Archives mensuelles : mars 2017

A quoi ressemblerait le futur de la communication européenne ?

Les célébrations en demi-teinte du 60ème anniversaire du traité de Rome, ternies par le déclenchement officiel du Brexit, ont malgré tout été une occasion dans la foulée du livre blanc sur l’avenir de l’UE de poser des réflexions sur les perspectives d’avenir de la construction européenne. En matière de communication européenne, vers quoi cet exercice conduit-il ?

Une nouvelle communication régalienne

Les crises sont un peu la spécialité de la construction européenne et comme le dit Jean-Claude Juncker, l’Union européenne subit actuellement une « poly-crise » sans pareil. La communication de crise de l’UE est en revanche moins convaincante quant aux enjeux de la sécurité collective, du terrorisme et de la régulation des flux migratoires.

En somme, à l’avenir, l’Europe régalienne constitue « un nouveau discours politique pour l’UE », selon Thierry Chopin. Selon lui, « l’Europe doit pouvoir porter un discours régalien pour répondre aux attentes des citoyens qui sont parfaitement légitimes et auxquelles il faut répondre ».

« Le thème de l’Europe régalienne permet de déplacer le débat sur la souveraineté. Une Europe régalienne est une Europe qui renforce la souveraineté de la puissance publique, qu’elle s’exerce au niveau national ou européen. »

Une meilleure communication de « public branding »

La communication européenne doit cesser de tenter de « vendre » les institutions européennes, d’utiliser des modalités de communication persuasive pour convaincre les Européens de l’intérêt et des bénéfices des programmes institutionnels de l’UE.

En revanche, l’Europe comme cadre de vie, comme espace commun de droits et de libertés est vécue au quotidien par les Européens comme une réalité tangible et appréciée que l’Union européenne aurait intérêt de défendre et de promouvoir afin de renforcer l’attractivité touristique et la désirabilité de l’Europe dans ses terroirs et territoires.

Communiquer l’Europe via le soft power : la culture, les sciences, les arts, les divertissements et le sport

La bataille de l’opinion ne se mène pas uniquement dans les grands médias à coup de tribunes, de déclarations et de « grandes politiques ». Elle se déroule aussi, surtout ?, à l’échelle des échanges interpersonnels entre les Européens.

Le soutien à l’UE ne peut pas s’imposer de haut en bas. Il doit être le résultat de l’expérience de vie des gens. Faire de l’Europe une partie de la réalité sociale des gens par la culture, les sciences, les arts, les divertissements et le sport représente une option pour développer des espaces d’interaction sociale et d’engagement émotionnel entre les citoyens.

Reneta Shipkova suggère plusieurs actions dans sa « nouvelle approche pour communiquer l’Europe » :

  • Utiliser l’art et la performance pour marquer l’UE ;
  • Développer les identités multiples, comme le permettent Erasmus + ;
  • Initier des manifestations culturelles et / ou sportives plus transnationales où les citoyens se sentiront fiers d’être Européens…

Les 60 prochaines années de la communication européenne, avec un peu d’optimisme et beaucoup d’efforts, s’annoncent passionnantes.

60 ans du Traité de Rome : rétrospectives des inspirations de la communication européenne

L’Union européenne s’apprête à célébrer (disons plutôt commémorer) les 60 ans de la signature du Traité de Rome, le 25 mars. Une occasion pour faire une rétrospective des inspirations symboliques, pragmatiques et structurelles de la communication européenne…

1er âge « œcuménique » de la communication européenne

Lorsque l’Union européenne commence – tardivement – à s’intéresser aux enjeux de la communication, l’approche se veut essentiellement intellectuelle.

La vision œcuménique repose sur l’idée que seul un nouvel espace public européen à construire permettra à chaque citoyen un égal accès à la parole européenne et donc une pleine compréhension (et adhésion) au projet de construction européenne.

Convaincu par cette vision largement idéaliste, l’Union européenne s’attache à poser les bases autour du multilinguisme de ses supports d’information, de l’écoute d’une opinion publique européenne en formation avec les Eurobaromètres dès 1974.

Quoique toujours pertinente à long terme – mais à long terme comme le disais Keynes on est tous morts – ce premier âge s’est essoufflé, trop inconséquent dans ses résultats immédiats.

2e âge « délibératif » de la communication européenne

Le 2e âge de la communication s’appuie sur une autre intention, là encore tout aussi noble : la prise en compte plus directe des publics via l’échanges d’information et la délibération.

