Vers une mutualisation renforcée dans la communication de l’UE ?

Alors que l’agenda prioritaire de la communication européenne auprès des citoyens est balisé entre l’Année européenne des citoyens en 2013 et les élections européennes en 2014, allons-nous assister à des mutualisations inédites attendues depuis longtemps ?

Vers une campagne de communication commune aux institutions européennes ?

A ce jour, les institutions européennes partagent des priorités de communication chaque année, mais faut de mie en commun de budget ou d’équipe, il ne s’agit que d’un accord de principe.

Les 2 thèmes de l’Année européenne des citoyens et des élections européennes représentent des occasions inespérées pour des actions de communication profondément mutualisées entre les institutions européennes, de la conception à la réalisation.

Le principe n’en est pour autant pas acquis. Seul le Conseil semble, selon la voix de son dircom Reijo Kemppinen, proposer une programmation commune aux institutions en matière de budget de communication.

Vers une communication décentralisée commune à la Commission et au Parlement européen ?

A ce jour, la Commission européenne disposent de Représentations dans les États-membres tandis que le Parlement européen entretient un réseau de Bureau d’information.

Là encore, les 2 enjeux de l’Année européenne des citoyens et des élections européennes constituent des leviers de transformation pour une communication décentralisée véritablement partagée.

Au-delà des « Espaces publics européens » (autrefois appelés « Maisons de l’Europe » qui visent à rassembler ces 2 réseaux dans un même lieu et à coordonner leurs activités, une communication conjointe pourrait être envisagée. Dans ce cadre, une agence de communication recrute actuellement à titre exploratoire, des potentiels « social media & community managers » qui seraient communs aux Représentations et aux Bureaux.

Ainsi, des initiatives pour accomplir une mutualisation des moyens – au niveau des ressources budgétaires (campagne commune) ou humaines (social media & community manager) – semblent timidement se dessiner.

Professionnalisation de la communication européenne : qui communique sur l’Europe ?

Lors d’une conférence le 19 novembre 2012 au Bureau d’information du Parlement européen à Paris, les étudiants en communication de la Sorbonne et de l’Université Paris-Est Créteil ont souhaité réfléchir à la « professionnalisation » de la communication européenne. Y a-t-il création d’une identité commune et/ou d’un cadre de référence commun aux acteurs européens qui communiquent sur et pour l’Europe ?

Les communicants européens : quelles trajectoires professionnelles au sein des institutions européennes ?

L’UE est l’une des rares institutions publiques a organisé, depuis 2007 – dans le prolongement de la création de la DG COMM au sein de la Commission européenne – des recrutements sur concours spécifiquement dédiés aux spécialistes de la communication.

Au-delà de l’observation des profils académiques et professionnels (formations, diplômes, background professionnels), assiste-on à la construction éventuelle d’une identité professionnelle des communicants institutionnels européens, voire à l’émergence d’une conscience commune, d’un sentiment d’appartenance à un métier spécifique au niveau européen ?

Tom De Smedt, Administrateur à la Direction communication, presse et évènements et au Secrétariat général du Comité des régions propose une analyse SWOT des communicants européens :

  • Atouts : nombre, mobilité professionnelle, profil, culture bruxelloise et bureaucratie formalisée ;
  • Faiblesses : position hiérarchique de la communication, mentalité en “silo” (entre et dans les institutions), manque de “leadership” de la communication et d’une stratégie commune, politique de recrutement et de carrière, manque d’innovation et d’interaction externe, externalisation de la communication, peu de résultats visibles à court terme et manque d’une mémoire commune ;
  • Opportunités : priorités interinstitutionnelles, réseaux formels et informels, professionnalisation de la communication publique, volontarisme des communicants, avec des projets “bottom-up” et la crise de l’UE ;
  • Menaces : économies budgétaires et personnelles, opinion publique contre l’« eurocratie », évolution intergouvernementale de l’UE, élections européennes en 2014: politisation de la communication.

