Archives mensuelles : mai 2020

Comment développer l’adhésion et la participation des citoyens au projet européen ?

La lecture par la professeur Nathalie Pignard-Cheynel du rapport « What media can learn from other member-driven movements » du Membership Puzzle Project est très instructive pour explorer le modèle de l’adhésion et de la participation dans le cadre de l’Union européenne…

L’Union européenne doit devenir un acteur du changement

Une vision glocal, à la fois global et local doit être proposée par les institutions européennes afin de répondre aux crises et aux sentiments d’insatisfaction ou d’indifférence ; ainsi qu’à la quête de sens et d’action recherchée par les citoyens.

Une transformation de rupture quittant l’anti-modèle technocratique pour des institutions européennes pourvoyeuses d’opportunité d’action collective afin de passer du pessimisme généralisé de l’intelligence collective à l’optimisme exploitable des bonnes volontés en partant d’une recherche sincère et collective de solutions concrètes.

Une approche visant à repenser la manière de s’adresser aux citoyens, de chercher à construire des relations de long terme et de créer des communautés d’intérêts afin de réarticuler l’individuel et le collectif en visant un but commun qui transcende les intérêts en vue de favoriser l’adhésion des publics rassemblés autour de problèmes à résoudre ensemble.

L’Union européenne doit favoriser la participation des publics

Une réinvention de la participation qui doit dépasser le modèles des dialogues citoyens basiques générant plus de déception et de frustration que de réelles plus-values pour les citoyens. Les institutions européennes doivent réexaminer leur rule book définissant la façon dont on envisage la « mission » du citoyen, le « contrat social » avec les institutions et le discours de l’Union européenne.

D’une part, il s’agit de proposer une participation non élitiste, en brisant l’idée qu’il faut des compétences spécifiques pour participer au débat sur l’Europe même s’il faut prévoir des modalités innovantes d’accompagnement, de sensibilisation et d’information.

D’autre part, il convient d’imaginer une participation diversifiée et modulable en proposant une palette de modalités qui :

  • Font sens par rapport au but de l’Union européenne et qui ne sont pas instrumentalisés à des fins de mise en scène ;
  • Modèlent des engagements des plus passifs aux plus actifs en rompant avec la dichotomie intimidante et excluante entre « participants » et « non participants » ;
  • Conduisent à réfléchir à des voies d’accès à une adhésion et une participation inclusive des moins aisés et plus exclus qui n’ont ni les compétences ni les moyens mais qui peuvent s’investir autrement.

L’Union européenne doit développer une nouvelle communication

D’abord, l’Union européenne doit acquérir de nouvelles pratiques afin d’être à l’écoute de ses publics, de leurs propos et de leur modes de vie, ce qui suppose de nouvelles manières de sonder et d’analyser les attentes dans une démarche empathique et innovante afin d’amplifier des usages existants permettant de reconnecter des citoyens défiants mais aussi de nouvelles manières d’interagir avec les communautés, de façon informelle permettant également de mieux connaître leurs capacités et domaines d’action.

Ensuite, l’Union européenne doit favoriser de nouvelles compétences auprès des publics afin dans un premier temps de créer des « jumelages » entre les centres d’intérêts et les passions des citoyens d’une part et les possibilités d’engagement d’autre part via une personnalisation de la participation L’idée est que l’adhésion sera toujours renforcée si les envies et les motivations des citoyens coïncident avec ce que propose la participation. De nouveaux métiers vont apparaître afin de remplir la fonction dédiée aux liens avec les citoyens et l’engagement avec les publics.

Dans un second temps, les institutions européennes pourront proposer d’utiliser des relais au sein des communautés et de proposer des logiques de « mentorat » autour de parrainages de citoyens récents par des citoyens plus expérimentés pour les accueillir, les intégrer et les orienter.

En troisième lieu, des rôles d’ambassadorat pourraient être confiés, avec des ambassadeurs/porte-parole délégués pour disséminer les informations auprès des communautés et réguler les conversations.

L’Union européenne doit inscrire l’adhésion et la participation dans un projet viable et durable

Les institutions européennes doivent concevoir des approches agiles intégrant les connaissances et les retours des citoyens afin de favoriser une croissance à l’échelle humaine, intentionnelle et maîtrisée permettant de garantir une capacité à servir les citoyens selon le « contrat » initial sans diluer la valeur perçue et reçue.

Une telle démarche doit s’appuyer sur des outils open source de gestion et de pilotage des communautés doit viser la fidélisation, la diversité des publics, la maturité à la fois au sens de la pérennité de la communauté et de la responsabilité des institutions européennes.

