Election présidentielle et Europe : l’information des médias et la communication des candidats au crible du factcheking européen

Vigie 2012 est un site de factcheking sur l’Europe lancé en octobre 2011 qui mène « un double travail de vérification de la parole politique sur l’Europe et de mesure du traitement de l’Europe dans les médias ». Quelles sont les faits saillants de la campagne présidentielle en France en matière d’Europe ?

Europe et culture politique française : fracture et paradoxe

Selon Thierry Chopin, auteur du « Bal des hypocrites », dès qu’il s’agit d’Europe en France, tout remonte au « non » français du 29 mai 2005 qui a révélé « « une fracture politique entre France et Union européenne » et mis en lumière « la relation paradoxale qu’entretient la France à l’Europe », fracture et paradoxe dont la clef réside avant tout dans la culture politique française » structurée selon :

  • une culture institutionnelle jacobine stato-centrée en déphasage avec l’univers bruxellois ;
  • une vision économique « antilibérale » et donc difficilement compatible avec le marché européen ;
  • une identité internationale gallicane mal à l’aise dans l’Union à 27.

Par ailleurs, Thierry Chopin plaide, dans son ouvrage datant de 2008, pour une nouvelle pratique politique – que la campagne présidentielle de 2012 n’a pas vraiment illustrée puisqu’il s’agissait d’un passage d’une « rhétorique de puissance à une politique d’influence » – qui s’appuierait notamment sur… un plus grand respect par la France de ses engagements communautaires.

L’information européenne dans les grands médias s’éloigne à mesure que la campagne s’intensifie

Qu’il s’agisse de la presse quotidienne nationale (Les Echos, Le Monde, le Figaro, Libération) ou des journaux télévisés (TF1, France 2 et France 3) « les grands médias d’information accordent de moins en moins d’espace à l’actualité européenne » à mesure que la campagne électorale avance.

Selon Vigie 2012, « cela s’explique probablement par la moindre présence de la crise de la zone euro dans l’actualité ». Sans doute, mais c’est également le fruit d’une campagne présidentielle, dont les centres d’intérêt n’ont pas sensiblement porté sur les enjeux européens.

La communication européenne des candidats : c’est ceux qui en veulent le moins qui en parlent le plus

La fracture entre politique française et Europe – rappelons le rapport Herbillon sur le sujet en 2005 – se poursuit lors de l’élection présidentielle de 2012.

Les familles politiques parlent d’autant plus d’Europe que leurs électeurs ont voté « non » au traité constitutionnel européen en 2005. Par ailleurs, toutes les familles politiques françaises parlent aussi mal d’Europe, puisque 50% des déclarations vérifiées des candidats sont vraies.

Ainsi, le travail de factcheking européen réalisé par Vigie 2012 lors de la campagne présidentielle confirme fracture et paradoxe d’une relation entre Europe et politique française pour le moins agitée.

Désintermédiation de l’information européenne : que faut-il en attendre ?

Phénomène important à l’heure du web social, la désintermédiation – c’est-à-dire la réduction voire la suppression des intermédiaires (journalistes, experts…) dans le circuit de distribution de l’information – touche-t-elle également les affaires européennes ? Faut-il se réjouir du lien numérique supposément renforcé entre l’UE et les citoyens ou plutôt craindre la disparition des décrypteurs, susceptibles de traduire l’information européenne pour le plus grand nombre ?

Désintermédiation de l’information européenne : une opportunité pour palier la défaillance des médiateurs naturels

Bien avant l’économie de la recommandation et le déploiement des médias sociaux, le rôle des intermédiaires a toujours été limité en matière d’information européenne. Qu’ils s’agissent des médias pour qui l’Europe ne fait pas vendre ou des élus qui savent que l’Europe ne fait pas l’élection ; les intermédiaires entre l’UE et les citoyens ont toujours été aux abonnés absents, selon le rapport Herbillon sur la fracture européenne.

Aussi, dès les premiers âges du web, la communication de l’UE s’est montrée très ouverte et accessible en ligne. Selon Philippe Aldrin, dans « Producteurs, courtiers et experts de l’information européenne », « l’UE a donc multiplié les initiatives depuis vingt ans pour inciter une meilleure couverture médiatique des activités de l’UE » au point d’assister à une « explosion subséquente de la production institutionnelle de contenus médiatiques », très largement mise en ligne.

