Pourquoi la « comm » l’a emporté partout sur l’info, sauf pour l’Europe ?

Alors que la distinction entre information et communication tend – malheureusement – à se dissiper en ligne avec le développement du « online advertising » ou du « brand content », qu’en est-il de l’information et de la communication européennes ?

La thèse des journalistes : « la comm » prend le pas sur l’information

La sortie récente du « Dictionnaire amoureux du journalisme » est l’occasion pour son auteur, Serge July – l’ancien patron de Libération – de revenir sur les tendances de fond entre information et communication.

Ce qui me frappe le plus dans le domaine médiatique, c’est que la communication l’a emporté sur l’information. Elle est partout. A partir des années 70, toute la société s’est mise à faire de la com. Pas un secteur n’y échappe. Toute information ou presque a été prédigérée, et elle nous arrive souvent enveloppée d’une gangue communicationnelle. Tout travail journalistique doit commencer par enlever cette gangue. C’est une des questions majeures de l’information aujourd’hui.

En surface, c’est vrai pour l’Europe. La communication européenne semble de plus en plus s’immiscer partout dans l’UE, du storytelling dans les discours des responsables politiques européens, des « éléments de langage » dans les mots des communiqués de presse, des anciens journalistes comme porte-parole des institutions européennes, du média training pour les Commissaires et des « narrative policies » dans les politiques publiques européennes…

L’anti-thèse des communicants : « l’info » en temps réel et en ligne est partout

Pour l’expert en communication publique, Philippe Heymann, la chose n’est peut-être pas aussi entendue :

« avec l’accélération de l’info, l’info en temps réel, le Digital, la concurrence croissante entre les media, les difficultés de la presse et ses réductions d’effectifs, la donne est en train de changer… et pas forcément en bien ! Car, il faut bien le reconnaître, les journalistes ont de moins en moins le temps et la possibilité de décoder les infos qu’ils reçoivent, « d’enlever cette gangue ». »

Autrement dit, face au flux de l’information de plus en plus continu sans toujours être vérifié et sans le recul nécessaire, la communication européenne – lorsqu’elle provient d’institutions publiques qui ne sont ni partiales ni politiciennes – peut donner profondeur et hauteur aux citoyens.

Mais justement, là où devrait « triompher » la communication européenne sur l’information européenne, tant pour des raisons de moyens techniques et pratiques que de contrepoids démocratiques, il n’en est rien, car au fond la communication de l’UE demeure inutilement technique et ennuyeuse.

Au total, partout la « comm » a pris le dessus sur l’information ; et ce qui apparaît d’emblée comme un échec pour la communication de l’UE représente en fait une chance face à la faillite du flux continu de l’info.

Repenser le futur de la communication de l’Union européenne

La session d’ouverture d’EuropCom 2014 fournit l’occasion d’explorer et de réévaluer les problématiques liées à l’avenir de la communication de l’Union européenne…

La communication européenne à la croisée des chemins ?

La réalité de l’agenda politique et notamment de la nouvelle Commission Juncker « de la dernière chance » impose de nouvelles méthodes pour obtenir des résultats significatifs, y compris en matière de communication.

Le président du Comité des Régions, Michel Lebrun, en ouverture des débats convient que les institutions européennes doivent parvenir à un « parler vrai » basé sur une vision plus profonde, afin de rassembler et de mobiliser les citoyens autour d’un projet européen participatif, décentralisé et créatif. Chaque mot choisi pourrait soulever une série de commentaires sur le chemin à parcourir pour y parvenir.

Comprendre la distinction irréfragable entre information et communication, pour que la communication européenne fasse « less but better »

Pour Mairead McGuinness, Vice-Présidente du Parlement européen en charge de la communication et ancienne journaliste, il est impératif de bien distinguer entre l’information qui est de plus en plus abondante, quoique pas toujours compréhensible par le plus grand nombre et la communication, qui doit donc faire moins mais mieux et viser d’une part, à mieux écouter et comprendre les attentes et les besoins du grand public et d’autre part, à parler des résultats obtenus par l’UE.