Une participation maximisée doit nécessiter des ressources technologiques et humaines ainsi que des réorganisations internes afin que la proposition de valeur de la participation demeure simple et accessible aux citoyens leur permettant de s’investir, selon leur volonté, quelques soient leur temps ou leur énergie disponibles.

Au total, le modèle de l’engagement des citoyens doit s’inscrire dans une perspective globale requérant une réflexion profonde sur le positionnement adéquat qui favorise l’adhésion et la participation des citoyens en vue de créer des communautés partageant une vision des valeurs communes.

Euroscepticisme et ambivalence de l’opinion publique française vis-à-vis de l’Europe

Passionnant travail sur l’opinion publique française et l’Europe par l’institut Jacques-Delors Notre Europe où les auteurs du rapport « les Français et l’Europe entre défiance et ambivalence » analyse une situation inquiétante et inédite d’euroscepticisme et d’ambivalence…

Euroscepticisme très fort : des fractures européennes sans précédent en France

Fait sans précédent, parmi tous les États-membres, la France appartient aux peuples les plus négatifs face à l’UE – une position peu enviable liées à un soutien « diffus » aux valeurs et aux principes de l’UE faiblement majoritaire face à un soutien « spécifique » moins favorable concernant l’efficacité de l’Union européenne.

La 2e ligne de clivage porte sur la fracture sociale, particulièrement vive pour la France : classes populaires, ouvriers et chômeurs se représentent l’Europe comme une menace contre les protections sociales nationales.

La polarisation des attitudes vis-à-vis de l’UE renforce l’intensité des clivages : contrairement à la France, dans le reste de l’Europe, les plus positifs sont deux fois plus nombreux et les plus négatifs deux fois moins.

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Ambivalence de la relation des Français à l’Europe : les sentiments mêlés divisent

Des variations entre attitudes pro et antieuropéennes dessinent des individus ambivalents à l’égard de l’Europe :

Côté « positif », les ambivalents ont une massive adhésion à la libre circulation et au droit de travailler comme de vivre dans tous les États membres ; un soutien très majoritaire aux différentes politiques communes et une conviction que la voix de l’Union européenne compte dans le monde.

Côté « négatif », les ambivalents ont une mauvaise image de l’Europe, se méfient de la situation économique ; des institutions et de l’avenir mais surtout doutent que les intérêts de la France soient bien pris en compte au sein de l’UE. L’idée européenne est belle, mais ça ne marche pas comme ils le souhaiteraient.

Méconnaissance ou incompréhension de l’Europe : le facteur clé d’interprétation

La méconnaissance du fonctionnement de l’Europe constitue un élément majeur du rapport de défiance des Français à l’Europe (la France occupe le dernier rang parmi les 27). Le facteur culturel constitue un élément majeur d’explication de ce rapport ambivalent des Français vis-à-vis de l’Europe.

La compréhension ou l’incompréhension de l’Europe divise entre les proeuropéens, qui ont le sentiment de bien comprendre comment fonctionne l’Europe, les eurosceptiques non et les ambivalents guère plus.

C’est un élément majeur du rapport des Français à l’Europe, car il s’agit d’une des dimensions sur laquelle la France occupe le dernier rang parmi les Etats-membres. Une situation dramatique déjà abordée ici.

Relations entre les Français et l’« Europe » : les projections sur l’Europe, reflet des exceptions françaises

Plusieurs éléments explicatifs de nature culturelle sont avancés par les auteurs du rapport pour comprendre les rapports spécifiques que les Français entretiennent avec l’UE :

La culture politique unitaire « jacobine » de la souveraineté française est en décalage avec la culture européenne « pluraliste » du compromis au sein de l’UE. Du coup, les Français ont du mal à jouer le jeu des règles européennes : deal majoritaire, lobbying décomplexé, coalitions parlementaires à géométrie variable.

La culture socio-économique « colbertiste » de la France marquée par une certaine défiance voire une hostilité au libéralisme et au libre-échange impactent négativement le rapport que maints Français entretiennent avec l’Union européenne. Du coup, les règles du marché commun, du pacte de stabilité ou de la politique de concurrence passent encore mal aujourd’hui.

Enfin, les visions radicalement différentes de la raison d’être de l’engagement européen entre le projet des “pères fondateurs” l’Europe des nations gaulliste se sont fracassées sur les élargissements aux pays d’Europe centrale et orientale : « l’Europe n’est pas la France en grand » !

En conclusion, tant que la méconnaissance et le niveau d’information médiocre des citoyens français ne sera pas corrigée, tout discours de l’Union européenne sera inaudible. Mais, l’Europe qui a tant déçu les Français n’aura pas beaucoup de seconde chance.

Stratégie de communication post-Covid : l’UE nouveau soft superpower ?