Au total, bien plus que de partager des profils communs, les communicants européens ont besoin d’un cadre commun et d’échanger leur expertise.

Les professionnels de la communication sur l’Europe : quelle autonomie ?

Au-delà des fonctionnaires européens, d’autres professionnels communiquent au quiotidien sur l’Europe :

  • Matthieu Collet, Président fondateur d’Euroagency évoque l’émergence d’un champ de professionnels indépendants et spécialistes du sujet, notamment dans des agences spécialisées ;
  • Bertrand Millet, Responsable communication Europe à la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) de Paris intervient sur l’organisation des pratiques des communicants au sein des structures nationales et sur leur autonomie vis-à-vis de Bruxelles à partir de l’exemple de la communication sur les fonds européens ;
  • Pascale Joannin, Directrice générale de la Fondation Robert Schuman traite des enjeux de militantisme et de neutralité en s’interrogeant pour savoir si la communication européenne doit être dépolitisée pour être efficace ? Du communicant militant « européiste » historique au communicant technicien « neutre » ?

Au total, la professionnalisation progressive de la communication européenne semble également passer par la constitution d’un corps divers d’experts au sein des institutions européennes et autour.

Comment les Eurobaromètres légitiment de nouvelles politiques publiques européennes ?

Dans une étude « L’Union européenne et ses citoyens : je t’aime, moi non plus ? », Salvatore Signorelli, un ancien acteur de l’analyse de l’opinion à la Commission européenne estime que « la parole du public analysée dans les sondages d’opinion n’est pas un simple instrument d’information, mais une source de légitimité »…

Une augmentation constante des Eurobaromètres Spéciaux, reflet d’une augmentation des compétences européennes

Pour Salvatore Signorelli, « parcourir les enquêtes Eurobaromètres Spécial ressemble à un passage en revue des politiques menées par l’UE ».

Les sujets sont des plus divers : on retrouve des enquêtes sur l’environnement, l’énergie, le cancer, le sida, la pauvreté, l’exclusion sociale, la famille, l’emploi, l’égalité homme/femme, la sécurité sociale, la recherche scientifique, les technologies de l’information, les OGM, l’euro, les services financiers, les langues, les jeunes, la mondialisation, le tourisme sexuel, Internet, le sport…

Autant de sujets que l’UE s’est peu à peu saisie au fur et à mesure de l’expansion des politiques publiques européennes.

En termes quantitatifs, les chiffres de l’explosion des Eurobaromètres sont impressionnants :

  • Entre 1970, date du premier EB Flash (« Les Européens et l’unification de l’Europe ») et 1984, 23 enquêtes soit 1,9 en moyenne par an ;
  • Entre 1985 et 1996, 98 enquêtes soit 8,1 en moyenne par an ;
  • Entre 1997 et 2009, 187 enquêtes soit 15,5 en moyenne par an ;
  • Depuis 2010, la moyenne annuelle est passée à 24 EB Spécial par an.

Ainsi, le nombre d’Eurobaromètres Spéciaux a donc été multiplié par 12 entre les années 1970 et les années 2010.

Une utilisation des Eurobaromètres Spéciaux par les DG de la Commission inversement proportionnelle aux compétences de l’UE

Paradoxalement, l’utilisation des Eurobaromètres Spéciaux par les Directions générales de la Commission européenne semble inversement proportionnelle aux compétences de l’UE :

Pour ce qui concerne les « compétences exclusives » de l’UE qui dispose seule peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants (union douanière, concurrence, politique monétaire, politique commerciale, pêche), les DG correspondantes sont soit des « non usagers (DG Concurrence), soit des « usagers occasionnels » (DG marché intérieur, DG Commerce, DG Agriculture…).

Pour ce qui concerne en revanche les « compétences de coordination » de l’UE, qui dispose de la faculté de « mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres » (Politique industrielle, Politique culturelle, Politique touristique, Politique d’éducation, de formation et de la jeunesse), les DG correspondantes sont des « usagers réguliers » (DG Education, jeunes et culture), voire des « usagers enthousiastes » (DG Emploi, affaires sociales et inclusion, DG santé et consommateurs).

