Archives mensuelles : février 2025

Face à Trump, l’Europe à l’heure Draghi : un manifeste, un récit, une bataille pour l’âme du continent européen

Mario Draghi n’a pas simplement livré un rapport sur la compétitivité de l’Europe, il a sonné le tocsin. De passage à Bruxelles devant le Parlement européen, il a livré une sorte de manifeste. Ce n’est pas une énième note de conjoncture, mais un appel à la mobilisation générale. Face à la tempête Trumpiste et à la montée en puissance des blocs sino-américains, l’Europe est sommée de se réinventer « il est de plus en plus évident que nous devons agir comme si nous étions un seul État » ou sinon de sombrer dans la marginalisation. Le diagnostic est implacable : retard technologique abyssal, facture énergétique exsangue, paralysie décisionnelle. Mais le remède, aussi audacieux soit-il, reste lettre morte sans un ingrédient crucial : une campagne de communication de rupture, capable de transformer un manifeste d’experts en un cri de ralliement populaire.

Un récit européen puissant et incarné à partir des piliers du message Draghi : urgence, unité et optimisme

Il ne s’agit plus de « communiquer l’Europe », mais de faire vibrer l’Europe dans le cœur des citoyens.

Il faut dépasser la logique des messages clés, ces éléments de langage qui circulent sur les plateaux radio et TV. Il convient de tisser un récit européen de la Renaissance. Les « messages clés » sont nécessaires, mais insuffisants. L’urgence, l’unité, l’optimisme doivent être les fils conducteurs d’une narration européenne de la renaissance. Il s’agit de raconter l’histoire d’une Europe qui se relève, qui ose, qui innove, qui protège. Une Europe qui, face aux défis, redécouvre sa force collective et son génie propre.

L’urgence impérieuse d’agir : le temps des choix courageux. Ne pas se contenter de déplorer le « retard technologique ». Mettre en scène la course contre la montre, le risque de décrochage irréversible. Utiliser des métaphores visuelles fortes : l’Europe comme un train en retard sur le quai, la frontière technologique qui s’éloigne comme une ligne d’horizon inaccessible. Insister sur le coût de l’inaction : perte d’emplois, dépendance accrue, affaiblissement de notre modèle social. L’urgence n’est pas un slogan, c’est une réalité palpable.

L’unité refondatrice comme impératif : plus qu’un marché, une destinée commune. L’unité ne doit pas être perçue comme une contrainte technocratique, mais comme un levier de puissance. Expliquer concrètement les bénéfices de l’harmonisation réglementaire, de l’union des marchés de capitaux pour le financement de l’économie, de l’innovation, de nos modèles sociaux, des nouvelles dépenses pour le climat, la défense, les technologies de rupture. Illustrer par des exemples concrets de PME et de laboratoires de recherche. L’unité, c’est la force multipliée, c’est la capacité à peser dans un monde de blocs.

L’optimisme volontariste comme carburant : réveiller la flamme européenne. L’optimisme ne doit pas être naïf, mais combatif. Rappeler les atouts de l’Europe : sa créativité, sa diversité, son modèle social unique, sa tradition démocratique. Mettre en avant les success stories européennes, les entreprises qui réussissent, les innovations qui émergent. L’optimisme, c’est la conviction que l’Europe a les cartes en main pour écrire son propre avenir, à condition de le vouloir.

Une stratégie de communication en rupture

Pour les citoyens, c’est l’Europe du quotidien, l’Europe qui protège. Dépasser les vidéos avec des animations génériques. Tisser des témoignages de citoyens européens qui bénéficient concrètement de l’action européenne dans leurs transformations. Exploiter TikTok et Instagram de manière plus créative : micro-documentaires percutants, challenges ludiques autour de l’innovation européenne, formats interactifs (Q&A avec des experts, sondages en direct). Ne pas négliger les médias locaux et régionaux, vecteurs essentiels de proximité. Imaginer des événements participatifs : « villages de l’innovation européenne » dans les grandes villes, consultations citoyennes en ligne, concours d’idées pour l’avenir de l’Europe.

Pour les décideurs politiques, c’est l’appel à la responsabilité pour un vrai leadership européen. Les « sommets médiatisés » sont utiles, mais il faut bien entendu les théâtraliser, leur donner une dimension symbolique forte. Mais, il faut surtout des décisions fortes, à la hauteur des enjeux, avec une mise en scène qui saisit le moment historique : discours inspirants, annonces concrètes, engagements solennels. Organiser des débats contradictoires pour stimuler la réflexion et contrer les narratifs eurosceptiques. Ne pas hésiter à interpeller directement les leaders nationaux, à les mettre face à leurs responsabilités historiques.

