Pourquoi la communication européenne tourne en rond ?

Toute la stratégie de communication de l’UE à destination des citoyens repose sur une volonté de dialoguer avec les citoyens. Encore faut-il que les citoyens le désirent ce dialogue. Bien au contraire, l’absence de réponse des citoyens ordinaires fait que la communication européenne tourne en rond…

La stratégie de dialogue de l’UE avec les citoyens : un appel du pied aux partisans de la construction européenne

Rapidement après les rejets populaires des référendums français et néerlandais de 2005 sur le traité pour une constitution européenne, Margot Wallström lance le « Plan D comme démocratie, dialogue et débat ». Sa démarche repose sur une volonté nouvelle de se rapprocher des citoyens et de leur donner les moyens de dialoguer avec l’UE.

Cette nouvelle volonté affichée d’établir un « dialogue renforcé » avec les citoyens conduit à redéfinir la notion de « public » qui prévaut au sein des milieux institutionnels de l’UE afin de sortir d’une conception unilatérale d’un public récepteur au profit d’un échange avec des citoyens actifs devenus partie prenante de la communication européenne.

Encore faut-il que cette stratégie de communication reposant sur une forme de « démocratie participative » trouve un quelconque écho auprès desdits citoyens. Désireuse de lancer un dialogue UE-citoyens, la Commission européenne se sera finalement retournée auprès des médiateurs pour ainsi dire « naturels » de la cause européenne, autrement appelé « les auto-entrepreneurs de la cause européenne ».

En résumé, et de manière tout à fait paradoxale (et inconsciente ?), le regain de considération récent de l’UE pour la parole, les opinions ou les initiatives des « euro-citoyens ordinaires » bénéficie d’abord aux promoteurs non institutionnels mais traditionnels de l’idée européenne.

Initiative citoyenne européenne, Année européenne du citoyen : des actions d’auto-persuasion pour l’UE

Le risque de « l’auto-persuasion » au sein d’une bulle de gens convaincus où se retrouve à la fois la Commission soucieuse de communiquer directement avec des citoyens et les auto-entrepreneurs de la cause européenne se confirme avec l’initiative citoyenne européenne et l’Année européenne des citoyens.

Prenons l’initiative citoyenne européenne. A l’issue de la 1e année de fonctionnement, la Commission européenne se félicite du « succès », alors que la réalité est largement plus nuancée avec seulement 14 initiatives en cours et une seule susceptible de rassembler les critères de recueil du million de signatures de citoyens. Les quelques auteurs des initiatives citoyens européennes sont dans leur très grande majorité des auto-entrepreneurs de la cause européenne qui malgré eux finissent par persuader la Commission européenne qu’elle poursuit la bonne stratégie.

D’ailleurs, les actions de la Commission consistent à « arrimer » les acteurs de la société civile à l’Europe pour en faire de nouveaux auto-entrepreneurs de la cause européenne ou dit autrement pour les inclure dans le système institutionnel élargi de l’UE. Ainsi par exemple, la maison européenne de la société civile s’inscrit dans cette volonté d’élargir les publics légitimes de l’UE en y incluant les ONG civiques. L’objectif de la démarche consiste à recruter de nouveaux partisans du système en place.

Avec l’Année européenne des citoyens, c’est la même logique qui est à l’œuvre. La Commission européenne tente de nouveau de faire le grand pont entre l’UE et les citoyens, en s’imaginant, comme toujours (enfin surtout depuis quelques années) pouvoir s’adresser directement à eux. La Commission européenne monte à grands frais une « tournée » européenne en organisant dans chaque État-membre « des forums civiques sur les politiques et les enjeux de l’Union ».

Un tel dialogue civique UE-citoyens ne peut fonctionner que s’il y a des citoyens à l’autre bout pour participer à ces événements. Or justement, dans un Eurobaromètre sur l’opinion et l’action des citoyens européens en matière d’engagement dans la démocratie participative, seuls 1% des Européens déclarent qu’ils ont pris part à un débat public au niveau de l’UE.

