Quels sont les « effets » de la communication européenne ?

Nonobstant l’efficacité réelle de la communication de l’UE difficile à mesurer auprès du grand public européen, toute communication européenne produit des « effets » – qu’ils soient massifs ou limités. La question est d’importance : les « effets secondaires », comme l’on en parle pour un médicament, sont-ils moindre que les effets actifs ?

Effets attendus : sur-estimation des capacités de visibilité de la communication européenne

Bien souvent, les effets attendus par toute action de communication européenne soulèvent de trop grand espoir quant à leur possibilité de toucher et de transformer des publics largement indifférents et déjà largement abreuvés de messages à longueur de journée.

Tant les mécanismes d’amplification médiatique à travers la presse écrite et audio-visuelle que les logiques d’implication sociale des internautes semblent surestimés dans la plupart des actions de communication européenne.

De manière symptomatique, la tendance qui ne cesse de se renforcer de tout mettre en ligne – avec des mini-sites en pagaille – n’est absolument pas la garantie de se rendre visible auprès du plus grand nombre.

Effets induits : sous-estimation des difficultés de réception de la communication européenne

En revanche, les conditions de réception de la communication européenne au sein des publics sont le plus souvent sous estimées – hormis lorsque des pré-tests auprès de panels représentatifs sont réalisés.

Les difficultés de compréhension d’un message européen au sein d’une partie importante de la population (faute d’apprentissage préalable et d’appréhension régulière des enjeux européens) ainsi que les difficultés d’assimilation, c’est-à-dire d’intégration de ces nouvelles connaissances dans un référentiel essentiellement national, sont des angles morts de la communication européenne.

A cet égard, la « langue européenne » trop souvent proposée au grand public, au-delà d’un multilinguisme anglais trop systématique, est d’une technicité qui décourage même les meilleures volontés.

Effets secondaires : vers un renforcement des opinions pré-conçues ?

La double pression des effets attendus de visibilité sur-estimés et des effets induits de réception sous-estimés conduit généralement à neutraliser les réactions des publics.

Plutôt que de faire évoluer les opinions des publics, la communication européenne court le risque de mobiliser des raccourcis qui ne consistent qu’à renforcer les convictions. Ainsi, chacun, selon ses préjugés viendra trouver les justifications à ses propres opinions.

Au total, la question des « effets » de la communication européenne réinterroge des usages trop établis tant chez les professionnels de l’UE (effets attendus et induits) qu’au sein des publics (effets secondaires).

Succès incidentiel d’une initiative citoyenne européenne : vers un lobbying citoyen ?

Alors que l’initiative citoyenne européenne célébrait récemment sa 1e année dans une relative indifférence, la décision ce week-end de la Commission européenne de retirer l’eau de sa future directive sur les concessions donne un nouvel éclairage sur cette innovation participative européenne…

1e initiative citoyenne européenne toujours en cours à influer une décision de la Commission européenne

Seule initiative citoyenne européenne à parvenir à rassembler plus d’un million de signatures de citoyens en moins d’un an (1 472 811 à ce jour), « l’eau, un droit humain » (right2water.eu) est pourtant une démarche formellement menacée pour ne pas avoir collectée les quotas minimum dans certains pays de l’UE.

right2water

Bousculant les procédures (la validation formelle de l’initiative citoyenne européenne et la formalisation d’une réponse par la Commission européenne), le Commissaire Michel Barnier s’offre un joli coup de comm’ en annoncant ce week-end qu’il retire le « domaine de l’eau du cadre de la directive sur les concessions » actuellement en préparation par ses services.

Les initiatives citoyennes européennes : des outils de lobbying citoyen ?

Cette réaction prématurée de la Commission, afin de montrer que l’institution est à l’écoute des citoyens, renouvelle les cadres d’interprétation sur ce que l’initiative citoyenne européenne peut apporter à la démocratie européenne.

Dans l’indétermination de l’initiative citoyenne européenne entre un nouveau pouvoir d’interpellation entre les mains des citoyens ou un autre pouvoir détenu par la Commission européenne pour instrumentaliser sa relation avec les citoyens, la récente décision de la Commission européenne ne renverse pas la table :

  • D’une part, la Commission européenne confirme qu’elle maîtrise intégralement la procédure jusqu’à ce coup de théâtre qui démontre à contrario que l’initiative citoyenne européenne est sans doute trop lente et trop lourde pour être dans le bon tempo des décisions ;
  • D’autre part, la mobilisation massive des citoyens autour d’une idée basique (l’eau est un bien public et un droit humain) indique qu’une pression puissante de la société ne peut pas rester sans réponse, même si les formes de l’initiative ne sont pas forcément les meilleures voies d’expression.

