Archives mensuelles : avril 2013

Cas pratique : pourquoi la communication européenne reste une mission impossible ?

Prenons un exemple parmi d’autres, une campagne européenne de communication sur la sécurité des jouets en 2012. Un véritable condensé des raisons pour lesquelles la communication européenne est, le plus souvent, condamnée à l’insuccès…

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La demande de la Commission européenne : une campagne d’information, vite !

Afin d’aider les opérateurs économiques à mieux comprendre et à appliquer les nouvelles exigences en matière de sécurité des jouets, une campagne d’information est prévue pour 2012.

Pour la DG Entreprises et Industries, la campagne doit logiquement mettre l’accent sur les PME directement impliquées dans la fabrication et la commercialisation de jouets.

L’appel d’offre publié indique un budget indicatif entre 250 000 et 300 000 euros.

La réaction d’une agence : une action pan-européenne, sérieusement ?

De manière là encore tout à fait logique, le prestataire putatif spécialisé en communication ne peut que se demander comment réaliser une telle action « pan-européenne » avec une telle contrainte budgétaire. En effet, de par son expérience, le coût de n’importe quel média lui semble a priori inaccessible. Apprécions la formulation policée de la question posée à la Commission :

Nous avons analysé votre appel d’offres en détail et, vu la portée importante de cette directive, nous serions heureux de pouvoir collaborer à cette campagne. Toutefois, nous basant sur notre expérience de ce type d’actions pan-européennes, le budget accordé à celle-ci (250.000 à 300.000 € maximum) nous paraît sous-évalué. Mais peut-être surestimons-nous vos attentes. Pourriez-vous dès lors nous indiquer comment la ventilation de ce budget a été établie ?

La réponse de la Commission : du matériel promotionnel et des séminaires, voilà tout !

C’est alors que la réponse de la Commission européenne, là encore par sa franchise désarmante et par sa réassurance dans les mêmes termes que le prestataire utilisait pour s’inquiéter « d’expérience, ce budget est suffisant » révèle bien ce qu’il fallait entendre par « campagne d’information ». Il ne s’agit absolument pas de réfléchir aux canaux de distribution ou aux points de contact avec le public à évaluer dans 27 pays. Apprécions les précisions des attentes de la Commission :

Une ventilation du budget en tant que telle n’a pas été établie pour cet appel d’offres, car il s’agit d’un montant maximum qui a été attribué à cette action. Néanmoins, nous estimons que le montant alloué au matériel promotionnel (clés UBS et brochures) ainsi qu’à l’organisation des séminaires (location de salle, matériel, nourriture, frais éventuels des intervenants) est limité et ne représente pas plus de 40% du budget global. Cela implique qu’environ 150.000 euros pourront être attribués aux ressources humaines (coût homme-jour) afin d’assurer la coordination et la gestion du projet. Nous estimons, d’expérience, ce budget comme étant suffisant. Cependant, si les coûts seraient sous-estimés, ceci apparaîtra uniquement lors de la clôture des soumissions, par l’absence d’offres reçues.

Au total, la définition qu’il faut entendre selon la Commission européenne d’une « campagne paneuropéenne de communication » est révélatrice de l’impossibilité pour les prestataires de communiquer raisonnablement sur l’Europe.

Comment les parlements nationaux redeviennent des acteurs naturels de l’UE ?

Le traité de Lisbonne favorise une association plus étroite des Parlements nationaux à la vie de l’UE en renforçant leur possibilité d’intervenir dans le processus de décision européen. Les Parlements nationaux deviennent les gardiens du contrôle de subsidiarité : il leur incombe désormais d’alerter les Etats -et les opinions- si l’UE dépasse le cadre de ses attributions. Le contrôle de subsidiarité fonctionne-t-il ? Par ce mécanisme, les Parlement nationaux redeviennent-ils des acteurs naturels capables d’« infiltrer » de la dimension européenne dans la sphère publique nationale ?

Quel bilan du rôle de vigie des Parlements nationaux ?

