Incommunication et communication européennes : « viva la revolucion ! »

Lors du colloque organisé par les étudiants du CELSA à la Mairie du XVe à Paris le 7 novembre dernier sur le thème de l’Incommunication européenne », une convergence de vue en filagramme se dessine au travers des différentes interventions pour faire la révolution de la communication européenne…

Dominique Wolton : la communication est la condition de survie de l’Europe

En ouverture du colloque, Dominique Wolton, directeur de recherche au CNRS et directeur de la revue Hermès invite à lutter contre l’incommunication européenne, par la négociation.

L’Europe est la plus grande aventure pacifique et expérience démocratique dans le monde mais on n’est d’accord sur pratiquement rien, donc on n’ose pas débattre et la communication de l’Europe a quasiment tout raté, quoique le désir d’Europe soit plus fort que la volonté de destruction.

Plusieurs éléments constituent des conditions pour communiquer, donc négocier :

  • Le patrimoine identitaire des valeurs communes chaotiques et contradictoires doit être mis en avant ;
  • La négociation des identités doit permettre de mettre à distance le passé et la mémoire des empires et de la colonisation pour relativiser les divisions du présent ;
  • La construction européenne ne doit plus se faire avoir par la tyrannie des experts et des technos qui ont imposé un opérateur économique plutôt qu’un projet politique, qui fait que les populismes font pression car on ne retrouve pas dans l’Europe des forces d’émancipation ;
  • L’info factuelle sur l’UE existe mais ne rentre pas dans les codes de la communication faute de médias, de médiations et d’espace public européens.
  • La tyrannie de l’expression sur les réseaux sociaux peut conduire à un alignement sous la pression des minorités et au populisme lorsqu’une seule partie du peuple est écoutée lorsqu’elle parle. La démocratie participative/interactive sans filtre, ne vaut pas mieux que les intermédiaires trop nombreux et peu structurés sur les réseaux sociaux.

Quelques chantiers impératifs peuvent nous permettre d’approfondir la connaissance de ce qui nous sépare :

  1. Valoriser le dialogue interpersonnel, donc sauver toutes les langues maternelles et apprendre 3 langues étrangères d’une part et faciliter via « 50 nuances d’Erasmus » la circulation de toutes les catégories de la population d’autre part, car les souvenirs, tout comme les stéréotypes sont autant les adversaires de la communication que le seul moyen d’aborder le dialogue ;
  2. Valoriser la diversité culturelle, donc apprendre les histoires de l’Europe pour sortir du silence des mémoires et faciliter les comparaisons entre États-membres et développer les industries créatives pour contrer le monopole des États-Unis.

En somme, pour Dominique Wolton, l’Europe est une familiarité qui ne se reconnaît pas ; mais la communication peut seule nous permettre de cohabiter et de négocier un avenir commun.

1e table ronde : dépôt de bilan pour la communication européenne

Les intervenants de la 1e table ronde – Thierry Libaert, Eric Dacheux et Jean Quatremer – ont débattus de l’état des lieux de l’incommunication et de la communication européennes.

Eric Dacheux s’est montré, sur un plan théorique, le plus acide de la communication de l’Union européenne :

  • Rapprocher l’UE et les citoyens, leitmotiv de la comm’ est une idiotie car cela démontre que l’UE s’est faite, non seulement sans les citoyens mais contre eux ;
  • Réduire la communication de l’UE à une comm’ persuasive est une erreur, car cela réduit l’UE à une marque et les citoyens à des cibles, alors qu’il faut créer du commun ;
  • Renoncer à un prêt-à-penser communicationnel, permettrait de voir que les citoyens ne sont pas en manque d’informations sur l’Europe, mais souffrent d’un déficit d’instruction civique européenne ;
  • Renoncer au « tout numérique pour connecter les citoyens aux institutions européennes » permettrait de laisser à la fois le temps et la distance nécessaire à la possibilité d’une communication ;
  • Retrouver un projet fondateur, une utopie à la place de la paix, qui est une plaie de la lutte de tous contre tous, permettrait de créer un conflit intégrateur pour construire des désaccords, la fabrique du consentement reposant sur des questions qui fâchent et le pouvoir de dire non.

