Archives de catégorie : Opinion publique européenne

Billets sur l’opinion publique européenne

Euroscepticisme et ambivalence de l’opinion publique française vis-à-vis de l’Europe

Passionnant travail sur l’opinion publique française et l’Europe par l’institut Jacques-Delors Notre Europe où les auteurs du rapport « les Français et l’Europe entre défiance et ambivalence » analyse une situation inquiétante et inédite d’euroscepticisme et d’ambivalence…

Euroscepticisme très fort : des fractures européennes sans précédent en France

Fait sans précédent, parmi tous les États-membres, la France appartient aux peuples les plus négatifs face à l’UE – une position peu enviable liées à un soutien « diffus » aux valeurs et aux principes de l’UE faiblement majoritaire face à un soutien « spécifique » moins favorable concernant l’efficacité de l’Union européenne.

La 2e ligne de clivage porte sur la fracture sociale, particulièrement vive pour la France : classes populaires, ouvriers et chômeurs se représentent l’Europe comme une menace contre les protections sociales nationales.

La polarisation des attitudes vis-à-vis de l’UE renforce l’intensité des clivages : contrairement à la France, dans le reste de l’Europe, les plus positifs sont deux fois plus nombreux et les plus négatifs deux fois moins.

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Ambivalence de la relation des Français à l’Europe : les sentiments mêlés divisent

Des variations entre attitudes pro et antieuropéennes dessinent des individus ambivalents à l’égard de l’Europe :

Côté « positif », les ambivalents ont une massive adhésion à la libre circulation et au droit de travailler comme de vivre dans tous les États membres ; un soutien très majoritaire aux différentes politiques communes et une conviction que la voix de l’Union européenne compte dans le monde.

Côté « négatif », les ambivalents ont une mauvaise image de l’Europe, se méfient de la situation économique ; des institutions et de l’avenir mais surtout doutent que les intérêts de la France soient bien pris en compte au sein de l’UE. L’idée européenne est belle, mais ça ne marche pas comme ils le souhaiteraient.

Méconnaissance ou incompréhension de l’Europe : le facteur clé d’interprétation

La méconnaissance du fonctionnement de l’Europe constitue un élément majeur du rapport de défiance des Français à l’Europe (la France occupe le dernier rang parmi les 27). Le facteur culturel constitue un élément majeur d’explication de ce rapport ambivalent des Français vis-à-vis de l’Europe.

La compréhension ou l’incompréhension de l’Europe divise entre les proeuropéens, qui ont le sentiment de bien comprendre comment fonctionne l’Europe, les eurosceptiques non et les ambivalents guère plus.

C’est un élément majeur du rapport des Français à l’Europe, car il s’agit d’une des dimensions sur laquelle la France occupe le dernier rang parmi les Etats-membres. Une situation dramatique déjà abordée ici.

Relations entre les Français et l’« Europe » : les projections sur l’Europe, reflet des exceptions françaises

Plusieurs éléments explicatifs de nature culturelle sont avancés par les auteurs du rapport pour comprendre les rapports spécifiques que les Français entretiennent avec l’UE :

La culture politique unitaire « jacobine » de la souveraineté française est en décalage avec la culture européenne « pluraliste » du compromis au sein de l’UE. Du coup, les Français ont du mal à jouer le jeu des règles européennes : deal majoritaire, lobbying décomplexé, coalitions parlementaires à géométrie variable.

La culture socio-économique « colbertiste » de la France marquée par une certaine défiance voire une hostilité au libéralisme et au libre-échange impactent négativement le rapport que maints Français entretiennent avec l’Union européenne. Du coup, les règles du marché commun, du pacte de stabilité ou de la politique de concurrence passent encore mal aujourd’hui.

Enfin, les visions radicalement différentes de la raison d’être de l’engagement européen entre le projet des “pères fondateurs” l’Europe des nations gaulliste se sont fracassées sur les élargissements aux pays d’Europe centrale et orientale : « l’Europe n’est pas la France en grand » !

