Archives mensuelles : septembre 2013

Quels sont les publics du discours sur l’état de l’Union européenne de Barroso ?

Dans l’indifférence quasi générale, le président de la Commission européenne a prononcé, hier, le désormais traditionnel discours sur « l’Etat de l’Union européenne ». Après l’année de la nouveauté en 2010 et des problématiques de communication spécifiques liée à la visibilité pour le 2e et l’interactivité pour l’année dernière, 2013 pose la question des publics du discours sur l’Etat de l’Union européenne.

Discours sur l’état de l’Union européenne destiné aux eurodéputés ? Pas vraiment

Première hypothèse, le discours étant prononcé dans l’hémicycle du Parlement européen, les députés européens en seraient donc le public destinataire principal. Pourtant, ce n’est pas vraiment le cas puisque selon le journaliste à LCI Hughes Beaudouin, sur un total de 766 eurodéputés, seule une centaine était présente dans l’hémicycle strasbourgeois hier matin.

Au terme du 2e mandat de José Manuel Barroso à la tête de la Commission, les eurodéputés semblent accorder peu d’intérêt au discours annuel de rentrée.

Discours sur l’état de l’Union européenne destiné au grand public ? Pas davantage

S’agit-il alors d’un discours retransmis en direct par les télévisions européennes et suivi en ligne par les Européens ? Pas davantage, même s’il faut bien reconnaître que le rendez-vous s’est installé dans l’eurosphère, avec cette année des résultats sensiblement équivalents à l’année dernière (environ 10K de tweets utilisant #SOTEU, dont de nombreux comptes de l’UE et une place en trending topic mondial en début de matinée).

L’enthousiasme du public est effectivement mesuré lorsque l’on regarde les tweets – relativement interchangeables d’une année à l’autre – publiés par le compte de Barroso et leurs retweets plutôt limités :

 

Discours sur l’état de l’Union européenne destiné aux journalistes ? Oui, un peu

Cette hypothèse pourrait être plus sérieuse dans la mesure ou la plupart des journalistes spécialisés dans les affaires européennes suivent, par devoir professionnel, ce rendez-vous annuel.

Mais pour autant, le discours est tellement calibré, avec des petites phrases prévues pour frapper les esprits qu’il ne répond pas aux attentes des journalistes : du fond, des annonces, des initiatives et un agenda législatifs.

En outre, l’absence de traduction dans toutes les langues officielles de l’UE indisponible immédiatement après le prononcé est problématique pour le travail des journalistes qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes.

Discours sur l’état de l’Union européenne destiné aux insiders ? Oui, beaucoup

En fait, les publics captifs qui s’intéressent vraiment au discours sur l’état de l’Union européenne semblent correspondre à la foule des fonctionnaires européens et des groupes d’intérêts. Logiquement, ce sont ceux qui ont des choses à dire à Barroso qui le lui disent à l’occasion de ce discours annuel, dont ils savent qu’ils auront son attention à cette occasion.

Euractiv estime que « le hashtag #AskBarroso (…) a surtout été utilisé par des lobbys ou des fonctionnaires européens… et snobé par les électeurs ». « Une grande partie de l’activité sur Twitter provient de fonctionnaires des institutions européennes ou d’entités proches du milieu européen. » Seuls « « plusieurs centaines de vrais citoyens » ont posé des questions.

Transparency International illustre également l’intérêt des ONG en retournant la petite phrase de Barroso sur l’UE qui a besoin d’être « big on big things » pour regretter l’absence d’engagement dans la lutte contre la corruption.

Au total, le discours sur l’état de l’Union européenne s’est en quelque sorte routinisé, en s’installant dans le paysage comme un nouveau dispositif d’interactivité en ligne entre le président de la Commission et le milieu européen.

Alerte sur le budget sacrifié et l’approche stratégique reconcentrée de la communication de l’UE pour 2014

De profonds changements dans le budget (sacrifié avec une baisse moyenne de 20%) et l’approche stratégique (reconcentrée sur Bruxelles avec un abandon des partenariats avec les Etats-membres) de la communication de l’UE, qui font polémiques sont prévus pour 2014, selon le compte-rendu de la dernière reunion, le 12 juillet dernier, du Groupe de travail sur l’information réunissant les communicants des institutions européennes. De quoi s’agit-il ?

Propositions de la Commission européenne réduisant le budget de la communication de 20% et abandonnant les partenariats avec les Etats-membres

Afin de se conformer au plafond du nouveau budget de l’UE, la DG COMM de la Commission estime nécessaire une réduction moyenne de 20% du budget global de la communication.

Pour la communication de l’UE en 2014, la Commission décide :

  • de réduire le nombre de lignes budgétaires et d’accroître leur flexibilité ;
  • d’identifier les domaines jugés inefficaces au lieu d’opérer une réduction globale de toutes les activités.