Au total, le 1e succès d’une initiative citoyenne européenne lié à une réaction conforme à la Commission européenne – en dépit d’une procédure qui justifie plus que jamais une réforme – confirme que le lobbying citoyen est en marche.

La résorption du déficit démocratique de l’UE passe-t-elle forcément par la démocratie participative ?

A moins d’un an d’élections européennes frappées avec régularité depuis le 1er scrutin en 1979 par la hausse de l’abstention, il est temps de s’interroger sur le rôle de la démocratie participative sur le chemin de la résorption du déficit démocratique de l’UE. La démocratie participative peut-elle renouveler la citoyenneté européenne ?

Donner de nouvelles formes à la citoyenneté européenne

Les promesses de la démocratie participative européenne comme opportunité de créer de nouvelles formes d’expression de la citoyenneté européenne ne sont plus à démontrer. Au-delà des outils « classiques » de démocratie participative (sondage collaboratifs, forum ouvert…) testés par l’UE dans le cadre du plan D, la « e-démocratie » ou l’initiative citoyenne européenne sont sources d’espoir.

Attention aux contre-sens : la promesse de la démocratie participative européenne ne réside pas dans un réengagement des citoyens dans des formes « classiques » d’expression, d’opinion ou d’action.

Autrement dit, il ne faut pas attendre de la démocratie participative européenne qu’elle permette de faciliter la compréhension entre l’UE et les citoyens, car leurs discours respectifs seront toujours éloignés.
Il n’est pas concevable d’imaginer que la démocratie participative européenne soit forcément l’occasion de réduire le déficit de connaissances ou la dureté de jugements quant à la performance de l’UE.
Surtout, il n’est absolument pas certain que les citoyens qui participent le fassent dans le cadre respectueux et scrupuleux des modalités définies au préalable.

Bien au contraire, la démocratie participative européenne fonctionnera d’autant mieux que les citoyens s’exprimeront, penseront et agiront selon leurs propres règles souples et autonomes qui ne peuvent pas se décréter d’en haut. Mais, la démocratie participative ne signifie pas pour autant l’anarchie.

Lier des citoyens à large échelle pour améliorer les décisions collectives

La démocratie participative européenne doit reposer sur une logique qui consiste à favoriser les liens entre citoyens, afin que de leurs interactions jaillissent une expression partagée qui pèse alors sur les futures décisions de l’UE. En somme, la démocratie participative est « une procédure permettant de construire ensemble une vision de la société ».

La participation ne consiste pas à constater l’activité désordonnée d’individus isolés mais à lier les citoyens entre eux autour d’idées et de projets à caractère européen afin qu’ils s’assemblent le plus naturellement dans une dynamique convergente et orientée vers des débouchés concrets. Ces solutions enrichissent évidemment la démocratie représentative et les élus en apportant l’intelligence de la pratique et du terrain.

Développer une conscience européenne chez des citoyens mieux formés et informés

La participation des citoyens contribue en tant qu’effet induit bénéfique à la formation et à l’information des citoyens européens, qui maîtrisent davantage les enjeux et les problématiques européennes.

Et des citoyens européens mieux formés et informés sont des citoyens européens actifs à la fois pour participer au débat public sur l’avenir de l’UE et de ses politiques publiques mais très sûrement aussi pour participer aux élections, car la volonté de peser sur le cours d’un processus que l’on connait est beaucoup plus forte.

Ainsi, la démocratie participative apparaît comme une respiration dans l’espace public, entre le pouvoir et la société, dans une démocratie européenne non plus sous influence des plus forts mais d’influence des plus participatifs.

Communication européenne pavlovienne : toute prise de parole n’est-elle plus qu’un réflexe conditionné ?

Quelques faits saillants dans l’actualité européenne récente ne font que renforcer une tendance émergeante à la communication européenne pavlovienne où toute prise de parole ne semble plus que des réflexes conditionnés. De quoi s’agit-il ?

Complexification réelle de l’UE et régression cognitive sur l’Europe

A mesure que les dossiers européens se complexifient en raison des multiples acteurs impliqués dans les processus de décision, on assiste à un mouvement parallèle de régression cognitive où il semble que ce qui parvient à notre connaissance – faute d’un effort de notre part le plus souvent – n’est de plus en plus qu’une forme simplifiée (sinon erronée) de la réalité européenne.