Au total, il ne suffit pas de décréter un dialogue UE-citoyens, comme le fait la Commission européenne, pour qu’il existe. La revendication d’un lien direct entre l’UE et les citoyens peut même à force laisser planer l’impression que l’UE s’auto-persuade de poursuivre un dialogue, pourtant de fait réduit aux seuls auto-entrepreneurs de la cause européenne.

Humour, fail et communication européenne : comment sensibiliser le grand public à des enjeux d’intérêt général ?

Encore une vidéo de l’UE qui a failli faire un bad buzz. C’est au tour du Parlement européen de diffuser (temporairement) une vidéo « germanophobe » selon Courrier International. Après les polémiques autour des vidéos racistes et sexistes de la Commission européenne, il ne s’agit plus d’un problème isolé mais d’un phénomène. Pourquoi ?

Comment toucher des citoyens européens qui refusent de s’assumer ?

La « bévue de mauvais goût », selon Courrier International a été publiée furtivement « sur le site officiel du Parlement européen, sur son compte Facebook (récoltant près de 12 000 « J’aime ») et sur Youtube. Il s’agit d’une vidéo, « tournée entièrement en allemand qui se termine sur la phrase « Freedom of speech is a given in the EU » (La liberté d’expression est un fait dans l’UE) ».

Autrement dit, à chaque fail, il s’agit d’un enjeu important pour les institutions européennes (la liberté d’expression dans l’UE en l’occurrence). Mais surtout, du point de vue citoyen, en toute objectivité, ce sont bien des sujets importants.

Seulement voilà, nous refusons – pour tout un tas de raisons – que l’on s’adresse à nous en tant que citoyen : trop « chiant », trop inaudible dans la profusion des messages quotidiens, trop de méfiance avec les élites et à fortiori l’Europe ou alors pas assez de civisme, l’exemplarité n’étant pas vraiment au rendez-vous…

L’excès, le péché mignon de la communication européenne en ligne

La surenchère apparaît donc comme la seule porte étroite de sortie. Et il ne s’agit pas seulement de surenchère créative avec des outils de communication coûteux pour attirer et séduire. Il s’agit surtout de surenchère dans les références sollicitées.

Les institutions européennes se sentent obliger pour s’adresser aux citoyens au travers du média Internet non pas de le faire avec sérieux – sinon il y aurait personne – mais avec décalage, humour et donc avec le risque d’être mal entendu ou mal interprété.

Le paradoxe de la communication européenne, en particulier de la communication digitale, est total. Soit, les institutions européennes se comportent telles qu’il est attendu qu’elles le fassent et c’est l’indifférence et l’incapacité à toucher le moindre public. Soit, les institutions européennes s’émancipent de l’étiquette et alors le contact s’établit avec les citoyens de base, mais alors au péril de certaines convenances, tantôt légitimes, tantôt prétexte à faire taire l’Europe.

L’initiative citoyenne européenne est-elle un instrument de « démocratie directe » ?

L’initiative citoyenne européenne fête son 1er anniversaire. Plutôt que disserter sur les nombreuses « imperfections » techniques, qui ne seront de toute façon pas corrigées avant l’évaluation prévue en 2015, il faut s’interroger sur l’apport démocratique. S’agit-il vraiment d’un instrument de « démocratie directe » ?

De manière schématique, il faut distinguer entre le meilleur et le pire de la « démocratie directe » : la démocratie directe, c’est à la fois le mythe autogestionnaire et les pleins pouvoirs par les urnes.

Du côté du meilleur, l’initiative citoyenne est une innovation positive en matière de démocratie participative. Les citoyens participent à la décision publique européenne, qui complète avec intérêt, quoique de manière réduite, l’action politique traditionnelle du vote dans le cadre de la démocratie représentative.