En somme, pour Eric Dacheux, il vaut mieux « proposer des problèmes à résoudre en commun que donner des fausses solutions solitaires ».

Thierry Libaert, fort de son expérience au cœur du Comité économique et social européen, s’est montré le plus pragmatique :

  • Depuis le reproche adressé aux Pères fondateurs d’une approche technocratique de « solidarités de fait », on cherche encore la place des citoyens ;
  • Seule la communication de terrain, au contact des citoyens réussit tandis que la communication à distance et par les tuyaux échoue ;
  • La solution à l’incommunication européenne ne passe pas seulement par la communication, qui n’est pas la solution à tous les problèmes.

En conclusion, pour Thierry Libaert, il faut prendre au sérieux la forte demande de renouveau formulée par les citoyens, notamment à l’occasion des consultations citoyennes européennes.

Jean Quatremer propose la lecture la plus politique et acerbe du bilan de la construction européenne :

  • « Le problème fondamental de l’UE, c’est le mensonge entretenu par les États-membres et l’UE » sur la place des peuples dans cette construction des États : lorsque le marché fonctionne sans les peuples, tout le monde y est indifférent parce que c’est technique, mais pas lorsque les enjeux plus liés à la souveraineté (monnaie, frontière) sont gérés par le même appareil institutionnel ;
  • « Rien n’est gravé dans le marbre des traités », c’est la responsabilité des États, donc depuis une décennie l’Europe merkelienne où la CDU domine la politique européenne et conduit des politiques publiques de l’UE partisanes ;
  • « Bruxelles, c’est le Vatican à Rome », on y chasse les hérétiques, la moindre critique est facteur d’excommunication et la complexité est une finalité politique pour ne pas lever le voile et éviter le débat politique, qui permettrait l’appropriation par les peuples.

Conclusion définitive de Jean Quatremer : « il faut stopper le délire de la Commission européenne » sinon l’europhobie va monter aussi vite que la démagogie. La dérive idéologique et technocratique doit laisser la place à un fonctionnement plus démocratique avec une responsabilité politique devant le Parlement européen et des citoyens qui veulent qu’on leur rende leur pouvoir de décision.

Que faut-il retenir du dépôt de bilan de la communication européenne ?

Une impasse en matière de principes :

  • L’affaire Selmayr à elle seule résume l’échec de nombreux principes dont collégialité des décisions, exemplarité de l’institution, responsabilité politique face à l’administration…
  • L’irrespect des valeurs fondamentales en Pologne et Hongrie est le signe d’un autre échec que la Commission avec son Premier Vice-Président Timmermans n’est pas parvenue à juguler…
  • Le droit d’initiative a été très largement subordonné aux souhaits des grands États-membres et au strict programme Juncker tandis que les tentatives de règlement en solo, sans le poids du Conseil européen (quotas de migrants par États-membres) ont été des échecs…
  • La capacité de décision exécutive se trouve de plus en plus diluée par le poids grandissant de l’autorité et des moyens des agences exécutives…

Un échec de la communication européenne :

  • Antagonisée face aux États-membres alors que seule la coopération permet d’atteindre le grand public ;
  • Filialisée à une famille politique et à un pays : la CDU allemande ;
  • Liée au seul destin de l’institution et du programme politique de son président ;
  • Neutralisée, trop silencieuse sur les grands enjeux et très bavarde sur les détails en particulier sur les réseaux sociaux…

2e table ronde : quelle communication européenne pour demain ?

Autour de la 2e table ronde, 3 intervenants – Isabelle Coustet, chef du bureau du Parlement européen en France, Juliette Charbonneaux, maître de conférence au CELSA et votre serviteur – ont dialogué des solutions pour « révolutionner » la communication de l’Europe.