En conclusion, tant que la méconnaissance et le niveau d’information médiocre des citoyens français ne sera pas corrigée, tout discours de l’Union européenne sera inaudible. Mais, l’Europe qui a tant déçu les Français n’aura pas beaucoup de seconde chance.

Quel est l’avenir des plateformes d’activisme numérique ?

Par rapport à l’activiste dans la rue, le « slacktivist » en ligne est souvent apparu comme incapable d’obtenir un quelconque changement par ses activations digitales. Est-ce toujours le cas ?

Discussion sur l’activisme numérique, du point de vue des plateformes digitales

Le podcast Citizen Lobbyist sur l’activisme numérique offre ue discussion passionnante entre le chief campaigner d’Avaaz Louis Morago et l’executive director de WeMove.eu Laura Morago.

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Ce qui importent dans les campagnes digitales

Ce qui se passe après que vous cliquiez (pour signer une pétition), c’est là que commence la vraie histoire. Les pétitions sont des moyens pour partager des idées, quels que soient les outils, pour attirer la couverture médiatique, la viralisation et finalement l’attention des décisionnaires publics.

Ce qui se passe avant la mise en ligne de la pétition est également très important, afin de transformer un enjeu porté par des ONG en demande basique de mise à l’agenda des décideurs publics, qui ait une connexion émotionnelle et un impact évident auprès du grand public, qui soit un lien entre les communautés locales et les opinions publiques, qui se traduise par un call-to-action pour des actions dans la vraie vie et donc qui puisse devenir un combat mené par des avocats pro bono, des investigateurs indépendants, des élus.

Ce que le Covid-19 impacte

Au-delà des souffrances liées à la crise, les gens sont plus ouverts à des changements importants et les responsables politiques à des décisions plus profondes. L’inter-connectivité des enjeux entre la planète, les personnes et les profits (dans cet ordre de priorité) est davantage perçue. La volonté de reconstruire, d’effacer les échecs, de lutter pour davantage de juste apparaissent comme des arguments de poids.

Ce qui comptent pour les citoyens-activistes numériques

La peur, la colère, la défiance ne sont pas des carburants positifs pour le changement ; l’unité est plus important que la confrontation ; le partage des connaissances et le training sont clés ; la prise de responsabilité individuelle compte… afin de devenir des « active citizen » dont les actions comptent.

Conclusions par Alberto Alemanno, expert du citizen lobbying

Conservateurs vs. Progressistes

Premier enseignement : la plupart des personnes qui s’engagent dans une démarche de campagne de plaidoyer en ligne sont plutôt des audiences internationales progressives tandis que les audiences conservatrices s’orientent plutôt vers des mobilisations autour des scrutins nationaux. Du coup, les défis portés par les plateformes de plaidoyer portent plutôt sur des problématiques européanisées ou internationalisées comme le changement climatique.

Démocratie représentative vs. Démocratie participative

Deuxième enseignement : la fracture entre la démocratie représentative et la démocratie participative se réduit, avec des plateformes numériques pour le plaidoyer en ligne qui participent de la politisation et de la visibilisation du poids du soutien du publics sur certains sujets. Du coup, le « dark side » de ces plateformes importe, comme savoir qui met à l’agenda les sujets, qui finance ou qui rend des comptes.

Plateformes communautaires vs. Plateformes partitaires

Troisième enseignement : les plateformes digitales peuvent évoluer de simple courroie de transmission entre les électeurs et les élus de certains sujets sans entrer dans le jeu électoral à des plateformes qui se transforment en partis politiques (le mouvement 5 étoiles, la République en Marche) qui passent de la construction de communautés à la structuration d’un électorat. Du coup, les règles de régulation et fabrication du consensus ainsi que la transparence sont particulièrement nécessaires pour éclairer le public.

Tant l’activisme numérique est en pleine effervescence que le besoin de règles du jeu s’impose, entre créativité et efficacité.

Virage participatif de l’Europe : la participation citoyenne peut-elle raviver la démocratie européenne ?