Comprendre l’organisation symbolique entre les Etats-membres et l’UE, pour que l’UE agisse et communique sur ses forces : « strong outside and more caring inside »

Pour le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, la communication de l’UE doit illustrer le repositionnement de l’UE vis-à-vis des Etats-membres. Tandis que par le passé, l’UE représentait l’ouverture des esprits et des frontières face à la protection des Etats-providence ; aujourd’hui, dans la mondialisation, les citoyens attendent que l’UE soit forte sur la scène internationale et protectrice avec les Européens.

Comprendre la répartition complémentaire entre Bruxelles et l’échelle décentralisée / locale, pour une communication européenne à visage humain

Pour la Vice-Présidente du Conseil économique et social européen, Jane Morrice, il est indispensable que tout ce qui est communiqué par l’UE le soit à l’échelle locale, parce que l’Europe est beaucoup trop loin pour beaucoup trop de monde (et que cela ne changera pas avant longtemps).

Pour l’auteur de l’avis « Reconnecter l’Europe avec ses citoyens : communiquer mieux et davantage au niveau local » Christophe Rouillon, la communication européenne doit non seulement être décentralisée mais surtout doit cesser d’être péremptoire, de donner des leçons, en tant qu’expert et en s’adressant avec des mots compliqués.

De ces trois enseignements consensuels et concrets sur 1. information et communication, 2. Etats-membres et UE et 3. Bruxelles/échelle locale mais surtout de leur mise en oeuvre dans la communication de l’UE dépendra le succès à venir.

Au total, l’avenir de la communication européenne ne peut passer que par une refondation de sa stratégie qui ne vise plus tant à résorber le déficit démocratique de l’UE qu’à reconnecter les citoyens et l’UE ; en somme davantage une question de résultats tangibles que de principes théoriques.

La communication européenne n’est-elle bonne qu’auprès des non-Européens ?

Alors que plus de 90% des investissements en communication de l’UE se font au sein des 28 Etats-membres, la question de la communication de l’UE dans le monde – et surtout de ses succès croissants à contrario de la situation intérieure – interroge. La communication de l’UE ne serait-elle en train d’évoluer positivement qu’auprès des non-Européens, en dépit des moyens investis ?

La communication traditionnelle de l’UE auprès des pays-tiers : une approche consensuelle et intellectuelle complètement décalée avec les réalités locales et les attentes concrètes

Sur la scène internationale, l’UE est perçue par les pays tiers comme un projet estimable, notamment pour avoir su maintenir la paix sur le continent européen. Du coup, les Européens se projettent comme la référence intellectuelle en matière de droits de l’homme, de démocratie et de gouvernance.

Le plus souvent, l’incompréhension et les frustrations a pu dominer entre une UE sentencieuse, beaucoup trop dans une communication consensuelle et intellectuelle sur les principes démocratiques, les droits de l’homme ou le changement climatique et l’immigration internationale et des pays tiers qui vivent dans le présent, et l’importance du commerce dans le monde réel.

De plus en plus, grâce à son récent réseau diplomatique, l’UE prend conscience de l’importance de mie x écouter et de cesser les jugements unilatéraux pour s’engager dans le dialogue, avec un peu moins de consensus et d’abstraction et un peu plus de pragmatisme et de message politique. Une preuve ?

La communication potentielle de l’UE auprès des pays-tiers : une approche pragmatique autour de l’Année européenne du développement

En 2015, la communication de l’UE au-delà des seuls Européens peut évoluer avec, pour la première fois, le choix d’une Année européenne, dont le thème principal concerne davantage la scène internationale, à savoir le développement.

Sachant que l’UE est le plus grand pourvoyeur d’aide publique au développement dans le monde (enfin une place de leader…), la possibilité de faire passer un message contemporain beaucoup plus positif auprès des pays bénéficiaires de l’aide au développement est à portée de main.

D’autant que les politiques de développement ont évolué au cours des dernières années autour d’un changement de paradigme d’une relation traditionnelle donateur-bénéficiaire à une approche sur un pied d’égalité avec les pays partenaires pour relever les défis mondiaux d’intérêt commun.

Le rôle de l’UE en tant qu’acteur mondial et vecteur de changement, par des projets concrets et mutuellement bénéfiques est un narratif qui peut avoir toutes les chances de passer auprès des pays-tiers.