D’aucuns ont parlé du « tournant participatif », manifesté à l’occasion du développement de ce l’on appelait les « technologies de l’information et de la communication », autrement dit l’avènement du web interactif et social.

Avec le « moment Wallström », le nouvel impératif catégorique de la communication européenne devient le dialogue avec les citoyens. De nombreuses initiatives, via le plan D, traduiront ces intentions, mais les résultats ne seront pas pleinement exploités et leur déploiement à grande échelle ne tiendront pas leur promesse.

3e âge « instrumental » de la communication européenne

Les approches trop « idéalistes » s’étant montrées trop inefficaces, une démarche plus pragmatique s’installe peu à peu dans les esprits, de plus en plus convaincus qu’il s’agit véritablement de faire le marketing de l’UE – horresco referens – de « vendre l’Europe ».

Dans cette démarche, la place du public est moins généreuse. On assiste plutôt à une instrumentalisation plus assumée du grand public, qui doit « Agir. Réagir. Accomplir » pour reprendre la signature de la dernière campagne du Parlement européen à l’occasion des élections européennes.

La maîtrise des outils et techniques de la communication de masse apparaît comme la solution ultime. C’est l’époque des « spin doctor » et des agences triomphantes, avec Jacques Séguela qui travaille sur le projet-pilote de campagne de communication corporate de la Commission européenne.

Mais l’approche persuasive, publicitaire ne se révèle pas être à la hauteur, à l’ère de la crise des médias de masse et de la perte de confiance des citoyens.

4e âge « compétitif » de la communication européenne

Plongé dans un euroscepticisme largement partagé dans les classes moyennes et même chez les jeunes, la communication européenne se doit d’acter la réalité complexe et adverse qui impose une position de défense.

D’une certaine manière, la communication se doit d’être compétitive, face à ses nombreux adversaires. De même, cette compétition doit se situer à la fois à l’échelle du débat d’idées où l’UE s’est montrée trop souvent aux abonnés absents et sur le terrain, dans la guérilla permanente pour capter l’attention des audiences fragmentées.

Une nouvelle forme de communication européenne se met en place avec notamment du « fact-checking », campagne en France sur les « décodeurs de l’Europe », des coups médiatiques, comme ces rumeurs sur la démission présumée de Jean-Claude Juncker, de l’agenda-framing pour tenter de cadrer les perceptions avec des métaphores, des artifices sémantiques (slogans, accroches : « Big on big things »)…

Reste à savoir ce que nous réserve la communication européenne à l’occasion des 60 ans du Traité de Rome ? A suivre.

La communication européenne croit-elle encore à la démocratie numérique ?

Ne parlons pas du renoncement aux projets fondateurs d’un embryon d’espace public européen, comme l’abandon d’Euranet le réseau de radios ou le rachat d’Euronews par les Américains de NBC, ni même de la tétanie des initiatives face aux GAFA, la léthargie face aux promesses de la démocratie numérique européenne est forte et les innovations sont absentes. Pourquoi ?

Des tensions insolubles de la démocratie participative numérique ?

La démocratie participative numérique a pu soulever de nombreuses attentes que le web, à fortiori à l’échelle européenne, n’est pas parvenu à satisfaire :

La tension entre l’utilité des consultations en ligne à recueillir de très grands nombres d’avis et propositions d’internautes, et leurs limites à produire du consensus à large échelle, dès lors qu’un débat concerne un cercle plus large que celui d’experts. L’incapacité à réintégrer les outputs des initiatives du plan D dans les inputs des politiques publiques européennes ont sonné le glas des bonnes volontés.

La tension entre un mouvement sincère des institutions publiques européennes d’ouvrir la porte à plus de participation grâce au web et un fréquent embarras à rendre compte des avis reçus et les réticences à en tenir compte. L’Initiative citoyenne européenne en est la cruelle démonstration, malgré l’impératif du traité.

La tension entre des institutions publiques attachées à des formes traditionnelles de consultation (la pétition, le recueil de contributions sur un thème donné) et une société civile jamais à court de propositions d’innovations démocratiques. Les mouvements d’opinions, notamment anti-ACTA ont largement démontré leurs capacités de mobilisation en ligne et de contournement des formes institutionnalisées de participation.