En Europe, les initiatives visant à accroître la participation des citoyens ont fait des progrès substantiels pour impliquer les citoyens ordinaires dans la prise de décision publique. Cet antidote partiel au populisme illibéral en apaisant la frustration des gens de ne pas avoir leur mot à dire dans l’élaboration des politiques publiques peut offrir des leçons d’applicabilité pour la gouvernance politique européenne, selon Richard Youngs de Carnegie Europe

Le virage participatif de la démocratie européenne bienvenu se fait attendre

En Europe, jusqu’à présent, la participation consultative a affecté plutôt des questions de faible politique – décisions liées à des projets locaux – par rapport aux questions de haute politique liées à des enjeux nationaux ou globaux.

Mais à mesure que les problèmes de la démocratie représentative se sont intensifiés, les pratiques participatives progressent significativement ces derniers temps :

  • En France, Convention citoyenne pour le climat ;
  • En Estonie, Assemblée sur les élections, les partis politiques et l’engagement des citoyens ;
  • En Belgique, Assemblée de citoyens, le G1000, un système de participation particulièrement sophistiqué et innovant pour la communauté germanophone ;
  • En Espagne, Assemblée permanente au conseil municipal de Madrid pour délibérer sur les questions locales ;
  • En Pologne, réseau d’assemblées de citoyens dans plusieurs villes ;
  • En Ecosse, projet de jury de citoyens pour émettre des recommandations sur un large éventail de défis politiques ;
  • En Irlande des assemblées de citoyens sur l’avortement ou les questions de genre.

Une masse critique d’initiatives participatives, de meilleure qualité méthodologique autour d’une délibération profonde et équilibrée, commence à s’accumuler permettant de dissiper les doutes quant à savoir si les citoyens veulent vraiment participer à la prise de décision ou peuvent s’engager ouvertement dans des débats politiques complexes voire converger vers de nouveaux compromis.

Le virage participatif doit relever des défis pour une participation politique véritablement ouverte

Jusqu’à présent, la participation des citoyens a pris la forme de débats ponctuels sur des projets, autour de problèmes nécessitant une décision unique sur une question spécifique, le plus souvent de nature locale.

Bien entendu, la plupart des politiques publiques ne se posent pas ainsi. Au contraire, la plupart des problèmes font l’objet de discussions et de décisions en cours, ne se prêtent jamais à une résolution définitive et nécessitent une série continue de compromis plutôt que la simple sélection d’une option par rapport à une autre.

Afin de contribuer de manière significative à la revitalisation démocratique, les initiatives participatives doivent relever plusieurs défis :

Le défi de rendre la participation plus politique : un changement qualitatif dans les types de questions et de débats que la participation aborde ;

Le défi de la durée : passage de forums uniques à des forums permanents ;

L’enjeu de la cohérence liés aux tensions et compromis entre les objectifs politiques et les préférences des électeurs ;

Le risque d’une asynchronie des démocraties : malgré une rhétorique abondante sur la combinaison de la démocratie participative et représentative, de nombreuses initiatives participatives sont toujours formulées en opposition ou contrepoids aux parlements et aux partis ;

L’individualisation de l’engagement en tant qu’individus risque de détourner l’attention des organisations collectives, courroies de transmission nécessaire entre l’individu et l’État pour résoudre les relations de pouvoir entre les différents groupes de la société ;

La dépolitisation repose sur le fait que les initiatives participatives sont souvent basées sur l’hypothèse irréaliste que les désaccords politiques et identitaires entre les différents groupes peuvent être neutralisés – et que c’est la mesure clé pour le progrès démocratique.

Le virage participatif pour stimuler la participation sans idéaliser excessivement son potentiel démocratique

Le renouveau démocratique européen ne peut et ne doit pas passer par ces nouvelles initiatives participatives si et seulement si :

Les attentes concernant les initiatives démocratiques participatives doivent être maîtrisées : les initiatives délibératives des citoyens peuvent être un élément majeur – mais pas unique – des efforts visant à rétablir la responsabilité démocratique de l’UE.

