Archives mensuelles : mars 2011

Les journalistes sont-ils encore le seul public de l’UE ?

Non, il ne s’agit pas ici d’annoncer que les citoyens européens seraient devenus le public tant fantasmé de l’UE ; mais plutôt de rebondir, à l’heure de l’euro-blogo-sphère, sur un article publié par Olivier Baisnée en 2000 « les journalistes, seul public de l’Union européenne ? »…

Les journalistes accrédités, le seul public de l’Union européenne ?

« Premier public de l’Union européenne, le corps de presse accrédité en serait aussi le seul. »

D’abord, les journalistes accrédités à Bruxelles seraient le seul public de l’UE dans la mesure où, selon Olivier Baisnée, « socialisé(s) au système politique et institutionnel de l’Union, (ils) l’envisage(nt) comme tel : vivant à son contact immédiat et permanent, ils finissent par en connaître intimement les processus, le personnel politique, les lieux et les enjeux ».

« Une fois assimilée la grammaire du fonctionnement de ces institutions, (les journalistes accrédités) sont à même de comprendre les enjeux, de repérer les acteurs et les problèmes qui entourent une décision, et de l’interpréter ».

Au bout de quelques d’années, ces journalistes sont de fait membres d’un microcosme qui englobe tous ceux dont la profession est liée aux activités de l’Europe (fonctionnaires, hommes politiques et représentants des groupes d’intérêt).

Ainsi, les journalistes accrédités sont probablement un peu des eurocrates, comme le craignait récemment un jeune pigiste à Bruxelles, Jean-Sébastien Lefebvre : « Journalistes européens : sommes-nous des eurocrates ? ».

Ensuite, selon Olivier Baisnée, « ce huis clos social et intellectuel se trouve encore renforcé du fait de la véritable prise en charge des journalistes par la Commission européenne, notamment lors de la « grand-messe de midi » que représente le rendez-vous quotidien avec le service du porte-parole.

« Englués dans ce flot (d’innombrables documents distribués lors du briefing), les journalistes ne peuvent guère prendre du recul, mener des investigations, s’intéresser à autre chose qu’à l’ordre du jour proposé. D’autant plus qu’il s’agit souvent de dossiers assez techniques. »

Ainsi, la Commission européenne tente de contrôler l’agenda médiatique la concernant en encombrant l’espace et le temps des correspondants de presse.

Enfin, les journalistes accrédités auprès des institutions européennes sont également des interprètes indispensables dans la mesure où ils sont l’une sinon l’unique source d’information et de représentation de l’UE dans la conscience de ses habitants.

Les euro-blogeurs accrédités, un nouveau public de l’Union européenne ?

Avec l’accréditation inédite d’euro-blogeurs pour des réunions du Conseil de l’UE – que l’on ne pourrait que souhaiter pour ce briefing quotidien du service du porte-parole de la Commission européenne – les euro-blogeurs rejoindraient le club du « seul public de l’UE ».

D’une part, les euro-bloggeurs constateraient, comme l’analyse Olivier Baisnée, que l’information la plus intéressante dans les points presse vient non pas de ce qui est dit par les porte-parole mais des questions posées par les journalistes. « Des questions qui mettent en évidence les problèmes que les différentes décisions poseront dans les Etats-membres ».

« Les réactions de la salle de presse laissent transparaître finalement toutes les préoccupations nationales et donnent une idée de ce que pourrait être, si elle existait, une opinion publique européenne replaçant les enjeux dans les contextes nationaux et rendant visibles aux autres partenaires les problèmes spécifiques à chaque État. »

Ainsi, les euro-blogeurs accrédités pourraient expérimenter que le principal intérêt des points presse est la projection des différents éclairages nationaux sur les décisions annoncées par les institutions européennes.

D’autre part, les euro-blogeurs accrédités, à l’instar des journalistes accrédités, constateraient que l’absence ou la rareté du sensationnel – « il n’existe guère de scoops au niveau communautaire qui soient considérés comme tels par les rédactions nationales » – apaise les rapports et renforce le peu de concurrence.

« Peu touchés par la compétition, les journalistes sont ainsi plus à même de développer des pratiques de collaboration, de partage d’information, voire de travail, lorsque plusieurs événements ont lieu en même temps. »

Ainsi, autre leçon pour les euro-blogeurs, l’accréditation renforcerait l’esprit de collaboration et de partage, déjà fort au sein de leur communauté.

Principales conclusions pour les accrédités (journalistes ou blogeurs)

Des pratiques plus critiques vis-à-vis des institutions feront converger les accrédités qui refusent de se laisser enfermer dans l’expertise et privilégient une définition de leur mission plus proche de celle de l’investigation :

  • entretien d’un rapport plus distant à la source d’information institutionnelle ;
  • plus largement, attitude à l’égard de la parole des institutions européennes plus distanciée.

Par ailleurs, les accrédités restent d’abord et avant tout des citoyens d’un Etat national chargés pour les journalistes ou désireux pour les blogeurs de rendre compte de l’UE à des publics ancrés dans des réalités politiques, sociales et historiques distinctes.

