Archives mensuelles : décembre 2014

Comment les journalistes perçoivent la machine médiatique bruxelloise ?

Pour Claes de Vreese, qui s’est plongé dans le petit monde des correspondants de presse auprès de l’UE, les insuffisances structurelles et organisationnelles de l’UE entretiennent le « déficit de communication » au point que les canaux d’information non officiels sont un atout majeur pour s’informer à Bruxelles…

Les contenus des relations presse de l’UE sont sévèrement jugés par les journalistes accrédités

La plupart des correspondants de presse auprès de l’UE affiche une attitude plutôt globalement négative liée à la quantité des informations. Les flux d’informations volumineux et non priorisés que l’UE bombarde pour capter l’attention des médias sont vivement critiqués.

En termes de qualité, la nature trop compliquée des communiqués de presse est minimisée et ne représente vraiment un obstacle que lorsque l’absence de versions non anglaises affecte l’immédiateté de leur travail

La complexité est généralement acceptée comme une composante de la politique européenne. Mais, c’est la valeur informative des communiqués de presse qui est sévèrement jugée par la majorité des correspondants.

Les journalistes admettent qu’ils ont tendance à utiliser les communiqués de presse de l’UE uniquement pour contextualiser les « informations authentiques » fournies par d’autres moyens.

En bref, le matériel institutionnel de l’UE en matière de relations presse est aussi bon pour trouver des informations qu’il est mauvais pour trouver la vérité.

La performance communicative d’une institution européenne est étroitement liée selon les journalistes à son organisation

Les lacunes les plus récurrentes attribuées par les journalistes à la Commission européennes sont liées au manque de sujets « juteux » imposé par sa nature consensuelle. Par ailleurs, le système de porte-parole par portefeuille conduit à ce que le même document soit traduit dans toutes les langues.

En revanche, le Parlement européen se voit attribuer une perception plus positive, avec des communiqués de presse « sur mesure » pour les médias. En effet, les attachés de presse écrivent « pour leur propres journalistes ».

La comparaison Commission-Parlement tend à démontrer qu’une liberté d’organisation plus importante sous-tend une production de contenu institutionnel pour les journalistes plus qualitative.

Autrement dit, la rigueur et la standardisation de l’information pour les communiqués de presse est vécue comme un obstacle à une communication créative.

L’interaction interinstitutionnelle (i.e. le travail entre les institutions européennes) n’est pas assez coordonnée selon les journalistes

Le chevauchement des agendas entre les institutions européennes affecte particulièrement les pratiques des journalistes qui sont seuls à Bruxelles.

Les problèmes viendraient d’une part, du fait que la Commission européenne chercherait à perpétuer son monopole sur l’information, par rapport aux autres institutions ; et d’autre part, de la fragmentation interne qui fait que « tout le monde communique dans leur coin ».

La place de la Commission à l’épicentre de la dynamique de communication de l’UE conduit à des approches différentes des relations presse :

  • une perspective inter-institutionnelle pour le Parlement européen et le Conseil de l’UE pour offrir un regard différent aux journalistes ;
  • un angle inter-service par les fonctionnaires de la Commission européenne pour faciliter le travail des journalistes.

La position hégémonique de la Commission européenne dans le microcosme de Bruxelles est omniprésente dans les entretiens avec la presse accréditée

En raison de son droit d’initiative et de la centralisation des ressources de communication, la Commission devient le théâtre de ce que différents journalistes décrivent péjorativement comme des « pratiques de recyclage », consistant à réutiliser à plusieurs reprises la même information.

En outre, le service des porte-parole est accusé de restreindre les contacts avec les médias à un flux continu de pseudo-événements détachés de toute information pertinente.

Au total, cette hiérarchie entre les institutions européenne n’est pas nécessairement perçue comme positive car risque de négliger d’autres sources et des aspects de l’intégration européenne.

Les contacts informels, un jeu tacite accepté par les journalistes européens

Tant les correspondants que les fonctionnaires reconnaissent que les contacts informels représentent un moyen privilégié pour accélérer leur travail :

  • Le réseau privé d’un journaliste est devenu de routine, pas uniquement pour obtenir des scoops, mais au quotidien comme un raccourci pour accéder aux documents ;
  • Inversement, certains fonctionnaires admettent qu’ils ont « un groupe de clients réguliers » parmi les médias à Bruxelles.

Le « Financial Times » avec son statut de « deuxième Journal officiel » fait exception dans le paysage, cela correspond à un choix stratégique pour faciliter le relais efficace de l’information en raison de son rôle de compositeur et de multiplicateur de l’ordre du jour à travers les médias des différents États membres.

Pour les autres médias, le pays d’origine d’un correspondant importe à la lumière de la politique de l’UE concernée. Dans le critère de la nationalité entre l’adéquation en termes de messages clés adaptés par l’UE à certains Etats membres spécifiques.

Quant à l’origine des scoops, les correspondants se réfèrent à des contacts au sein des cabinets des institutions mais aussi à des sources dans leur pays, notamment lorsque leur gouvernement est dans une sorte de bras de fer avec l’UE.