Notre compréhension de l’actualité européenne – objectivement de plus en plus foisonnante, mais de moins en moins accessible au plus grand nombre – fait que toute acquisition d’une nouvelle information à la suite d’un événement particulier ne semble pas être construite afin d’augmenter notre capital de connaissances mais plutôt vise à solliciter nos réflexes, nos clichés, nos apprentissages antérieurs routinisés, dont on peut aisément faire usage et en tirer des conséquences ou des bénéfices.

En somme, en matière d’actualité européenne, à l’image du chien de Pavlov qui salive au son du métronome, nous sommes de plus en plus « conditionnés ». Chaque nouvelle prise de parole européenne ne fait plus que solliciter notre comportement appris de simplification, de « court-circuit », d’évitement de tout effort ou d’apprentissage.

Communication pavlovienne de la Commission sur la citoyenneté européenne : la défiance serait une déficience cognitive

A l’occasion de la parution du 2e rapport sur la citoyenneté européenne, la Commission européenne semble partager une conception « pavlovienne » de la communication où la défiance des Européens ne serait que – mécaniquement – la conséquence de leur méconnaissance de l’UE. Ainsi, selon EU-Logos :

La Commission fait le pari qu’une meilleure connaissance de la citoyenneté européenne réconciliera les Européens et leurs institutions, s’appuyant sur les derniers Eurobaromètres qui s’attachent à prouver que l’euroscepticisme est avant tout la conséquence d’un manque d’information (74% des mécontents de l’Europe sont avant tout mal informés selon eux-mêmes). Un pari audacieux mais travaillé contentieusement en douze points répondant à six problématiques.

Controverse pavlovienne entre 2 journalistes de Libération : Jean Quatremer et Daniel Schneidemann

Au sujet de la fermeture de la TV publique grecque, la même mécanique de réflexe conditionné s’applique lors d’un vif échange par articles interposés entre Daniel Schneidermann, chroniqueur médias dans « Mon dimanche avec Jean « des preuves » » et Jean Quatremer, correspondant Europe dans « Mon week-end avec Daniel « j’accuse sans preuve » Schneidermann ».

Le réflexe pavlovien – qu’illustre en l’occurrence Daniel Schneidermann – peut se définir comme un jugement mécanique : « les eurolâtres sont forcément des lapins aveuglés par les phares de l’UE ». Point n’est besoin de preuves pour juger : « Moi, je pense qu’on n’a pas besoin de preuves. » écrit-il d’ailleurs.

Polémique pavlovienne au sujet de Barroso sur la position « réactionnaire » de la France pour l’exception culturelle

Dernière illustration des comportements pavloviens en matière européenne, les propos de José Manuel Barroso dans la presse anglo-saxonne sur la position « réactionnaire » de la France pour l’exception culturelle dans la négociation de l’accord commercial UE-USA et la polémique dans la presse française et auprès des eurodéputés français.

Il ne s’agit ici ni de polémiquer quant aux opinions des uns et des autres, ni de déplorer ou de se féliciter de l’apparition tardive et limitée de controverses politiques européennes à quelques mois des élections européennes.

Il s’agit au contraire de décrypter comment chaque acteur fonctionne en fonction de comportements pavloviens qui antagonisent, tournent en dérision ou caricaturent le débat public :

  • Les propos de Barroso caricaturent la position française et antagonisent l’opinion publique française attachée à l’exception culturelle ;
  • L’éditorial du Monde : « M. Barroso, vous n’êtes ni loyal ni respectueux ! » oppose une réaction logique, quoique là encore, une certaine facilité conduit non pas à rappeler le fond des positions françaises mais à faire une attaque ad hominem : « M. Barroso (…) semble avoir des visées beaucoup plus personnelles. Depuis huit ans, le président de la Commission s’est distingué par sa ductilité. (…) Aujourd’hui, à 57 ans, ce caméléon se cherche un avenir. (…) A la tête de la Commission, M. Barroso aura été un bon reflet de l’Europe : une décennie de régression. » ;
  • Les eurodéputés sur Twitter surfent sur la polémique avec une réaction qui tourne en dérision les propos de Barroso (cf. « Exception culturelle: #jesuisreactionnaire, la réponse des eurodéputés à Barroso »).

