Quelle place pour les parlements nationaux dans la démocratie européenne ?

A l’occasion du colloque « Europe urgence, Europe espoir », le 19 mars dernier à l’Assemblée nationale, la difficile question de l’articulation des travaux entre les Parlements nationaux et les institutions européennes, révèle, selon Pierre Vimont, ambassadeur de France et modérateur des débats une question sous-jacente sur les différences de traditions et cultures politiques entre démocraties parlementaires et démocraties plus présidentielles à emboîter dans la démocratie européenne…

Sabu Hassi, présidente de la commission des affaires européennes du parlement finlandais : « la légitimité d’une décision publique dépend de la place du parlement »

Le système en place au sein des institutions finlandaise est d’inspiration et d’usage très parlementariste :

  • Toute nouvelle proposition de la Commission européenne est soumise au parlement national qui définit sa position.
  • Tout mandat donné par le parlement finlandais contient des positions qui doivent être défendues par le gouvernement dans les institutions européennes.
  • Si le résultat dévie de la position du parlement, le gouvernent est dans l’obligation de se justifier.

Ayant exercée précédemment des responsabilités ministérielles, Sabu Hassi raconte que la commission des affaires européennes, c’est la seule porte devant laquelle les ministres en exercice attendent leur tour.

Les vertus de ce système sont multiples : non seulement il n’y a pas de différence entre les positions du gouvernement et du parlement, mais il n’y a pas de confusion auprès des parties prenantes et surtout beaucoup plus de compréhension pour les citoyens.

Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale : « réinventer les relations entre les parlements nationaux et les institutions européennes »

L’harmonisation du niveau de contrôle des commissions parlementaires nationales aux affaires européennes sur leurs gouvernements ne serait pas une sinécure entre un simple système informatif réglé par circulaire en France et un quasi mandat impératif en Finlande.

Le renforcement du niveau de contrôle des parlements nationaux sur les initiatives de la Commission européenne serait également un progrès avec une procédure d’initiative parlementaire qui déboucherait sur une réponse motivée de la Commission européenne face à un tiers des parlements nationaux ou une proposition d’acte législatif dans l’année face à la mobilisation de la moitié des parlements nationaux. Une sorte d’initiative citoyenne européenne spécialement conçue pour les parlements nationaux.

Tout en prenant compte des traditions politiques parlementaires ou présidentielles, le besoin de prendre des habitudes de dialogue qui ne passent pas uniquement par des mécanismes formels seraient un véritable progrès pour la démocratie européenne.

La souveraineté européenne en débats

Invité par le Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI), le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune a débattu de la signification, alors que l’Union européenne a souvent été décrite comme une construction sans souveraineté, de la souveraineté européenne ?

Un concept fil rouge de la politique française

Présentée comme la capacité à défendre et promouvoir un socle européen composé d’intérêts et de valeurs communes irréductibles aux pays tiers, la souveraineté européenne pourrait se dessiner comme le projet politique européenne qui fasse la synthèse entre l’indépendance, moteur de la politique européenne de la France ; la puissance, comprise comme projection extérieure et l’identité au sens de la protection des intérêts et valeurs communs.

Ramona Coman, présidente de l’Institut européen de l’Université libre de Bruxelles, relève que le « F word » pour ne parler du tabou du fédéralisme est remplacé par le « S word » pour le pas parler de l’autonomie stratégique encore bien difficile, et qui dit peu de la dimension démocratique. Comment institutionnaliser pour légitimer la souveraineté européenne ?

Un concept ouvert sur l’extérieur, fourre-tout

Clément Beaune estime que la souveraineté européenne ouverte pourrait rassembler les Européens qui projettent des réalités différentes en matière de souveraineté entre la puissance à la française et le modèle de soft power.

L’obsession des Européens, c’est l’extérieur dorénavant le projet européen est tourné vers une attente de réponses face aux problématiques extérieures. Dit autrement, tous les sujets problématiques actuellement dans l’Europe sont extérieurs : migration, commerce, climat, numérique ou la santé.

Un concept géopolitique ambiant

Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS, Sciences Po – CEVIPOF observe un changement de paradigme qui se déploie dans et hors des institutions européennes autour de la fin du prosélytisme universel sur un modèle de paix perpétuelle pour des débats quotidiens sur la géopolitique, l’indépendance et la souveraineté. Comment passer à une politique de puissance qui surmonte les blocages et les divergences ?