Pour les entreprises et les investisseurs, c’est la clé de la compétitivité retrouvée, le terrain des opportunités. La communication doit être dynamique, interactive, personnalisée. Ne pas se contenter de « recenser les opportunités », mais mettre en récit les success stories, démontrer la rentabilité de l’investissement européen, faciliter la mise en relation entre investisseurs et entreprises innovantes. Utiliser LinkedIn de manière ciblée : groupes thématiques, contenus experts, webinaires interactifs avec des PDG européens, témoignages d’investisseurs convaincus. Organiser des événements sectoriels : forums de l’innovation, « European Tech Days », « Green Business Summits ». Créer un label « Invest in Europe » pour valoriser les entreprises engagées dans la compétitivité européenne.

Un volontarisme pour surmonter les défis

Localiser sans fragmenter, c’est le temps venu de l’Europe des territoires. Adapter les messages aux contextes locaux en veillant à ne pas diluer le récit européen commun. Mettre en avant les spécificités locales comme des atouts de la diversité européenne. Valoriser les « champions régionaux », les entreprises qui incarnent l’innovation locale et qui contribuent à la compétitivité européenne globale. Organiser des campagnes de communication décentralisées, impliquant les acteurs locaux (régions, villes, associations). Traduire les messages clés dans toutes les langues européennes, en tenant compte des nuances culturelles.

Impliquer les parlements nationaux, c’est le cœur du débat démocratique, la source de légitimité. Organiser des consultations parlementaires nationales sur le manifeste Draghi, des auditions publiques avec des experts et des citoyens. Créer un « Forum parlementaire européen » dédié à la compétitivité, permettant aux parlementaires nationaux d’échanger, de débattre, de co-construire des solutions. Faire des parlements nationaux des relais de la campagne de communication, en les dotant d’outils et de ressources spécifiques.

Mesurer l’impact avec un baromètre de suivi de l’opinion, un tableau de bord de l’engagement. Le suivi en temps réel de l’engagement sur les réseaux, des sondages d’opinion, de la participation citoyenne est indispensable. Mais il faut aller au-delà des simples « métriques ». Développer un « Baromètre de la confiance européenne », mesurant la perception de l’UE, l’adhésion aux valeurs européennes, l’optimisme quant à l’avenir. Créer un « tableau de bord de la compétitivité européenne », combinant des indicateurs économiques, sociaux et environnementaux, pour visualiser les progrès et les défis. Communiquer régulièrement sur les résultats, de manière transparente et accessible.

L’heure de l’action narrative, une bataille narrative pour l’âme de l’Europe

Avec le manifeste Draghi, le récit doit devenir une action. La campagne de communication ne doit pas être une simple opération de marketing politique, mais un catalyseur de changement. Elle doit inspirer l’action, mobiliser les énergies, créer un mouvement européen pour la compétitivité et la souveraineté.

L’Europe a besoin d’un « récit-action », d’une nouvelle narration de rupture qui se traduit en initiatives concrètes, en politiques publiques audacieuses, en engagements citoyens forts pour raconter ensemble, agir ensemble. C’est une bataille narrative contre le désordre Trump, pour l’âme de l’Europe.

Campagne sur le Rapport Draghi : comment communiquer pour une Europe compétitive ?

Le rapport Draghi « Compétitivité de l’UE : Perspectives d’avenir » arrive à un moment charnière alors que les tensions géopolitiques, les disruptions technologiques et les impératifs climatiques redéfinissent les dynamiques mondiales, l’Europe fait face à un choix existentiel : s’adapter ou stagner. Comment traduire les recommandations en récits actionnables visant à ancrer la compétitivité comme priorité unificatrice de l’UE et à mobiliser toutes les parties prenantes ? Comment relier innovation, durabilité et sécurité, tout en répondant à la fragmentation, au scepticisme et à l’inertie ? Pour y parvenir, une stratégie de communication viserait à la construction de consensus autour des réformes, l’adoption effective des politiques par les États-membres, et l’engagement actif des citoyens et des acteurs économiques…

Un cadre stratégique

Première démarche en termes de communication, développer les arguments démontrant que le rapport Draghi s’articule autour des grandes priorités européennes, en proposant une feuille de route pour les concrétiser. Le « Pacte vert européen » y est présenté non comme une contrainte, mais comme un levier de création d’emplois et de leadership industriel, notamment dans les secteurs des énergies renouvelables et de l’économie circulaire. La « Décennie numérique » est réinterprétée à travers les technologies d’avenir (intelligence artificielle, calcul quantique), érigées en piliers de la résilience économique face aux géants américains et chinois. L’« autonomie stratégique » prend corps dans la réduction des dépendances critiques, comme les semi-conducteurs ou les matières premières, afin de sécuriser les chaînes d’approvisionnement. Enfin, l’« économie sociale de marché » trouve un équilibre renouvelé entre compétitivité et équité, grâce à des mesures d’apprentissage continu et de soutien aux PME, garantes d’une croissance inclusive.

