Archives mensuelles : février 2025

Retour de Trump : comment porter une parole européenne à la hauteur ?

Dis-le sans détour, la réponse des leaders européens au retour de Trump au pouvoir n’est pas à la hauteur. Globalement inaudible, cette parole est faible, à la fois sur le plan stratégique en termes de messages et faible dans sa formulation, au-delà des classiques catalogues de bonnes intentions, de vœux pieux et de « valeurs ». Alors, est-ce une fatalité ?

Le déficit de légitimité électorale

Une première hypothèse vient de la différence de légitimité entre le résultat d’un scrutin massif aux Etats-Unis avec le succès du vote populaire et du scrutin dans tous les États fédérés tandis que les leaders européens ne sont pas élus directement par les citoyens et que les principaux exécutifs en Europe sont très affaiblis, que l’on songe seulement au couple franco-allemand actuellement.

Le leadership européen gagnerait clairement de se voir confier un mandat sans équivoque, à l’issue d’une campagne pan-européenne permettant de confronter les programmes et de sanctionner la décision par le vote populaire. Le fait est que même la tête de la liste pour la présidence de la Commission européenne Ursula von der Leyen ne se soit pas présentée sur une liste en Allemagne renforce le fossé entre le peuple et les élites.

La légitimité électorale est un puissant vecteur de mobilisation, d’incarnation et de légitimation. La prochaine révision des traités européens devrait permettre d’avancer en ce sens pour nous permettre de présenter des leaders plus légitimes sur la scène européenne et internationale.

La fausse problématique « juridique »

Dans le cadre des traités actuels, la répartition des rôles entre les leaders européens – quoiqu’elle ait permis de renforcer la place du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité – ne semble pas à l’usage pleinement satisfaisante. Le « couple » composé par Charles Michel au Conseil européen et Ursula von der Leyen à la Commission européenne s’est montré particulièrement disfonctionnel lors de la mandature précédente en raison des velléités d’influence internationale de la présidente de la Commission européenne qui ne correspond pas à ses responsabilités « juridiquement définies » tandis que le président du Conseil européen ne se dérangeait pas pour organiser ses propres initiatives diplomatiques en solitaire.

Il ne s’agit pas seulement d’une querelle de personnes, mais d’une problématique de représentation et de capacité d’influence sur la scène internationale. Là encore, la représentation exclusive de l’Union européenne à l’échelle des chefs d’État et de gouvernement devrait être réinterrogé pour trouver une solution de long terme satisfaisante, susceptible de définitivement répondre à la question du Secrétaire d’Etat Henry Kissinger : « l’Europe, quel numéro de téléphone ? ».

La vraie fracture politique

A ce stade, les prises de parole des dirigeants européens ne peuvent que conduire au sentiment des opinions européennes de se sentir incroyablement faible voir faiblement représentés sur la scène internationale, alors même que le moment est charnière, au début de mandat à la fois du côté de la nouvelle équipe européenne composée de l’ancien Premier ministre portugais, António Costa et de la reconduite von der Leyen face à Trump.

Nos leaders européens semblent porter une trop forte focale « politicienne » sur la vie politique bruxelloise, à courte vue, liée aux procédures de confirmation du président de la Commission devant le Parlement européen suivi des auditions des Commissaires ayant occupé l’agenda pendant quasiment 6 mois à négocier des intentions qui se fracassent en partie contre la nouvelle réalité d’une seconde présidence Trump.

Le nouveau logiciel

Mais le plus grave, c’est que les leaders européens ne semblent pas percevoir le changement d’époque. Ils sont rattrapés par de nouvelles idéologies venues d’Amérique du Nord et du Sud avec Javier Milei en Argentine qui font soufflés un nouveau vent très orthogonal avec le modèle européen. Ces évolutions « idéologiques » vertigineuses combinent de nouvelle forme de techno-césarisme et de libertarianisme anti-étatiste… porté notamment par Elon Musk et quelques autres quasi-oligarques issus de la Silicone Valley. Ce n’est rien de moins qu’à nouvelle forme de néocolonialisme qui se projettent avec des comptoirs dans l’économie globale, des conquêtes technologique (Mars, IA, biotech, cryptomonnaie…) auxquelles nous assistons. Et face à cette sorte d’accélération réactionnaire, quelle est la réponse européenne ?

Nos leaders européens semblent incapables de sortir de nos modes de pensée social-démocrate face à des programmes basé sur la force, la puissance brutale et le révisionnisme. Ce n’est plus seulement de naïveté dont ils peuvent être accusés, c’est d’une incapacité à comprendre, anticiper, croire ce qui est annoncé, et surtout voir ce qui est sous nos yeux.