Le mécanisme de contrôle de la subsidiarité confère aux Parlements nationaux le droit d’émettre un avis pour savoir si les projets d’actes législatifs de la Commission européenne qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’UE respectent le principe de subsidiarité.

En 2011, selon le 19e rapport « Mieux légiférer », la Commission a reçu 64 avis motivés des parlements nationaux, soit une augmentation de 75 % par rapport à 2010, 1e année d’existence du mécanisme de contrôle de la subsidiarité.

En dépit de cette augmentation, ces 64 avis motivés au sens du protocole, c’est-à-dire mentionnant une violation du principe de subsidiarité portant sur 28 propositions différentes de la Commission ne représentent que 10 % environ des 622 avis reçus au total par la Commission en 2011 dans le cadre de son dialogue politique avec les Parlements nationaux.

La majorité des avis motivés était centrée sur des propositions législatives dans les domaines de la fiscalité, de l’agriculture, du marché intérieur et de la justice.

En 2011, le Riksdag suédois, la Chambre des Députés de Luxembourg (chambre basse) et le Sejm et le Senat polonais (chambre basse et chambre haute) ont été les parlements nationaux les plus actifs pour émettre des avis motivés. Portugal, Italie et Roumanie sont également assez actifs, tandis que la France est à la traine avec 3 avis de l’Assemblée nationale et 2 avis du Sénat. La Slovénie n’a pas transmis d’avis à la Commission.

Certes, en 2011, aucune proposition de la Commission n’a donné lieu à l’activation de la procédure dite du «carton jaune» – si les seuils de déclenchement étaient atteints, la Commission devrait alors décider de maintenir, de modifier ou de retirer sa proposition.

Mais, en 2012, selon la Commission des Affaires européennes du Sénat, le « carton jaune » fonctionne pour la 1e fois : il y a eu un tiers des Parlements nationaux pour contester une proposition de la Commission européenne qui concerne le droit de grève des travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de services. La Commission européenne doit donc réexaminer son texte.

Quelle leçon sur l’usage de ce nouveau pouvoir des Parlements nationaux en matière européenne ?

Le contrôle de subsidiarité constitue un élément utile du processus d’élaboration des politiques de l’UE au cours de la phase pré-législative. Les Parlements nationaux sont associés très en amont aux futures législations européennes.

La manière dont la majorité des Parlements nationaux utilisent le contrôle de la subsidiarité illustre le caractère essentiellement politique de ce nouvel instrument. Ce pouvoir est pleinement mis à profit par les Parlements nationaux pour avoir leur mot à dire dans le processus de décision européen.

Au total, le contrôle de la subsidiarité sert à apporter plus de transparence et contribue à amener les politiques de l’UE dans le débat public des États membres et, souhaitons le, à sensibiliser les opinions publiques.

Quel bilan pour l’initiative citoyenne européenne après 1 an ?

C’est le 1er avril 2012 que l’initiative citoyenne européenne – ce nouveau droit pour les citoyens européens – est entrée en vigueur. Que faut-il retenir de cette année d’expérimentation démocratique européenne ?

Paradoxes de la naissance de l’initiative citoyenne européenne

L’initiative citoyenne européenne est née avec un double paradoxe intéressant :

Bien que l’initiative citoyenne soit l’objet d’un éloge public quasi unanime en tant que dispositif important pour la démocratisation de l’UE, la plupart des acteurs influents sont sceptiques quant à ses effets potentiels sur les affaires européennes ;

Bien que l’initiative citoyenne vise à habiliter un grand nombre de citoyens à participer aux affaires européennes, le projet n’a pas été le résultat d’une mobilisation active des citoyens, mais de l’efficacité de quelques conventionnels, lors de la Convention sur le projet de constitution européenne.