Autrement dit, on assiste à une inversion problématique entre les usagers qui légitimement devraient être les usagers les plus actifs au vu de leur compétence européenne exclusives et les usagers les moins actifs au vu de leurs compétences de coordination.

Ainsi, la Commission européenne tend à faire une utilisation « politique » des Eurobaromètres Spéciaux afin de légitimer de nouvelles politiques publiques européennes.

Quand la Commission européenne instrumentalise les Eurobaromètres…

Après l’analyse universitaire implacable des Eurobaromètres par le chercheur Philippe Aldrin : « la fabrique monopolistique et officielle de l’opinion publique européenne », Salvatore Signorelli, qui a travaillé au suivi de l’opinion à la Commission européenne et au Parlement européen étudie de l’intérieur les Eurobaromètres qui d’un simple instrument d’information deviennent une source de légitimité de la communication européenne

L’institutionnalisation des Eurobaromètres depuis leur création en 1973 contribue à donner vie à « l’idée » qu’une opinion européenne existe. La parole du public devient alors une source de légitimité pour les décisions de l’UE.

Autrement dit, d’un simple instrument scientifique d’investigation utilisé dans le cadre de la politique d’information de l’UE, les Eurobaromètres sont devenus des arguments de la politique de communication de l’UE.

Une instrumentalisation de « policy » : un instrument d’aide à la définition des politiques publiques européennes

Certaines enquêtes (EB Spécial) sont « difficilement défendables du point de vue de leur opportunité » sous l’angle de l’investigation mais illustrent l’utilisation des Eurobaromètres comme une aide à la définition d’une éventuelle politique publique européenne.

Ainsi par exemple l’EB Special 271 (2006) sur les « Attitudes des citoyens européens envers le bien-être des animaux » ou encore l’EB Special 330 (2010) sur la « Santé dentaire » semblent bien plus animées par la volonté éventuelle de définir de nouvelles politiques publiques européennes que d’un réel besoin de mieux connaître la santé dentaire ou le bien-être des animaux domestiques en Europe.

Une instrumentalisation de « politics » : des dissimulations menaçantes pour la rigueur scientifique

Certaines évolutions liées à la publication des questions sont problématiques en matière de rigueur scientifique et de manipulation.

Ainsi par exemple, la question « immuable » de l’EB Standard qui mesure le soutien des citoyens à la construction européenne est suspendue ou dissimulée lorsque les résultats sont « mauvais » pour l’UE :

  • Au printemps 2010, seulement 49 % des Européens interrogés estimaient que l’appartenance de leur pays à l’UE était une bonne chose (53 % en novembre 2009) ;
  • Dans l’enquête suivante de juin 2010 (EB 73), cette question n’est plus présente ;
  • Dans la vague de mai 2011 (EB 75), les résultats étant pires que ceux enregistrés précédemment, la question est publiée seulement sur la page internet du Système de recherche interactif de l’Eurobaromètre89, en-dehors donc des séries officielles de l’EB Standard.

Salvatore Signorelli ne s’étonne pas de ces pratiques : « l’Eurobaromètre demeure un instrument créé et financé par une institution politique et il est donc impensable qu’il puisse, en quelque sorte, lui nuire avec la publication de résultats lui étant défavorables ».

Autre exemple, dans l’EB Flash 151 « L’Irak et la paix dans le monde », avait été glissée la question de savoir si, parmi des pays cités, Israël constituait une menace pour la paix. À 59 %, les sondés avaient placé Israël en tête de liste.

La Commission avait publié, dans un premier temps, seulement les résultats partiels, en passant sous silence la question qui aurait pu déranger Israël.

Mais le quotidien espagnol El Pais affirma dans un éditorial l’existence de ces questions en mettant ainsi dans l’embarras Bruxelles, qui s’est vu accuser de censure.