La communication contemporaine de l’UE sur l’Année européenne du développement : méconnaissance et incompréhension des Européens

Par contraste, la pente sera beaucoup plus raide du côté des Européens. Les citoyens de l’UE manquent souvent d’une réelle compréhension de la raison pour laquelle l’aide au développement est encore nécessaire.

L’information sur la coopération et le développement de l’UE parfois complexe est en concurrence avec une série d’autres sujets, qui ont souvent un impact plus direct et immédiat sur la vie quotidienne des citoyens européens.

L’efficacité de l’aide, et ses effets positifs, est un domaine largement méconnu des citoyens, selon l’Eurobaromètre 421 réalisé pour l’occasion. 55% des Européens ne savent rien du tout sur la destination de l’aide au développement de l’UE.

Pour Stacey Vickers, chef de l’équipe presse et social media à la DG Développement et Coopération (EuropAid), s’exprimant lors d’EuropCom, l’UE a besoin d’informer les contribuables de l’UE où leur argent est dépensé et être aussi transparente que possible.

Au total, l’opportunité d’une communication plus pragmatique avec l’Année européenne du développement est un signal positif après la communication traditionnelle – trop consensuelle et intellectuelle – de l’UE auprès des non-Européens, pas si éloignées d’ailleurs de celle auprès des Européens…

Pourquoi la communication du président du Conseil européen est compliquée ?

Lors de la réunion du groupe de travail sur l’information le 16 janvier dernier, l’organisation du service des porte-parole du président du Conseil européen a été présentée. Une occasion pour mieux comprendre la difficulté d’une communication qui doit savoir à la fois se rendre invisible ou au contraire hyper-visible…

La communication du président du Conseil européen : l’équation impossible

Les différentes missions du président du Conseil européen, Donald Tusk, rendent sa communication particulièrement difficile :

  • En tant que facilitateur et créateur de consensus lors des négociations entre chefs d’Etat et de gouvernement lors des Conseils européens, la communication doit rester, lors des cénacles internes, invisible, discrète pour réussir ;
  • En tant que représentation extérieur de l’UE en matière de politique étrangère et de sécurité commune, sur la scène internationale, la communication du président du Conseil européen doit au contraire être hyper-visible au point que certains envisagent qu’il incarne et donne un visage aux institutions européennes.

Face à cette double contrainte, l’organisation du service de porte-parole se révèle forcément délicate.

L’organisation de la communication du président du Conseil européen : un équilibre politique et institutionnel

Première traduction de l’équilibre délicat à trouver, la place qu’occupe le service des porte parole : l’équipe fait intégralement partie du cabinet du président du Conseil européen, en étroite collaboration avec la direction média et communication du Secrétariat général du Conseil.

Une seconde manière de traduire la nouvelle communication du président du Conseil européen – à la fois hypo et hyper-visible selon les périodes – consiste à réorganiser les réunions du Conseil européen :

  • Inclure systématiquement à l’agenda des sujets incluant les affaires étrangères ou de sécurité ;
  • Concentrer l’agenda sur quelques priorités pour parvenir à des conclusions plus concises ;
  • Démarrer plus tôt les réunions et les rendre plus courtes, afin de faciliter des contacts élargis avec la presse, lui permettant de mieux traiter les Conseils européens suivant leurs deadlines.

Au total, la communication du président du Conseil européen – en tentant la synthèse impossible entre hypo et hyper-visibilité – tente de traduire autant que possible l’ambiguïté byzantine du poste récemment créé.

Registre de la transparence de l’UE pour les lobbies : entre refonte et réforme

Tandis que la Commission européenne annonce la refonte du registre encore non obligatoire de la transparence pour les lobbies, l’Alliance pour la transparence du lobbying et du règlement de l’éthique (ALTER- UE) publie une enquête qui démontre comment l’approche volontaire de la transparence du lobbying ne parvient pas à offrir une image précise de la scène de l’influence à Bruxelles et plaide pour une proposition législative pour un registre des lobbyistes juridiquement contraignant…

Refonte : la Commission européenne progresse dans une démarche pragmatique pour rendre incontournable le registre de la transparence pour les lobbies

Première étape, rendre conditionnel l’inscription au registre des lobbies pour rencontrer les Commissaires, les membres des cabinets et les hauts fonctionnaires.