Pour Clément Beaune, il y a les pays géopolitiques et les autres, mais il y a en a plus qu’on ne le croit : les pays baltes sont éminemment géopolitiques face à la pression russe ; Grèce et Chypre au cœur de la Méditerranée font face aux pressions turques ; les ambiguïtés de l’Allemagne évoluent sur la scène internationale, etc. Des projets concrets de souveraineté partagée pourraient permettre de développer ce qui fait le plus défaut les capacités d’anticipation et d’adaptation, comme avec une agence européenne de cybersécurité ; sans mentionné les modèles américains de DARPA ou de BARDA pour la défense et la recherche.

Un concept opérant au principe de l’action publique

Salih Bora, doctorant, Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI) identifie l’émergence sémantique de la souveraineté européenne autour des notions défendues par le ministre de l’Economie Macron tant avec la souveraineté numérique européenne dans le dossier Dailymotion que celui de la souveraineté industrielle européenne avec le dossier Alcatel. Comment opérationnaliser le souveraineté européenne dans les politiques publiques ?

Clément Beaune identifie la genèse la souveraineté européenne dans les suites de l’échec du référendum sur le projet de constitution européenne en 2005 et le discours anti-européen ultra-souverainiste du « Take back control » lors de la campagne du Brexit. La souveraineté européenne doit parvenir à réconcilier vitesse de réaction et différenciation des politiques européenne ainsi que faire le lien entre souveraineté et solidarité.

Au total, le concept de souveraineté européenne est en train de faire bouger les lignes du projet européen, mais tarde à en faire la synthèse dans des projets européen.

Pour un plan de relance culturel de l’Union européenne

En ce moment historique, l’Europe doit exprimer son identité culturelle, le reste du monde le demande, avec un plan de relance en partant de la culture, afin d’arrêter d’être ennuyeux et de sortir des cadres établis, selon Giuliano da Empoli auteur d’une incitation à dessiner les contours d’un possible New Deal culturel de l’Europe pour le Groupe d’études géopolitiques.

Un autoportrait de l’Europe du XXIe siècle

Multiplier les points de vue et les récits, recommencer à appréhender la construction européenne de façon transgressive est la seule manière de tirer les débats européens de leur ennui mortifère et de remettre en question l’hégémonie culturelle des nationaux-populistes.

Une fabrique de mèmes pour l’Europe

Une action plus proactive, qui améliore la compétitivité de l’Union Européenne sur le plan de la bataille des récits, à l’intérieur, par rapport à l’opinion publique du continent, ainsi qu’au niveau international à l’âge des réseaux sociaux et du « Sharp Power ».

Une stratégie de communication, qui permette aux politiques et aux valeurs européennes de devenir visibles et compréhensibles dans de larges milieux.

Une mission de rendre virales les communications qui transforment le langage juridique et bureaucratique des institutions publiques en mèmes — images, slogans, blagues — capables de catalyser l’attention sur les réseaux sociaux et, par ricochet, sur les media traditionnels, via des campagnes de communication qui se basent sur les big data, profilage et ciblage des audiences, avec des messages sur mesure dans la « bubble democracy ».

Un investissement important pour constituer une « Radio Londres » pour l’Europe du XXIe siècle en mettant les instruments les plus avancés de la communication contemporaine au service des valeurs et des objectifs de la construction européenne

Une Histoire pour l’Europe

Certes, nous disposons d’un vrai espace européen de l’enseignement supérieur, mais, la ferveur autour des thèmes européens a complètement disparu. L’époque est révolue où les plus grands historiens se battaient pour être les premiers à rédiger une histoire d’Europe qui ne fusse pas seulement une œuvre académique, mais l’ingrédient d’un projet civilisationnel.

Le filon de « l’éducation européenne » doit être repris, le défi d’écrire une histoire européenne et populaire, un manuel d’histoire commun, qui pose les bases d’une vraie « éducation européenne », reste intact.

Après Erasmus, Odysseus

Erasmus est l’un des rares programmes communautaires capables de produire une vraie transformation culturelle, formant le noyau d’une authentique génération européenne où la citoyenneté européenne dérive de l’expérience. On nait Européens, mais surtout on le devient.

Erasmus+ n’est ni entré dans l’imaginaire collectif des jeunes européens, n’ a ni modifier de manière décisive leur perception des opportunités offertes tout comme la très prometteuse expérience des « European Solidarity Corps ».

