Quand la Commission européenne instrumentalise les Eurobaromètres…

Après l’analyse universitaire implacable des Eurobaromètres par le chercheur Philippe Aldrin : « la fabrique monopolistique et officielle de l’opinion publique européenne », Salvatore Signorelli, qui a travaillé au suivi de l’opinion à la Commission européenne et au Parlement européen étudie de l’intérieur les Eurobaromètres qui d’un simple instrument d’information deviennent une source de légitimité de la communication européenne

L’institutionnalisation des Eurobaromètres depuis leur création en 1973 contribue à donner vie à « l’idée » qu’une opinion européenne existe. La parole du public devient alors une source de légitimité pour les décisions de l’UE.

Autrement dit, d’un simple instrument scientifique d’investigation utilisé dans le cadre de la politique d’information de l’UE, les Eurobaromètres sont devenus des arguments de la politique de communication de l’UE.

Une instrumentalisation de « policy » : un instrument d’aide à la définition des politiques publiques européennes

Certaines enquêtes (EB Spécial) sont « difficilement défendables du point de vue de leur opportunité » sous l’angle de l’investigation mais illustrent l’utilisation des Eurobaromètres comme une aide à la définition d’une éventuelle politique publique européenne.

Ainsi par exemple l’EB Special 271 (2006) sur les « Attitudes des citoyens européens envers le bien-être des animaux » ou encore l’EB Special 330 (2010) sur la « Santé dentaire » semblent bien plus animées par la volonté éventuelle de définir de nouvelles politiques publiques européennes que d’un réel besoin de mieux connaître la santé dentaire ou le bien-être des animaux domestiques en Europe.

Une instrumentalisation de « politics » : des dissimulations menaçantes pour la rigueur scientifique

Certaines évolutions liées à la publication des questions sont problématiques en matière de rigueur scientifique et de manipulation.

Ainsi par exemple, la question « immuable » de l’EB Standard qui mesure le soutien des citoyens à la construction européenne est suspendue ou dissimulée lorsque les résultats sont « mauvais » pour l’UE :

  • Au printemps 2010, seulement 49 % des Européens interrogés estimaient que l’appartenance de leur pays à l’UE était une bonne chose (53 % en novembre 2009) ;
  • Dans l’enquête suivante de juin 2010 (EB 73), cette question n’est plus présente ;
  • Dans la vague de mai 2011 (EB 75), les résultats étant pires que ceux enregistrés précédemment, la question est publiée seulement sur la page internet du Système de recherche interactif de l’Eurobaromètre89, en-dehors donc des séries officielles de l’EB Standard.

Salvatore Signorelli ne s’étonne pas de ces pratiques : « l’Eurobaromètre demeure un instrument créé et financé par une institution politique et il est donc impensable qu’il puisse, en quelque sorte, lui nuire avec la publication de résultats lui étant défavorables ».

Autre exemple, dans l’EB Flash 151 « L’Irak et la paix dans le monde », avait été glissée la question de savoir si, parmi des pays cités, Israël constituait une menace pour la paix. À 59 %, les sondés avaient placé Israël en tête de liste.

La Commission avait publié, dans un premier temps, seulement les résultats partiels, en passant sous silence la question qui aurait pu déranger Israël.

Mais le quotidien espagnol El Pais affirma dans un éditorial l’existence de ces questions en mettant ainsi dans l’embarras Bruxelles, qui s’est vu accuser de censure.

La réponse balbutiante de la Commission fut de nier l’existence d’une « volonté politique » derrière le choix de la non-publication du questionnaire, et d’arguer de problèmes techniques liés à l’analyse des données.

Il faudra trois jours pour faire comprendre aux responsables de la Commission que les données devaient être publiées et elles le furent.

Au total, l’instrumentalisation de l’Eurobaromètre par la Commission européenne est problématique non seulement sous l’angle scientifique – alors qu’il s’agit de la seule mesure de l’opinion publique européenne – mais surtout du point de vue politique, surtout lorsqu’il s’agit de dissimuler les résultats.

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