Idéalement, cette communication sinon vraiment innovante du moins plus transparente devait correspondre à un mouvement de responsabilisation des citoyens qui auraient appris à décrypter derrière les informations des différentes institutions européennes les intentions et intérêts de leurs auteurs.

Désintermédiation de l’information européenne : une menace face aux connaissances lacunaires des citoyens

Mais, la communication de l’UE est réputée – à juste titre – plutôt inaccessible au grand public en raison de sa complexité et de sa technicité.

Personne en ligne – sinon les eurobloggeurs, qui demeurent un public tourné vers les institutions européennes plutôt que vers les autres bloggeurs nationaux – ne joue vraiment le rôle de chercher l’information à la source. Par ailleurs, dès qu’il s’agit de sujets européens, chaque citoyen dispose d’une large propension à se transformer très rapidement en éditorialiste des affaires européennes.

Selon Giuliano Bobba, dans l’Europe des Européens : « les connaissances sur l’Europe sont très lacunaires quel que soit le niveau d’instruction ou la catégorie socioprofessionnelle ». Aussi, les citoyens s’informent en mobilisant des catégories de la vie quotidienne :« bribes d’information », expérience personnelle, « bon sens » ou « sagesse populaire ». Autrement dit, au vue de la façon dont les citoyens s’informent sur l’Europe –de manière très lacunaire – des intermédiaires susceptibles de traduire l’information européenne sont plus que jamais nécessaires.

Ainsi, la désintermédiation de l’information européenne semble un phénomène faussement démocratique, puisque sous couvert de rapprocher l’UE et les citoyens, il s’agit plutôt d’une éviction du plus grand nombre au profit d’une relation désintermédiée entre élites.

Quelles sont les tendances de la fabrication de l’information européenne ?

Dans un récent ouvrage sur « Le champ de l’Eurocratie, une sociologie politique du personnel de l’UE », Philippe Aldrin étudie les « producteurs, courtiers et experts de l’information européenne ». Trois tendances  travaillent l’univers professionnel de la fabrication de l’information européenne…

Tendance n°1 : incorporation d’un professionnalisme issu du secteur privé au sein de l’administration européenne

La « réputation d’amateurisme » frappe les premiers agents de l’information européenne au sein du Service commun de presse et d’information des Communautés européennes. « Les acteurs des premières années racontent tous – unanimement – l’image de « saltimbanques » des gens d’information au sein de l’administration naissante. » C’est l’époque de la DG X autrement appelée « la DG des bras cassés » et de la communication institutionnelle considérée comme « des tâches littéraires et futiles ».

Avec la création de la DG COMM (Direction générale à la communication) au sein de la Commission européenne en 2006 et le premier concours dédié pour recruter des professionnels de l’information et de la communication en 2007, on assiste à la « supplantation du militantisme par la bureaucratie, et du génie des découvreurs par le professionnalisme des lauréats surdiplômés du concours de la fonction publique européenne ».

Ce récent effort de professionnalisation des personnels se double d’une « rationalisation de la chaîne de production communicationnelle au sein des institutions (planification, mutualisation des outils et des coopérations de la communication communautaire) ».

Ainsi, « la coproduction et le jeu croisé des externalisations-internalisations de compétences ont progressivement généré un alignement des pratiques internes sur les méthodes et les process des professionnels de la communication » (issus du secteur privé). Aujourd’hui, les agents communautaires ou leurs sous-traitants partageraient un même professionnalisme avec un même langage et des mêmes outils professionnels.

Tendance n°2 : rationalisation du système de coproduction de l’information européenne

« Depuis les origines, l’intégration européenne s’est appuyée dans différents domaines sur l’enrôlement d’experts et professionnels extérieurs. » En matière d’information, ces collaborations n’étaient pas formalisées mais plutôt « fondées sur des affinités électives autour de l’idée d’intégration » ou alors sur des relations personnelles (comme le « système Olivi » qui privilégie des journalistes recrutés personnellement pour le service de presse) ou encore « des programmes de relations publiques au long cour » auprès de quelques groupes spécifiques acquis au projet européen.

Ce modèle de production de l’information européenne reposant sur des collaborations ponctuelles et sélective s’est formalisé afin d’« uniformiser les procédés du travail communautaire (…) et de généraliser les bonnes pratiques ».