La démocratie participative doit être guidée par un degré d’ambition mesuré : commencer à explorer des idées pilotes sur la façon d’élargir modestement les forums participatifs afin d’élargir la pertinence politique de la participation sans compromettre les caractéristiques pratiques qui ont fait son succès.

Si le potentiel des forums participatifs est survendu, les citoyens peuvent devenir déçus. S’il est sous-vendu, ces forums resteront une arène de niche, déconnectée des problèmes politiques plus larges de la démocratie européenne.

Les institutions de l’UE devraient expérimenter une participation d’un type différent : les forums de citoyens locaux pourraient être utilisés comme base pour alimenter des délibérations de plus haut niveau, de sorte que les différents niveaux de débat se relient. L’UE pourrait fournir un modèle commun sur les types de questions qui guideraient les initiatives citoyennes à travers l’Europe.

Au total, la démocratie européenne progressera si la participation contribue à améliorer d’autres formes de responsabilité démocratique, plutôt que de les miner ou de les éclipser. La participation devra être un catalyseur pour la réforme de la démocratie, pas une alternative autonome.

Comment mieux informer les Français sur l’Europe ?

La Fondation Jean-Jaurès et l’Ina poursuivent leur partenariat sur le traitement médiatique dédié aux questions européennes en France à travers une étude « Renforcer l’information des Français sur l’Union européenne : le défi du cycle européen 2019-2024 » réalisée par Rémy Broc, Rémi Lauwerier et Théo Verdier.

L’information européenne des Français dans les grands médias audiovisuels : une visibilité ultra-réduite – une singularité européenne

Depuis longtemps, la perception très largement majoritaire en France est que l’information sur l’UE est une lacune importante du paysage médiatique hexagonal. La France se place souvent très en retard par rapport aux autres États-membres. Pourtant, les médias audiovisuels – radios et télévisions. – sont plébiscités par le grand public pour s’informer et pour suivre notamment l’actualité de l’Union européenne.

Les Français se distinguent des Européens à plus d’un titre : les Français semblent se fier davantage aux médias historiques ; la télévision demeurant le moyen d’information principal en termes d’audience tandis que la radio s’impose comme le média de confiance. La consultation Internet s’intensifie mais reste bien en deçà de l’ensemble des pratiques européennes.

Et pourtant, la couverture mesurée – près de 3 000h ! – n’est pas du tout à la hauteur, puisque radios, journaux télévisés traditionnels et chaînes d’information consacrent seulement 3 % du temps d’antenne des journaux étudiés en 2016 et 2017 à l’actualité propre à l’UE, son action, ses institutions ou encore ses relations avec ses États membres. « En d’autres termes, pour 1 heure de journal d’information diffusée sur les radios et télévisions nationales étudiées, 1 minute et 48 secondes concerne l’UE et son actualité. »

La situation indigente est particulièrement problématique : les chaînes TV du service public (France 24, Arte et, dans une moindre mesure, France 2) sont certes légèrement plus avancées mais les stations de Radio France sont à la traîne, tout comme les radios privées et les chaînes d’info en continue privées (BFM-TV, CNews et LCI) consacrent seulement 2,5 % du temps d’antenne étudié aux affaires européennes.

Les journaux télévisés traditionnels, au cœur de l’information des Français, consacrent en moyenne 3,4 % de leur temps d’antenne à l’UE, un résultat qui chute à 1,9 % si l’on excepte Arte. Le JT le plus regardé de France sur TF1 consacre 1,7 % du 20H à l’actualité de l’UE.

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Les acteurs de la politique européenne disposent d’une visibilité restreinte et dominée par Jean-Claude Juncker qui totalise 55 prises de parole, dont 35 dans les JT traditionnels. Aucune personnalité européenne ne totalise plus de 10 interventions sur les chaînes généralistes.