Anu Bradford, professeur de droit à l’Université Columbia, fait débat dans les think tank bruxellois en ce moment avec une thèse iconoclaste sur le superpower de l’Union européenne : « The Brussels Effect. How the European Union Rules the World », tribune et podcast sur Project Syndicate. Est-ce que ce devenir d’hegemon régulateur peut se mettre au service d’une nouvelle stratégie offensive de communication de sortie de crise ?

De la résilience du « Brussels Effect »

Pour la juriste américaine Anu Bradford, le pouvoir unilatéral de régulation des marchés de l’UE vient du fait que les grandes entreprises mondiales, notamment américaines, se conforment de plus en plus aux règles européennes, non seulement pour exister dans le marché unique mais sur tous leurs marchés, les règles européennes s’imposent comme la norme standard de la globalisation, qu’il s’agisse de protection de l’environnement, de sécurité alimentaire, de respect de la privacy…

Cette situation exceptionnelle pour l’UE est due non seulement au vaste marché des consommateurs européens et au pouvoir de régulation et de sanction des institutions européennes, mais surtout au ration PIB par habitant qui place les sociétés européennes encore parmi les plus avancées du monde, donc les plus en attente de protection renforcée de la part des pouvoirs publics.

Ni la crise du Coronavirus qui n’entame pas le rôle de régulation technocratique de l’UE, ni la fausse promesse de liberté de régulation du Brexit ne renverse le rôle de « rule maker » plutôt que de « rule taker » de l’Union européenne.

De l’impact et des limites du soft superpower bruxellois

Dans les stratégies de sortie de crise Post-Coronavirus, face à l’autoritarisme digital chinois de contrôle massif des populations et au tout marché américain sans protection des droits personnels avec les GAFAM, la régulation humaniste européenne – illustrée avec le RGPD et attendue pour l’IA notamment – positionne l’Union européenne comme un soft superpower crédible capable de trouver des solutions, à partir du marché et d’incitations, ainsi que de sanctions, pour les entreprises. Le modèle est certainement appelé à impacter encore davantage la régulation numérique du nouveau monde.

Néanmoins, pour la professeur de Columbia, la Commission géopolitique annoncée par Ursula von der Leyen -et déjà critiquée ici-même – sera difficile à « délivrer » car tous les attributs du superpouvoir régulateur, permettant des effets de long terme par la régulation du marché ne seront de peu d’impact sur les questions géopolitiques, où le hard power s’exprime par des formes traditionnelles dont l’UE est encore largement dépourvue et encore pour longtemps.

Quand on voit combien nous dépendons dans notre vie quotidienne du bon fonctionnement de la globalisation, nous ne pouvons que souhaiter que le rôle d’équilibre entre les puissances, d’influence sur l’organisation du système mondial et de régulation des acteurs économiques porté par l’Union européenne soit relancé et renforcé. Le sursaut du projet européen est en jeu.

Quel futur pour l’engagement citoyen avec l’Europe ?

Un rapport de la Banque Mondiale, rédigé avec la pandémie de Covid-19 « Emerging Digital Technologies Create New Risks and Value » dresse une série de prédictions technologiques et d’implications pour des pouvoirs publics qui souhaiteraient pratiquer une gouvernance numérique centrée sur les utilisateurs encore plus d’actualité aujourd’hui. Quelles conséquences pour l’engagement citoyen avec l’Europe ?

Adopter le mouvement d’une « gouvernance numérique » centrée sur l’utilisateur

Internaliser des ressources autour des technologies gouvernementales permet non seulement aux équipes employées de fournir des services publics numériques, mais également d’entraîner les pouvoirs publics à améliorer le traitement des questions de politique numérique.

Face aux capacités des fournisseurs de technologies, les pouvoirs publics, notamment l’Union européenne doit accroître ses capacités à promouvoir et conserver en interne des compétences numériques, afin d’acquérir les diverses compétences nécessaires non seulement pour fournir des services publics axés sur l’utilisateur, mais aussi pour savoir comment faire face aux futures innovations.

Lancer des débats publics sur le « score social » pour s’assurer de faire des choix éclairés

Chaque société dispose de points de vue différents sur le compromis entre la vie privée individuelle et les données publiques des individus et des institutions. Les décideurs publics et les dirigeants de la société civile devraient planifier dès maintenant que les systèmes de notation sociale arriveront bientôt, et leur arrivée posera un dilemme politique important avec des niveaux élevés de notoriété publique.

Pour éviter que des décisions profondément éthiques soient prises à la hâte ou en état de crise, des débats publics devraient être menés dès maintenant sur les frontières entre les utilisations acceptables et inacceptables du scoring social via des méthodes participatives telles que les assemblées de citoyens pour s’assurer que les conclusions qui en découlent sont prises en compte, légitimes et prêtes à être traduites en actes.