La réponse balbutiante de la Commission fut de nier l’existence d’une « volonté politique » derrière le choix de la non-publication du questionnaire, et d’arguer de problèmes techniques liés à l’analyse des données.

Il faudra trois jours pour faire comprendre aux responsables de la Commission que les données devaient être publiées et elles le furent.

Au total, l’instrumentalisation de l’Eurobaromètre par la Commission européenne est problématique non seulement sous l’angle scientifique – alors qu’il s’agit de la seule mesure de l’opinion publique européenne – mais surtout du point de vue politique, surtout lorsqu’il s’agit de dissimuler les résultats.

Communication décentralisée de la Commission européenne : que font les Représentations dans les médias sociaux ?

Avec une présence unanime sur au moins un réseau social (Facebook ou Twitter) voire sur les deux médias sociaux pour 20 sur 27, les Représentations de la Commission européenne sont bien actives dans les médias sociaux. Que faut-il retenir de la communication décentralisée des Représentations, notamment par rapport à l’activité « bruxelloise » ?

Inversion des « rapports de force » dans les médias sociaux entre la communication décentralisée et « Bruxelles »

A première vue, on assiste à une inversion des « rapports de force » entre le siège de la Commission et les Représentations :

Sur Twitter, le siège est plus de 2 fois plus important sur Twitter avec @EU_Commission possédant 80 000 followers à comparer aux 27K followers des 20 comptes décentralisés ; Estonie, Grèce, Hongrie, Lituanie, Luxembourg, Portugal et Malte ne « tweetant » pas. Cette prépondérance du compte central est renforcée par les autres ratios, puisque les Représentations ont publié globalement 27K Tweets contre seulement 6K et ont 6,5K abonnements contre seulement 0,7K.

Sur Facebook en revanche, le siège comptabilise 68K de likes contre plus de 72K au total pour les 26 autres fan pages, seuls 2 Représentations (Pays-Bas et Lettonie) n’étant pas sur Facebook. Néanmoins, cette prépondérance quantitative des Représentations doit être relativisée par l’engagement plus réduit sur toutes ces pages (2,4 K de personnes actives) par rapport à la fan page officielle de la Commission (4,7 K de personnes actives).

Autrement dit, les Représentations – considérées comme plus proche des citoyens – sont logiquement plus appréciées –quoique le dialogue y soit réduit – sur Facebook, le réseau social grand public tandis que le compte officiel de la Commission sur Twitter – le réseau de l’information en temps réel – est davantage suivi.

Diversité des maturités entre les Représentations dans les médias sociaux

La maturité de chaque Représentation doit être prise en compte dans l’analyse de la communication dans les média sociaux.

S’agissant de Facebook et Twitter, l’Espagne est l’Etat-membre qui héberge la communication décentralisée de la Commission européenne la plus active, et de loin, avec 2 fan pages sur Facebook, dont la plus génératrice d’engagement avec 617 personnes actives et le compte Twitter disposant du plus grand nombre de followers. Si les Représentations souhaitent progresser, elles peuvent regarder du côté de Madrid ou Barcelone. L’Estonie est le pays pour le moment où la Représentation de la Commission est la moins engagée dans les médias sociaux avec seulement une fan page où 17 personnes en parlent.

Pour les autres médias sociaux, un peu moins de la moitié des Représentations assurent une présence sur Youtube (ou Viméo). A ce sujet, la Lituanie tire son chapeau avec plus de 850 000 vues, notamment grâce à une web-série sympathique « Kukis ir Medutis » et une vidéo d’un jeune groupe de rock faisant plus de 200 000 vues.

Au total, la communication décentralisée de la Commission européenne réserve quelques surprises, notamment sa capacité très ponctuelle (cf. Lituanie) à engager massivement le public sur Youtube, son habilité mesurée sur Twitter (cf. 5 comptes à plus de 1000 abonnés) et limitée sur Facebook (cf. seules 6 pages dépassent les 100 personnes engagées).