complément des Orientations politiques : « Le choix de l’Europe » rédigées en vue de l’élection de la présidente de la Commission européenne au Parlement européen, Ursula von der Leyen partage dans les lettres de mission aux Commissaires-désignés des précisions pour « Travailler ensemble pour l’Europe, Se rapprocher des Européens » afin de garantir la réputation de l’institution et la confiance des Européens, autour de repères tels que ouverture, transparence et représentation…

1. Renforcer les relations avec les institutions de l’UE : un vœu pieux d’affichage ou une prise de conscience sérieuse ?

La Commission européenne renforcera ses relations avec les institutions de l’UE, en assurant une circulation de l’information avant les événements majeurs ou aux étapes clés et communiquera mieux son travail et son « planning ».

Souvent critiquée pour son manque de transparence et de clarté, le renforcement des relations avec les institutions de l’UE serait une initiative cruciale pour améliorer la coordination et la cohérence de la fabrique des politiques européennes. Cette intention, qui nécessite une mise en œuvre rigoureuse et continue pour être efficace, sera-t-elle suivie par la présidente de la Commission européenne qui a préféré dévoilée sa nouvelle Commission lors d’une conférence de presse après une réunion avec la Bureau du Parlement européen sans aucune fuite ; chacun jugera de son sens des priorités.

2. Présence accrue sur le terrain : la promesse de toutes les Commissions ; sera-t-elle tenue ?

La Commission européenne sera plus présente sur le terrain, plus souvent et dans plus de régions. Elle ira au niveau local, soutenue par le réseau de ses représentations et du réseau des « EU Local Councillors ». Elle donnera plus de visibilité aux projets de l’UE qui font une différence dans la vie des gens sur le terrain. Elle communiquera activement sur ses actions et décisions, expliquera les avantages et opportunités et luttera contre la désinformation, notamment en fournissant des informations claires et précises en tout temps.

Une présence accrue sur le terrain est essentielle pour rapprocher l’UE des citoyens. Les actions locales permettent de rendre les politiques européennes plus tangibles et compréhensibles. Cependant, cette stratégie nécessite des ressources importantes, dont les Représentations de la Commission européenne ne disposent pas, en particulier pour assurer la promotion de ces opportunités de communication dans la presse locale et régionale. La lutte contre la désinformation, nouveau serpent de mer de toute stratégie de communication, est tout autant cruciale, nécessite aussi des efforts engagés lors du mandat précédent.

3. Poursuite de l’ère de dialogue, dorénavant avec les jeunes : le narratif du lien jamais rompu entre l’UE et les citoyens

La Commission européenne lancera une nouvelle ère de dialogue avec les citoyens et les parties prenantes avec une première édition des « Annual Youth Policy Dialogues », un nouveau format d’événement annuel avec la jeunesse, annoncé dans les 100 premiers jours, afin que les jeunes puissent être entendus et aider à façonner le travail de l’institution.

Par ailleurs, l’institution intégrera la participation des citoyens, en s’appuyant sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe pour instaurer une véritable et durable culture de démocratie participative, lui permettant de choisir des domaines politiques et des propositions où les recommandations d’un Panel de citoyens européens aura la plus grande valeur et suivront leurs propositions.

L’investissement continu et renforcé au cours du premier mandat d’Ursula von der Leyen dans la démocratie participative au travers de l’exercice imposé de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, puis d’une démarche autonome de panels citoyens thématiques, qui semble donc se généraliser avec d’une part un format récurrent pour les jeunes et un format à la carte pour oindre la moindre nouvelle initiative de la Commission européenne du sceau de la validation citoyenne issus des panels. C’est dorénavant la carte maîtresse dans le jeu de la Commission européenne pour engager ses parties prenantes citoyennes et les jeunes dans le processus décisionnel en vue d’améliorer la légitimité des politiques européennes, tout en évitant de devenir une simple mise en scène de communication.

4. Engagements envers l’indépendance, l’intégrité, l’impartialité, les règles éthiques, la transparence et la représentativité accrue

La Commission européenne doit montrer un véritable engagement européen envers l’indépendance, l’intégrité, l’impartialité, les règles éthiques et la transparence. La Commission européenne veillera à devenir plus représentative des citoyens.

L’engagement envers la transparence serait fondamental pour renforcer la confiance des citoyens. Cependant, cet engagement doit être soutenu par des actions concrètes et des mécanismes de contrôle efficaces pour garantir que les citoyens aient accès à des informations claires et précises sur les décisions de la Commission.

Devenir plus représentative des citoyens est une priorité pour améliorer la légitimité de la Commission européenne. Cependant, cette représentativité doit aller au-delà de la simple diversité démographique et inclure une diversité d’opinions de parcours pour que les voix plus minoritaires soient réellement entendues et prises en compte dans le processus décisionnel.

En fin de compte, la réussite de ces directives dépendra de la capacité de la Commission européenne à transformer ces engagements en actions tangibles et durables.