Du côté du pire en matière de démocratie directe, c’est l’exercice d’une pression plébiscitaire sur les peuples que semble reprendre l’initiative citoyenne qui rappelons-le se contente de la dimension pétitionnaire. Seule une solution est soumise aux citoyens, sans aucun débat sur les orientations prescrites.

D’une certaine manière, cette ambiguïté d’un outil de démocratie directe pour le moins imparfait, on la retrouve dès la conception puisque l’initiative citoyenne européenne n’a ni été voulue par les citoyens ni soutenue par les organisations non gouvernementales de la société civile promouvant la démocratie.

Au total, l’initiative citoyenne européenne est un peu au milieu du gué.

Par son appel à la souscription des citoyens, l’initiative citoyenne européenne dispose d’un potentiel de légitimation renforcée de la démocratie européenne mais justement par le fait qu’il ne s’agit pas d’une délibération au sens où les citoyens auraient à juger entre des propositions contradictoires, l’innovation est un peu courte pour en faire un instrument de démocratie directe pleinement satisfaisant.

Cas pratique : pourquoi la communication européenne reste une mission impossible ?

Prenons un exemple parmi d’autres, une campagne européenne de communication sur la sécurité des jouets en 2012. Un véritable condensé des raisons pour lesquelles la communication européenne est, le plus souvent, condamnée à l’insuccès…

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La demande de la Commission européenne : une campagne d’information, vite !

Afin d’aider les opérateurs économiques à mieux comprendre et à appliquer les nouvelles exigences en matière de sécurité des jouets, une campagne d’information est prévue pour 2012.

Pour la DG Entreprises et Industries, la campagne doit logiquement mettre l’accent sur les PME directement impliquées dans la fabrication et la commercialisation de jouets.

L’appel d’offre publié indique un budget indicatif entre 250 000 et 300 000 euros.

La réaction d’une agence : une action pan-européenne, sérieusement ?

De manière là encore tout à fait logique, le prestataire putatif spécialisé en communication ne peut que se demander comment réaliser une telle action « pan-européenne » avec une telle contrainte budgétaire. En effet, de par son expérience, le coût de n’importe quel média lui semble a priori inaccessible. Apprécions la formulation policée de la question posée à la Commission :

Nous avons analysé votre appel d’offres en détail et, vu la portée importante de cette directive, nous serions heureux de pouvoir collaborer à cette campagne. Toutefois, nous basant sur notre expérience de ce type d’actions pan-européennes, le budget accordé à celle-ci (250.000 à 300.000 € maximum) nous paraît sous-évalué. Mais peut-être surestimons-nous vos attentes. Pourriez-vous dès lors nous indiquer comment la ventilation de ce budget a été établie ?

La réponse de la Commission : du matériel promotionnel et des séminaires, voilà tout !

C’est alors que la réponse de la Commission européenne, là encore par sa franchise désarmante et par sa réassurance dans les mêmes termes que le prestataire utilisait pour s’inquiéter « d’expérience, ce budget est suffisant » révèle bien ce qu’il fallait entendre par « campagne d’information ». Il ne s’agit absolument pas de réfléchir aux canaux de distribution ou aux points de contact avec le public à évaluer dans 27 pays. Apprécions les précisions des attentes de la Commission :

Une ventilation du budget en tant que telle n’a pas été établie pour cet appel d’offres, car il s’agit d’un montant maximum qui a été attribué à cette action. Néanmoins, nous estimons que le montant alloué au matériel promotionnel (clés UBS et brochures) ainsi qu’à l’organisation des séminaires (location de salle, matériel, nourriture, frais éventuels des intervenants) est limité et ne représente pas plus de 40% du budget global. Cela implique qu’environ 150.000 euros pourront être attribués aux ressources humaines (coût homme-jour) afin d’assurer la coordination et la gestion du projet. Nous estimons, d’expérience, ce budget comme étant suffisant. Cependant, si les coûts seraient sous-estimés, ceci apparaîtra uniquement lors de la clôture des soumissions, par l’absence d’offres reçues.