Deuxième étape, construire des récits fondateurs qui viennent raconter les points clés de la démonstration et de la feuille de route spécifique au rapport Draghi :

  1. « Innover pour leader » : Ce récit met en lumière la nécessité pour l’Europe de combler son retard en matière d’innovation. En soutenant les technologies disruptives (IA, biotechnologies) et en accélérant la maturation des start-ups, le continent peut transformer ses laboratoires en moteurs économiques. Le slogan « Du laboratoire au marché : libérer le potentiel inexploité de l’Europe » incarne cette ambition.
  2. « Croissance verte, leadership global » : Loin d’être un fardeau, la décarbonation devient le fer de lance d’une renaissance industrielle. En dominant les technologies propres (éolien offshore, hydrogène vert), l’Europe peut concilier transition écologique et souveraineté énergétique, résumée par le mot d’ordre « L’action climatique comme renaissance industrielle de l’Europe ».
  3. « Unis dans la sécurité » : C’est l’urgence de réduire nos dépendances stratégiques et de renforcer nos capacités de défense en protégeant les infrastructures critiques et en investissant dans l’industrie militaire européenne, le récit « Souveraineté stratégique : protéger nos valeurs, sécuriser notre avenir » répond aux craintes géopolitiques.
  4. « Productivité pour la prospérité » : Face au vieillissement démographique, il faut la montée en compétences, la numérisation des services et l’approfondissement du marché unique. Le slogan « Autonomiser les citoyens, dynamiser la croissance » traduit une vision où chaque Européen devient acteur de la compétitivité.

Une stratégie de moyens entre innovation et co-création

Outre les médias traditionnels (tribunes, briefings presse) pour toucher les parties prenantes déjà engagées, de nouvelles actions de communication pourraient toucher les jeunes et les citoyens éloignés des cercles institutionnels, avec des débats en direct sur Twitch ou YouTube organisés en associant des figures européennes à des influenceurs ou des entrepreneurs pour stimuler des échanges intergénérationnels.

Comme les réseaux sociaux évoluent dans le contexte géopolitique, l’engagement pourrait se faire sur des plateformes décentralisées comme Bluesky ou Mastodon. Sur Discord, des « Quêtes de compétitivité » pourraient inviter à résoudre des défis virtuels avec des récompenses symboliques, des visites de sites innovants, des rencontres avec des experts européens.

Les sommets traditionnels pourraient être remplacés par des « non-conférences » hybrides, tant des hubs physiques accueillant citoyens, PME et ONG, que des ateliers virtuels permettant une participation plus large autour d’agendas co-créés en temps réel avec des votes en ligne et des experts chargés de transformer les idées en propositions politiques.

Des outils interactifs pourraient renforcer interaction et hyper-localisation, par exemple, un tableau de bord en temps réel « Pulsation de la compétitivité »afficherait les indicateurs clés (brevets déposés, investissements VC), permettant aux utilisateurs de simuler des scénarios (« Que se passe-t-il si le budget R&D double ? ») ou encore un simulateur de politiques alimenté par l’IA pour que les citoyens endossent le rôle de décideurs européens, arbitrant entre défense et transition verte, avec les conséquences sur l’investissement et le financement dans l’économie.

Pour passer de la consultation à l’activation des parties prenantes, au-delà des engagements symboliques comme des « Pactes de compétitivité » pour les entreprises qui s’engagent publiquement à des objectifs mesurables, avec un suivi transparent et des subventions conditionnées aux résultats. De même, les citoyens pourraient passer de spectateurs à décideurs grâce à des budgets participatifs lors de streams Twitch animés par des influenceurs, ils voteraient pour financer des projets emblématiques, tout en débattant des arbitrages avec des experts.

