Archives mensuelles : juillet 2018

La citoyenneté participative européenne, au secours de la démocratie européenne ?

Pour l’avenir de l’Union européenne, la citoyenneté participative est la clé de la durabilité à long terme de la démocratie européenne, reposant sur l’engagement des citoyens. Face au le déclin constant de l’engagement des citoyens dans la politique formelle, qui se traduit par la hausse continue de l’abstention aux élections européennes, que peut la citoyenneté participative en Europe ?

Une citoyenneté participative libérale : un engagement de la société civile et pour le bénévolat

Le modèle libéral de la citoyenneté participative, considéré comme le moins exigeant, signifie que la participation des citoyens à la vie publique est minimale, principalement via le vote.

Parmi les activations possibles dans ce cadre libéral minimaliste, toutes les formes d’engagement dans les associations, les organisations de la société civile et le bénévolat, notamment via des programmes européens contribuent à développer une citoyenneté européenne participative.

En matière d’engagement politique, le modèle libéral incite les citoyens à contacter directement leurs élus, en particulier via les réseaux sociaux avec notamment la plateforme EP Newshub, pour faire pression sur leurs positions. Une forme d’engagement « libéral » que l’Union européenne pourrait inciter serait également de faciliter les adhésions directes de citoyens européens dans les partis politiques européens lors de la prochaine campagne électorale des élections européennes.

Une citoyenneté participative républicaine et civique : un engagement politique dans la société et pour les valeurs communes

Le modèle républicain/civique de citoyenneté participative impose des exigences plus élevées au citoyen en matière de participation auprès des institutions démocratiques. Dans cette perspective, les citoyens deviennent des acteurs positif pour le changement social, la transition énergétique et environnementale ou la prévention de la corruption. Sur la base de la pensée philosophique grecque et romaine, le républicanisme civique a souligné la nécessité pour les citoyens d’agir politiquement dans la sphère publique et d’être activement engagés dans une communauté politique en tant que citoyens égaux et libres.

Afin de favoriser la citoyenneté participative républicaine et civique, l’Union européenne devrait mettre l’accent sur l’apprentissage des citoyens en vue d’apprendre les compétences civiques, y compris les valeurs de « l’esprit public, la solidarité et la responsabilité d’agir pour le bien commun». Quoique plus exigeante en termes de participation et plus protestataire dans ses modalités (pétitions, manifestations), le développement des civic tech européenne pourrait contribuer à favoriser l’émergence d’une citoyenneté européenne civique.

Une citoyenneté participative communautaire : l’engagement dans les communautés locales ou transeuropéennes

Le modèle communautaire prend les communautés comme point de départ. La citoyenneté participative se concentre sur les sentiments d’appartenance à un groupe et la nécessité de travailler au profit collectif de ce groupe. Les idées communautaires mettent l’accent sur la responsabilité et les devoirs des individus envers les autres dans leur communauté ainsi que sur la nécessité de soutenir les structures qui sous-tendent et maintiennent les communautés et les valeurs partagées.

Pour l’Union européenne, cet engagement moins axé sur le plan politique ou le bénévolat orienté vers la prestation de services pourrait prendre de très nombreuses formes dont il s’agirait de favoriser l’émergence et la croissance pour des services d’aide sociale ou sanitaire pour personnes âgées ou handicapées, des activités culturelles dans les arts, des mobilisations d’Européens dans les sports et les loisirs pour favoriser l’inclusion et la pratique par le mentoring, voire le reverse-mentoring.

Une citoyenneté européenne critique : des citoyens critiques et engagés en fonction des valeurs de la justice sociale

Le modèle de la citoyenneté critique vise à encadrer la citoyenneté participative par des modalités différentes, par exemple en se concentrant sur une vision plus dynamique de la démocratie qui repose sur des citoyens critiques et engagés. Des actions de protestation favorisent la justice sociale et la responsabilité des institutions gouvernementales, européennes et internationales.

Dans le contexte européen, un vaste champ de mobilisation des citoyens pourraient être envisageable en matière de commerce international équitable dans le prolongement des activations anti-CETA/TAFTA, d’agriculture écologique et durable lors des prochaines discussions de réforme de la PAC, mais aussi en matière d’égalité des genres, de tolérance pour les différences…

Au total, les multiples formes de citoyenneté européenne participative invite à faire preuve de créativité pour débloquer des mobilisations d’Européens au bénéfice d’une démocratie européenne effervescente.

Quels sont les problèmes de la communication européenne ?