Au total, la définition qu’il faut entendre selon la Commission européenne d’une « campagne paneuropéenne de communication » est révélatrice de l’impossibilité pour les prestataires de communiquer raisonnablement sur l’Europe.

Comment les parlements nationaux redeviennent des acteurs naturels de l’UE ?

Le traité de Lisbonne favorise une association plus étroite des Parlements nationaux à la vie de l’UE en renforçant leur possibilité d’intervenir dans le processus de décision européen. Les Parlements nationaux deviennent les gardiens du contrôle de subsidiarité : il leur incombe désormais d’alerter les Etats -et les opinions- si l’UE dépasse le cadre de ses attributions. Le contrôle de subsidiarité fonctionne-t-il ? Par ce mécanisme, les Parlement nationaux redeviennent-ils des acteurs naturels capables d’« infiltrer » de la dimension européenne dans la sphère publique nationale ?

Quel bilan du rôle de vigie des Parlements nationaux ?

Le mécanisme de contrôle de la subsidiarité confère aux Parlements nationaux le droit d’émettre un avis pour savoir si les projets d’actes législatifs de la Commission européenne qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’UE respectent le principe de subsidiarité.

En 2011, selon le 19e rapport « Mieux légiférer », la Commission a reçu 64 avis motivés des parlements nationaux, soit une augmentation de 75 % par rapport à 2010, 1e année d’existence du mécanisme de contrôle de la subsidiarité.

En dépit de cette augmentation, ces 64 avis motivés au sens du protocole, c’est-à-dire mentionnant une violation du principe de subsidiarité portant sur 28 propositions différentes de la Commission ne représentent que 10 % environ des 622 avis reçus au total par la Commission en 2011 dans le cadre de son dialogue politique avec les Parlements nationaux.

La majorité des avis motivés était centrée sur des propositions législatives dans les domaines de la fiscalité, de l’agriculture, du marché intérieur et de la justice.

En 2011, le Riksdag suédois, la Chambre des Députés de Luxembourg (chambre basse) et le Sejm et le Senat polonais (chambre basse et chambre haute) ont été les parlements nationaux les plus actifs pour émettre des avis motivés. Portugal, Italie et Roumanie sont également assez actifs, tandis que la France est à la traine avec 3 avis de l’Assemblée nationale et 2 avis du Sénat. La Slovénie n’a pas transmis d’avis à la Commission.

Certes, en 2011, aucune proposition de la Commission n’a donné lieu à l’activation de la procédure dite du «carton jaune» – si les seuils de déclenchement étaient atteints, la Commission devrait alors décider de maintenir, de modifier ou de retirer sa proposition.

Mais, en 2012, selon la Commission des Affaires européennes du Sénat, le « carton jaune » fonctionne pour la 1e fois : il y a eu un tiers des Parlements nationaux pour contester une proposition de la Commission européenne qui concerne le droit de grève des travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de services. La Commission européenne doit donc réexaminer son texte.

Quelle leçon sur l’usage de ce nouveau pouvoir des Parlements nationaux en matière européenne ?

Le contrôle de subsidiarité constitue un élément utile du processus d’élaboration des politiques de l’UE au cours de la phase pré-législative. Les Parlements nationaux sont associés très en amont aux futures législations européennes.

La manière dont la majorité des Parlements nationaux utilisent le contrôle de la subsidiarité illustre le caractère essentiellement politique de ce nouvel instrument. Ce pouvoir est pleinement mis à profit par les Parlements nationaux pour avoir leur mot à dire dans le processus de décision européen.

Au total, le contrôle de la subsidiarité sert à apporter plus de transparence et contribue à amener les politiques de l’UE dans le débat public des États membres et, souhaitons le, à sensibiliser les opinions publiques.