Pour éviter l’apathie, une communication décalée pourrait passer par des débats provocateurs comme « UE vs. Elon Musk » sur l’éthique de l’IA, tandis que des études transparentes (« Pourquoi l’Europe a perdu la guerre des panneaux solaires ») permettraient de restaurer la crédibilité. Des actifs open-source (visuels, données du rapport) pourraient être libérés sous licence Creative Commons, encourageant mèmes et parodies.

La compétitivité, une quête collective

Le rapport Draghi ne se résume pas à un catalogue de mesures techniques : c’est un appel à réinventer l’ambition européenne. En ancrant la compétitivité dans la culture, les territoires et les récits humains, la communication peut transformer un concept abstrait en mouvement populaire. L’Europe y incarne un nouveau modèle de leadership – agile, inclusif, audacieux – où la diversité des nations devient une force face aux incertitudes globales.

Le temps n’est plus aux diagnostics, mais à l’action, l’avenir de la compétitivité européenne s’écrit dès maintenant, tous ensemble.

Retour de Trump : comment porter une parole européenne à la hauteur ?

Dis-le sans détour, la réponse des leaders européens au retour de Trump au pouvoir n’est pas à la hauteur. Globalement inaudible, cette parole est faible, à la fois sur le plan stratégique en termes de messages et faible dans sa formulation, au-delà des classiques catalogues de bonnes intentions, de vœux pieux et de « valeurs ». Alors, est-ce une fatalité ?

Le déficit de légitimité électorale

Une première hypothèse vient de la différence de légitimité entre le résultat d’un scrutin massif aux Etats-Unis avec le succès du vote populaire et du scrutin dans tous les États fédérés tandis que les leaders européens ne sont pas élus directement par les citoyens et que les principaux exécutifs en Europe sont très affaiblis, que l’on songe seulement au couple franco-allemand actuellement.

Le leadership européen gagnerait clairement de se voir confier un mandat sans équivoque, à l’issue d’une campagne pan-européenne permettant de confronter les programmes et de sanctionner la décision par le vote populaire. Le fait est que même la tête de la liste pour la présidence de la Commission européenne Ursula von der Leyen ne se soit pas présentée sur une liste en Allemagne renforce le fossé entre le peuple et les élites.

La légitimité électorale est un puissant vecteur de mobilisation, d’incarnation et de légitimation. La prochaine révision des traités européens devrait permettre d’avancer en ce sens pour nous permettre de présenter des leaders plus légitimes sur la scène européenne et internationale.

La fausse problématique « juridique »

Dans le cadre des traités actuels, la répartition des rôles entre les leaders européens – quoiqu’elle ait permis de renforcer la place du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité – ne semble pas à l’usage pleinement satisfaisante. Le « couple » composé par Charles Michel au Conseil européen et Ursula von der Leyen à la Commission européenne s’est montré particulièrement disfonctionnel lors de la mandature précédente en raison des velléités d’influence internationale de la présidente de la Commission européenne qui ne correspond pas à ses responsabilités « juridiquement définies » tandis que le président du Conseil européen ne se dérangeait pas pour organiser ses propres initiatives diplomatiques en solitaire.

Il ne s’agit pas seulement d’une querelle de personnes, mais d’une problématique de représentation et de capacité d’influence sur la scène internationale. Là encore, la représentation exclusive de l’Union européenne à l’échelle des chefs d’État et de gouvernement devrait être réinterrogé pour trouver une solution de long terme satisfaisante, susceptible de définitivement répondre à la question du Secrétaire d’Etat Henry Kissinger : « l’Europe, quel numéro de téléphone ? ».

La vraie fracture politique

A ce stade, les prises de parole des dirigeants européens ne peuvent que conduire au sentiment des opinions européennes de se sentir incroyablement faible voir faiblement représentés sur la scène internationale, alors même que le moment est charnière, au début de mandat à la fois du côté de la nouvelle équipe européenne composée de l’ancien Premier ministre portugais, António Costa et de la reconduite von der Leyen face à Trump.

Nos leaders européens semblent porter une trop forte focale « politicienne » sur la vie politique bruxelloise, à courte vue, liée aux procédures de confirmation du président de la Commission devant le Parlement européen suivi des auditions des Commissaires ayant occupé l’agenda pendant quasiment 6 mois à négocier des intentions qui se fracassent en partie contre la nouvelle réalité d’une seconde présidence Trump.