Brexit (55%) et migrations (15%) sont au premier plan de l’actualité européenne tandis que les compétences de l’UE sont quasi absentes, ainsi de la politique commerciale (4 %) dégageant ainsi une approche similaire dans la répartition des thématiques de l’actualité européenne dans les médias audiovisuels.

Des propositions concrètes pour faire de la vie politique européenne une composante du débat public national : proximité, politisation et acculturation

Proximité : connecter les vies publiques nationale et européenne

Puisque l’actualité française dirige et oriente la lecture de l’actualité européenne, comment réduire les barrières qui séparent les espaces publics hexagonal et européen ?

Afin de renforcer les liens entre les vies politiques nationale et européenne, il conviendrait d’assurer davantage de proximité, ce qui veut dire pour toutes les rédactions que le défi est triple :

  • Réaliser la transition d’une approche « comparative » entre les différents États membres de l’UE vers une ligne éditoriale « collective » des enjeux européens en vue de renforcer le suivi du jeu politique de l’UE ;
  • Assurer une couverture renforcée, dans la durée, des enjeux européens les plus clivants – commerce international, écologie, sécurité – en France pour assurer la transparence des processus en cours ainsi que la pédagogie sur les enjeux ;
  • Renforcer leur couverture des affaires européennes avec davantage de correspondants permanents auprès des institutions européennes notamment pour résorber les difficultés à construire un narratif médiatique autour de l’actualité parlementaire européenne.

Au total, l’information sur l’UE gagnera en efficacité si les rédactions généralistes sont en mesure de couvrir dans la durée les dimensions de la vie publique européenne notamment les plus sensibles dans l’opinion publique française, en s’intéressant au fond des sujets bien en amont des annonces officielles.

Politisation : incarner et scénariser la vie politique européenne en France dans les médias audiovisuels

Puisque la vie politique européenne est encore balbutiante d’un point de vue national, comment renforcer la présence de l’actualité européenne dans la vie politique française et entretenir un débat national sur l’activité européenne ?

Afin d’augmenter et d’améliorer la couverture de l’actualité européenne en France dans les médias audiovisuels, il s’agit de davantage scénariser la vie politique européenne en France :

  • Instituer des temps dédiés aux questions européennes dans l’agenda politique français, renforçant sensiblement la mise au débat de ces enjeux tout au long du cycle législatif européen – annonce de la Commission, passage au Parlement puis au Conseil, bien au-delà des seuls temps de crises scénarisés au Conseil européen ;
  • Appuyer la démocratisation des affaires européennes par la génération régulière d’images et de verbatims où ces enjeux peuvent prendre vie, amenant ainsi les Français à mieux positionner les clivages qui tendent le débat politique européen ;
  • Assurer la tenue de débats parlementaires plus réguliers, dont l’issue serait déterminante sur la position défendue par les autorités françaises au sein de l’UE par la mise en débat en amont de leur adoption des sujets européens ainsi que par l’implication déterminante de l’exécutif français, facteur clé de la dynamique médiatique.

En particulier, la volonté d’initier un narratif politique européen est certes à mettre au crédit de la Commission Juncker mais le récit construit à Bruxelles par l’exécutif manque significativement de relais nationaux. Si les commissaires – et notamment le commissaire national – ont bien un rôle médiatique, leur temps et leurs ressources sont limités. La parole de la Commission européenne devrait non seulement être fortement incarnée, mais surtout le soutien à cette parole politique sur le sol national doit constituer un axe de travail majeur.

Acculturation : sensibiliser l’écosystème des acteurs du débat public à l’information sur l’UE

Puisque l’écosystème du débat public, qui lie médias, institutions, responsables politiques et société civile doit renforcer ses interconnexions avec la vie politique européenne, comment assurer formation et pédagogie pour l’information européenne ?