Isabelle Coustet présente la campagne originale du Parlement européen pour les prochaines élections européennes, résolument pro-européenne « Cette fois, je vote » avec une plateforme web de quasi « community organising », qui invite non seulement les citoyens à voter, mais aussi à en parler autour d’eux et à rejoindre l’équipe d’organisation d’événements partout en Europe.

Juliette Charbonneaux insiste sur le journalisme européen, entre la prétention initiale à l’apolitisme du projet européen et sa récente politisation qui tend à faciliter le travail des journalistes. Elle revient également sur la tentation de faire « tabula rasa » quant aux questions médiatiques européennes et rappelle que des médias européens existaient déjà dans l’Entre Deux Guerres pour tenter de faire vivre une utopie européenne.

Michaël Malherbe invite à renverser la table, conscient que, tant que les causes non traitées risquent de produire les mêmes effets, aucune campagne de communication miracle n’est possible.

Refonder des structures inspirées des expériences nationales conduit d’une part à se poser la question de la création d’un service public de l’information audiovisuelle au niveau européen avec une indépendance totale et une capacité d’enquête et d’autre part à se doter d’une agence européenne de communication afin de mutualiser les moyens pour répondre aux enjeux de réception auprès du public.

Par ailleurs, la présence de l’Union européenne sur les réseaux sociaux est pléthorique mais illisible et incompréhensible et les institutions n’investissent pas assez en paid dans ce domaine, alors qu’il y a un potentiel énorme.

En outre, il faut faire la part des choses entre l’opposition intégrée au système autour des politiques publiques européennes et l’opposition systémique à l’UE. Le défi est à la fois de davantage parler du fond que de la forme de l’UE et l’UE assura sa survie quand elle sera parvenue à intégrer les discours critiques anti-système.

Enfin, la communication européenne doit faire preuve d’ambition et de créativité pour construire un imaginaire européen et des symboles forts, comme des séries inspirées par l’UE, à l’exemple de Madam Secretary et tant d’autres séries avec le FBI et la CIA ; ou encore afficher le drapeau européen sur les maillots de foot, aux JO, sur Mars…

Conclusion : la démocratie européenne s’use à ne pas servir

L’eurodéputée Isabelle Thomas conclut le colloque avec un plaidoyer pour un nouveau narratif européen qui ne soit pas une vision poétique mais un discours pragmatique et rationnel pour une Europe qui sache résister aux États-continents, aux multinationales/GAFAM pour imposer son modèle de société.

Elle rêve d’une vague citoyenne aux élections européennes pour donner des ailes au Parlement européen et lui permettre de faire son Serment du Jeu de Paume, le moment constituant, prélude à la Révolution démocratique de l’Europe.

Que conclure ? Que le fil rouge invisible d’un certain esprit révolutionnaire, à la fois de contestation et de refondation, semble confirmé lors des Rendez-vous de l’Europe, la consultation citoyenne réunissant les parlementaires français et les eurodéputés français le lendemain, où Jean-Louis Bourlanges a également plaidé pour que « l’UE doit réussir sa révolution copernicienne afin de contribuer à la construction d’un monde où elle sera en mesure de défendre ses valeurs, son modèle social et politique ». Vaste programme !

Le théâtre de l’Europe ou « quand l’Europe improvise », selon Luuk Van Middelaar

Après le Passage à l’Europe, Luuk Van Middelaar revient avec une nouvelle clé de lecture de l’actualité de la décennie européenne à partir de « la politique de l’événement », les décisions ne reposent plus toujours sur les traités et les règles mais sur des réponses communes aux besoins du moment qui engagent la responsabilité des chefs et captivent le public…

Mise en scène : lever de rideau sur la « nouvelle » Europe qui improvise

Le déroulé de l’histoire tient sommairement : l’Après-guerre impose la promesse de Communauté européenne avec ses tabous des intérêts, des différences et des frontières en une sorte d’« impuissance organisée » avec le marché commun pour les États grâce aux transferts de compétences et au consensus des règles ; tandis que l’Après-mur impose une nouvelle Union européenne avec ses devoirs de défendre les intérêts communs, de conjuguer les capacités d’action des membres et de définir sa place dans l’espace et le temps, bref, une sorte de « puissance en commun » où assumer des responsabilités politiques quand les règles n’ont pas le dernier mot.