Avec cette contrainte mineure, mise en place depuis le 1er décembre dernier, le nouveau président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a fait progressé la transparence : « Les lobbys se bousculent au portillon du registre de transparence européen » selon Contexte qui calcule que « depuis cette date, le nombre de lobbys référencé a cru de 8,3 %, passant de 7050 à 7636. Une progression record en deux mois, comparée à la même période l’année dernière (2,9 %) ».

Citons également l’analyse publiée dans Le Monde sur « Bruxelles, paradie des lobbies » :

Le registre n’est toujours pas obligatoire mais il introduit une contrainte de taille : seuls les lobbies qui y figurent pourront rencontrer les commissaires, les membres de leurs cabinets et les responsables des directions générales – les influentes administrations de la Commission. Du coup, plus de 500 groupes d’intérêt non encore référencés se sont précipités ces dernières semaines pour s’y inscrire. Pour la Commission Juncker, qui a promis de reconquérir le cœur des citoyens européens de plus en plus eurosceptiques, l’enjeu est politique.

Deuxième étape, rendre plus ergonomique la consultation et plus détaillées les informations avec une refonte du registre des lobbies, en ligne depuis hier :

  • Les lobbies sont désormais invités à fournir un montant global pour leur chiffre d’affaires annuel ;
  • Nouvelles règles sur le nombre total des lobbyistes ;
  • Nouvelles indications sur les membres, au sein des lobbies qui participent à des groupes d’experts de la Commission et à des inter-groupes parlementaires ;
  • Recommandation pour mettre à jour, au besoin, au moins trois fois par an.

Troisième étape, rendre le registre obligatoire pour toute activité de lobbying avec les institutions européennes.

Le Vice président de la Commission européenne, Frans Timmermans, prévoit de présenter un projet d’accord interinstitutionnel pour un registre des lobbyistes qui s’imposerait également avec le Parlement européen, et in fine avec le Conseil de l’UE.

Cette démarche pragmatique pour rendre le registre de la transparence de l’UE pour les lobbies obligatoire, par étapes et avec des mesures incitatives, va dans la bonne direction, même si certains trouvent que la « refonte » ne va pas assez vite.

Réforme : ALTER- UE démontre les limites du registre volontaire et non sanctionné et plaide pour un registre obligatoire imposé par une proposition législative

Dans son enquête « New and Improved? Why the EU Lobby register still fails to deliver », ALTER-UE dénonce que certains des principaux groupes qui font activement du lobbying auprès des institutions de l’UE ne sont pas encore enregistrés dans le registre de transparence de l’UE.

Pour ALTER-EU, un trop grand nombre de données saisies dans le registre sont peu fiables, celles qui touchent en particulier au client, soit non divulguer, soit masquer derrière des acronymes :

  • Environ 150 groupes de pression ont indûment classés leurs clients comme « confidentiel », « pas applicable », « N / A », « none »…
  • Plus de 200 groupes de pression identifiés leurs clients par des acronymes indéchiffrables.

Par ailleurs, les dépenses et le nombre de lobbyistes sont souvent sous-déclarés. Deux exemples, parmi beaucoup d’autres :

  • Goldman Sachs, inscrit tardivement en novembre 2014 déclare ses dépenses sous la barre des 50 000€ en 2013, alors que dans le registre, Kreab Gavin Anderson le considère comme un client entre 200 000€ et 250 000€ la même année…
  • Google, déclare 7 lobbyistes, immédiatement suivi par une liste de 8 lobbyistes disposant de passes parlementaires…

En attendant un registre des lobbyistes juridiquement contraignant, ALTER-UE recommande une série de mesures incitatives afin de maximiser la conformité avec le registre volontaire actuel :

  • Une obligation pour tout le personnel de la Commission de ne pas rencontrer de lobbyistes non enregistrés ;
  • Une exclusion de la participation des groupes d’experts pour les groupes de pression non enregistrés ;
  • Une non participation des personnels de la Commission, des Commissaires et des eurodéputés à des événements et activités organisés ou parrainés par des groupes de pression non enregistrés.

Au total, entre la démarche pragmatique mais lente prise par la nouvelle Commission européenne, qui porte d’ailleurs déjà des fruits concrets et la réforme souhaitée par les observateurs maximalistes, le registre de la transparence de l’UE pour les lobbies fait l’objet – fort légitimement – de toutes les attentions.