Ainsi, « la rationalisation repose donc aujourd’hui sur des protocoles par lesquels les agents de l’institution encadrent, dans des relations plus dépersonnalisées, les intermittents (collaborateurs free lance, personnels contractuels, stagiaires) et les prestataires extérieurs privés qui sous-traitent les besoins d’information-communication de l’UE ».

Tendance n°3 : normalisation de la prise en charge de la publicité de l’Europe politique

La vision traditionnelle de l’information européenne consiste à se « limiter à la mise en public des informations sur l’Europe ». Il s’agit d’« une conception diffusionniste fondée sur une pédagogie de l’Europe prenant pour relais d’information les « leaders d’opinion » ». Autrement dit, l’information européenne est « conçue jusqu’à ces dernières années comme un problème de didactique (nécessité de faire comprendre ce qu’est la construction européenne) » et tout discours politique est exclu.

L’information européenne « est désormais considérée davantage comme un problème d’équilibre qu’affronte tout pouvoir », entre les tensions générées par son action et la nécessité de le légitimer. La conception de l’information devient davantage procédurale en étant « intégré très en amont de la chaîne de travail communautaire ». Ainsi, l’information européenne est « assumée comme un instrument de légitimation politique ».

« Aujourd’hui, derrière la rhétorique délibérative et, par-delà cette débauche d’apparitions publiques (de Commissaires européens dans les médias et les régions) destinées à « donner à l’Europe un visage humain », le débat public concernant l’action de l’UE en matière d’information-communication s’est en quelque sorte désectorisé, devenant un enjeu plus global indissociable de la réflexion sur la « bonne gouvernance » européenne. »

Ainsi, cette analyse de l’information européenne « dans le mouvement même de son processus de fabrication » saisit un monde de professionnels de la coproduction de l’information européenne plus professionnel, plus rationnalisé et plus normalisé.

« On the frontline » : hybridation entre information d’Euronews et communication de la Commission européenne

Début avril, la chaîne internationale d’information Euronews qui se présente comme un « véritable hub média indépendant » (boilerplate de la chaîne) lance un programme hybride « On the frontline » réalisé « en partenariat » avec la Direction Générale des Affaires Intérieures de la Commission européenne…

Le programme de subventions à Euronews de la Commission européenne

Afin de « garantir la couverture à long terme des activités de l’Union sous un éclairage européen » sur Euronews, la Commission européenne subventionne la production et la diffusion – à la carte – de programmes sur les affaires européennes.

Selon le programme de travail annuel de la Direction Générale à la communication, une « convention-cadre de partenariat avec Euronews a établi des barèmes type de coûts unitaires pour un certain nombre de magazines de durées différentes, disponibles isolément ou en série, avec ou sans distribution ».

Autrement dit, n’importe quelle « DG » de la Commission peut piocher dans le catalogue pour produire et diffuser des programmes d’information selon les formats et les volumes au choix : d’un magazine de 3 minutes, diffusé 20 fois (bande-annonce comprise) à 19 444 € à une série de 24 programmes de 12 minutes, diffusés 15 fois à 1 349 671 €. Le montant maximal de la contribution de la CE à cette action pour 2012 a été fixé à 6,5 millions d’€.

On the frontline, le premier programme d’Euronews parrainé par la DG Affaires intérieures

En application de la convention-cadre de partenariat, Euronews en partenariat avec la DG Affaires intérieures lance un « nouveau magazine d’information qui fait le point sur les questions européennes et mondiales de sécurité les plus urgentes, avec un traitement à 360° ».

Ce programme, réalisé en studio, débute par des reportages ou éléments visuels qui mettent en perspective la problématique de l’émission. Ces données conduisent à un débat entre deux invités, animé par la journaliste Isabelle Kumar qui déclare, dans le communiqué de lancement :

« Notre objectif est de mettre en perspective ces enjeux en informant et en présentant les différents points de vue sur les sujets. Nous espérons que les téléspectateurs pourront ainsi se forger leur propre opinion sur ces questions vitales liées à leur sécurité ».

Selon les informations disponibles, ce programme correspondrait – dans le catalogue – à une série de 10 ou 24 épisodes de 12 minutes, diffusé chacun 15 fois à l’antenne.