Un vrai Service Civil Européen, dédié aux jeunes de 18 à 25 ans, d’une durée de 6 à 12 mois, pour donner à tous les jeunes européens la possibilité d’un engagement direct dans le secteur environnemental, social ou culturel afin de réinventer l’identité européenne.

La Capitale

La capitale de l’Europe accueille un quartier européen un peu en catimini sans grands architectes ou projets iconiques dégageant une forte charge symbolique. Une « Eurotopie », espace de rencontre, de réflexion et de discussion pourrait permettre de réinventer le quartier européen afin de donner une âme à la capitale de l’Europe.

Un réseau d’Europa-cafés

Les zones rurales sont le trou noir de l’Europe, le terrain le plus fertile aux dynamiques socio-économiques qui éloignent de plus en plus les périphéries des centres urbains qui profitent de la mondialisation.

Historiquement, la géographie des vignes historiques en Europe recoupe en grande partie celle des monastères et comme le disait George Steiner, les cafés sont à la base de la culture européenne. Pourquoi ne pas reprendre à l’échelle continentale l’initiative « 1000 cafés pour revitaliser les campagnes » via un réseau d’« Europa cafés » catalyseur culturel afin de réparer les fractures entre les générations et entre les territoires.

Un projet Babel pour la traduction vocale

Un projet de recherche qui, comme celui sur le génome qui a mobilisé des scientifiques du monde entier, viserait à produire dans les cinq ans des outils portables, au format d’une oreillette sans fil, de traduction directe et verbale permettant à deux locuteurs de langues différentes de parler, et d’entendre l’autre, dans sa propre langue, de manière naturelle.

Ce projet Babel aurait un effet politique déterminant pour l’aventure européenne, et les gains de productivité considérables, dans tous les domaines d’activité de la vie de l’Union.

Quid du New Deal culturel de l’Europe ? Au futur, l’Europe ne doit plus sous évaluer le poids des idéaux et des passions vers un changement profond d’une « idée » à un « sentiment ».

Repenser les élections européennes

Alors que le mi-mandat approche au Parlement européen, les idées se bousculent pour réfléchir aux innovations démocratiques susceptibles de poursuivre la reconquête des électeurs après le succès lors du dernier scrutin. Cosmocène organise le débat…

Les listes transnationales

Christine Verger estime qu’afin de développer la dimension européenne de la campagne des élections européennes, les listes transnationales seraient un élément de réponse lors des élections européennes.

La constitution de listes transnationales composés de candidats représentant des partis politiques européens, venant compléter les listes nationales des candidats des partis politiques nationaux, aurait pour but d’assurer une tonalité plus européenne à la campagne, voire de faire émerger un demos européen.

Pourtant les obstacles sont nombreux : la barrière de l’unanimité des États-membres pour réformer, les positions souverainistes qui pèsent dans les débats, le risque discutable d’eurodéputés hors sol… Le lien entre les listes transnationales et les têtes de liste Spitzenkandidaten candidat à la présidence de la Commission européenne n’est pas forcé, même s’il est assez répandu.

Le fonctionnement de la démocratie représentative européenne poste la question du rôle du Parlement européen, donc de sa valeur ajoutée dans les décisions européennes. La position de rejet du Parlement européen sur l’accord d’investissement UE-Chine montre son intérêt aux citoyens, sans compter la prise de conscience plus large de l’importance de l’échelle européenne pour traiter les problèmes globaux.

La double proportionnalité

Pierre Jouvenat recommande de s’appuyer sur une logique de « tandem électoral » afin de développer des synergies entre les partis politiques nationaux et européens en vue de donner davantage de visibilité aux partis politiques européens.

La double proportionnalité vise à attribuer les votes du scrutin européen non seulement aux partis politiques nationaux suivant les quotas par nationalité, comme dans le système actuel, mais également à attribuer les votes aux partis politiques européens. L’européanisation de l’élections européennes porterait ainsi sur tous les sièges.

La machine à réformer relancée

Olivier Costa constate que la réforme électorale est le rocher de Sisyphe du Parlement européen en raison de la procédure de ratification à l’unanimité des États-membres. L’Union européenne n’est pas une vraie fédération, les citoyens ne tournent pas leur regard vers Bruxelles, les responsables politiques vivent dans l’illusion de garder le contrôle et les médias n’intègrent pas l’échelle européenne.