La période estivale étant normalement propice à la prise de recul, il peut être intéressant de prendre le temps de mieux comprendre pourquoi la communication européenne semble souvent faire du surplace, en raison de plusieurs problèmes intrinsèques encore irrésolus…

Un problème d’audibilité du discours européen

Le premier problème réside dans le fait que le discours européen, quel qu’en soit l’émetteur, est encore trop souvent littéralement inaudible. Pourquoi ?

Selon Thierry Chopin, dans Telos : « depuis trop longtemps, le discours sur le projet européen s’est enlisé dans une triple impasse » :

  • Le biais technique qui rend tout sujet européen jargonneux, pas seulement à cause des trop nombreux acronymes ; et fini en bouilli juridique ou budgétaire ;
  • Le biais incantatoire qui réduit tout projet au modèle des pères fondateurs sur la paix ; qu’il faut impérativement actualisé ;
  • Le biais militant qui cantonne tout message européen à un public sinon confidentiel, du moins principalement convaincu.

Tant que la communication européenne demeurera inaudible auprès d’un très large public en raison de ces biais technique, incantatoire et militant, ni les médias ne pourront davantage s’intéresser à l’Europe, ni a fortiori les citoyens.

Un problème d’acceptabilité de l’information européenne

Le deuxième problème, d’égale importance, porte plus spécifiquement sur le fait que les conditions de production de l’information européenne ne la rendent pas acceptable pour les journalistes. Pourquoi ?

Si l’on suit les réflexions d’Arnauld Leclerc, chercheur et fondateur d’Euradio, lors d’une conférence, parce que l’information européenne d’une certaine manière ne rentre pas encore assez dans les canons de la fabrique des médias :

L’effet d’agenda de l’Europe se limite à sa capacité à inscrire sporadiquement quelques temps forts autour des sommets européens ou de sujets polémiques de grande ampleur, comme la question de l’euro ou des migrants, sans être encore parvenu à vraiment routiniser l’impératif d’un traitement de l’actualité institutionnelle européenne auprès des rédactions nationales des grands médias, notamment audiovisuels.

L’effet de cadrage de l’Europe est encore plus réduit, puisque la capacité de la communication européenne à influer sur le choix des mots et des angles pour couvrir les dossiers européens dans les médias est quasi absente, si l’on excepte quelques contre-exemples où de rares programmes emblématiques comme Erasmus, Schengen, la PAC, le FSE sont parvenus à raconter une histoire et à s’inscrire dans l’environnement familier des journalistes.

L’effet de personnalisation de l’Europe est encore plus mineur, puisque les quelques personnalités européennes sont absentes des médias, non pas qu’elles ne soient pas des « bons clients » capable de porter haut les couleurs de l’Europe, mais parce qu’elles ne considèrent pas une telle présence comme prioritaire alors que l’invitation à un journal télévisé est l’accès immédiat à une audience qui ne serait jamais atteinte sans des investissements que les institutions européennes ne sont pas prêtes à consentir.

Finalement, le problème de la communication européenne, c’est qu’elle n’est pas encore parvenue à se banaliser suffisamment, tant dans les discours politiques que dans l’actualité.

Une opinion publique française ambivalente avec l’Union européenne

Dans la relation compliquée des Français à la construction européenne, ponctuée de hauts et de bas, la situation à moins d’un an des prochaines élections européennes n’est pas très satisfaisante, selon une enquête IPSOS pour Le Monde, La Fondation Jean-Jaurès et Sciences Po…

Les Français ont une perception dégradée de l’Union européenne et de ses politiques

Le sentiment le plus aisément associé à l’Union européenne correspond à la déception pour plus du tiers des Français (renforcé chez les seniors) ou de l’indifférence (un quart des juniors). Les marges minoritaires se répartissent entre 9% de rejet et à l’opposé 16% d’espérance et 6% d’adhésion.

Pire, toutes les politiques publiques menées par l’Union européenne sont jugées négativement. L’action de l’Europe n’est approuvée dans aucun domaine : près d’un Français sur deux la jugent négativement en ce qui concerne « la politique économique » (49% contre 22% de jugement positifs), « l’emploi » (48% contre 14%), « la politique sociale » (48% contre 14%) et surtout « la politique migratoire » (63% contre 9%).

Résultat. Une majorité de Français estime que l’ appartenance de la France à l’Union européenne a tendance à aggraver les effets des différentes crises économiques, diplomatiques ou environnementales, contre 30% qui pensent qu’elle les protège.