Ces deux paradoxes sont remarqués par Louis Bouza Garcia dans « Anticipating the Attitudes of European Civil Society Organisations to the European Citizens’ Initiative: Which Public Sphere may it Promote? »

Intentions initiales de l’initiative citoyenne européenne

Malgré les insuffisances initiales d’un projet ni voulu par les citoyens ni soutenu par les organisations non gouvernementales, l’initiative citoyenne pourrait néanmoins apporter une contribution pertinente :

  • D’une part, il s’agit incontestablement d’un pas de plus de l’activisme de l’UE dans la lutte contre des accusations de déficit démocratique par la promotion d’une innovation participative complétant la démocratie représentative ;
  • D’autre part, il s’agit éventuellement d’une possibilité de permettre aux groupes organisés, qui ont de plus en plus investis attention, temps et ressources dans les affaires européennes d’influencer la processus de prise de décision politique de l’UE.

Bilan statistique après 1 an : 14 initiatives citoyennes européennes en cours et une seule en voie de succès

A défaut d’une véritable concurrence entre les organisations de la société civile européenne et d’une profonde politisation des affaires européennes au sein des sociétés européennes, les quelques initiatives citoyennes européennes actuellement en cours parviennent difficilement à remplir leur objectif du million de signatures.

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Sur 14 initiatives citoyennes européennes actuellement en cours (5 ont déjà abandonnés), seule le projet de « faire de l’eau et de l’assainissement un droit humain et un bien public » est parvenu à récolter plus d’un million de signatures. Toutes les autres sont largement en retard et sauf surprise ne devraient pas y parvenir.

Assistance technique de la Commission à la mise en œuvre des initiatives citoyennes européennes

Un budget d’un million d’euros semble avoir été négocié par la Commission européenne auprès du Parlement européen pour faciliter la mise en œuvre des initiatives citoyennes européennes (cf. page 7).

Ces crédits permettraient de se doter « de systèmes de collecte en ligne d’hébergement et d’accès aux plates-formes de logiciels pré-installés afin de permettre aux organisateurs de recueillir les déclarations de soutien en ligne » et « également de couvrir les coûts liés à un service d’assistance pour des problèmes techniques ou des « kits de démarrage » pour les organisateurs ».

Au total, le bilan des initiatives citoyennes européennes est en demi-teinte : tandis que l’année écoulée ne permet pas de conclure à un franc succès, l’assistance technique en répondant aux besoins des organisateurs pourrait débloquer certains obstacles. Cela suffira-t-il ?

Comment s’organise la communication corporate de l’UE à la Commission européenne ?

Au-delà des campagnes de communication propres à chaque programme ou département, la communication institutionnelle sur les valeurs de l’UE dans son ensemble vise, autant que possible, à restaurer la confiance, affirmer le leadership et motiver les réseaux de l’UE. Comment la DG Communication organise la communication corporate de l’UE ?

Depuis l’arrivé de Margot Wallström et la refonte de la DG COMM, plusieurs faiblesses tentent d’être corrigées :

  • Fragmentation et perte d’efficacité des activités de communication par manque de coordination et de planification ;
  • Mise en œuvre inadéquate car trop centralisée des actions de communication ;
  • Messages qui reflètent les priorités politiques, mais pas nécessairement liés aux intérêts besoins et préoccupations des citoyens.

« Communication Steering Board » : le pilotage interne de la DG COMM pour la communication corporate

Le premier moyen d’améliorer la communication corporate est le « Communication Steering Board » ou plus prosaïquement le conseil de direction de la DG COMM.

Quoique cette enceinte confidentielle limitée aux seuls directeurs/directrices de la DG COMM n’apparaisse pas comme d’emblée fondamentale, sa mise en œuvre tardive en 2009 avec l’arrivée de la vice-présidente Reding fut vécue comme « la plus grande déception » de Claus Sørensen, l’ancien directeur général et refondateur de la DG COMM.

Dans l’interview qu’il m’avait donné à la fin de son mandat, Claus Sørensen indiquait que cet organe de pilotage interne à la DG COMM « aurait dû être fait plus tôt » car « s’est avéré être un moyen très utile pour orienter les activités de communication de la Commission ».