Au total, les tensions seraient si vives que la démocratie participative numérique européenne seraient condamnées à rester dans les limbes.

Des enseignements troublants de la démocratie numérique européenne ?

Que nous enseigne les projets de démocratie numérique européenne ?

Certes, de manière surtout théorique d’ailleurs, la participation de la société civile peut améliorer la représentation démocratique. Elle permet d’offrir aux citoyens de meilleurs moyens d’influer sur la politique de l’UE et la possibilité de promouvoir une large participation sans nuire à la capacité de résolution des problèmes de l’Union.

Mais, en pratique, la participation de la société civile peut accroître l’inégalité politique. Comme dans le monde « IRL », certains groupes ont plus de chances d’influencer les politiques publiques que d’autres. La participation de la société civile n’est pas une alternative aux canaux territoriaux et électoraux de représentation – plutôt un complément.

Au total, les réformes participatives de la gouvernance européennes ne sont pas la solution à la crise de légitimité de l’UE, mais peuvent réduire – à leur mesure et selon l’importance qu’on leur donne – l’ampleur et la profondeur de la crise.

Que faut-il en conclure ? Que la démocratie numérique européenne est au point mort, à cause du contexte électoral peu favorable qui traverse le continent et/ou en raison d’une impasse plus politique que technologique.

Quels sont les défis de la prochaine délibération publique autour du livre blanc sur le futur de l’UE ?

Confronté à une culture de méfiance des administrations publiques quant à la qualité de ce que le public peut contribuer au processus d’élaboration des politiques, à des lignes directrices qui ne donnent pas une orientation suffisante sur l’utilisation efficace des techniques d’engagement délibératif et à un manque d’activités intentionnelles des citoyens pour partager les informations et participer, la délibération et l’engagement des citoyens autour du livre blanc sur le futur de l’UE est le sujet du moment pour la communication de l’UE. Quelles sont les défis ?

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Surcharge d’information : réussir à capter l’attention des citoyens

Normalement, lorsqu’une consultation et une délibération sont proposées au public, une plateforme de participation est immédiatement disponible au moment de l’annonce et de la sortie du livre blanc afin que les citoyens disposent de tous les éléments leur permettant de s’engager.

Idéalement la plateforme doit proposer toutes les fonctionnalités qui permettent tout à la fois de faciliter la lecture de l’information et la participation à la délibération, avec des bibliothèques de contenus, des moteurs de recherches, des outils de collecte de données, de participation et de suivi du processus délibératif…

Paradoxalement, aucun élément n’est semble-t-il disponible pour lancer et améliorer le processus délibératif en ligne autour du livre blanc sur l’avenir de l’UE.

Dialogue asynchrone : réussir à activer des conversations avec les citoyens

Non seulement, aucune période spécifique n’est vraiment idéale pour une communication sur l’Europe, même si la date du cinquantenaire du traité de Rome, le 25 mars prochain, s’imposait comme une évidence pour délivrer une annonce sur l’avenir du projet européen.

Mais surtout, la conversation citoyenne sur l’Europe envisagée sur une longue période s’étalant jusqu’au discours sur l’état de l’UE en septembre prochain se situe exactement au pire moment électoral entre les scrutins hollandais, français et allemand, sans même parler du Brexit.

Scepticisme institutionnel : réussir à capter des contributions citoyennes sur l’Europe

Le lien entre l’opinion publique et les décideurs publics a été faible dans la plupart des exercices d’engagement en ligne. C’est d’autant plus vrai pour les institutions qui n’ont pas fait le travail pour construire des outils en ligne pérennes pour une délibération « normalisée » dans le processus administratif.

A l’échelle de la Commission européenne, le crash-test de l’initiative citoyenne européenne a plutôt été un crash qu’un test de la délibération citoyenne en ligne. Les diverses expériences ont traduit des processus médiocres et/ou autour de questions litigieuses.

Représentativité : réussir à toucher au-delà des usual suspects de la bulle bruxelloise

Personne ne prétend qu’une délibération peut garantir un échantillon représentatif en ligne de l’ensemble de la population européenne, et donc une délibération scientifiquement authentique. À l’heure actuelle, la plupart des praticiens en ligne se contentent de considérer les recommandations de leurs groupes constitutifs comme légitimes.

Mais, même à considérer mieux refléter simplement ceux qui s’intéressent aux sujets européens et/ou ceux qui ont la « digital literacy », la délibération citoyenne européenne doit mobiliser des ressources et une énergie importants pour seulement y parvenir.