Le chemin qui mène d’une telle situation dégradée dans l’opinion à des résultats électoraux catastrophiques n’est malheureusement pas compliqué à dessiner.

Les Français sont très partagés sur l’impact de l’appartenance de la France à l’Union européenne

Tout bien considéré, les Français ne tombent pas pour autant dans le rejet majoritaire de la construction européenne, même si la situation se dégrade : 38% des Français jugent que l’Union européenne est une assez bonne chose et 53% soutiennent l’appartenance de la France à l’Union européenne. Ce chiffre est en recul de 5 points par rapport à l’an dernier. Les soutiens se comptent dans les catégories moyennes et supérieures tandis que les catégories populaires rejettent le projet européen.

En fait, Les Français sont majoritaires (58%) à se juger « globalement favorable au projet européen, mais pas tel qu’il est actuellement mis en place », pour « seulement » 19% qui se disent « favorables au projet européen tel qu’il est actuellement mis en place » et 23% à se dire « défavorables au projet européen ».

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Au total, la situation dégradée de l’opinion publique française à l’égard de l’Union européenne appelle des réponses solides et sérieuses pour tenter de les convaincre lors des prochaines élections européennes.

Quel avenir constitutionnel pour l’Europe ?

Alors que l’actualité est semée d’embûches pour le projet européen, le philosophe kantien Jean-Marc Ferry plaide au Collège de France qu’aujourd’hui pour gagner du pouvoir, il faut le partager, comme a pu le démontrer la construction européenne. Encore faut-il savoir quelle devrait être la forme politique, la constitution politique profonde de l’Europe ?

La légitimation de relève de l’Europe : l’intégration politique face à la mondialisation

Partant du constat que l’échelle d’interdépendance est aujourd’hui planétaire, il faut donc constituer des « unités de survie à l’échelle continentale », selon l’expression de Norbert Elias. Mais, l’on assiste à un effet de retardement entre les mentalités qui ne suivent pas les réalisations. Autrement dit, la conscience d’appartenance à l’Union européenne a pris du retard sur l’intégration européenne, ce sentiment doit déboucher sur une conscience politique d’appartenir à une communauté de projet et de destin.

Mais surtout, la légitimation de l’Europe est aujourd’hui plus problématique. Le motif fondateur de l’Europe, la fin de la guerre civile entre Européens est acquis mais la légitimité de relève que constitue le défi de la mondialisation ne fait pas consensus.

Plusieurs possibilités sont débattues par les Européens selon la fonction que l’on donne à l’Europe et l’évaluation que l’on porte de la mondialisation :

Fonction de l’Europe

Évaluation de la mondialisation

Adaptation économique Rattrapage politique
Négative Repli national : le souverainisme Europe-forteresse : le supranationalisme
Positive Grand marché : le néo-libéralisme Europe transnationale : le cosmopolitisme

Pour Jean-Marc Ferry, seul le cosmopolitisme offre à la fois un projet d’intégration politique et une réponse au défi de la mondialisation. Cette intégration ne saurait être ni décalquée des constructions nationales (les obligations fiscale, militaire et scolaire demeurent au niveau national tandis que l’Europe s’occupe d’harmonisation, de concertation, de coordination) ni de nature étatique (la souveraineté partagée ne règle pas la question de la compétence de la compétence).

La mission substantielle de l’Europe : la médiation horizontale

Sans une médiation substantielle de l’Europe, toute avancée fonctionnelle ou systémique constitue un risque de décrochage entre les pouvoirs européens et la démocratie européenne.

Autrement dit, les avancées fonctionnelles ou systémiques doivent aller de pair avec des avancées démocratiques :

  • Avancée démocratique parlementaire : le Parlement européen doit se relier fortement avec les parlements nationaux et régionaux pour assurer une intégration autant horizontale que verticale ;
  • Avancée démocratique médiatique : les espaces publics nationaux doivent s’ouvrir aux autres sur des questions d’intérêt général pour créer un sens commun européen, grâce à un journalisme civique et une charte pour l’audiovisuel.

La légitimité de l’Europe reviendra lorsque le système interconnecté des parlements et le décloisonnement des espaces publics nationaux, adossé à un référent constitutionnel doté d’une force symbolique (une déclaration des droits et des principes politiques) ainsi qu’un retour de la méthode communautaire face à l’intergouvernementalisme sera en capacité d’assurer la protection face à la mondialisation sans confiscation des pouvoirs des États nationaux.

Vaste programme !

La stratégie de l’UE contre les fake news est-elle à la hauteur ?