Problème, « l’ancienne façon de penser empêche l’Europe de se penser soi-même », la chenille ne veut pas voir le papillon qui a pris son envol. « La croyance inflexible pour construire la « véritable » Europe contre les États-membres, plutôt qu’avec eux, nourrit précisément le scepticisme du public ».

Metteurs en scène de la « nouvelle » Europe : le Conseil européen

Pour Luuk Van Middelaar, la décennie de crises (euro, Ukraine, migrants et Brexit-Trump) tient lieu de lever de rideau sur la « nouvelle » Europe de la politique de l’événement qui improvise, grâce au Conseil européen, le cénacle des chefs d’État et de gouvernement dont il fut la plume du premier président Herman Van Rompuy.

A travers ses différentes figures de chef, le Conseil européen apparait :

  • Quand le danger menace, comme dompteur face à la tempête, notamment des marchés ;
  • Pour trancher, comme décideur, quoiqu’il ne soit pas forcément le plus compétent ;
  • Quand il faut une boussole, comme stratège pour impulser les grandes lignes ;
  • Pour changer les bases, comme concepteur, voire pouvoir constituant de l’UE ;
  • Quand l’Europe doit parler, comme porte-parole.

Au fils de ses figures de style, le Conseil européen concentre l’autorité qui vient du public grâce à la qualité dramatique sans équivalent du huis-clos, à l’importance des doorsteps, ces prises de parole qui démocratisent les enjeux, à la photo de famille, à la dramaturgie du sommet, aux conclusions politiquement contraignantes dont la volonté fait loi et enfin aux médias qui mettent la pression et incitent à plus d’unité et de détermination.

Entre scène et coulisses : la Commission européenne

Avec Luuk Van Middelaar, la Commission en prend pour son grade. Considérée comme un exécutif européen un peu trop galvaudé, la Commission est reconnue comme un procureur implacable du marché et une autorité politique fragile tant en raison de l’équilibrisme entre les nominations administratives des Commissaires dans les capitales et l’élection du président sur proposition du Conseil européen que de l’illusoire droit exclusif d’initiative puisque plus de 90% des propositions sont à la demande des autres – Parlement et Conseil.

Il est tiré argument, non sans conviction, du duo de l’exécutif en France entre le président de la République et le Premier ministre pour comprendre la répartition entre le Conseil européen pour agir et la Commission européenne pour règlementer. Les illusions de la troïka ou des quotas de migrants illustrent l’hubris et la suffisance bureaucratique de la machine administrative.

Pour Luuk Van Middelaar, point de doute, « lorsque la raison des intérêts, la conscience d’une souveraineté européenne adviendront, alors le moment machiavelien que l’UE traverse depuis une décennie sera terminé ».

Entrée en scène de l’opposition : la découverte de l’Europe par les publics

« Tant qu’il ne sera pas possible d’organiser une opposition au sein de l’UE, celle-là se mobilisera contre celle-ci », selon Luuk Van Middelaar qui distingue entre opposition classique aux policies et opposition de principe au polity, à la chose politique européenne en tant que telle. Autrement dit, « trouver une place à l’opposition classique est une question existentielle pour l’UE ».

Du coup, les publics doivent être capable de lire le jeu politique européen, de connaître les responsabilités des acteurs… alors que l’un des éléments de réussite repose sur une fabrique à l’écart de l’attention, avec une dépolitisation technique, constitutionnelle et procédurale de l’UE.

Pour Luuk Van Middelaar, « si l’UE veut gagner et conserver le soutien du public, il faut se libérer des dogmes » et trouver des « dissensus qui unissent », comme par exemple quelques idées très iconoclastes contre les zélateurs ou les hérétiques du dogme Europe :

  • La remise en question de l’intérieur contre l’interprétation souveraine de leur mandat aux institutions indépendantes : Commission, Banque centrale et Cour de justice…
  • La remise en cause des règles non constitutionnelles inscrites dans le traité de l’UE afin de créer un espace pour une contradiction légitime ;
  • Le passage de la gouvernance (des procédures et des règles) au gouvernement (le principe de responsabilité).