Le rapport en cours au Parlement européen insiste sur la nécessité de créer une sphère publique européenne, car il est plus facile de changer la loi électorale que les comportements électoraux, même s’il ne faut surestimer les blocages venant des citoyens. La lueur d’espoir aujourd’hui : même les eurosceptiques voient l’Union européenne comme un espace politique d’action, quasi plus aucun parti politique ne veut quitter l’UE. La vie politique européenne existe !

Les Spitzenkandidaten permettent de dramatiser le scrutin pour les électeurs, de simplifier les enjeux et de personnaliser dans les médias. Ce système, qui a plus de vertus que de vices, repose sur un fonctionnement informel entre partis politiques européens, qui devrait être inscrit dans une réforme plus large incluant d’autres avancées.

La révision constitutionnelle

La conférence sur l’avenir de l’Europe, qui donne carte blanche pour discuter des objectifs de l’intégration européenne, de ses modalités, des institutions et des politiques européennes pourrait déboucher sur une révision constitutionnelle.

De nouvelles priorités pourraient être la condition d’avoir des institutions plus légitimes. Aucune réforme électorale européenne ne se fera sinon inscrite dans une réforme institutionnelle d’envergure incluant de nouvelles politiques publiques européennes.

Quelles que soient les réformes pour améliorer la démocratie européenne, le Parlement européen en sera le moteur et l’aiguillon.

La communication européenne : en panne d’imagination, vraiment ?

Si les rares campagnes de communication de l’Union européenne semble avoir usé jusqu’à la corde des registres d’expression sous le forme de testimonials, la communication européenne a besoin d’un bon bol d’air frais pour se renouveler et tenter des formes plus contemporaines…

La force des imaginaires

Face au flot permanent d’une actualité qui chasse l’autre, le risque de banalisation de la communication européenne, par essence rare, est très élevé et justifie de sortir des chemins battus pour aller chercher les publics là où ils ne l’attendent pas, où il est possible de surprendre.

La communication européenne peut être l’occasion d’offrir à la fois une prise de hauteur par rapport au enjeux du quotidien, des routines de la vie de tous les jours et en même temps une prise de conscience des problématiques globales qui sont au cœur de nos existences.

Les modalités de mobilisation des imaginaires sont multiples et les appréhensions quant au poids de l’histoire, aux querelles de mémoires, devraient être sublimés en particulier pour s’adresser aux jeunes générations.

L’impact du sociétal

Face à l’expiration des derniers souffles des idées politiques traditionnelles qui peinent à convaincre et rassembler, le projet européen dispose de ressources pour y puiser des sujets qui concernent les publics, qui impliquent de nouvelles problématiques sous-estimées.

La communication européenne devrait se saisir de causes pour renforcer son authenticité afin de se positionner sur des combats pour la société, pour faire avancer des blocages qui perdurent autour de prises de parole qui invitent à la sincérité des propos. Ces maîtres-mots devraient être au cœur des stratégies d’activation des publics.

La focale sociétale, à mi-chemin entre une communication macro-thématique qui survole et surplombe sans toucher terre et qui perd pied et une communication micro-sectorielle qui butine un petit territoire, est la seule susceptible de percer l’attention et de mobiliser, encore faudrait-il simplifier les modalités d’engagement des publics pour signer des pétitions, participer à des conférences citoyens, approuver des initiatives citoyennes européennes.

La marque-conversationnelle

Face aux flux des plateformes des médias sociaux, la posture d’une marque-conversationnelle ouverte aux contributions du public est également une modalité de la communication qui permet de reconnecter avec les publics et de faire parler.

La communication européenne dispose de l’opportunité historique de la conférence sur l’avenir de l’Europe pour déployer une démarche de marque-conversationnelle qui organise non pas la confrontation stérile mais l’expression de convictions fructueuses. Pas mal de murs doivent encore céder pour que seuls les murs porteurs apparaissent pour faire découvrir les piliers du projet européen et ceux qu’ils s’agiraient de réparer voire de construire.

La posture conversationnelle correspond particulièrement bien à la communication européenne dans la mesure où elle permet à la fois d’exprimer des discours qui sont incarnés dans le pragmatisme et non dans l’idéologie rejetée sous toutes ses formes mais aussi de viser à certaine forme de bienveillance, comme l’envisage le roman d’Aurélien Bellanger au sujet de l’Europe : le continent de la douceur.

Au total, ce canevas pour réinsuffler de la créativité ne constitue qu’une première pièce à étoffer.