Après des consultations ouvertes et un rapport indépendant, la Commission européenne propose une approche européenne dans la lutte contre la désinformation en ligne. De quoi s’agit-il ?

Une sagesse principielle relativement innovante

Contrairement à la France, où son parlement débat d’une loi anti fake news, la réflexion du groupe d’experts mobilisés par la Commission européenne privilégie une approche autorégulatrice par rapport à une approche réglementaire.

Compte tenu de la complexité et de l’évolution rapide de l’environnement numérique, où le rôle des plates-formes web et des moteurs de recherche est crucial, la Commission européenne considère qu’il ne saurait y avoir une solution unique pour répondre à tous les défis liés à la désinformation.

Une sage décision, qui conduit la Commission européenne à suivre des principes généraux pour guider ses actions visant à lutter contre la désinformation :

  1. Améliorer la transparence concernant l’origine de l’information et la façon dont elle est produite, diffusée et ciblée afin de permettre aux citoyens d’évaluer le contenu auquel ils accèdent en ligne et de révéler d’éventuelles tentatives de manipulation d’opinion.
  2. Promouvoir la diversité de l’information, afin de permettre aux citoyens de prendre des décisions éclairées fondées sur la pensée critique, en soutenant un journalisme de qualité, l’éducation aux médias et le rééquilibrage des relations entre les créateurs d’information et les distributeurs.
  3. Favoriser la crédibilité de l’information en fournissant une indication de sa fiabilité, notamment avec l’aide de signaleurs de confiance, et en améliorant la traçabilité des informations et l’authentification des fournisseurs d’informations influents.
  4. Concevoir des solutions inclusives, efficaces à long terme exigeant une plus grande sensibilisation aux médias, une large participation des parties prenantes et la coopération des autorités publiques, des plateformes en ligne, des annonceurs, des signaleurs d’alerte, des journalistes et des groupes de médias.

Quoique insatisfaisante d’un point de vue strictement normatif, la posture qui appelle tous les acteurs concernés à redoubler d’efforts pour résoudre le problème de manière adéquate est plutôt rare de la part de la Commission européenne qui sait que seule elle ne saurait mettre en œuvre efficacement les actions qui contribueraient matériellement à contrer la désinformation en ligne.

Un plan d’actions relativement pragmatique

Afin d’agir rapidement et efficacement pour protéger les utilisateurs contre la désinformation, un forum multipartite sur la désinformation sera organisé pour encadrer une coopération efficace entre les parties prenantes concernées, y compris les plateformes en ligne, le secteur publicitaire, les médias et les représentants de la société civile en vue de garantir un engagement à coordonner et intensifier les efforts pour lutter contre la désinformation.

Un code de pratique sur la désinformation à l’échelle de l’UE devrait en découlé et être publié dès juillet 2018, en vue de produire des effets mesurables d’ici octobre 2018. A défaut de résultats, d’autres actions, y compris réglementaires, ne sont pas à exclure.

En vue de renforcer la vérification des faits, les connaissances collectives et la capacité de surveillance de la désinformation, un réseau européen indépendant de vérificateurs de faits sera créé afin d’établir des méthodes de travail communes, d’échanger les meilleures pratiques, d’obtenir la couverture la plus large possible dans l’UE et de participer aux activités conjointes de vérification des faits.

Pour investir dans l’éducation aux médias – l’enjeu clé pour renforcer les compétences numériques des citoyens européens – la Commission européenne lancera un appel (d’offre ou à projet ?) en 2018 pour la production et la diffusion de contenus d’information de qualité sur les affaires de l’UE à travers des médias d’information reposant sur les données (cf. « data-driven news media »).

Last but not least, en vue de sécuriser les processus électoraux et en particulier les prochaines élections européennes, sachant de 18 des 28 Etats-membres ont été frappés par des fake news lors de leurs élections nationales, la Commission européenne entreprendra plusieurs initiatives de concertation et de dialogue afin de disposer de recommandations et mesures pratiques pouvant être mises en œuvre par les États membres contre les cyberattaques et la désinformation. D’ailleurs Facebook « promet » de combattre le phénomène lors du prochain scrutin européen, selon Politico Europe.

Au total, l’approche européenne de lutte contre les fake news semble prendre en compte la triple nécessité : inclusive, d’abord afin d’aider les citoyens à acquérir les compétences nécessaires ; viable, ensuite afin de collaborer avec les acteurs du numérique sans qui rien n’est possible ; crédible, enfin afin d’éviter les actions directes de « contre-propagande » de l’UE.