Plusieurs formes d’opposition se dessinent sous la plume de Luuk Van Middelaar :

  • L’opposition sénatoriale où une minorité des États-membres se coalisent au Conseil de l’UE ;
  • L’opposition strasbourgeoise où le Parlement européens se drapent dans une opposition fédérale ou civique contre les gouvernements nationaux réunis
  • L’opposition nationale classique contre un gouvernement national
  • L’opposition unie où plusieurs oppositions nationales s’unissent, comme fut la pâle vague rose à l’orée des années 2000 ;
  • L’opposition polémique où des dirigeants importent le combat à Bruxelles, comme Tsipras avec la crise de l’euro ou Orban et la crise des migrants.

Quelques obstacles demeurent à contourner :

  • Le Parlement européen ne contrôle qu’une partie de l’exécutif européen… en dehors des grands sujets comme les frontières ou la monnaie ;
  • Le Conseil européen prend les grandes décisions communes… mais les chefs en rendent compte individuellement ;
  • Les médias européens peinent à rendre lisibles les enjeux de la sphère politique européenne.

Avec talent, Luuk Van Middelaar illustre qu’une communauté politique est une communauté de récits, qui donne toute sa place à tous les acteurs sur scène, dans les tribunes et les coulisses.

Élections européennes : la campagne de communication du gouvernement français sous le feu des critiques

Après l’amer constat que la communication institutionnelle européenne est en train de s’éteindre tant du côté du Parlement que de la Commission, le gouvernement français est en train de faire la démonstration que la communication sur l’Europe en France est également menacée. De quoi exactement ?

Une vulgarisation trop amateuriste

Dans le cadre de la campagne traditionnelle d’incitation à participer aux prochaines élections européennes, le gouvernement français s’est illustré par une communication beaucoup trop vulgarisatrice.

La semaine dernière, plusieurs infographies, produites par le Service d’Information du Gouvernement (SIG) ont circulé sur les réseaux sociaux avec des erreurs sensibles, signalée par Sandrine Roginsky, une chercheuse de l’université de Louvain, déjà mentionnée sur Lacomeuropéenne.

Plusieurs médias reviennent sur les deux erreurs, en particulier Le Journal du Dimanche titrant « quand le gouvernement se trompe en voulant faire de la pédagogie » :

  • Erreur n°1 : la 1e condition pour participer au vote serait d’être citoyen français, alors que les citoyens européens vivant en France peuvent s’inscrire sur les listes électorales et voter – c’est un comble compte tenu du scrutin ;
  • Erreur n°2 : la 1e qualité attribuée aux députés européens serait de « représenter la France au Parlement européen », ce qui est aussi inexacte que de dire qu’un député serait là pour représenter sa circonscription. Les députés français représentent le peuple français tout comme les députés européens représentent les peuples des États-membres de l’UE.

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Il ne s’agit pas de simple approximations ou simplifications, mais de véritables erreurs, voire de fautes graves s’agissant de l’oubli d’une partie du corps électoral qui en disent long sur la méconnaissance et les préjugés sur l’Europe dans les sphères gouvernementales.

Une promotion trop simplificatrice

Si ce n’était pas déjà assez, le gouvernement français persiste et signe sa communication maladroite avec une vidéo de promotion du scrutin européen qui dépasse largement tous les cadres de la communication institutionnelle neutre et pédagogique d’incitation au vote.

En l’occurrence, le choix des mots et des illustrations est problématique tant la simplification est biaisée, voire instrumentalisée au service d’arguments plus électoraux qu’institutionnels :

  • Simplisme des mots : « Immigration : maîtriser ou subir » … « Climat : agir ou ignorer » … « Emploi : partenaires ou concurrents » … « Europe : union ou division » ;
  • Polémique des illustrations : Salvini et Orban illustre la séquence vidéo pour illustrer certains éléments critiqués.