Le débat public sur les réglementations qui affectent directement les citoyens, telles que la notation sociale, la prise de décision algorithmique et la protection des données, ne devrait pas être limitée aux gouvernements et à l’industrie technologique. Le fait que certains de ces choix réglementaires soient très techniques ne doit pas être utilisé comme excuse pour ne pas engager le public dans ces choix. Les citoyens seront très directement touchés par la réglementation des principales plates-formes et se méfieront fortement de l’intervention du gouvernement dans presque toutes les circonstances.

Élaborer des politiques numériques informées, robustes et légitimes avec des assemblées de citoyens

Compte tenu de la complexité des enjeux et du problème majeur de faire des choix légitimes, les pouvoirs publics devraient résister à la tentation de limiter leurs pratiques d’engagement à des consultations simplistes limitées aux environnements en ligne. Compte tenu des conséquences profondes des décisions prises, tout processus participatif devrait être soigneusement conçu pour promouvoir l’inclusivité et un jugement éclairé.

Pour réduire la suspicion, l’Union européenne pourrait animer des assemblées de citoyens composées de panels de citoyens choisis au hasard qui délibèrent tout au long d’un processus qui implique que les citoyens se renseignent sur la question en jeu, consultent des experts, entendent les différents points de vue sur la question et participent à des discussions afin de présenter des décisions ou un ensemble de recommandations à l’intention des pouvoirs publics.

Veiller à un engagement numérique régulé, inclusif et accessible des citoyens

L’essor des grandes sociétés transnationales de technologie numérique a donné aux gouvernements des maux de tête réglementaires à l’échelle mondiale. Les gouvernements commencent à prendre des mesures pour se mettre à jour et se reconfigurer face à ces géants aux multiples facettes.

Construire des structures réglementaires pouvant intervenir pour améliorer les résultats de l’engagement des citoyens doit constituer une priorité afin de donner aux citoyens de nouvelles façons ultra-fluides de s’engager avec les structures de pouvoir directement à partir des plateformes de médias sociaux via l’ajout d’outils et de fonctionnalités spécifiquement déployés pour briser et combler les divisions.

À l’époque des données, la participation des citoyens au pouvoir et à la prise de décision doit être facilitée via des services accessibles et gratuits réduisant les obstacles pour les organisations de technologie civique et les entrepreneurs d’accéder aux interfaces de programmation d’applications de médias sociaux pour développer plus de solutions qui favorisent l’engagement des citoyens.

À ce jour, la plupart des initiatives de technologie civique se sont appuyées sur des modèles de participation volontaires et auto-sélectionnés alors qu’il faut promouvoir l’inclusion d’individus peu susceptibles de participer à des mécanismes basés sur l’auto-sélection.

Dans ce cas, la sensibilisation proactive des individus est impérative lorsque les gouvernements souhaitent solliciter des commentaires simples des citoyens (par exemple, la qualité de la prestation de services, les plaintes) afin d’évaluer ses performances sur une base continue en appelant directement ou en envoyant des SMS aux citoyens pour solliciter leurs commentaires sur les services publics qu’ils ont récemment utilisés.

D’autres mesures peuvent être prises lors de la conception d’outils de participation, notamment l’utilisation réfléchie et intelligente de technologie accessible, limitée aux appareils déjà disponibles et largement utilisés par le public cible.

Garder les choses hautement accessibles du point de vue de l’utilisateur n’exclut pas la possibilité d’utiliser des technologies émergentes, notamment des solutions d’IA pour penser à l’interface utilisateur ou le back-office.

Toute conception technologique inclusive nécessite systématiquement plusieurs cycles de recherches et de tests auprès des utilisateurs à mesure que la solution technologique est progressivement développée. La capacité des gouvernements et des militants à mener des recherches et des tests appropriés avec les utilisateurs constitue une compétence essentielle si l’on veut utiliser efficacement les technologies émergentes pour tirer parti des pratiques d’engagement des citoyens.

Les technologies ne sont aussi bonnes que les institutions et les processus dans lesquels elles sont intégrées. Seules de véritables améliorations institutionnelles pourront faire entrer les institutions dans le 21e siècle afin de récolter les avantages des technologies émergentes.

La véritable victoire pour les citoyens aura lieu lorsque les institutions européennes commenceront à modifier leurs règles pour :

  • Mener des exercices de budgétisation participative ;
  • Abaisser le seuil des initiatives citoyennes ;
  • Mandater des assemblées de citoyens pour permettre la co-conception de législation.

Au final, il est temps de donner aux citoyens une voix contraignante dans les processus décisionnels, de la législation à la prestation de services dans un proche avenir.