Pour Claes de Vreese, qui s’est plongé dans le petit monde des correspondants de presse auprès de l’UE, les insuffisances structurelles et organisationnelles de l’UE entretiennent le « déficit de communication » au point que les canaux d’information non officiels sont un atout majeur pour s’informer à Bruxelles…
Les contenus des relations presse de l’UE sont sévèrement jugés par les journalistes accrédités
La plupart des correspondants de presse auprès de l’UE affiche une attitude plutôt globalement négative liée à la quantité des informations. Les flux d’informations volumineux et non priorisés que l’UE bombarde pour capter l’attention des médias sont vivement critiqués.
En termes de qualité, la nature trop compliquée des communiqués de presse est minimisée et ne représente vraiment un obstacle que lorsque l’absence de versions non anglaises affecte l’immédiateté de leur travail
La complexité est généralement acceptée comme une composante de la politique européenne. Mais, c’est la valeur informative des communiqués de presse qui est sévèrement jugée par la majorité des correspondants.
Les journalistes admettent qu’ils ont tendance à utiliser les communiqués de presse de l’UE uniquement pour contextualiser les « informations authentiques » fournies par d’autres moyens.
En bref, le matériel institutionnel de l’UE en matière de relations presse est aussi bon pour trouver des informations qu’il est mauvais pour trouver la vérité.
La performance communicative d’une institution européenne est étroitement liée selon les journalistes à son organisation
Les lacunes les plus récurrentes attribuées par les journalistes à la Commission européennes sont liées au manque de sujets « juteux » imposé par sa nature consensuelle. Par ailleurs, le système de porte-parole par portefeuille conduit à ce que le même document soit traduit dans toutes les langues.
En revanche, le Parlement européen se voit attribuer une perception plus positive, avec des communiqués de presse « sur mesure » pour les médias. En effet, les attachés de presse écrivent « pour leur propres journalistes ».
La comparaison Commission-Parlement tend à démontrer qu’une liberté d’organisation plus importante sous-tend une production de contenu institutionnel pour les journalistes plus qualitative.
Autrement dit, la rigueur et la standardisation de l’information pour les communiqués de presse est vécue comme un obstacle à une communication créative.
L’interaction interinstitutionnelle (i.e. le travail entre les institutions européennes) n’est pas assez coordonnée selon les journalistes
Le chevauchement des agendas entre les institutions européennes affecte particulièrement les pratiques des journalistes qui sont seuls à Bruxelles.
Les problèmes viendraient d’une part, du fait que la Commission européenne chercherait à perpétuer son monopole sur l’information, par rapport aux autres institutions ; et d’autre part, de la fragmentation interne qui fait que « tout le monde communique dans leur coin ».
La place de la Commission à l’épicentre de la dynamique de communication de l’UE conduit à des approches différentes des relations presse :
- une perspective inter-institutionnelle pour le Parlement européen et le Conseil de l’UE pour offrir un regard différent aux journalistes ;
- un angle inter-service par les fonctionnaires de la Commission européenne pour faciliter le travail des journalistes.
La position hégémonique de la Commission européenne dans le microcosme de Bruxelles est omniprésente dans les entretiens avec la presse accréditée
En raison de son droit d’initiative et de la centralisation des ressources de communication, la Commission devient le théâtre de ce que différents journalistes décrivent péjorativement comme des « pratiques de recyclage », consistant à réutiliser à plusieurs reprises la même information.
En outre, le service des porte-parole est accusé de restreindre les contacts avec les médias à un flux continu de pseudo-événements détachés de toute information pertinente.
Au total, cette hiérarchie entre les institutions européenne n’est pas nécessairement perçue comme positive car risque de négliger d’autres sources et des aspects de l’intégration européenne.
Les contacts informels, un jeu tacite accepté par les journalistes européens
Tant les correspondants que les fonctionnaires reconnaissent que les contacts informels représentent un moyen privilégié pour accélérer leur travail :
- Le réseau privé d’un journaliste est devenu de routine, pas uniquement pour obtenir des scoops, mais au quotidien comme un raccourci pour accéder aux documents ;
- Inversement, certains fonctionnaires admettent qu’ils ont « un groupe de clients réguliers » parmi les médias à Bruxelles.
Le « Financial Times » avec son statut de « deuxième Journal officiel » fait exception dans le paysage, cela correspond à un choix stratégique pour faciliter le relais efficace de l’information en raison de son rôle de compositeur et de multiplicateur de l’ordre du jour à travers les médias des différents États membres.
Pour les autres médias, le pays d’origine d’un correspondant importe à la lumière de la politique de l’UE concernée. Dans le critère de la nationalité entre l’adéquation en termes de messages clés adaptés par l’UE à certains Etats membres spécifiques.
Quant à l’origine des scoops, les correspondants se réfèrent à des contacts au sein des cabinets des institutions mais aussi à des sources dans leur pays, notamment lorsque leur gouvernement est dans une sorte de bras de fer avec l’UE.
Au total, la plongée dans le monde des correspondants de presse à Bruxelles est très instructive quant à leur capacité/nécessité à subir et à se jouer des contraintes institutionnelles et organisationnelles pour parvenir à produire de l’information sur l’UE.