Sur le papier, cette approche semble intelligente, mais le choix des activités sacrifiées en 2014 l’est un peu moins :

  • Le programme « L’Europe pour les citoyens » réduit de 20% ;
  • Les « actions multimedias » réduites de 35%, à savoir le réseau de radio « Euranet » et l’outil en ligne « Presseurop » ;
  • La nouvelle activité « Communication des Représentations de la Commission, y compris les actions de partenariat » (jusqu’à présent dissocié) coupée de 45%, avec l’interruption des partenariats de gestion dès 2014 malgré les engagements pluriannuels au profit d’autres formes de coopération avec les Etats-membres. En revanche, les centres d’information sur l’Europe « Europe Direct » sont sanctuarisés.

Réactions des autres institutions et des Etats-membres

Fort logiquement, le représentant du Parlement européen regrette que la Commission s’écarte de l’esprit de la Déclaration conjointe signée par les institutions européennes en octobre 2008. A ce jour, cette déclaration politique reste le texte européen le plus contraignant (texte non obligatoire) qui fonde le début d’une coopération interinstitutionnelle renforcée et efficace dans le domaine de la communication de l’UE. Un tel irrespect de la part de la Commission, l’institution normalement garante de l’intérêt européen est pour le moins inquiétant.

Par ailleurs, le représentant du Parlement européen craint que les nouveaux moyens budgétaires soient en deçà des attentes afin de susciter l’intérêt et la sensibilisation des citoyens dans la perspective des élections européennes de 2014. Un tel désengagement de la part de la Commission l’année même d’un scrutin européen ne peut être interprété autrement que comme un signe de démission dans sa tache d’informer les Européens.

 

Rejoignant les préoccupations formulées par plusieurs délégations d’Etats-membres au sujet de l’approche de la Commission, il est possible de reprocher toute une série de choses :

  • La décision de la Commission de démanteler les accords de partenariat de gestion est prise sans consultation préalable des parties prenantes – un bel exemple de « gouvernance » ;
  • La base sur laquelle la Commission n’a pas jugé les partenariats rentables n’est pas claire, puisque toutes les évaluations nationales qui ont été effectués par des organismes extérieurs ont jusqu’ici conclu à des résultats positifs ;
  • Les ressources financières allouées par la Commission aux partenariats sont nécessaires pour mener avec les Etats-membres une variété d’activités d’information axées sur l’UE, que les Etats-membres ne porteraient pas seuls.

Les négociations sur l’avenir du budget et de l’orientation stratégique de la communication européenne seront à l’ordre du jour de la prochaine réunion le 13 septembre prochain.

Pourquoi la Commission décide de réduire les dépenses opérationnelles engagées dans les Etats-membres de façon drastique au lieu d’opter pour des coupes horizontales, notamment dans les frais d’administration ?

« Un nouveau récit pour l’Europe » : communiquer une version 2.0 du leitmotiv « la paix par le marché »

Communiquer sur l’Europe, c’est mobiliser – au-delà de l’écume de l’actualité des institutions européennes – tout un référentiel de mémoires, de visions, de croyances qui se doivent d’être communes aux Européens pour faire sens. Le leitmotiv de la construction européenne : « la paix par le marché » est un récit en perte de vitesse, notamment auprès des nouvelles générations. Comment moderniser un « nouveau récit pour l’Europe » ?

Vers « un nouveau récit de l’Europe » formulé par des artistes, des intellectuels et des scientifiques

Une initiative de la Commission européenne : « Un nouveau récit pour l’Europe » tente d’aboutir – avant les élections européennes de 2014 – à la publication d’un manifeste sur les valeurs, la culture et l’histoire qui représentent le lien entre les Européens.

Parce que le récit de l’Union européenne est aujourd’hui de fait dominé par ses principaux bénéficiaires, i.e. les acteurs de la vie économique, l’initiative « Un nouveau récit pour l’Europe » en mobilisant des intellectuels, des artistes et des scientifiques européens souhaite transmettre l’idée que le projet européen n’est pas seulement économique, mais aussi que son avenir vise à rassembler nos différentes valeurs, cultures et nos aspirations.

En juillet dernier, lors du premier des événements organisés à Varsovie, trois thèmes ont été examinés :

  • les valeurs culturelles dont nous avons besoin pour écrire une histoire commune
  • la «diplomatie douce» de l’Europe: les arts, le patrimoine et les sciences
  • l’image et le rôle de l’Europe dans un environnement mondialisé et interdépendant

Elargir la vision de l’Europe est extrêmement salutaire, à la fois pour réinscrire le projet dans une continuité plus longue que les seules dernières décennies de la construction européenne et pour faire une prospective plus large sur les opportunités futures. Mais faut-il pour autant confier cette mission de mise en récit aux artistes, intellectuels et scientifiques ?

Pourquoi aucun historien et aucune réflexion sur la mémoire européenne ?

Quoique conscient de l’importance du passé de l’Europe – cf. «  Nous pouvons et devons relever les défis du monde actuel tout en tenant à distance les vieux démons qui hantent l’Europe » de José Manuel Barroso – aucun spécialiste de l’histoire et de la mémoire européennes ne semble parti prenante du projet.