Afin de renforcer la sensibilisation de ses acteurs clés au fonctionnement de l’UE et à l’importance de la couverture des affaires européennes, il s’agirait de changer la donne dans les rédactions :

  • Mettre en place pour les acteurs du secteur médiatique un moyen de suivi chiffré des thématiques traitées par les principaux médias télévisés français afin de pouvoir identifier les biais qui affectent la couverture des affaires européennes ;
  • Changer le paradigme européen dans les rédactions : renverser la hiérarchie des priorités éditoriales afin d’assurer la couverture dans la durée des affaires institutionnelles de l’UE, relever l’ambition éditoriale sans présumé des connaissances supposées de leur audience sur les enjeux européens sachant qu’on n’intéressera jamais les Français au fonctionnement de l’UE en entrant dans le sujet par le volet institutionnel afin de ne plus laisser l’Europe en queue de pelotons des éléments à traiter dans les émissions des médias généralistes ;
  • Renforcer la formation des journalistes, dès le niveau universitaire, sur le plan des affaires européennes, notamment en direction de la presse quotidienne régionale. Un référencement des enseignements dispensés dans les différentes structures de formation constituerait un premier progrès significatif.

Au total, renforcer l’acculturation aux questions européennes de l’écosystème politique, institutionnel et médiatique permettra de renforcer l’interconnexion entre la vie publique européenne et nationale.

L’indigence de l’information européenne dans les médias audiovisuels en France n’est pas une fatalité, mais au-delà de la prise de conscience nécessaire, il est indispensable de faire de la vie politique européenne une composante normale du débat public national.

Stratégie de communication européenne : vers un tournant délibératif ?

Après le « tournant participatif » sous l’ère Wallström, le think tank interne au Parlement européen publie parmi son « Global Trendometer 2019 » autour de tendances globales, dont « European democracy 4.0: Towards a deliberative anticipatory democracy? ». Sommes-nous au seuil d’un nouveau tournant, dorénavant délibératif dans la stratégie de communication de communication de l’Union européenne ?

Une aspiration croissante à revitaliser la démocratie représentative et à rajeunir la démocratie avec une participation au niveau européen

L’optimisme initial de la « démocratie numérique » s’est estompé avec la polarisation extrême, la désinformation et la manipulation. Les citoyens semblent déçus des formes de participation actuelles, principalement en ligne et frustrés par le manque de moyens de le faire.

Pourtant des innovations visant à accroître la participation des citoyens à la prise de décisions politiques prospèrent pour rendre la démocratie représentative plus transparente et plus réactive. Le point de vue émergent qu’une participation significative va de pair avec une délibération approfondie progresse.

Certes, la démocratie directe présente des vulnérabilités bien connues. La manipulation des référendums est une préoccupation, en particulier de la part d’acteurs étrangers ou d’intérêts particuliers. Les électeurs peuvent être mal informés. On s’inquiète également de la « tyrannie de la majorité » et des incitations insuffisantes au compromis ou à la coopération. En d’autres termes, la participation directe n’est pas une vertu en soi; elle a besoin de garanties et de cadres.

Mais, la démocratie participative met l’accent sur l’implication du citoyen dans la vie politique, conscients que la prise de décision ne se limite pas à l’agrégation des voix, mais au débat public et à l’argumentation raisonnée.

Des innovations de « démocratie délibérative » autour de la qualité de l’engagement

La délibération – où les décisions sont finalisées à l’issue d’un processus qui permet aux citoyens de discuter de leurs préoccupations politiques – se déroule dans des enceintes soigneusement planifiées, souvent désignées comme des « mini-publics « : « jurys de citoyens », « sondages délibératifs », « conférences de consensus »…

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Le modèle des assemblées de citoyens attire l’attention en raison de ses qualités délibératives : les participants aux mini-publics délibératifs sont choisis par tirage au sort. La sélection aléatoire vise à garantir une participation représentative par sexe, âge, origine géographique et situation économique. les citoyens étudient et délibèrent pendant plusieurs jours sur une question. Des modérateurs qualifiés facilitent leur travail, en collaboration avec des experts indépendants. En conclusion, le panel communique sa recommandation aux électeurs.

