Selon Sophia Russack dans « EU parliamentary democracy: how representative? », la procédure des Spitzenkandidaten visant à accroître les enjeux des élections européennes et à personnaliser la politique européenne n’a pas atteint ses promesses. Explications à l’aune de la nomination de la ministre de la défense Ursula von der Leyen par le Conseil européen pour la présidence de la Commission européenne.
Échec relatif en 2014 : aucun effet sur la participation électorale, mais une hausse de l’influence du Parlement européen
Lors des élections européennes de 2014, le système des Spitzenkandidaten n’a eu aucun effet tangible. Non seulement, le taux de participation a été au plus bas mais les électeurs ignoraient dans une large mesure les candidats, en particulier en dehors de leur pays avec une moyenne de notoriété de 8,2% et surtout les débats sur des questions politiques clés n’ont pas été façonnés par les Spitzen, mais plutôt par des partis opposés à l’établissement et eurosceptiques.
Au final, ni les campagnes préélectorales, ni les prises de décision postélectorales ne se sont traduites par une plus grande concurrence entre les partis politiques ou un véritable choix entre des programmes politiques rivaux. Au lieu de cela, les élections 2014 ont perpétué la tendance à long terme d’étroite coopération entre les partis favorables à l’intégration situés au centre du spectre politique.
Ainsi, le système Spitzenkandidaten n’a eu aucun effet positif sur la participation. Il s’est donc avéré incapable d’améliorer la représentativité ou la responsabilité du Parlement européen. N’ayant pas été un succès démocratique, le seul effet provoqué aura été de nature institutionnelle, le Parlement européen ayant renforcé sa propre influence dans la sélection du président de la Commission, modifiant ainsi légèrement la dynamique interinstitutionnelle de l’UE.
Échec terminal en 2019 : hausse non attribuable de la participation et baisse de l’influence du Parlement européen
Lors de la campagne électorale de 2019, la plupart des partis politiques européens ont sélectionné un Spitzenkandidat pour faire campagne dans toute l’Europe. Cependant, le système ayant perdu son élan a été considérablement affaibli institutionnellement et ne peut pas se voir attribuer la cause de la hausse surprise de la participation aux élections.
Le système Spitzenkandidaten promeut implicitement la «parlementarisation» de l’UE et un modèle fédéral de démocratie européenne, dans lequel le Parlement européen reçoit un mandat démocratique de l’électorat lui permettant de sélectionner l’exécutif – et de le tenir pour responsable.
Cette tentative de construire un système quasi parlementaire ne correspond pas à la nature de l’Union européenne qui n’est pas un véritable système parlementaire. La structure institutionnelle de l’UE en tant que système politique hybride implique des limitations structurelles dans lesquelles des domaines clés de la prise de décision restent entre les mains des gouvernements nationaux en tant qu’« acteurs constituants ».
Par conséquent, la Commission européenne n’est en aucun cas le « gouvernement » responsable devant le Parlement européen auquel les partisans du processus Spitzenkandidaten s’attendaient. Un tel gouvernement impliquerait une interdépendance institutionnelle et politique entre le législatif et l’exécutif.
Le système Spitzenkandidaten n’aide pas vraiment à combler le fossé entre le législatif et l’exécutif, parce que le système lui-même est institutionnellement illogique : la procédure ne concerne que le président de la Commission, pas l’ensemble du pouvoir exécutif. La nomination des autres membres du collège suit une logique différente : même si le président attribue leurs portefeuilles, ils sont sélectionnés par leurs gouvernements nationaux respectifs.
Un autre « défaut » institutionnel, qui illustre davantage le fossé entre le législatif et l’exécutif, est le fait que les candidats à la présidence de la Commission ne sont pas tenus de se présenter aux élections au Parlement européen. Le traité de Lisbonne exclut même cette option en indiquant que les membres du collège ne sont pas autorisés à occuper d’autres fonctions. Le statut parlementaire des membres de l’exécutif est toutefois un « principe fondamental du modèle parlementaire ».
Au total, partant que l’ADN du Parlement européen est très différent de celui des parlements nationaux, les Spitzenkandidaten en tant que tentative de « parlementariser » l’UE (une entité hybride sui generis) ne rend pas justice à la structure institutionnelle sophistiquée de l’UE et ne fait donc pas du Parlement un meilleur représentant de l’électorat européen.