Au total, la plongée dans le monde des correspondants de presse à Bruxelles est très instructive quant à leur capacité/nécessité à subir et à se jouer des contraintes institutionnelles et organisationnelles pour parvenir à produire de l’information sur l’UE.

Comment Twitter est devenu une « méta-rédaction bruxelloise » pour les journalistes européens ?

Merci à Jean-Sébastien Lefebvre, journaliste à Contexte, pour ses éclairages – en réaction à « À Bruxelles, tu tweetes ou tu meurs » de Cécile Ducourtieux – sur « Twitter dans le petit monde européen […] une sorte de « méta-rédaction » » ; sous forme de tweets, évidemment…

Au total, pour un correspondant de presse auprès des institutions de l’UE à Bruxelles, Twitter représente un outil indispensable de veille, d’alerte, de vérification des faits, de confirmation auprès des sources, d’opinion entre collègues, de transnationalisation des angles, de promotion personnelle et d’amplification.

Les affaires publiques européennes, un monde de médiations

Dans « Les médiations de l’Europe politique », Philippe Aldrin et Nicolas Hubé présente l’ouvrage dans l’introduction « pas une énième contribution à l’analyse de la communication européenne, mais une analyse d’un monde au travail, d’un espace de relations et d’interdépendances, celui des producteurs de discours et des metteurs en récit de la cause européenne ».

Une démarche sociologique d’analyse à « hauteur d’hommes »

La démarche s’inscrit dans « une science sociale des médiations de l’Europe politique », c’est-à-dire qu’elle « s’attache à comprendre les formes concrètes de la pluralisation du monde des entrepreneurs d’Europe, en privilégiant les logiques de collaboration, de co-production et d’interdépendance afin d’en mieux saisir les divers arrangements relationnels ».

« Dès lors que l’on se désintéresse un peu de la signification des discours d’institutions ou des produits médiatiques pour faire la sociologie de leurs producteurs, la question de la publicité des affaires européennes apparaît comme un univers d’interactions multiples et complexes. »

« La fabrication et la publicisation d’informations sur les activités communautaires, leurs interprétations et leurs commentaires procèdent des activités d’une pluralité d’acteurs ».

Les enseignements de ce « monde de médiations »

Diversité des modalités : formelles ou informelles, institutionnalisées (routines, dispositifs de concertation) ou plus ponctuelles (expériences participatives), organisationnelles et/ou interpersonnelles, discursives et/ou matérielles, symboliques et/ou financières.

Variété des acteurs, positions et rôles : hauts fonctionnaires et responsables de l’UE, mandataires des groupes d’intérêt, lobbyistes professionnels, agents des États membres, représentants de la « société civile », ressortissants des politiques publiques européennes, agenciers et journalistes accrédités mais aussi échantillons sélectionnés du « grand public ».

Porosité des frontières entre les mondes institutionnels et non-institutionnels, en termes de savoirs pratiques et conceptuels, de circulations des professionnels, de coopérations, de co-financements mais aussi porosité des carrières et des positions, «  des agents issus d’entreprises extérieures (agences de presse, conseils en communication, institut de sondages) collaborent voire se reconvertissent en agents des institutions quand des agents communautaires vont servir des entreprises non institutionnelles mais souvent directement périphériques à l’action publique européenne ».

Au total, cette nouvelle manière de regarder la construction européenne permet d’analyser toute la communication autour du projet d’intégration comme une vaste « coalition de causes » entre agents institutionnels et agents non-institutionnels, « qui appartiennent à des mondes qui nous sont présentés comme (ou donnent l’apparence d’être) distincts », mais qui en réalité forme un espace erratique et éminemment concurrentiel.

La réorganisation des porte-parole de la Commission européenne, une évolution dans la légitimation de l’Union européenne ?

Alors que le service des porte-parole de la Commission européenne fait l’objet de profondes réformes – abordées ici sous l’angle du verrouillage renforcé par la présidence Juncker ou là en matière de pratiques du « off the record » – le fondement des relations presse, qui reposerait sur « la technique et la rationalité comme fondements de sa légitimité » selon Olivier Le Saëc est-il en train d’évoluer ?

L’ancien positionnement administratif des porte-parole de la Commission européenne : une couverture technique de l’actualité européenne

Olivier Le Saëc analyse le « positionnement » des porte-parole de la Commission européenne :

  • Dépendent administrativement de la DG COMM ;
  • Devenus les huitièmes membres des cabinets des Commissaires européens ;
  • Sont les porte-parole des portefeuilles administratifs, i.e. les Directions Générales avant d’être ceux des Commissaires européens.

Autrement dit, « bien que les porte-parole de la Commission européenne soient devenus les « huitièmes membres » des cabinets des Commissaires européens, ils demeurent avant tout les porte-parole des portefeuilles administratifs des Commissaires européens », à la différence des porte-parole « politiques » des gouvernements nationaux.

