Alors que la présidence française de l’UE (PFUE) approche à grand pas, qu’est-ce que l’on peut raisonnablement en attendre, selon Alberto Alemanno, professeur de droit et entrepreneur civique interrogé lors du séminaire inaugurale des centres de recherche de Sciences-Po ?
Des inédits en série pour un « trimestre » européen
La préparation en grande fanfare depuis plus d’un an dans la presse est assez inédite et montre que la PFUE peut faire l’objet d’un intérêt à la fois national et européen. La démonstration qu’une présidence peut être destinée à européaniser le débat public national ?
Les attentes sont également inédites tant aux niveaux national qu’européen, alors que la durée sera principalement réduite aux trois premiers mois avant les élections européennes. C’est annoncé que ce ne sera pas une présidence ordinaire. La démonstration qu’une présidence peut faire la différence et accélérer les affaires courantes ?
Des spécificités institutionnelles : influence politique et réalités institutionnelles
Alors que la France a déjà exercé 13 présidences, cette PFUE sera la première depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui a institutionnalisé la présidence permanente du Conseil européen et les trios de présidences semestrielles du Conseil de l’UE.
L’influence politique de la présidence tournante est limitée par le cadre institutionnelle et la question se pose aujourd’hui de son rôle et de ses fonctions ?
D’abord, une capacité d’agenda-setting à mettre des sujets à l’agenda institutionnel ;
Ensuite, une autorité sur le choix des questions débattues, à quel moment et pour combien de temps de débat ;
Enfin, un potentiel pour définir l’agenda politique, quoique conditionné par la politique nationale, l’organisation, les ressources et le positionnement de l’État-membre dans l’UE et l’acception politique au sein du Conseil européen, dont le centre de gravité évolue du centre-droit au centre-gauche et aussi la perception des autres États-membres.
Des dimensions conjoncturelles : Next Generation et état de droit
Du côté des dossiers internes, on peut compter sur le rôle de la PFUE pour :
La mise en œuvre du plan de sauvetage Next Generation : quels types de contrôle des dépenses ? quelle implication de la société civile (budgets participatifs) ?
La consultation de la réforme du pacte de croissance et de stabilité : quelles règles budgétaires et financières ?
La crise de l’état de droit : quels mécanismes de conditionnalité et de recours en manquement ? L’ambivalence de fond de la France semble justifiée par la volonté de protéger le « bébé » du plan de relance produit de l’amitié franco-allemande.
Sur tous les dossiers internes, l’absence de débats sur l’Europe lors de la campagne électorale en septembre dernier en Allemagne ne rend pas facile d’aligner les positions franco-allemandes.
Du côté des dossiers externes, les débats seront également animés tant sur l’OTAN compte-tenu des positions françaises pour des réformes que du fameux concept français d’autonomie stratégique. La méthode utilisée pour l’achat conjoint de vaccins fait l’objet de pression politique pour l’achat conjoint d’énergies, compte-tenu de la hausse des prix ou plus largement d’organiser des marchés publics paneuropéens, ce que permettrait de traduire un concept sous développé en un vrai outil de mutualisation renforcée pour résoudre les problèmes.
Des enjeux démocratiques : la conférence sur l’avenir de l’Europe
La crise sanitaire du covid a débouché sur un moment hamiltonien pour résoudre la pression financière et sur une crise démocratique latente que la conférence sur l’avenir de l’Europe (COFEU) doit adresser, sans savoir s’il s’agit d’une approche cosmétique ou substantielle pour réformer l’Union sur la base d’une manière inédite de convention citoyenne expérimentée en France.
Avec la conférence sur l’avenir de l’Europe, on change de logique puisque l’on demande aux citoyens leurs priorités et besoins nouveaux pour envisager la révision des traités comme conséquence. Ce dispositif définit un nouveau modèle pour réviser les traités.
Avec la conférence sur l’avenir de l’Europe, on intègre les propositions citoyennes au processus démocratique représentatif, via l’approbation du comité exécutif qui représente les institutions européennes et via la transparence à la fin du processus sur les positions des citoyens et les réponses des différentes institutions.
Avec la conférence sur l’avenir de l’Europe, on parviendra peut-être à modifier l’agenda politique et les projets programmatiques de la Commission von der Leyen mais on pourrait aussi institutionnaliser la réformes des traités en introduisant dans l’architecture institutionnelle une convention citoyenne européenne, sur le modèle du conseil en Belgique avec des assemblées citoyennes ad hoc ou de la conférence de la région de Bruxelles qui réunis des parlementaires et des citoyens pour émettre des avis non contraignants.
Avec la conférence sur l’avenir de l’Europe, on connaît davantage les ingrédients du succès des mécanismes délibératifs : le choix de ne pas restreindre les sujets discutés est une faiblesse méthodologique dès le départ et la présence des représentants du comité exécutif lors des réunions des citoyens est néfaste ; même si la conférence plénière réunira pour la première fois dans le monde à la fois des élus et des citoyens qui auront le même statut.
Des considérations politiques
La publication des propositions citoyennes au cœur de la campagne électorales des élections présidentielles en France pourrait conduire à un alignement du programme électoral de Macron afin de répondre aux besoins des citoyens européens.
La proximité politique entre Macron et Charles Michel, le président du Conseil européen pourrait conduire à un alignement des présidences semestrielle et permanent, mais aussi à la suspicion de certains États-membres.
Le retour de l’Europe dans le débat électoral sera un élément de polarisation dès le premier tour pour capitaliser l’électorat pro-européen et jouer à fond le rejet pour les oppositions.
La vision originaire de Macron était de casser le système des partis politiques européens, mais n’ayant pas fait ses devoirs avec des alliances dans tous les États-membres, la création d’une nouvelle force politique s’est principalement appuyé sur des acteurs existants n’ayant pas un agenda aligné et réduisant d’autant l’impact modeste de Macron sur les affaires européennes d’autant que le groupe parlementaire est moins investi que les principaux.
Au total, la PFUE va-t-elle définir un nouveau modèle d’une présidence-chairman jouant les intermédiaires entre pairs à une présidence-executive militante qui impulse au risque de multiplier les obstacles ?