Le premier programme sur le crime organisé en Europe, dont l’un des deux invités est « Carlo van Heuckelom, le chef du bureau criminalité financière à Europol » est donc visible en catch-up TV sur le site d’Euronews mais également dès la page d’accueil du site de la DG Affaires intérieures.

Ainsi, « On the frontline » est le premier exemple de l’hybridation entre un programme d’information produit par un média audiovisuel indépendant et une vidéo de promotion de l’action de la Commission européenne.

Union européenne et communication : qu’est-ce qui a changé depuis 10 ans ?

Plus de 10 ans après la sortie en 2000 de la livraison « Europe et Communication » dans la revue « Communication et Organisation » (mis partiellement en ligne le 27 mars 2012), quel regard peut-on porter sur les conclusions – temporaires – tirées par les coordinateurs du dossier Nicole Denoit et Béatrice Galinon-Mélénec ?

Ce qui change peu : les formes de la communication européenne (technocratique, descendante et fonctionnelle)

Les contributions rassemblées dans ce dossier renforcent, pour la plupart, l’idée que les institutions européennes utilisent une communication technocratique, descendante et fonctionnelle qui instrumentalise le destinataire (le citoyen) de l’information. L’observation d’un développement croissant des nouvelles technologies ne modifie pas ce point fondamental.

La première conclusion du dossier « Europe et Communication » a été un peu remise en cause depuis 2000, notamment grâce aux nombreuses initiatives de Margot Wallström entre 2005 et 2009 (plan D, livre blanc…), listée sur la page « Responsabilités » de la Direction Générale de la Communication de la Commission européenne.

Ce qui ne change pas assez : la numérisation de la communication européenne (démocratique, ascendante et interculturelle)

Certaines contributions espèrent que la circulation de l’information pourra être organisée pour permettre une attitude réactive du destinataire final. Mais les institutions sont-elles prêtes à gérer les informations ascendantes et les NTIC peuvent-elles sérieusement espérer servir le renforcement d’une intercuturalité européenne ?

La seconde conclusion du dossier « Europe et Communication » qui concerne le web social n’a pas assez changé depuis 2000. Les actions de l’UE pour mener des expérimentations participatives et assurer une présence plus active dans les médias sociaux prouvent – à ce stade – le potentiel limité sinon en matière d’interculturalité du moins s’agissant de la circulation de l’information.

Ce qui ne change pas encore : la déterritorialisation de la communication européenne en réseaux

La multiplication des échelons régionaux, nationaux, supranationaux, la mise en place de réseaux de communication qui « déterritorialisent » la communication – pour créer leurs nouveaux territoires – posent la question du type de communication à mettre en œuvre. (…) Les réseaux de communication recomposent des territoires. (…) Faut-il y voir une volonté ou une incapacité à concevoir une communication alternative ? Le dossier laisse la question en suspens.

La troisième conclusion du dossier « Europe et Communication » qui concerne les réseaux et les territoires n’a pas encore changé depuis 2000. La stratégie de communication de l’UE de communiquer en partenariat avec les acteurs nationaux est appliquée, mais la question de son extension à d’autres niveaux d’actions comme les régions demeure inexplorée.

Ce qui ne change pas : les finalités de la communication européenne

Communiquer pour organiser un espace dans lequel chacun puisse trouver son appartenance tout en sentant préservée sa différence.

Construire une politique consensuelle mais ferme, qui propose des mesures nécessaires mais sans précipitation, de façon à ce qu’un lien social, une nouvelle citoyenneté européenne puissent s’y nourrir.

Faire et faire savoir certes, mais dans un fonctionnement de type démocratique qui se garde d’une information par trop impérative qui générerait le rejet des décisions institutionnelles à l’échelon européen.

Autant de convictions partagées par les auteurs qui ont bien voulu apporter leur contribution à ce dossier.

La quatrième conclusion du dossier « Europe et Communication » qui concerne les finalités de la communication européenne n’a pas changé depuis 2000. Seule l’innovation que représente l’initiative citoyenne européenne (le droit de pétition des citoyens européens) semble « nourrir une nouvelle citoyenneté européenne » dans la mesure où selon Jean Quatremer « cela va forcer l’exécutif à dialoguer publiquement avec les citoyens, ce qui va modifier profondément ses habitudes de travail ».

Ainsi, en l’espace de 10 ans, tandis que les problèmes posés par la communication européenne n’ont guère changé, les solutions n’ont que peu progressé.