Nous voici dans notre voyage à travers 15 ans de campagnes électorales du Parlement européen arrivé au dernier scrutin. Après les tâtonnements de 2009, la tentative d’électrochoc de 2014 et le « big bang » citoyen payant de 2019, la campagne pour les élections de juin 2024 s’inscrit dans une logique de consolidation, mais aussi d’adaptation à un monde toujours plus complexe et incertain. Guerre aux portes de l’Europe, crise climatique persistante, montée des extrêmes, désinformation galopante… Le décor est planté, et la communication doit s’ajuster, encore une fois…
« Use Your Voice. Or Others Will Decide For You. » – le ton se durcit
Le slogan choisi pour 2024 : « Use your voice. Or others will decide for you. »marque une évolution notable par rapport à l’optimisme de « Choose Your Future » en 2019. Le ton est plus direct, plus grave, presque comminatoire.
Il ne s’agit plus seulement d’inviter à choisir son avenir, mais d’alerter sur les conséquences de l’abstention : laisser le champ libre à d’autres forces (sous-entendu, potentiellement anti-démocratiques ou anti-européennes). Les objectifs principaux s’inscrivent dans la continuité, mais avec une urgence accrue :
- Maintenir (voire améliorer) la dynamique de 2019 : Consolider le rebond de participation, notamment chez les jeunes (beaucoup de 18-24 ans qui avaient pu être touchés en 2019 peuvent dorénavant voter en 2024).
- Combattre l’apathie et la désinformation : Dans un contexte de polarisation et de « fake news », réaffirmer l’importance du vote éclairé. Les campagnes de manipulation de l’information et d’influence étrangère font dorénavant parties du paysage.
- Souligner l’enjeu démocratique : Positionner le vote comme un acte de défense des valeurs fondamentales européennes face aux menaces internes et externes. L’audience cible reste large, mais avec un focus sur le « moveable middle » : les citoyens pro-démocratie mais qui ont besoin d’une motivation supplémentaire pour se déplacer.

L’héritage de 2019 est optimisé – together.eu et partenariats sont renforcés
La stratégie de 2024 capitalise largement sur les succès de 2019, en affinant les outils et en élargissant les alliances :
- together.eu en pleine action : La plateforme citoyenne, héritage direct de « This time I’m voting. », est le fer de lance de la mobilisation sur le terrain. Des milliers de volontaires et d’organisations partenaires sont activés dans tous les pays pour relayer les messages et organiser des actions locales. C’est la confirmation du modèle hybride institution/citoyens.
- Des partenariats plus profonds et diversifiés : Le Parlement ne se contente plus des ONG traditionnelles. Il collabore avec des autorités locales (mairies), des bibliothèques, des écoles, des influenceurs « organiques » cherchant à toucher les citoyens dans leur environnement quotidien et via des relais de confiance variés.
- Visibilité et symbolique accrues : Les actions spectaculaires se multiplient, comme l’illumination de plus de 60 monuments emblématiques à travers l’Europe aux couleurs de l’UE le 9 mai. L’objectif : créer des moments médiatiques forts et rappeler l’échéance de manière positive et unificatrice.
- Lutte intégrée contre la désinformation : Face aux risques accrus, la communication intègre une dimension de « myth-busting » et s’appuie sur les capacités de fact-checking de l’UE (via le hub dédié). Une équipe de « réponse rapide » est mise en place pour contrer les fausses informations circulant sur les réseaux sociaux.
- Un budget record : L’investissement atteint de nouveaux sommets, estimé entre 30 et 35 millions d’euros, soit environ 0,08 € par citoyen. Ce budget reflète l’ampleur des défis et la sophistication croissante des outils (notamment digitaux et de gestion de communauté).
Les défis persistants et les attentes pour l’avenir
Si la campagne 2024 semble avoir tiré les leçons du passé, elle n’échappe pas aux défis récurrents et en voit émerger de nouveaux :
- La neutralité, toujours sur le fil : Le ton plus direct et l’accent mis sur la « défense de la démocratie » ravivent les critiques sur une possible partialité pro-UE, même si la campagne évite soigneusement toute consigne de vote partisane. Trouver le juste équilibre reste un exercice de haute voltige.
- Atteindre les « non-convaincus » : Malgré les efforts, toucher ceux qui sont le plus éloignés de l’Europe ou les plus sceptiques demeure le défi majeur. Les enquêtes Eurobaromètre de fin 2023 montraient un intérêt croissant mais une connaissance encore faible des détails de l’élection.
- L’évaluation de l’impact réel : Si la participation augmente à nouveau en 2024, il sera difficile (comme toujours) de démêler l’effet propre de la campagne des facteurs contextuels (guerre, crises, mobilisation nationale). La pression pour démontrer le « retour sur investissement » de ces budgets conséquents reste forte.

Quelles leçons et perspectives pour 2029 et au-delà ?
Quinze ans de campagnes électorales européennes nous offrent une fresque fascinante de l’évolution de la communication institutionnelle. Plusieurs tendances lourdes se dégagent :
- Du top-down à l’hybride : L’avenir appartient clairement à des modèles combinant impulsion centrale et mobilisation décentralisée, s’appuyant sur l’énergie citoyenne.
- De l’information à la connexion émotionnelle et narrative : Les slogans factuels ne suffisent plus. Il faut des récits incarnés, des messages qui touchent personnellement et qui donnent du sens.
- Du mass-media au réseau omnicanal : Le digital est roi, mais l’approche doit être intégrée, combinant présence en ligne massive, partenariats stratégiques, actions de terrain et moments symboliques forts.
- De la communication à l’engagement continu : Des plateformes comme together.eu montrent la voie vers une relation plus permanente entre l’institution et les citoyens, au-delà des seules échéances électorales.
Pour l’avenir, on peut imaginer une communication électorale européenne encore plus personnalisée (grâce à une utilisation éthique des données), plus interactive (chatbots, formats gamifiés), plus résiliente face à la désinformation (IA pour la détection et la réponse), et peut-être encore plus audacieuse dans sa capacité à créer un véritable espace public européen de débat.
Le Parlement européen, à travers ses campagnes électorales, a non seulement cherché à remplir les urnes, mais a aussi, par essais et erreurs, contribué à réinventer la manière dont une institution supranationale peut (et doit) communiquer avec ses citoyens. Le chemin est encore long, les défis demeurent immenses, mais la trajectoire montre une capacité d’apprentissage et d’adaptation remarquable.
Justement, notre dernière analyse portera sur une conclusion générale de ces campagnes de communication pour les élections européennes qui prend de la hauteur pour boucler la série en beauté.