La mise en récit des enjeux européens et la mise en scène (bande son, choix des séquences…) place la vidéo gouvernementale plus proche du clip partisan et polémique que dans la catégorie attendue d’une campagne de sensibilisation et de mobilisation de tous les citoyens – un quasi dévoiement tant des intentions que des moyens.

Au total, la communication gouvernementale sur l’Europe autour des élections européennes pose clairement la question de son opportunité tant l’amateurisme des messages pédagogiques et le simplisme polémique des arguments risque d’annihiler toute éventualité d’atteindre ce qui aurait dû rester ses objectifs : informer honnêtement les citoyens et lutter contre l’abstentionnisme.

Pour un dashboard public des Analytics du portail Europa

L’enjeu des données publiques de l’UE se limite trop souvent aux enjeux de transparence en matière de lobbying alors que les usages sont potentiellement illimités. La preuve avec l’idée d’un tableau de bord public, accessible en temps réel, des Analytics du portail Europa…

Communiquer par les Analytics, les API et les dashboards

Utiliser le web stratégiquement aujourd’hui signifie non seulement de communiquer sur les politiques publiques de l’Union européenne auprès des publics via les sites Internet et les réseaux sociaux – ce que l’on peut appeler la mission traditionnelle de la communication numérique – mais également de communiquer par les Analytics, les API et les dashboards qui offrent une forme de transparence sur les données (big data et open data) pour une sorte de méta-communication au service des publics.

La 2e édition du EUdatathon, le hackathon organisé au début du mois, illustre parfaitement cette logique visant à exploiter le potentiel des données ouvertes, de leurs visualisations et/ou applications pour :

  • Innover dans l’exploitation des données ouvertes de l’UE ;
  • Rendre la législation de l’UE et des États-membres interopérable ;
  • Donner de la valeur aux marchés publics de l’UE pour les citoyens et les entreprises ;
  • Encourager la réutilisation des données et l’innovation.

Tenderlake, récompensée est une application qui utilise les données de TED (Tenders Electronic Daily) et l’intelligence artificielle pour lire les sites web des entreprises et apprendre ce qu’elles font, puis proposer des opportunités de contrat pertinentes et apprendre continuellement à partir des nouveaux avis TED pour faciliter l’identification de contrats publics pertinents.

Un potentiel de personnalisation, ouvert aux entreprises autour des marchés publics qui pourrait se révéler très prometteur à plus large échelle sur d’autres sujets, voire auprès du grand public.

L’inspiration avec Analytics.USA.gov

A l’échelle de la communication européenne, une fonctionnalité propre à la Commission européenne et ses services voire interinstitutionnelle serait de réaliser un dashboard actualisé en temps réel sur les statistiques clés relatives au portail Europa, nécessitant de s’interroger sur les KPIs les plus pertinents :

  • Quelles sont les pages les plus consultées ?
  • Quels sont les rapports les plus téléchargés ?
  • Quels sont les parcours de visites ?
  • Quels sont les pays d’origine ?

Le projet en soi porte de nombreuses opportunités :

  • donner une visibilité interne et externe à l’intérêt et à l’importance de mesurer la performance ;
  • optimiser les pages web et les parcours sur les sites à partir des données de fréquentation ;
  • interpréter plus collectivement les infos et trouver des idées d’optimisation crowdsourcée ;
  • former un sentiment d’appartenance à une communauté commune de destin.

Impossible ? Le portail Analytics.USA.gov tend à montrer le contraire. Les données y sont naturellement anonymisées et propulsées via un projet open source librement et intégralement réutilisable.

Analytics_USA_gov

Au total, un tableau de bord de la fréquentation des sites web des institutions de l’UE serait une chance donnée à l’intelligence collective européenne.

Les médias d’information sont-ils des facilitateurs ou des obstacles dans la « spirale de l’euroscepticisme » ?