Cette remise en cause de l’ordre international que la logique des alliances tant par des empires que par les Etats-Unis devraient être le moment de se hisser à la hauteur des événements, comment des nains juchés sur les épaules de géants. Nous ne pouvons pas nous contenter de passer du narratif américain de la « mondialisation heureuse » à la « vassalisation heureuse » qui nous intimes de nous soumettre au nouvel hégémon.

Le temps du « soul-seaching » ne peut pas durer, c’est le moment de prendre nos responsabilités devant l’histoire.

Rapport Letta : quelle stratégie de communication afin de passer de la vision à l’action pour un marché unique européen ?

Le rapport « Much More Than a Market » d’Enrico Letta propose une vision ambitieuse pour l’avenir de son marché unique afin de renforcer la résilience, la compétitivité et la dimension sociale du marché européen face aux défis mondiaux. Comment une campagne stratégique, communicationnelle et opérationnelle visant à transformer une vision stratégique en une réalité tangible est essentielle pour contribuer à la mise en œuvre des recommandations du rapport Letta ?

Définition des messages clés autour d’actions concrètes auprès de publics cibles

Conceptualiser la 5e liberté afin de renforcer l’adhésion des parties prenantes et du grand public. La Commission européenne devrait concevoir un concept de communication pour articuler le concept de la « 5e liberté« , axé sur la recherche, l’innovation, la connaissance et l’éducation avec des messages développés autour des avantages de cette liberté : une liberté pour la vie immatérielle, à l’ère des nouvelles technologies.

Construire une plateforme de communication financière, avec la mobilisation des milieux financiers, autour des bénéfices économiques et environnementaux de l’union de l’épargne et des investissements, essentielle pour financer les objectifs ambitieux de l’UE, dans les transitions afin d’attirer des investissements tant internes qu’externes. Sans le financement des investissements grâce à l’épargne des Européens, tous les tenants et les aboutissants du marché unique ne pourront tenir.

Mobilisation politique et participation citoyenne

Le rapport exhorte le Conseil européen à jouer un rôle moteur dans la revitalisation du marché unique. Pour cela, il est crucial que le Conseil mandate la Commission européenne pour élaborer une stratégie détaillée. Cette stratégie doit inclure des actions concrètes visant à éliminer les barrières, encourager la consolidation dans les secteurs clés et améliorer la compétitivité mondiale du marché unique. Une communication claire sur ces objectifs renforcera le soutien politique nécessaire pour obtenir un accord rapide entre le Conseil de l’UE et le Parlement européen.

Le Parlement européen est invité à s’engager activement dans la mise en place du nouveau cadre pour le marché unique. Cela implique un travail parlementaire approfondi et une analyse d’impact rigoureuse pour garantir que le cadre respecte les valeurs démocratiques et répond aux besoins évolutifs des citoyens européens. Une démarche de sensibilisation auprès des parlementaires pourrait faciliter cet engagement.

La création d’une Conférence permanente des citoyens offrirait une plateforme continue pour l’engagement citoyen. Inspirée par le succès de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, cette initiative garantirait que le développement du marché unique reste ancré dans les besoins et aspirations du public. Des campagnes médiatiques et des outils numériques interactifs pourraient être utilisés pour maximiser la participation citoyenne. Selon Enrico Letta, « la Conférence permanente des citoyens pourrait produire des recommandations sur la manière de mettre en oeuvre le rapport, en fournissant une perpective précieuse, certainement plus large et mieux fondée. (…) Aucun progrès réel ne sera possible, compris et accepté par nos opinions publiques sans la participation active et l’engagement véritable des citoyens européens ».

Construction d’une vision partagée et appropriation collective

L’implication active des partenaires sociaux et des parties prenantes comme les représentants des entreprises et de la société civile est essentielle pour garantir que le nouveau cadre du marché unique soit inclusif et pratique. Des forums de discussion et des consultations régulières peuvent favoriser une collaboration fructueuse et une appropriation collective des réformes.

Le succès du rapport repose sur une communication efficace de sa vision et de ses recommandations auprès du grand public. Il est impératif de développer un récit clair et accessible expliquant les bénéfices d’un marché unique revitalisé et son rôle dans la résolution des défis sociétaux. Des campagnes de sensibilisation multicanales, incluant les médias traditionnels et numériques, peuvent contribuer à bâtir un soutien public solide le plus tôt possible.

La fenêtre d’opportunité pour revitaliser le marché unique est limitée, une action décisive et un engagement collectif sont essentiels pour traduire la vision du rapport en améliorations tangibles profitant à tous les citoyens et entreprises européens. Une stratégie de communication conçue et exécutée avec succès jouera un rôle crucial.