Le « tournant délibératif » est désormais une tendance et, parmi le public, le chemin le plus populaire vers le rajeunissement démocratique. Les évaluations des expériences menées jusqu’à présent sont nuancées. Ces formats consomment du temps et des ressources tant pour les citoyens que pour l’autorité organisatrice. Néanmoins, les citoyens ont la capacité d’engager des délibérations productives, en particulier lorsqu’ils sont facilités par le soutien d’experts. La délibération facilite les changements d’opinion des panélistes, les électeurs trouvent les recommandations utiles et les connaissances sur l’initiative donnée augmentent.

En revanche, indépendamment de leur échelle limitée et de leur pérennité dans le temps, les mini-publics présentent des faiblesses. Des problèmes de pouvoir et de domination surviennent également dans les arènes délibératives et il existe un risque d’instrumentalisation par des acteurs extérieurs. Ils peuvent également exiger des niveaux de participation populaire irréalistes.

De la participation des citoyens au niveau de l’Union européenne

La participation directe des citoyens au système politique européen prend différentes formes : pétition au Parlement européen, plaintes auprès du médiateur, consultations publiques, etc. Aujourd’hui, l’outil participatif phare est l’initiative citoyenne européenne récemment réformée, de même que les dialogues avec les citoyens organisés par la Commission européenne, les consultations des citoyens européens menées à travers l’Europe en 2018 se rapprochent le plus des idéaux délibératifs.

Malgré ces initiatives, le système politique européen continue d’être perçu comme éloigné des préoccupations des citoyens. Seules 4 propositions d’initiative citoyenne européenne n’ont abouti sur aucune nouvelle législation. Les pétitions sont largement inconnues des citoyens. Les dialogues avec les citoyens ne sont pas suffisamment interactifs et l’auto-sélection des participants conduit à une représentation biaisée des citoyens. De plus, la plupart des mécanismes participatifs de l’UE sont basés sur la participation en ligne, ce qui n’est pas propice à un véritable dialogue.

L’UE a tenté de renforcer la participation des citoyens à l’élaboration des politiques, mais la contribution des citoyens est limitée à la phase consultative, limitée aux questions relevant directement de la compétence de l’Union européenne, et il n’y a guère d’incitation à une participation proactive.

Délibérer sur l’avenir des citoyens européens

Les efforts de l’UE ne comportent pas l’élément délibératif qui constitue la principale tendance actuelle de l’innovation démocratique. Des propositions d’institutionnalisation des mini-publics délibératifs au niveau européen et dans toute l’Europe ont été lancées.

Une proposition consiste à créer une Assemblée populaire européenne, composée de citoyens choisis au hasard dans toute l’Union. Les institutions de l’UE seraient tenues d’examiner les recommandations de l’Assemblée. On pourrait même lui accorder un droit de veto.

Une autre suggestion concerne la création d’un organisme citoyen spécifique lié au Parlement européen. Une partie des sièges au Parlement serait réservée à des citoyens choisis au hasard, qui pourraient examiner la législation, engager des débats, présenter des propositions et interagir avec des membres du Parlement sur des questions à long terme. De telles suggestions ne sont pas entrées dans le détail.

La légitimité démocratique découle à la fois des processus et des résultats. Les efforts déployés jusqu’à présent se sont concentrés sur l’amélioration de la participation des citoyens aux processus institutionnels au niveau européen, plutôt que sur la connexion des préoccupations des citoyens aux défis politiques auxquels l’Union européenne est confrontée.

Puisque la plus grande force de la démocratie est son auto-correction et son questionnement sans fin, il ne devrait pas y avoir de meilleur endroit que les institutions démocratiques pour exploiter l’intelligence collective, donner une caisse de résonance aux voix dissidentes et aux nouvelles idées, et trouver des compromis durables – y compris entre les générations.

Au total, démentir le spectre du « déficit démocratique » de l’Union européenne passe par un tournant délibératif y compris aux pensées provocatrices afin de dessiner les contours d’une démocratie européenne d’anticipation.