Ainsi, la couverture européenne dans les médias ou dans les blogs reste soumise à des contingences nationales et éditoriales (orientations politiques ou spécialités thématiques) spécifiques.

Où sont les prescripteurs susceptibles de recommander l’Europe ?

Terme hérité du marketing, le « prescripteur » désigne la « personne qui eu égard à sa notoriété, son image, sa profession, ses activités et/ou son style de vie, est à même de recommander (…) et d’être reconnue pour la valeur de sa recommandation ».

Concept à ne pas confondre avec le « leader d’opinion » qui se résume à la « personne ayant une audience et un statut lui donnant le pouvoir d’influencer l’opinion publique » ; la notion de prescripteur – à l’opposé de l’expert – est une figure du quotidien qui exerce une recommandation forte, justement parce qu’elle n’est ni forcément verbalisée ni fortement argumentée.

Des « people » pas prescripteurs symboliques en matière d’Europe

Au-delà des prises de parole « citoyennes », sociales ou politiques que peuvent prendre les « people » – assez peu en mesure d’influencer directement les citoyens – il est indéniable que leurs attitudes ou leurs réflexes peuvent quant à eux favoriser des projections inconscientes et des désirs mimétiques.

Dans ce cadre, le people-prescripteur n’a pas forcément conscience de son influence – quasi subliminale – et ne peut donc pas être accusé de vouloir instrumentaliser ou manipuler l’opinion comme le feraient toutes les figures d’autorité aujourd’hui décrédibilisées.

Le problème en matière d’Europe réside dans le fait qu’aucun people ne peut vraiment porter ou incarner la construction européenne puisque celle-ci achoppe à s’appuyer sur des symboles ou des valeurs propres.

Contrairement aux people américains qui parviennent à véhiculer une image de l’« american way of life », les people européens ne peuvent s’appuyer sur aucun modèle de société ou de culture européennes.

Les « pairs » peu prescripteurs cognitifs ou conatifs en matière d’Europe

Autre visage du prescripteur, le pair (amis, collègues, voisins, relations familiales ou sociales, etc.) exerce également une influence d’autant plus importante que son profil socio-démographique est proche des individus à qui il destine son message.

Dans ce cadre, le pair-prescripteur n’a pas forcément besoin de revendiquer son influence – quasi naturelle – et ses avis et jugements spontanément sollicités par son entourage immédiat pèsent donc lourds dans leurs comportements.

Le problème en matière d’Europe, c’est que la complexité tant de la construction institutionnelle que des sujets abordés par l’UE limite fortement l’intérêt et la capacité des pairs à diffuser des opinions et des intentions d’action sur les projets européens.

Alors que la prescription des pairs s’exerce dans le cadre de schémas d’interprétation et de conformation acquis largement par la société sur de nombreux sujets d’intérêt général, les enjeux européens ne s’inscrivent pas dans cette mécanique.

Ainsi, l’absence de prescripteurs susceptibles de recommander l’Europe empêche la communication européenne d’emprunter un modèle d’influence pourtant efficace.

La transparence peut-elle renforcer la légitimité démocratique de l’UE ?

La question ancienne de savoir si une plus grande transparence des affaires européennes pourrait renforcer la légitimité démocratique de l’UE est actualisée avec le premier « live blogging » aujourd’hui d’une réunion d’un Conseil de l’UE vécue « de l’intérieur » pour la première fois par un euro-blogeur…

L’enjeu de la transparence « à l’ancienne » : l’obligation de rendre compte des décisions au public

Remontant à novembre 2005, la publication d’un livre vert constitue l’initiative importante de la Commission européenne en matière de transparence :

  1. Transparence et représentation des intérêts (lobbying) : organisation des activités des groupes de pression dans l’UE autour d’un système d’enregistrement volontaire de tous les lobbyistes et d’un code de déontologie commun ;
  2. Normes minimales de la Commission applicables aux consultations publiques : création d’un cadre général et cohérent pour les consultations publiques ;
  3. Publication de données sur les bénéficiaires de fonds communautaires : divulgation des données concernant les destinataires de divers fonds communautaires, notamment les fonds structurels et la politique agricole commune.

Le message clé du Livre vert sur la transparence repose sur l’idée d’un renforcement de l’obligation de rendre compte au public des décisions pour préserver la légitimité du processus décisionnel européen.

L’enjeu de la « nouvelle » transparence : la responsabilisation d’un public inclus dans la décision

Avec le premier « live blogging » d’une réunion d’un Conseil de l’UE aujourd’hui et demain, dans le cadre d’un projet pilote permettant à des euro-blogeurs de couvrir de l’intérieur les réunions du Conseil de l’UE, les attentes en matière de transparence évoluent.

Bien plus que de simplement connaître les résultats du processus décisionnel européen, l’exigence de transparence porte davantage, aujourd’hui, sur l’ouverture pondérée des données publiques qui devraient êtres portés à l’attention du public pour l’inclure dans la prise de décision publique.