Le nouveau logiciel

Mais le plus grave, c’est que les leaders européens ne semblent pas percevoir le changement d’époque. Ils sont rattrapés par de nouvelles idéologies venues d’Amérique du Nord et du Sud avec Javier Milei en Argentine qui font soufflés un nouveau vent très orthogonal avec le modèle européen. Ces évolutions « idéologiques » vertigineuses combinent de nouvelle forme de techno-césarisme et de libertarianisme anti-étatiste… porté notamment par Elon Musk et quelques autres quasi-oligarques issus de la Silicone Valley. Ce n’est rien de moins qu’à nouvelle forme de néocolonialisme qui se projettent avec des comptoirs dans l’économie globale, des conquêtes technologique (Mars, IA, biotech, cryptomonnaie…) auxquelles nous assistons. Et face à cette sorte d’accélération réactionnaire, quelle est la réponse européenne ?

Nos leaders européens semblent incapables de sortir de nos modes de pensée social-démocrate face à des programmes basé sur la force, la puissance brutale et le révisionnisme. Ce n’est plus seulement de naïveté dont ils peuvent être accusés, c’est d’une incapacité à comprendre, anticiper, croire ce qui est annoncé, et surtout voir ce qui est sous nos yeux.

Cette remise en cause de l’ordre international que la logique des alliances tant par des empires que par les Etats-Unis devraient être le moment de se hisser à la hauteur des événements, comment des nains juchés sur les épaules de géants. Nous ne pouvons pas nous contenter de passer du narratif américain de la « mondialisation heureuse » à la « vassalisation heureuse » qui nous intimes de nous soumettre au nouvel hégémon.

Le temps du « soul-seaching » ne peut pas durer, c’est le moment de prendre nos responsabilités devant l’histoire.

Rapport Letta : comment passer de la vision à l’action avec une démarche de communication stratégique pour le marché unique européen ?

Le rapport Letta intitulé « Bien plus qu’un marché » présente un programme transformateur visant à revitaliser le marché unique européen face aux turbulences géopolitiques, aux disruptions technologiques et à la rivalité économique mondiale. Son succès dépend d’une stratégie de communication capable de combler le fossé entre les recommandations politiques de haut niveau et l’adhésion concrète du public et des acteurs politiques sur le terrain. En capitalisant l’accent mis sur la « 5ème liberté » (connaissance, innovation et éducation) et les enseignements tirés d’autres initiatives européennes, quelle approche en termes de communication offre des voies d’action concrètes pour assurer sa mise en œuvre ?

I/ Repenser la « 5ème liberté » : de l’abstraction aux bénéfices concrets

L’appel du rapport Letta pour une « 5ème liberté » vise à éliminer les barrières au partage des connaissances, à la collaboration en matière de recherche et à la mobilité des talents—une vision alignée avec la promotion par l’UE d’un « Bien commun européen de la connaissance ». La communication de ce concept nécessite sa traduction en récits compréhensibles :

  • Conceptualiser la 5e liberté avec des messages développés autour des avantages de cette liberté : une liberté pour la vie immatérielle, à l’ère des nouvelles technologies.
  • Valoriser les bénéfices en termes de productivité, seule solution au déclin démographique pour l’État-providence, l’innovation fragmentée coûte à l’Europe 180 milliards d’euros par an en perte de productivité (un chiffre extrapolé de l’analyse de la BCE sur l’écart de productivité UE-États-Unis).
  • Mobiliser les plateformes existantes : Intégrer la 5ème liberté dans la « Boussole de compétitivité » de l’UE, qui priorise déjà la réduction de l’écart d’innovation et l’harmonisation des règles pour les startups.

II/ Mobiliser les parties prenantes financières : construire un récit sur l’« Union de l’épargne et des investissements »

Le rapport Letta souligne la nécessité d’un écosystème financier unifié pour financer les transitions verte et numérique. Cela s’aligne avec l’« Union de l’épargne et des investissements » qui vise à canaliser l’épargne européenne vers des secteurs stratégiques. Pour communiquer efficacement un élément clé de la réussite dans l’ensemble :

  • Cibler les investisseurs institutionnels : Développer des études de cas mettant en avant des entreprises transfrontalières réussies, comme le programme d’investissement TechEU de l’UE pour l’expansion des startups.
  • Positionner le marché unique comme une référence mondiale en matière de finance durable (RSE), en s’appuyant sur le leadership de l’UE en matière de règlementations climatiques.
  • Résorber l’aversion au risque : La BCE note que les startups de l’UE ne reçoivent que 5 % du capital-risque mondial, contre 52 % aux États-Unis. Valoriser les licornes européennes pourrait démystifier le risque et attirer des capitaux privés.