Surtout, plusieurs initiatives préexistantes autour de cette problématique de dépoussiérer le récit de l’Europe ne semblent pas solliciter alors même qu’elles péréclitent.

D’une part, le programme « l’Europe pour les citoyens » qui prévoit une action autour d’une « mémoire européenne active » tente – sans véritable succès au delà de la journée européenne du souvenir instaurée en août – de « favoriser l’action, le débat et la réflexion dans le domaine de la citoyenneté européenne et de la démocratie, des valeurs partagées, de l’histoire commune et de la culture ». Ce « nouveau récit pour l’Europe » serait une occasion inespérée de relancer cette action pour lui donner un cadre et une mission spécifique.

D’autre part, le projet de maison de l’histoire européenne à Bruxelles qui vise à « mobiliser tous les outils disponibles pour favoriser une meilleure connaissance de l’histoire européenne et de la construction européenne » prévoit de s’ouvrir en 2014. La publication du manifeste sur le « nouveau récit pour l’Europe » – s’il prévoyait une caution historique sérieuse – pourrait constituer une actualité de choix pour lancer cette maison.

Force est de reconnaître que le projet d’un « nouveau récit sur l’Europe » tout en répondant à un besoin latent semble tomber un peu à côté, faute d’une dimension historique et mémorielle.

Quels sont les enseignements des études qualitatives sur les opinions européennes des citoyens ?

Le plus souvent, nos connaissances de l’opinion publique européenne proviennent d’études quantitatives comme les sondages de l’Eurobaromètre. Quelques études qualitatives sont, plus rarement, réalisées avec des focus groupes d’Européens. Quels sont les enseignements de ces études qualitatives permettant de mieux connaître les opinions européennes des citoyens ?

Faible saillance de l’Europe : les opinions européennes des citoyens sont superficielles

Pour Sophie Duchesne dans « l’identité européenne, entre science politique et science fiction », le point de convergence le plus net entre toutes les recherches qualitatives est la faible saillance de l’intégration européenne dans les discours recueillis.

Ceux pour qui l’UE constitue un sujet important sont l’exception. Seuls les plus politisés des interviewés sont enclins à prendre sur le sujet des positions tranchées.

Pour les autres, on cherche en vain les traces de l’Euroscepticisme tellement redouté par les milieux européistes : l’Europe est peu saillante à la fois parce qu’elle est peu visible mais aussi parce que l’intégration fait peu débat, en tout cas chez ceux que la politique intéresse peu.

L’acceptation « à distance » du processus en cours caractérise assez largement les propos recueillis dans ces différentes recherches, questionnant ainsi le rejet populaire mesuré par nombre de sondages.

Autrement dit, les études qualitatives invitent à modérer les résultats issus des sondages. Ce ne sont pas les opinions tranchées et/ou critiques qui dominent au sujet de l’Europe. En revanche, ce sujet fait peu débat et au fond une large majorité y est attachée, mais de manière secondaire et superficielle.

Cet enseignement est important car il permet de dire que pour la majorité des Européens, leur opinion à l’égard de l’Europe est à priori plutôt bienveillante quoique fragile.

Forte indécision sur l’Europe : les opinions européennes des citoyens sont ambivalentes

Martin Deleixhe dans « Pourquoi l’Europe n’est pas un sujet de conversation ? » complète ce que les enquêtes qualitatives peuvent nous apprendre des opinions européennes des citoyens.

Les opinions européennes des citoyens ne sont pas le fruit de leur ignorance. L’hypothèse d’un « déficit cognitif qui pousserait les citoyens à refuser de se positionner sur la question européenne est à écartée » :

Les différents participants des « focus groups » identifiés comme étant des indécis européens n’éprouvent visiblement pas moins de difficulté à parler de l’Europe que leurs interlocuteurs qui professent pourtant parfois des opinions bien affirmées.

Les indécis font preuve d’une beaucoup plus grande fluctuation que les autres participants dans leur appréciation de l’UE au cours d’une même conversation. L’indécision n’est donc pas due à de l’ignorance ou au désintérêt mais à une perception ambivalente de l’intégration européenne.

Cet enseignement est capital. Les Européens ne parviennent pas à fixer leurs opinions au sujet de l’UE (hormis les plus politisés) parce qu’ils ne savent pas interpréter, traduire ce qu’ils perçoivent de l’UE.

Au total, une plus grande visibilité de l’Europe risque à la fois de réduire l’acceptation à distance de la construction européenne et de « conforter la relation ambivalente des citoyens à leurs institutions et encourager une certaine apathie politique ».

À rebours de ce que semblent espérer certaines institutions européennes, accroître la visibilité et la connaissance de l’UE ne suffira en tout cas pas à relancer la participation citoyenne au niveau européen et à combler ce qui est perçu par certains comme son déficit démocratique.

Une meilleure connaissance des opinions européennes des citoyens, grâce aux études qualitatives, invite à revoir une bonne partie de la stratégie de communication de l’UE.