Ce qui se traduit par « la mise en avant de l’aspect technique et administratif du travail de la Commission européenne », qui pourrait donc expliquer « la prédominance d’un aspect technique et rationnel dans la couverture médiatique de l’actualité communautaire européenne ».

Le nouveau positionnement transversal des porte-parole de la Commission européenne avec des membres de cabinet pour la communication politique : une couverture à la fois des « policies » et des « politics » de l’actualité européenne ?

Le nouveau « positionnement » du service des porte-parole de la Commission européenne pourrait s’analyser selon :

  • Dépendent directement de la présidence ;
  • Se distinguent des membres des cabinets des Commissaires européens – eux-mêmes dotés d’un(e) Conseiller(ère) en communication ;
  • Sont des porte-parole transversaux avant d’être ceux des Commissaires européens ou des Directions Générales.

L’équilibre se trouve donc modifié, bien que les porte-parole de la Commission européenne soient sortis des cabinets des Commissaires européens pour éviter toute instrumentalisation de la communication de l’institution européenne par ses responsables politiques, ils deviennent avant tout des porte-parole transversaux qui transcendent à la fois les portefeuilles des Commissaires et les Directions Générales.

Cela devrait se traduire par la mise en avant de l’aspect holistique des initiatives de la Commission européenne, qui touche dorénavant beaucoup plus de domaines de compétences en partage avec les Etats-membres. Logiquement, la couverture médiatique de l’actualité européenne pourrait s’élargir pour englober ces nouvelles problématiques et partager une vision prospective ou globale de l’UE.

L’indétermination actuelle concerne l’impact de la communication politique que pourraient déployer les Conseillers en communication au sein des cabinets des Commissaires – puisqu’ils ne sont pas habilités à porter officiellement la parole de l’institution, mais qu’ils ne sont pas non plus prohibés de s’exprimer en fonction de leur point de vue. Cette musique politique viendra-t-elle perturber la partition des « porte-parole officiels ?

Au total, la réorganisation du service des porte-parole de la Commission européenne semble « tenter » une nouvelle légitimation avec une communication officielle plus cohérence et holistique, couplée – et là viennent les interrogations – avec une communication politique au potentiel plus contradictoire voire conflictuel…

Quelle est la stratégie de communication digitale de la Commission européenne aujourd’hui et demain ?

Lors d’un « lunchtime breafing » jeudi dernier au Comité des Régions, les principaux responsables de la communication digitale de la Commission européenne ont présenté leur stratégie de « transformation digitale : mobile, web, social » pour aujourd’hui et demain…

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La stratégie de rationalisation de la présence en ligne de la Commission européenne

Servant plus de 35 millions de visites par mois (plus d’un million par jour…) sur les plus de 460 sites identifiés en 2012, l’équipe digitale mène un vaste chantier de rationalisation en partant des usages, et notamment de l’importance du mobile à la fois la plus forte fréquentation (35%) et la plus longue (147 min).

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6 tâches prioritaires

A partir d’un sondage réalisé en ligne auprès des publics fréquentant les sites de l’UE, la Commission a dégagé 77 tâches, dont 6 tâches prioritaires orientent la restructuration de la présence en ligne, autour donc de :

  • Lois et traités européens, jugements
  • Recherche et innovation
  • Financements, aides et subventions
  • Education et formation
  • Stratégies et politiques prioritaires de l’UE
  • Protection environnementale

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14 clusters prioritaires

Au niveau des contenus, l’exercice de « clusterisation », i.e. de regroupement des activités de la Commission en fonction de thèmes transversaux à aboutis à la définition de 14 clusters prioritaires, qui nécessite en moyenne l’intervention d’une douzaine de services différents.

1 plateforme unique régulièrement actualisée

À terme, la présence digitale de la Commission européenne se concentrera sur une seule plateforme – un CMS commun – permettant de faciliter et mutualiser la production, ald diffusion mulitcanal et l’actualisation des contenus de manière à la fois pertinente, cohérente et à moindre frais.

La stratégie de socialisation de la présence en ligne de la Commission européenne

Avec pas moins de 27 Commissaires sur Twitter, 17 sur Facebook et 11 « bloggeurs », les responsables politiques tirent la socialisation de l’institution et humanise la communication de l’UE auprès des Européens.

La présence « corporate » de la Commission européenne est également en progression avec des commuanutés variant de 1.5 million sur Google+, 400.000 sur Facebook, 300.000 sur Twitter et 180.000 sur LinkedIn.

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Chaque réseau social répond à des usages et des publics précis, que la Commission européenne sert avec différents contenus produits en fonction de 3 critères : est-ce utile ? est-ce une « breaking news » ? et est-ce un « good story » ?

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La communication « sociale » de la Commission européenne autour du plan d’investissement de Juncker illustre la diversité des actions menées entre live-tweets du discours au Parlement européen et de la conférence de presse, curation de listes et de hashtags sur Twitter ou animation d’un groupe sur LinkedIn.

Au total, la « transversalisation » de la communication en ligne au sein de la Commission européenne représente le principal challenge pour les prochaines années, et à fortiori vers une communication en ligne unifiée avec les autres institutions européennes.