L’Union européenne, système politique complexe, forcément trop complexe pour les médias fait parfois l’objet de dérive à cause de certaines pratiques journalistiques. La pseudo-affaire de « l’Europe coupable des lasagnes au cheval » selon Jean Quatremer est le dernier symptôme des dérives de la fait-diversification de l’information européenne. Explications…
De la spécificité de l’information sur l’UE
Le journalisme européen est un métier un peu à part dans le journalisme en raison de la spécificité de l’actualité européenne :
Il n’y a pas de résonance calendaire entre l’agenda de l’UE et l’agenda des débats publics nationaux sachant qu’entre une décision européenne et son application dans les Etats-membres, il peut s’écouler dix ans, hormis épisodiquement lors des sommets européens des chefs d’Etat et de gouvernement.
Il n’y a pas d’image émotionnelle de l’UE, toujours jugée distante et froide par les citoyens, même si certains sujets comme Erasmus ou le programme d’aide aux plus démunis percent dans l’actualité en s’agrippant au potentiel d’émotion.
Il n’y a pas de « bons » et de « méchants » dans l’UE, sauf à se limiter à une instrumentalisation spectaculaire des milieux « obscures » du lobbying, comme s’est complu par facilité à le faire le dernier reportage « Bruxelles Business » consacré au sujet la semaine dernière sur Arte.
Dès lors, l’information européenne à plutôt tendance à être asynchrone, c’est-à-dire hors de l’actualité, et pauvre en mise en scène, au-delà des quelques personnalités falotes comme van Rompuy et Barroso mais surtout longue à expliquer auprès des citoyens.
Des dérives d’une information sur l’Europe « fait-diversifiée »
Afin de se conformer aux canons de production et de diffusion des « news », l’information européenne doit de plus en plus se transformer en « fait-divers », ces informations spectaculaires et simplifiées qui peuvent passer en boucle sur les chaînes d’info TV et les médias audiovisuels.
Déjà, lors du sa participation aux 3èmes assises internationales du journalisme à Strasbourg le 7 octobre 2011, Jean Quatremer dans la discussion du panel: « pourquoi l’information sur l’Europe ne passionne pas ? » revenait sur le phénomène de « fait-diversification » du traitement de l’actualité.
La fait-diversification de l’information européenne pousse à traiter l’actualité par la proximité et à éviter le complexe : chercher toujours l’émotion plutôt que l’approfondissement.
Manifestement, comme le remarquait Jean Quatremer, cela ne plait pas : les journaux français perdent des lecteurs tandis que The Economist conserve son lectorat avec un degré d’exigence et de sérieux intact.
« L’Europe coupable des lasagnes au cheval » : le symptôme des dérives de la fait-diversification
La légende urbaine voulant que l’UE soit coupable d’avoir mener les chevaux aux abattoirs en imposant des contraintes en matière de code de la route en Roumanie est née de cette dérive à vouloir simplifier et spectaculariser l’information.
Dans cette affaire, l’UE est la victime collatérale du penchant à la facilité du journalisme généraliste consistant à privilégier une fait-diversification généralisée de la couverture rédactionnelle de tout type d’actualité.
Comme le conclut Jean Quatremer « une belle rumeur qu’une certaine paresse journalistique était en train de transformer en fait ».
Des nouvelles formes du journalisme européen
Face à l’ère de l’info en continue, l’information européenne peut avoir des raisons de résister – au-delà de sa nature relativement irréductible au format des faits-divers. Les aspirations des publics sont en train d’évoluer à cause d’une certain infobésité qui fait que le fast news (à l’instar de la fast food) est de moins en moins bien digérée.
Une nouvelle diététique de l’info s’installe peu à peu et déjà quelques signes en matière d’information européenne en sont visibles.
Il suffit de s’intéresser aux nouvelles formes du journalisme numérique européen : journalisme de liens, curation de contenus et data-vizualisation (voir « Comment informer et communiquer sur l’Europe avec les nouveaux formats du web ? »).
Il convient également de regarder de nouvelles initiatives, comme nous y invite Fabrice Pozzoli-Montenay dans un panorama sur « Cinq façons de concevoir le journalisme européen ».
Au total, l’histoire de « L’Europe coupable des lasagnes au cheval » montre une nouvelle fois que l’information européenne n’a pas encore trouvée la bonne formule pour éviter les dérives en rejoignant l’actualité générale.