Au total, nous ne pouvons que partager la crainte formulée dans Le Monde « si les bonnes questions sont posées, les bonnes réponses, elles, risquent de se faire attendre. »

Pourquoi l’Union européenne a-t-elle une si mauvaise réputation ?

Partout en Europe, l’argent de l’UE s’écoule de Bruxelles en milliers de projets et d’idées. Mais personne ne le remarque, et surtout ne lui crédite. Quelles sont les plaies de la réputation de l’Union européenne ?

Leadership : à la recherche du récit perdu

Selon une analyse éclairante dans le Spiegel (en anglais), « certains des plus mauvais conteurs se trouvent à Bruxelles et dans les capitales européennes. Chaque année, ils remplissent des bibliothèques entières de documents, mais les textes sont généralement si incompréhensibles, si brouillés par des notes de bas de page, des renvois et du jargon que personne ne peut comprendre ce qui s’est passé jusqu’à présent. Et personne ne peut dire ce qui se passe maintenant, non plus. Quand à comprendre l’avenir… ».

Le narratif de l’Europe est au point mort alors qu’en mars – 60ème anniversaire de la signature du traité de Rome – l’UE est censée célébrer le début de l’aventure européenne. Le projet Europe fonctionne depuis des années, et il semble aujourd’hui qu’une majorité dans les sociétés et les médias croient que l’Union européenne appartient « aux poubelles de l’histoire ».

Dans la recherche d’un autre récit de l’Europe, « l’ère des brochures sur papier glacé est terminée. » Personne ne veut entendre des discours laudateurs sur l’UE. Il est enfin temps de mettre un terme aux dévotions. Les bons vieux appels n’ont jamais semblé plus creux qu’aujourd’hui. Les grands discours ont tous été donnés. Nous n’avons plus besoin d’une Europe de haut en bas, mais d’une Europe de bas en haut.

Et le Spiegel de constater qu’« il y a beaucoup d’endroits pour commencer l’autre histoire européenne. Elle est riche et colorée, mais elle est aussi tellement discordante et diverse qu’il est presque impossible de créer un récit unique et convaincant.

Gouvernance : autant en emporte le « blame game »

Beaucoup de gouvernements nationaux n’ont pas honte de bloquer activement les compromis lors de réunions à Bruxelles, pour rentrer chez eux et ridiculiser l’UE pour son incapacité à faire des compromis.

Les mêmes gouvernements qui jouent un rôle clé dans la définition du destin de l’Europe en tant que membres du Conseil européen parlent de Bruxelles comme d’une puissance étrangère sur laquelle ils n’ont aucune influence. C’est une situation intenable.

La volonté de réforme de Jean-Claude Juncker relative à la comitologie est salutaire. Il est plus que temps de forcer les gouvernements à endosser publiquement des compromis actuellement négociés en catimini ou pire défaussés sur les épaules fragiles mais accommodantes de la Commission européenne.

Performance : au coin de la rue, l’Europe… et l’indifférence et la non reconnaissance

Même si l’Europe travaille sans relâche partout pour atteindre ses objectifs, au point de faire partie de notre quotidien, d’être un acteur indispensable même dans les coins les plus reculés du continent, elle est restée néanmoins une entité éloignée et impopulaire et ses succès demeurent invisibles.

Supposément hors de contact avec ses citoyens, l’Europe est en fait à chaque coin de rue, et pourtant la plupart des passants l’ignorent systématiquement.

Alors qu’il n’y a aucune branche de la politique et aucun segment de la société sans un programme de subventions de l’UE – qui n’est d’ailleurs débloqué qu’avec l’accord des Etats – il y a une barrière émotionnelle collective contre l’idée de penser l’argent de Bruxelles comme une bonne chose, contre la pensée que cette Europe est une bonne chose, contre la reconnaissance des valeurs de l’UE comme les nôtres.

Participation : l’expérience européenne, comme remède ?

Conclusion du Spiegel, pour obtenir de nouveaux partisans, l’UE doit probablement se concentrer moins sur la diffusion d’argent en Europe et plus sur l’envoi de personnes autour du continent.

C’est lorsque l’expérience de l’Europe devient personnelle et sensible que le récit européen devient positif et attribué à l’UE. L’Europe doit aller au peuple.