En 2013, le plan de management de la DG COMM prévoit une intensification des réunions du comité de direction avec un rythme quasi-hbdomadaire avec pas moins de 35 réunions prévues à l’agenda.

« External Communication Network » : le pilotage externe de la DG COMM pour la communication corporate

Le second moyen de piloter la communication corporate est l’« External Communication Network », composé des chefs d’unité Information/Communication de toutes les DG, créé en 2002 et surtout amélioré en 2005 (voir action 4).

Selon la page qui lui est consacrée, la mission principale du réseau de communication externe est d’échanger les meilleures pratiques sur la préparation et la mise en œuvre de plans de communication et les pratiques de communication. Il vise également à faciliter l’assistance de la DG COMM à d’autres DG sur les questions techniques et tend vers une utilisation plus efficace et efficiente des outils et des méthodes d’évaluation.

Le but ultime est renforcer les synergies et l’échange des meilleures pratiques, et d’avoir des points de contact clairs entre la DG Communication et les autres directions générales afin d’en faire une courroie de transmission de la communication corporate.

Alors que ce réseau (en formation collégiale ou par groupes de travail) organisé et présidé par la DG COMM ne se réunit qu’« environ 5-6 fois par an », le plan de management 2013 de la DG COMM prévoit de le rendre mensuel.

Ainsi, coopération et coordination assurés entre les unités Information/Communication s’intensifient. Tandis qu’une synergie des moyens semble atteinte, peut-on en dire autant d’une meilleure communication de la vision et des messages de l’UE ?

Les ONG, nouveau public européen pour l’UE avec la future « maison européenne de la société civile » ?

D’ores et déjà, un guichet unique virtuel existe pour faire respecter les droits des citoyens européens et soutenir l’initiative citoyenne européenne. En 2013, un budget de 250 000 euros prévoit la mise en place d’un lieu physique : « la maison européenne de la société civile ». Que fait l’UE pour faciliter l’activité européenne des ONG ?

Un centre européen de conseils et de ressources pour les organisations de la société civile

Destiné à devenir « un espace convivial pour le brainstorming, l’échange des idées et la mise en réseau des citoyens préoccupés par l’avenir de l’Europe », la maison européenne de la société civile vise à favoriser la participation civique des citoyens et des organisations de la société civile à la construction européenne.

Au sein de la bulle européenne à Bruxelles, les citoyens et la société civile n’ont pas leur propre espace. Les organisations de la société civile se sentent exclues en termes d’accès aux financements européens, de partage des meilleures pratiques et de réseautage d’autant que les intérêts économiques sont hyper représentés avec 15 000 lobbyistes auprès de l’UE.

La maison européenne de la société civile vise à combler ce fossé et à devenir le point focal de la société civile européenne qui n’est pas encore représentée à Bruxelles, afin d’engager « les non alignés » dans la machine européenne.

Missions de la maison européenne de la société civile

Aux missions existantes d’aide pour les citoyens afin de se faire entendre et d’influencer le processus décisionnel de l’UE et de participation civique à des activités de dialogue, de réseautage et d’« inter-fécondation » de projets communs, la maison européenne de la société civile consistera également selon les termes issus de la négociation budgétaire (cf. p. 7) :

  • Élargir la base d’un partenariat avec les principales organisations de la société civile au niveau européen ;
  • Mettre en œuvre des consultations larges et des activités de sensibilisation auprès des citoyens afin de « développer les partisans » et de créer un environnement propice au fonctionnement et à la définition de services pour le bénéfice des communautés et des citoyens européens ;
  • Utiliser les locaux physiques pour les organisations de la société civile à Bruxelles en vue du partage d’équipements et de savoir-faire afin d’assurer une place à l’échelle européenne aux citoyens et débattre entre eux et avec les institutions européennes.

Au total, avec la future maison européenne de la société civile, l’UE vise à inclure davantage la société civile comme public légitime au fonctionnement institutionnel européen. Reste à savoir quels seront les bénéfices concrets pour les citoyens européens.