Au total, le déficit de compréhension de la complexité européenne au sein de l’opinion publique conduit de manière répétée, dernièrement, à activer des mécanismes pavloviens de « réflexes conditionnés ». L’actualité européenne est-elle condamnée à trop facilement céder à cette facilité ?

Déficit démocratique de l’UE : et si il n’était pas là où on le place ?

Lieu commun sans cesse rabâché dans les médias, le « déficit démocratique de l’UE » – souvent abordé ici même : « Déficit démocratique de l’UE : la faute aux médias ou à l’Europe ? » – serait-il un concept dépassé…

Quelles sont les impasses du déficit démocratique de l’UE ?

Les contributions alternatives au débat sur le déficit démocratique de l’UE sont en partie problématiques :

La stratégie concurrentielle qui cherche à provoquer un demos européen à travers toute l’Europe par la compétition politique suppose une sorte de démocratie, dont les peuples européens ne semblent pas prêts – même si l’annonce d’élire le président de la future Commission par le nouveau Parlement européen élu par les citoyens en 2014 contribue une étape décisive ;

La stratégie de protection qui vise à protéger les démocraties nationales d’une construction supranationale maintient que l’UE n’est pas prête pour n’importe quel type de démocratie au-delà des États membres ;

La stratégie délibérative qui entend compenser l’absence d’un demos européen à travers des procédures délibératives surestime probablement le potentiel d’un consensus post-national et sous-estime la nécessité du respect de droits et limites constitutionnelles.

Au total, le concept de « déficit démocratique de l’UE » (et les solutions envisagées pour le corriger) conduit à une impasse.

Sans demos (peuple) européen, pas de démocratie européenne… Mais avec des demoi (peuples) européens, y a-il une démoi-cratie européenne ?

Avec le concept récent de démoi-cratie (utilisé pour la première fois par Philippe van Parijs en 1998 selon Wikipedia), la question de la légitimité démocratique de l’UE est totalement revisitée, notamment par Francis Cheneval et Franck Schimmelfennig dans « The Case for Demoicracy in the European Union ».

Ni vraiment fédération supranationale, ni seulement union d’Etats souverains, la construction européenne est une forme inédite de démocratie :

  • Certes, sous l’angle des critères d’évaluation d’un Etat démocratique national (la souveraineté nationale est populaire et inversement), l’Union européenne ne peut qu’être accusée de déficits démocratiques ;
  • Mais, à l’aune du projet inédit que l’on ne peut que décrire que comme une  « réalité institutionnelle post-nationale en Europe », l’Union européenne correspond-elle à une démoi-cratie ?

Quelles sont les conditions pour que la démoi-cratie européenne demeure démocratique ?

Les auteurs Cheneval et Schimmelfennig définissent 4 principaux fondamentaux pour juger de la démocratie de l’UE :

1. La souveraineté des Etats-membres, c’est le « pouvoir du constituant » pour ce qui concerne l’entrée, la sortie et les règles de base : les Etats-membres conservent la capacité de modifier les traités et de contrôler les nouveaux entrants dans l’UE.

2. La non-discrimination des citoyens et des Etats-membres : la reconnaissance et le respect des minorités culturelles s’exerce sans que l’UE soit une boite de Pandore pour rouvrir toutes réclamations territoriales ou linguistiques.

3. La primauté du droit et de la jurisprudence de l’UE

4. L’égalité des droits législatifs des citoyens et des Etats-membres : plusieurs déficits démocratiques demeurent dans la co-décision. D’une part, la Commission jouit encore du monopole formel de l’initiative législative. D’autre, les pouvoirs législatifs du Parlement européen sont encore inférieurs au Conseil de l’UE dans certains secteurs (sécurité, défense, politique étrangère, justice et affaires intérieures).

Pourtant, les plus grands déficits démocratiques peuvent être trouvés au niveau national :

  • procédures de ratification irrégulières et non coordonnées dans les Etats membres ;
  • mise en œuvre inégale et en partie déficiente de la non-discrimination ;
  • compétences et pratiques irrégulières et souvent faibles des parlements nationaux en matière de participation dans les politiques européennes et de contrôle des gouvernements nationaux ;
  • contrôles et applications irréguliers de l’équilibre des pouvoirs appliqué par les cours constitutionnelles nationales.

Au total, comprendre l’Union européenne comme une démoi-cratie – comme une sorte de méta-démocratie des Etats nationaux européens – permet de réévaluer le fameux déficit démocratique, qui sans totalement disparaître, laisse plutôt apparaître que les déficits sont largement placés à l’échelle des Etats.