Comprendre comment les connaissances et les attitudes liés à l’euroscepticisme sont façonnées par les médias et, en retour, les opinions des citoyens sont conditionnées à l’ère des médias sociaux, c’est le défi de Charlotte Galpin et Hans-Joerg Trenz de l’Université de Copenhague dans « The Spiral of Euroscepticism: Media Negativity, Framing and Opposition to the EU ».

La négativité traditionnelle des médias sur l’UE décuplée par les forces eurosceptiques

L’euroscepticisme s’explique au moins en partie par le biais de négativité de l’actualité politique et non pas simplement par les campagnes des partis politiques eurosceptiques. Une perspective médiatique sur l’euroscepticisme aide à comprendre le rôle crucial joué par les journalistes pour amplifier et cadrer les informations négatives sur l’UE dans les médias traditionnels, ainsi que l’impact important des médias sociaux sur les attitudes eurosceptiques.

La négativité des médias peut avoir des conséquences négatives sur la connaissance de l’UE et la sensibilisation à la politique européenne, ainsi que sur la manière dont le cadrage des informations peut entraver un engagement critique dans le processus politique de l’UE en renforçant le soutien aux partis eurosceptiques.

Cadrer des articles d’actualité en capitalisant sur les peur, les identités exclusives ou la politique politicienne bruxelloise peut susciter une opposition à l’UE et pousser également le soutien aux partis populistes.

Le potentiel des nouveaux médias amplifié par l’euroscepticisme en ligne

Avec les médias sociaux, la négativité vis-à-vis de l’UE n’est plus médiatisée, ni même atténuée par les journalistes, mais exprimée par la voix directe des internautes contre les élites et les représentants politiques.

Comprendre l’influence des nouveaux médias et des médias sociaux met en lumière le rôle actif joué par les médias d’information qui créent une demande pour des articles qui remettent en cause la légitimité de l’UE et contribuent à l’encadrement négatif de l’UE.

Les auditoires eurosceptiques se voient proposer un forum où ils peuvent réagir directement aux informations politiques européennes en commentant et en partageant. Les médias sociaux et les commentaires d’actualités amplifient donc le parti pris négatif des informations de l’UE auprès des citoyens exprimant principalement leur critique, leur mécontentement ou leur frustration envers l’UE.

Les conséquences de la « spirale de l’euroscepticisme » sur la communication européenne

Le parti pris négatif de la couverture des informations politiques a des répercussions importantes sur la conception d’un gouvernement démocratique et sur les manières régulières dont les représentants politiques recherchent la publicité et interagissent avec les journalistes.

Dans le cas de l’UE, la négativité des médias correspond à une double représentation erronée des politiques démocratiques. Non seulement, la légitimité de l’UE est limitée dans la mesure où les journalistes se concentrent principalement sur la sur-réglementation, l’échec et la crise mais en plus les journalistes appliquent une perspective essentiellement nationaliste sur la formation de la volonté démocratique, qui privilégie souvent la voix des eurosceptiques par rapport aux autres.

La négativité médiatique est donc un cadre interprétatif utile pour comprendre les contraintes systémiques sur la légitimité de l’UE, notamment en ce qui concerne les nombreuses tentatives des acteurs et institutions de l’UE de lancer une stratégie médiatique et de communication plus proactive pour « vendre » une image plus positive. Du point de vue de la négativité des médias, de tels efforts de communication produisent des effets opposés : plus la publicité est importante, moins la légitimité est grande.

Le retrait de la scène médiatique et le virage vers une gouvernance technocratique dépolitisée sont toutefois tout aussi risqués et pourraient créer des informations encore plus négatives à long terme. Les institutions de l’UE restent donc très vulnérables aux événements négatifs, en particulier dans les moments d’attention accrue du public lors des poly-crises actuelles.

Pris au piège de la « spirale de l’euroscepticisme », les acteurs et les institutions de l’UE doivent apprendre à rendre compte des impondérables de la communication médiatique et des préjugés du journalisme politique, pour lesquels les médias en ligne et sociaux ne fournissent pas de correctifs.