Le message clé porté par l’expérience de « blog-covering » d’une réunion d’un Conseil de l’UE repose sur l’attente d’une responsabilisation accrue d’un public certes averti mais désireux de partager les données permettant de délibérer sur les choix de décision.

Ainsi, la question de la transparence et des attentes relatives du public de l’UE sort renouvelée par l’expérience de « live blogging » au Conseil de l’UE.

Euro-blogeurs et relations publiques de l’UE : ouverture des accréditations au Conseil de l’UE

Grande première en matière de communication de l’UE cette semaine, des euro-blogeurs seront traités comme des journalistes et recevront des accréditations pour avoir accès aux réunions du Conseil des ministres européens…

Le Conseil de l’UE : première institution européenne permettant aux euro-blogeurs de couvrir l’actualité européenne « de l’intérieur »

Idée lancée en juin 2010 par la responsable du service presse du Parlement européen dans un Tweet, l’accès des euro-blogeurs aux réunions des institutions européennes, sur le modèle des détenteurs d’une carte de presse, sera concrétisé en mars 2011 par la présidence hongroise du Conseil du l’UE, comme le confirme ce Tweet du service presse du Conseil.

Après plusieurs réunions depuis quelques semaines, entre des éditeurs du portail BloggingPortal basés à Bruxelles et les porte-parole de la présidence hongroise, le « projet pilote » d’accréditer des euro-blogeurs s’est rapidement décidé ces dernières heures.

Vers un accord avec le Parlement européen et la Commission européenne sur l’accès global des euro-blogeurs aux institutions européennes ?

Selon un Tweet du directeur pour les médias du Parlement européen, Jaume Duch en février 2011, l’intention semble confirmée que les institutions de l’UE envisagent d’appliquer des règles d’accès pour les euro-blogueurs, similaires à celles prévues pour les journalistes.

Même si le tournant mondialement historique pour les blogeurs remonte à mars 2005, lorsque, pour la première fois, le blogeur Garrett Graff reçoit une accréditation pour les points de presse quotidiens de la Maison Blanche, le virage européen illustre un esprit d’ouverture nouveau au sein des services « communication » des institutions européennes.

Ainsi, 9 mois après l’ouverture de « la question de l’organisation entre les euro-blogeurs et les services relations publiques de l’UE », la réponse du Conseil de l’UE créée un précédent qui devrait permettre de mieux couvrir l’information sur l’Europe dans les euro-blogs.

Pourquoi l’opération « Europe concrète dans nos territoires » de Laurent Wauquiez ne marche pas ?

Lors de la première conférence de presse du Secrétaire d’État aux Affaires européennes devant l’Association des journalistes européens, à Paris le 15 février 2011 – alors qu’il est nommé depuis le 14 novembre 2010 – Laurent Wauquiez annonce des déplacements « Europe concrète de nos territoires » afin « d’illustrer combien l’Europe est présente au cœur de la vie des Français et de mettre en exergue les réalisations concrètes soutenues par l’Europe »…

L’européanisation des visites de terrain « Europe concrète dans nos territoires » ne suscite aucun intérêt auprès des médias

Les premiers déplacements sont clairement organisés afin de valoriser l’action de l’Europe en France :

  • Jeudi 27 janvier 2011 : déplacement en Charente autour de l’action européenne en faveur du Cognac – secteur ayant bénéficié d’un financement à 50% des dépenses de promotion en Europe et représentant aujourd’hui un chiffre d’affaires équivalant à la vente de 32 Airbus ;
  • Jeudi 17 février 2011 : déplacement en Dordogne autour de l’action européenne en matière de prévention des risques naturels (chantier de protection d’une falaise) et de développement des énergies renouvelables (traitement biologique de déchets organiques).

Sans résonance avec une quelconque actualité – qu’il s’agisse de l’action de l’UE en lien avec un éventuel fait divers ou d’un événement européen important – ces déplacements consacrés à l’Europe sont largement passés sous le radar des médias.

La politisation des visites de terrain « Europe concrète dans nos territoires » ne favorise aucun intérêt pour l’Europe

Le dernier déplacement – tirant les leçons des précédents – est manifestement organisé sur de nouvelles bases beaucoup plus politiques :

  • Jeudi 3 mars : déplacement en Haute-Loire avec le président de la République sur le thème de l’héritage patrimonial de la France.

Avec la présence du chef de l’État et une déclaration politicienne : « Wauquiez tacle DSK « pas en osmose » avec les territoires », ce déplacement politique bénéfice d’une reprise médiatique plus importante, quoique l’Europe en soit le grande absent.

Ainsi, qu’ils s’agissent de visites exclusivement européennes sans lien avec une quelconque actualité ou de déplacements particulièrement politiques sans lien avec une quelconque action européenne, l’opération « Europe concrète dans nos territoires » ne parvient pas à convaincre.