Lieu commun sans cesse rabâché dans les médias, le « déficit démocratique de l’UE » – souvent abordé ici même : « Déficit démocratique de l’UE : la faute aux médias ou à l’Europe ? » – serait-il un concept dépassé…
Quelles sont les impasses du déficit démocratique de l’UE ?
Les contributions alternatives au débat sur le déficit démocratique de l’UE sont en partie problématiques :
La stratégie concurrentielle qui cherche à provoquer un demos européen à travers toute l’Europe par la compétition politique suppose une sorte de démocratie, dont les peuples européens ne semblent pas prêts – même si l’annonce d’élire le président de la future Commission par le nouveau Parlement européen élu par les citoyens en 2014 contribue une étape décisive ;
La stratégie de protection qui vise à protéger les démocraties nationales d’une construction supranationale maintient que l’UE n’est pas prête pour n’importe quel type de démocratie au-delà des États membres ;
La stratégie délibérative qui entend compenser l’absence d’un demos européen à travers des procédures délibératives surestime probablement le potentiel d’un consensus post-national et sous-estime la nécessité du respect de droits et limites constitutionnelles.
Au total, le concept de « déficit démocratique de l’UE » (et les solutions envisagées pour le corriger) conduit à une impasse.
Sans demos (peuple) européen, pas de démocratie européenne… Mais avec des demoi (peuples) européens, y a-il une démoi-cratie européenne ?
Avec le concept récent de démoi-cratie (utilisé pour la première fois par Philippe van Parijs en 1998 selon Wikipedia), la question de la légitimité démocratique de l’UE est totalement revisitée, notamment par Francis Cheneval et Franck Schimmelfennig dans « The Case for Demoicracy in the European Union ».
Ni vraiment fédération supranationale, ni seulement union d’Etats souverains, la construction européenne est une forme inédite de démocratie :
- Certes, sous l’angle des critères d’évaluation d’un Etat démocratique national (la souveraineté nationale est populaire et inversement), l’Union européenne ne peut qu’être accusée de déficits démocratiques ;
- Mais, à l’aune du projet inédit que l’on ne peut que décrire que comme une « réalité institutionnelle post-nationale en Europe », l’Union européenne correspond-elle à une démoi-cratie ?
Quelles sont les conditions pour que la démoi-cratie européenne demeure démocratique ?
Les auteurs Cheneval et Schimmelfennig définissent 4 principaux fondamentaux pour juger de la démocratie de l’UE :
1. La souveraineté des Etats-membres, c’est le « pouvoir du constituant » pour ce qui concerne l’entrée, la sortie et les règles de base : les Etats-membres conservent la capacité de modifier les traités et de contrôler les nouveaux entrants dans l’UE.
2. La non-discrimination des citoyens et des Etats-membres : la reconnaissance et le respect des minorités culturelles s’exerce sans que l’UE soit une boite de Pandore pour rouvrir toutes réclamations territoriales ou linguistiques.
3. La primauté du droit et de la jurisprudence de l’UE
4. L’égalité des droits législatifs des citoyens et des Etats-membres : plusieurs déficits démocratiques demeurent dans la co-décision. D’une part, la Commission jouit encore du monopole formel de l’initiative législative. D’autre, les pouvoirs législatifs du Parlement européen sont encore inférieurs au Conseil de l’UE dans certains secteurs (sécurité, défense, politique étrangère, justice et affaires intérieures).
Pourtant, les plus grands déficits démocratiques peuvent être trouvés au niveau national :
- procédures de ratification irrégulières et non coordonnées dans les Etats membres ;
- mise en œuvre inégale et en partie déficiente de la non-discrimination ;
- compétences et pratiques irrégulières et souvent faibles des parlements nationaux en matière de participation dans les politiques européennes et de contrôle des gouvernements nationaux ;
- contrôles et applications irréguliers de l’équilibre des pouvoirs appliqué par les cours constitutionnelles nationales.
Au total, comprendre l’Union européenne comme une démoi-cratie – comme une sorte de méta-démocratie des Etats nationaux européens – permet de réévaluer le fameux déficit démocratique, qui sans totalement disparaître, laisse plutôt apparaître que les déficits sont largement placés à l’échelle des Etats.