III/ Mobilisation politique : des mandats du Conseil européen, au Parlement européen et à l’engagement citoyen

Susciter un engagement politique

Le rôle du Conseil européen sera crucial. Le succès du rapport Letta dépend de la capacité du Conseil à mandater la Commission pour élaborer une stratégie contraignante pour le marché unique avec des indicateurs clés de performance clairs, afin d’éviter l’inertie bureaucratique :

  • Utiliser l’« élan du rapport Draghi » : Associer la vision de Letta à l’urgence du rapport Draghi pour des réformes structurelles, en présentant le marché unique comme une nécessité géopolitique.
  • Mobiliser des « champions » inter-institutionnels : Construire un réseau de députés européens et de ministres nationaux « Ambassadeurs du marché unique » pour promouvoir les priorités législatives comme le 28ème régime réglementaire proposé pour les startups.

Développer la participation citoyenne : au-delà du symbolique

Une « Conférence permanente des citoyens » pourrait éviter les écueils de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, qui n’est pas parvenue à obtenir une visibilité et une légitimité suffisantes pour vraiment avoir un impact sur les futures politiques publiques européennes. Comment parvenir à corriger ces limites ?

  • Partir des citoyens afin de recueillir leurs positions avant tout, en utilisant des plateformes numériques comme CitizenLab pour collecter des idées, comme sur la réduction des barrières du marché unique (par exemple, simplifier les règles de TVA).
  • Collaborer avec les municipalités pour organiser des ateliers sur l’impact des réformes du marché unique sur les PME—une tactique employée par Letta lors de sa tournée européenne incluant des échanges avec les syndicats ouvriers et patronaux ainsi que des organisations de la société civile instituée.

La création d’une Conférence permanente des citoyens offrirait une plateforme continue pour l’engagement citoyen et permettrait de rester ancré dans les besoins et aspirations du public.

Selon Enrico Letta, « la Conférence permanente des citoyens pourrait produire des recommandations sur la manière de mettre en œuvre le rapport, en fournissant une perspective précieuse, certainement plus large et mieux fondée. (…) Aucun progrès réel ne sera possible, compris et accepté par nos opinions publiques sans la participation active et l’engagement véritable des citoyens européens ».

IV/ Créer un récit unificateur : le marché unique comme « bouclier commun » de l’Europe

La vision du rapport Letta doit rivaliser avec la montée de l’euroscepticisme et des populismes, tant libertarien que techno-solutionniste. Un récit convaincant pourrait présenter le marché unique comme :

  • Un actif pour la sécurité : « Tout comme l’UE a mutualisé le charbon et l’acier pour prévenir la guerre, le marché unique d’aujourd’hui sécurise les chaînes d’approvisionnement contre les chocs géopolitiques ».
  • Un égalisateur social : Mettre en avant les initiatives de santé transfrontalières ou le principe « Once-Only » réduisant les charges administratives pour les citoyens.
  • Un leader mondial en matière de normes : Contraster le modèle réglementaire européen basé sur les valeurs (par exemple, le RGPD) avec le techno-autoritarisme américain et chinois.

V/ Surmonter les obstacles à la mise en œuvre : un retour à la réalité

Le talon d’Achille du rapport Letta est sa dépendance à l’unanimité politique, en particulier des États-membres. Les principaux obstacles à lever correspondent à :

  • Simplifier les règles européennes et réduire la fragmentation réglementaire, dans un contexte de rejet du technocratisme, 27 régimes nationaux retardent la croissance des entreprises par rapport aux États-Unis.
  • Réduire les écarts de ressources dans la recherche et l’innovation : L’UE investit 2 % de son PIB dans la R&D, loin derrière les États-Unis (3,5 %) et même la Chine (2,4 %). Un « label d’excellence » pour les régions atteignant les objectifs de R&D pourrait encourager la coo-pétition entre écosystèmes régionaux spécialisés répartis dans toute l’Europe.

Le potentiel transformateur du rapport Letta est évident, mais sa fenêtre d’impact est étroite et surtout son succès ne peut se faire sans d’une part, simplifier la complexité, en privilégiant des analogies du type « Le marché unique est le WiFi de l’Europe—invisible mais essentiel » et d’autre part, en visibilisant les indicateurs de performance, avec des tableaux de bord trimestriels accessibles à tous sur l’élimination des barrières.

Comme l’averti Enrico Letta lui-même, l’Europe fait face à une « lente agonie » de déclin sans action audacieuse. La communication doit refléter cette urgence, transformant le marché unique d’un idéal technocratique en une réalité vécue par 450 millions de citoyens.